Les Deux Amiraux/Chapitre IV

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Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 20p. 44-59).



CHAPITRE IV.


Qu’ils vous suivent tous, excepté trois hommes en faction, et notre chef Israël, qui est attendu à chaque instant.
Marino Faliero.



L’escadre étant à l’ancre en sûreté et en bon ordre, en dépit du brouillard, sir Gervais Oakes se montra disposé à accomplir ses vues ultérieures.

— Nous avons vu un beau spectacle, dit-il très-beau certainement, et tel qu’un vieux marin aime à en voir. Mais il faut en finir. Vous m’excuserez, sir Wycherly, mais les évolutions d’une escadre ont toujours un grand intérêt à mes yeux, et il est rare que je puisse voir à vue d’oiseau, ceux de la mienne. Il n’est donc pas étonnant que j’aie été assez irréfléchi pour jouer si longtemps le rôle d’intrus avec vous.

— Point d’excuses, sir Gervais, je vous en prie ; vous n’en avez pas besoin. Quoique ce promontoire fasse partie du domaine de Wychecombe, il est loué à la couronne ; et personne n’a un meilleur droit à l’occuper que les serviteurs de Sa Majesté. Ma maison est un peu moins publique, il est vrai, mais il ne s’y trouve pas une porte qui soit fermée à de braves marins, défenseurs de leur pays. Elle est à très-peu de distance, et rien ne peut me rendre plus heureux que de vous en montrer le chemin et de vous voir sous son toit à votre aise comme chez vous, et comme vous pourriez l’être dans votre chambre, à bord du Plantagenet.

— Si quelque chose pouvait me mettre aussi à l’aise dans une maison qu’à bord d’un vaisseau, sir Wycherly, ce serait une invitation si cordiale, et j’accepte votre hospitalité dans le même esprit que vous me l’offrez. Atwood et moi nous sommes venus à terre pour envoyer des dépêches importantes au premier lord de l’amirauté, et nous vous serons obligés de nous indiquer le moyen de le faire par la voie la plus prompte et la plus sûre. La curiosité et la surprise nous ont déjà causé une perte d’une demi-heure, tandis qu’un soldat ou un marin ne doit jamais perdre une demi-minute.

— Avez-vous besoin d’un courrier qui connaisse bien le pays, sir Gervais ? demanda Wychecombe modestement, mais avec une chaleur qui prouvait qu’il parlait ainsi par zèle pour le service.

L’amiral le regarda fixement un instant, et parut charmé de l’offre que cette question semblait impliquer.

— Savez-vous monter à cheval ? demanda sir Gervais en riant. J’aurais pu amener avec moi une demi-douzaine de mes midshipmen ; — mais, indépendamment de ce que je ne savais pas si l’on pourrait se procurer ici un cheval, — car, pour une chaise de poste, je vois clairement qu’il ne peut en être question, — je craignais qu’un midshipman à cheval ne fît rire à ses dépens.

— Ce doit être une plaisanterie, sir Gervais, répliqua le lieutenant ; je dirai seulement que ce serait un étrange Virginien que celui qui ne saurait pas monter à cheval.

— Et ce serait aussi un étrange Anglais, dirait Bluewater. Mais peut-on ici se procurer un cheval pour aller jusqu’au bureau de poste le plus voisin d’où un courrier parte pour Londres tous les jours ?

— Cela est facile, sir Gervais, répondit le baronnet. Voici un cheval de chasse aussi bon qu’on puisse en trouver en Angleterre, et qui n’a fait ce matin qu’une petite course avec Richard, et je réponds de la bonne volonté de mon jeune ami pour mettre sa vitesse à l’épreuve. La poste ne partira de Wychecombe que dans vingt-quatre heures ; mais le courrier de la malle de Londres passe tous les jours à midi dans une ville qui n’est qu’à dix milles d’ici, et je réponds que M. Wychecombe sera de retour pour dîner avec nous à quatre heures.

Le jeune officier dit qu’il était prêt à se charger de cette mission et de toute autre que l’amiral pourrait avoir à lui donner, et les arrangements furent bientôt faits. Richard mit la bride de son cheval entre les mains de Wychecombe ; sir Gervais lui donna ses dépêches et ses instructions, et en cinq minutes il fut hors de vue. L’amiral dit alors qu’il pourrait disposer de toute sa journée, et il accepta l’invitation de sir Wycherly d’aller déjeuner chez lui, aussi franchement que celui-ci la lui avait faite. Le baronnet déclara qu’il se sentait si ingambe, qu’il retournerait à pied chez lui, quoiqu’il y eût un mille de distance, et il chargea Richard de reconduire son poney par la bride. À l’instant où ils affalent quitter la station des signaux, sir Wycherly prit l’amiral à part, et lui dit :

— Vous savez que je ne suis pas marin, sir Gervais ; car, quoique j’aie une commission de juge de paix dans ce comté, Sa Majesté ne m’en a pas donné dans sa marine. Vous aurez donc la bonté, si je commets quelque petite méprise, de me la pardonner. Je sais que l’étiquette du gaillard d’arrière est une chose très-sérieuse ; mais voilà Dutton, qui est aussi brave homme que qui que ce soit ; son père était une sorte de gentleman, car il était procureur dans la ville voisine, et il était accoutumé à dîner souvent avec moi il y a quarante ans…

— Je crois que je vous comprends, sir Wycherly, et je vous remercie des égards que vous voulez bien avoir pour mes préjugés ; mais vous êtes le maître à Wychecombe, et je me regarderais comme un intrus importun si vous n’invitiez pas qui bon vous semble à s’asseoir à votre table.

— Ce n’est pas tout à fait cela, sir Gervais, quoique vous ne soyez pas bien loin du but. Dutton n’a que le grade de master ; encore y a-t-il une grande différence entre un master à bord d’un bâtiment et un master chargé des fonctions qu’il remplit à présent, comme il me l’a dit plus d’une fois lui-même.

— Oui, Dutton a raison en tant qu’il s’agit d’un master d’un vaisseau du roi mais, quant au capitaine d’un bâtiment marchand, il n’y a guère de différence entre cette situation et la sienne. Au surplus, mon cher Wycherly, un amiral n’est pas déshonoré pour admettre dans sa compagnie même un maître d’équipage, si cet homme est honnête. Il est vrai que nous avons nos coutumes, et que nous avons nos officiers du gaillard d’avant et ceux du gaillard d’arrière, ce qui est, à bord d’un bâtiment, comme le quartier de la cour et celui de la Cité à Londres. Mais un master appartient à la première classe de ces officiers, et le master du Plantagenet, Sandy Mac Yarn, dîne avec moi une fois par mois aussi régulièrement qu’il commence chaque jour une nouvelle page de sa table de loch. Je vous prie donc d’accorder votre hospitalité à qui bon vous semblera, ou… — L’amiral s’arrêta, et jeta un coup d’œil sur Dutton, qui était à quelques pas, tête nue, attendant que son officier supérieur se mît en marche. — Ou peut-être me permettrez-vous, continua-t-il, d’inviter moi-même un ami à être de notre partie.

— C’est précisément cela, sir Gervais, s’écria le bon baronnet, et Dutton sera l’homme le plus heureux du Devonshire. Je voudrais que nous pussions avoir mistress Dutton et sa fille, et alors la table serait ce que mon pauvre frère Jacques, — Saint-Jacques, comme je l’appelais, — avait coutume d’appeler mathématique. Il disait qu’une table devait avoir tous ses côtés et ses angles dûment remplis. Jacques était un très-agréable convive, sir Gervais, et en fait de théologie je crois vraiment qu’il n’aurait pas montré le dos à un apôtre.

L’amiral le salua, s’avança vers le master, et l’invita à faire partie de la compagnie à Wychecombe-Hall, du ton que sait toujours prendre un homme habitué à rendre ses civilités agréables par une sorte d’aisance officielle.

— Sir Wycherly, dit-il, veut que je regarde sa table comme si elle se trouvait dans ma propre chambre à bord de mon vaisseau. Je ne connais pas de meilleure manière de lui prouver ma gratitude qu’en le prenant au mot et en la remplissant de convives qui nous soient agréables à tous deux. Je crois qu’il y a une mistress Dutton, et une miss…

— Milly, ajouta le baronnet, qui s’était approché ; miss Mildred Dutton, fille de notre ami, jeune personne qui ferait honneur au salon le plus élégant de Londres.

— Vous voyez, Monsieur, que notre hôte prévient, comme par instinct, les désirs d’un vieux garçon, et qu’il désire aussi que ces dames vous accompagnent. Miss Mildred aura du moins deux jeunes gens pour rendre hommage à sa beauté, et trois vieillards pour soupirer de loin. – Eh ! Atwood ?

— Comme sir Wycherly le sait, Monsieur, répondit Dutton, Mildred a été indisposée ce matin ; mais je ne doute pas qu’elle ne soit trop reconnaissante de cet honneur pour ne pas faire un effort pour y répondre. Quant à ma femme…

— Quel motif peut empêcher mistress Dutton d’être de la partie ? demanda le baronnet, voyant le mari hésiter ; elle m’accorde quelquefois la faveur de sa compagnie.

— Je crois que vous la verrez aujourd’hui, sir Wycherly, si Mildred est en état de sortir ; car la bonne femme permet rarement à sa fille de sortir sans elle. Elle la tient toujours, comme je le lui dis, sir Gervais, attachée aux cordons de son tablier.

— Elle n’en est que plus sage, monsieur Dutton, s’écria l’amiral. Le meilleur pilote pour une jeune fille est une bonne mère ; et maintenant que vous avez une escadre sur votre rade, je n’ai pas besoin de dire à un marin qui a votre expérience que vous êtes sur un fonds qui demande la surveillance d’un bon pilote. — Eh ! Atwood ?

Dutton resta debout, et son chapeau à la main, jusqu’à ce qu’il eût perdu de vue toute la compagnie, qui le quitta en ce moment ; il rentra alors chez lui, pour préparer sa femme et sa fille à l’honneur qui leur était destiné. Mais, avant d’exécuter ce dessin, le malheureux homme ouvrit un buffet dans sa salle à manger, et se fortifia les nerfs, comme il le pensait, avec un grand verre d’eau-de-vie, — liqueur que ni les hostilités, ni les droits d’entrée, ni l’antipathie nationale, n’ont été en état de bannir de la Grande-Bretagne.

Pendant ce temps, les deux baronnets entraient dans le village ou hameau de Wychecombe, qui était environ à mi-chemin entre la station et la maison de sir Wycherly. C’était un groupe peu nombreux de chaumières, situé dans une position extrêmement rurale et retirée, et où ne se trouvait ni médecin, ni apothicaire, ni procureur, pour lui donner quelque importance. Une petite auberge, deux ou trois boutiques du genre le plus, humble, et une vingtaine de chaumières habitées par des laboureurs et des artisans, étaient tout ce qu’on voyait dans ce hameau, où il ne se trouvait pas même une chapelle pour un conventicule, les non-conformistes n’étant pas encore à cette époque très-nombreux en Angleterre. L’église paroissiale, bâtiment isolé du temps des Henris, s’élevait dans un champ à près d’un mille des habitations, et le presbytère, qui était encore en bon état, se trouvait à un demi-mille plus loin, au bout du parc du baronnet. En un mot Wychecombe était une de ces places déchues de ce qu’elles étaient autrefois ; il ne conservait aucune trace de l’importance plus ou moins considérable qu’il avait pu avoir ; et s’il gardait encore sa place sur la carte du comté, il n’en était redevable qu’à son antiquité, et à la circonstance qu’il avait donné son nom à une des plus anciennes familles d’Angleterre.

Il n’était donc pas étonnant que l’arrivée d’une escadre sur la rade eût fait grand bruit dans ce petit hameau. Le mouillage était excellent, en ce qui concerne le fond ; mais on pouvait à peine l’appeler une rade sous tout autre point de vue, car il n’offrait d’abri contre aucun vent, si ce n’est celui qui venait de la terre, et ce vent n’était pas commun dans cette partie de l’île de la Grande-Bretagne. De temps en temps un croiseur mettait en panne au large, et quelques frégates y étaient entrées pour y jeter l’ancre pendant une ou deux marées, et attendre un changement de vent ; mais c’était la première escadre qu’on y eût jamais vue de temps immémorial. Le brouillard avait empêché les honnêtes habitants d’apercevoir les bâtiments ; mais les deux coups de canon qui avaient été tirés leur avaient donné l’éveil, et la nouvelle importante s’était rapidement répandue dans toute la contrée adjacente. Quoique Wychecombe ne fût pas en vue de la mer, sa petite rue, quand les deux baronnets y entrèrent, était déjà remplie de marins, chaque bâtiment de la flotte ayant envoyé au moins un canot à terre, et quelques-uns même deux ou trois. On y voyait des maîtres d’hôtel de capitaines, de midshipmen cherchant à fourrager, des hommes chargés du soin des malades à bord des navires, et d’autres harpies de cette espèce ; car c’était une partie du monde où les vivandières étaient inconnues, et si la montagne ne voulait pas venir à Mahomet, il fallait que Mahomet allât à la montagne. Une demi-heure avait suffi pour épuiser toutes les ressources du hameau, et le prix du lait, des œufs, du beurre, du pain, des légumes et des fruits qui étaient mûrs, avait déjà augmenté de cent pour cent.

Sir Gervais avait nommé son escadre « l’escadre du Sud, » parce qu’elle avait croisé dans la baie de Biscaye depuis six mois. C’était une station désagréable pendant l’hiver, car les éléments exposaient à de plus grands dangers que ceux qu’on avait à craindre des ennemis. L’escadre s’était pourtant strictement acquittée de ses devoirs, car elle avait efficacement protégé plusieurs convois richement chargés venant des Indes occidentales et orientales, et elle avait capturé plusieurs frégates ennemies ; mais le service avait été excessivement fatigant, et accompagné de mille privations pour tous ceux qui y étaient employés. La plupart de ceux qui venaient de débarquer n’avaient pas mis le pied à terre, depuis six mois ; et il n’était pas étonnant que tous les officiers que leur devoir n’obligeait pas de rester à bord eussent saisi avec empressement l’occasion de repaître leurs yeux de la belle verdure de leur île natale. Une centaine de marins de cette espèce parcouraient la rue de Wychecombe, se répandaient dans quelques fermes voisines, tenaient des propos galants aux jeunes filles qui les écoutaient en rougissant, et ne perdaient pourtant pas de vue leur principal but, qui était de pourvoir aux besoins de leur table.

— Nos jeunes gens ont déjà découvert votre village en dépit du brouillard, sir Wycherly, dit le vice-amiral d’un ton de bonne humeur ; et les sauterelles d’Égypte ne seraient pas plus en état d’y apporter la famine. On dirait qu’il y a un grand dîner in petto chez tous les capitaines des bâtiments de l’escadre, à en juger par le nombre des maîtres-d’hôtel de capitaines qui sont à terre. — Eh ! Atwood ? j’ai déjà vu ici neuf de ces harpies dans cette rue, et les sept autres ne peuvent être bien loin.

— Voici Galleygo, sir Gervais, dit le secrétaire en souriant, quoiqu’il ne soit pas juste de le confondre avec les maîtres d’hôtel de capitaines, puisqu’il a l’honneur d’être au service d’un amiral, et du commandant en chef d’une flotte.

— Oui, mais c’est nous qui nourrissons quelquefois toute l’escadre, et nous avons quelque excuse pour être un peu exigeants. — Écoutez, Galleygo ; louez une charrette, et poussez à quatre ou cinq milles plus loin dans l’intérieur. Autant vaudrait espérer de trouver des perles fines dans les yeux des poissons, que de découvrir quelque chose de bon à glaner quand on vient après tant de midshipmen et de jeunes officiers. — Je dîne à terre aujourd’hui ; mais n’oubliez pas que le capitaine Greenly aime les côtelettes de mouton.

Il parlait ainsi d’un ton de bonté, et en homme habitué à traiter avec familiarité ses domestiques, comme des amis d’une humble condition. Galleygo était un maître d’hôtel ayant l’air si décidé, qu’un gentilhomme campagnard n’aurait pu le tolérer ; mais il servait son maître actuel en cette qualité depuis que celui-ci avait obtenu le commandement d’un sloop. Il avait passé toute sa jeunesse dans la marine comme gabier, et c’était réellement un excellent marin ; mais le hasard l’ayant momentanément placé dans la situation actuelle, le capitaine Oakes fut si content de son attention à ses devoirs et surtout de son amour pour l’ordre, qu’il le garda toujours depuis ce temps à son service, malgré le désir qu’avait le brave homme de reprendre ses anciennes fonctions. Le temps et l’habitude avaient enfin réconcilié Galleygo avec sa situation présente ; mais il n’avait définitivement accepté ce poste que sous la condition qu’on ne le laisserait pas de côté, quand l’occasion exigerait les services des meilleurs marins. Il était aussi devenu une sorte d’homme à toute main à bord d’un bâtiment de guerre, étant au premier rang quand il s’agissait d’un abordage, montant sur les vergues pendant une tempête, étant chef d’une pièce de canon durant un combat, et retournant aux devoirs de maître d’hôtel quand le temps était beau, et qu’il n’y avait pas d’ennemis en vue. Il y avait près de trente ans qu’il était ainsi moitié marin, moitié maître d’hôtel quand il était sur mer ; tandis que sur terre il était plutôt le conseiller et le ministre de cabinet de son maître que son serviteur ; car, hors de son vaisseau, il n’était bon à rien, quoiqu’il n’eût jamais quitté Oakes plus d’une semaine de suite, soit à terre, soit sur mer. Le nom de Galleygo était un sobriquet que lui avaient donné ses compagnons quand il était gabier, et il avait été si généralement appelé ainsi, que, depuis vingt ans, on croyait presque universellement que c’était son nom de famille. Quand cet être amphibie, attaché à la chambre de l’amiral et au gaillard d’avant, reçut l’ordre que nous venons de rapporter, il toucha de la main une touffe de cheveux sur le côté de son front, cérémonial auquel il ne manquait jamais avant de parler à sir Gervais, son chapeau étant ordinairement laissé à deux ou trois brasses de distance, et lui fit sa réponse ordinaire.

— Oui, oui, amiral. — Votre Honneur lui-même a été jeune, et vous savez ce dont a besoin l’estomac d’un jeune homme, après six mois d’abstinence dans la baie de Biscaye. Je crois toujours qu’il ne nous reste que peu de chance, quand je vois dans nos eaux sept à huit de ces croiseurs. Ils ressemblent aux sloops et aux cutters d’une flotte, qui font toutes les prises.

— Cela est vrai, Galleygo ; mais si ce sont les sloops et les cutters qui font les prises, vous devez vous rappeler que l’amiral a sa part de toutes.

— Je sais fort bien que nous avons notre part, amiral ; mais c’est la loi qui nous l’accorde, et les commandants de ces bâtiments légers n’y peuvent rien faire. Qu’ils aient une fois la loi pour eux, et pas un penny ne tombera dans notre poche. Non, non ce que nous avons, nous l’avons de par la loi ; mais comme il n’y a pas de loi pour reprendre à un midshipman les choses sur lesquelles il a mis la main, Il n’y a rien à faire après eux.

— J’ose dire que vous avez raison, Galleygo, et vous l’avez toujours. Ce ne serait pas une mauvaise chose d’avoir un acte du parlement pour accorder à l’amiral le vingtième du fourrage des midshipmen. Les vieux marins pourraient quelquefois, de cette manière, attraper une partie de leurs fruits et de leurs volailles. — Eh ! Atwood ?

Le secrétaire sourit d’un air d’assentiment, et sir Gervais ayant répété son ordre à son maître-d’hôtel, on se remit en marche.

— Excusez la liberté que se permet mon vieux serviteur, sir Wycherly, dit l’amiral, il n’a de respect pour personne qu’autant que l’exige l’étiquette d’un bâtiment de guerre. Je crois qu’il favoriserait Sa Majesté même d’une dissertation sur les arrangements à faire dans une chambre à bord d’un de ses vaisseaux, s’il trouvait l’occasion de lui expliquer ses idées à ce sujet ; et je pense qu’il ne désespère pas d’obtenir ce privilège un jour ou l’autre ; car la dernière fois que j’allai à la cour, je le trouvai complétement gréé de l’avant à l’arrière, dans l’idée qu’il allait faire voile de conserve avec moi, comme il le dit, avec ou sans signal.

— Il n’y avait rien de surprenant à cela, sir Gervais, dit le secrétaire ; Galleygo a si longtemps fait voile de conserve avec vous, vous a suivi dans tant de pays différents, a couru tant de dangers à vos côtés, et en est venu à se regarder si complètement comme partie intégrante de votre famille, qu’il était tout naturel qu’il s’attendît à aller à la cour avec vous.

— Cela est assez vrai. Le drôle ferait face au diable, à mon côté, et je ne vois pas pourquoi il hésiterait à faire face au roi. Je l’appelle quelquefois lady Oakes, sir Wycherly, car il semble penser qu’il a un droit de douaire, ou quelque autre prétention sur mes biens et quant à l’escadre, il en parle toujours comme si nous la commandions en commun. Je ne sais comment Bluewater tolère cette liberté, car il ne se fait pas scrupule de parler de lui comme sous nos ordres. S’il m’arrivait quelque accident, il y aurait entre eux une guerre civile pour ma succession.

— Je crois que la subordination navale rendrait à Galleygo l’usage de ses sens, sir Gervais, si pareil malheur arrivait ; mais j’espère que le ciel ne le permettra pas d’ici à bien des années. — Ah ! voici l’amiral Bluewater qui entre lui-même dans cette rue.

À cette annonce subite, tout le monde tourna les yeux du côté indiqué par M. Atwood. Ils allaient alors sortir de la rue, et ils virent entrer par l’autre bout un homme qui, par sa démarche, son air, sa mise et ses manières, formait un contraste frappant avec les jeunes marins actifs, joyeux et empressés, qui s’offraient partout à la vue dans ce hameau. Le contre-amiral Bluewater était de très grande taille, excessivement maigre et, comme la plupart des marins qui ont cette conformation physique, il était un peu voûté, circonstance qui semblait donner à ses années un plus grand empire sur son corps qu’elles n’en avaient en réalité. Mais si sa taille courbée le privait en grande partie de l’air martial et résolu qu’on remarquait dans son officier supérieur, elle prêtait à sa tournure une dignité tranquille qui aurait pu lui manquer sans cela. S’il eût été vêtu en homme appartenant à une condition civile, personne ne l’aurait pris pour un des amiraux les plus instruits et les plus intrépides de la marine anglaise. Il aurait plutôt passé pour un homme bien élevé, réfléchi, habitué à la retraite, se méfiant de lui-même, et étranger à toute ambition. En ce moment il portait, comme de raison, le petit uniforme de contre-amiral ; mais c’était avec une sorte d’insouciance, comme purement par sentiment de devoir, ou comme s’il eut pensé qu’aucun costume ne pouvait lui donner un air militaire. Cependant tout ce qu’il portait était scrupuleusement propre et parfaitement convenable. En un mot, sans son uniforme, personne qu’un homme habitué à la mer n’aurait soupçonné le contre-amiral d’être un marin, et un marin même aurait souvent pu être embarrassé pour découvrir en lui d’autres signes de sa profession que ceux qu’on pouvait trouver dans l’expression d’une physionomie honnête, franche et même noble, et dans la teinte que prennent invariablement les joues d’un marin constamment exposé aux intempéries des éléments. Au surplus, ce n’était que d’après l’extérieur qu’on pouvait douter qu’il fût un marin ; et le vice-amiral Oakes avait bien souvent déclaré que Dick[1] Bluewater était l’homme d’Angleterre qui connaissait le mieux un vaisseau, et que, pour faire manœuvrer une flotte, sa méthode avait servi de modèle dans la marine.

Dès que sir Gervais reconnut son ami, il exprima le désir de l’attendre, et sir Wycherly y répondit poliment par une proposition de retourner sur leurs pas et d’aller à sa rencontre. Cependant le contre-amiral était dans un tel état d’abstraction, qu’il n’aperçut la compagnie qui s’avançait vers lui que lorsqu’il fut accosté par sir Gervais, qui était en avant de quelques pas.

— Bonjour, Bluewater, dit le vice-amiral d’un ton familier ; je suis charmé que vous vous soyez arraché à votre vaisseau, quoique je doive dire que la manière dont vous avez jeté l’ancre pendant ce brouillard semble véritablement tenir de l’instinct, et j’avais résolu de vous le dire dès que je vous reverrais ; car je ne crois pas qu’il y ait un seul bâtiment de toute l’escadre qui soit de plus de la moitié de sa longueur hors de la ligne mathématique, quoique la marée soit aussi rapide ici qu’un cheval de course.

— Cela est dû à vos capitaines ; sir Gervais, répondit Bluewater avec cet air de respect qu’un officier de marine conserve toujours avec son supérieur quand il est de service, quelle que puisse être son intimité en toute autre occasion. — Le bon capitaine fait le bon bâtiment. Les nôtres ont servi si longtemps ensemble, qu’ils savent quels seront leurs mouvements respectifs, et chaque bâtiment de l’escadre a sa réputation à conserver, aussi bien que l’officier qui le commande.

— Rien n’est plus vrai, Bluewater, et cependant il n’y a pas au service de sa Majesté un autre officier qui aurait pu mettre une escadre à l’ancre en si bon ordre par un pareil brouillard ; et je vous demande la permission de vous remercier de la leçon que vous avez donnée, non-seulement aux capitaines, mais au commandant en chef. Je présume qu’il m’est permis d’admirer ce que je ne puis exactement imiter.

Le contre-amiral sourit, et toucha son chapeau en reconnaissance de ce compliment, mais sans rien y répondre. Pendant ce temps, sir Wycherly et les autres étaient arrivés, et les présentations d’usage eurent lieu. Le vieux baronnet pria sa nouvelle connaissance de se joindre à ses hôtes, avec une telle cordialité qu’un refus était impossible.

— Puisque vous et sir Gervais insistez si vivement sur ce point, sir Wycherly, répondit le contre-amiral, il faut bien que j’y consente ; mais comme il est contraire à notre pratique que les deux principaux officiers d’une escadre la quittent en même temps quand ils sont de service en pays étranger, — et je regarde cette rade comme pays étranger, puisque aucun de nous ne la connaît, – je demanderai qu’il me soit permis de retourner sur mon vaisseau avant minuit. Le vent me paraît bien établi, sir Gervais, et je crois que nous pouvons passer quelques heures à terre sans danger.

— Bon, bon, Bluewater ; vous vous imaginez toujours que nos bâtiments sont surpris par un ouragan, et ont à s’élever d’une côte sous le vent. Soyez sans inquiétude, et allons dîner confortablement avec sir Wycherly. J’ose dire que nous trouverons chez lui un journal de Londres, et il nous apprendra peut-être quelque secret d’état. A-t-on quelques nouvelles de notre armée de Flandre ?

— Les choses semblent rester à peu près dans le même état, depuis cette affaire terrible dans laquelle le duc a battu les Français. Je ne puis jamais me rappeler un nom étranger ; mais celui-là sonne comme un baptême chrétien. Si mon pauvre frère Saint-Jacques vivait encore, il pourrait nous le dire.

— Un baptême chrétien ! C’est une singulière allusion pour un champ de bataille. Les armées ne peuvent être allées à Jérusalem. — Eh ! Atwood ?

— Je crois, sir Gervais, répondit le secrétaire, que sir Wycherly fait allusion à la grande bataille qui eut lieu le printemps dernier. Elle fut livrée à Font… Font… j’ai oublié le reste du mot ; et les fonts ont certainement du rapport à un baptême.

— J’y suis, j’y suis, s’écria sir Wycherly avec empressement, Fontenoi est le nom de la place où le duc aurait tout enfoncé devant lui, et ramené prisonniers en Angleterre le maréchal de Saxe et tous ses mangeurs de grenouilles, si nos alliés hollandais et allemands s’étaient comportés mieux qu’ils ne le firent. Voilà ce qui arrive à la pauvre vieille Angleterre, Messieurs ; tout ce qu’elle gagne, ses alliés le lui font toujours perdre. Les Allemands et les colons nous mettent continuellement dans l’embarras.

Sir Gervais et son ami étaient des hommes qui avaient acquis de l’expérience, et ils savaient fort bien qu’ils n’avaient jamais combattu les Hollandais et les Français sans avoir trouvé à qui parler. Ils n’avaient pas de foi à une supériorité nationale générale. Les cours martiales, qui avaient lieu si souvent après un combat, leur avaient appris qu’il y a divers degrés d’intrépidité comme de manque de courage, et ils étaient trop instruits pour être dupes des fanfaronnades de la plume et des déclamations vides de sens prononcées à la suite d’un dîner ou dans la chambre des communes. Ils avaient appris par expérience que des hommes bien conduits et bien commandés valent deux fois le nombre de pareils hommes mal commandés et mal conduits. Ils savaient parfaitement que l’esprit d’une armée ou d’une flotte, d’où dérivent tous ses succès, dépend plus du sentiment de convention qu’on y a fait naître par des moyens moraux que du lieu de la naissance, de la couleur et de la filiation. Ils se regardèrent l’un l’autre d’un air expressif, et un sourire caustique se montra sur les lèvres de si Gervais, tandis que son ami conservait son extérieur ordinaire de gravité.

— Je crois que le roi de France et le maréchal de Saxe font une version différente de cette affaire, sir Wycherly, dit le premier un peu sèchement ; et il est bon de se rappeler qu’une histoire a toujours ses deux côtés. Quoi qu’on puisse dire de Dettingen, je crois que la postérité ne regardera pas Fontenoi comme une plume ajoutée au chapeau de Son Altesse Royale.

— Vous ne croyez sûrement pas possible, sir Gervais, qu’une armée française en batte une anglaise ! s’écria sir Wycherly, dont l’esprit était complètement provincial, quoiqu’il eût siégé dans le parlement, qu’il eût quatre mille livres de revenu annuel, et qu’il descendît d’une des plus anciennes familles d’Angleterre. Admettre une telle possibilité, ce serait presque un acte de haute trahison.

— À Dieu ne plaise, mon cher Monsieur ; je suis aussi loin de croire une pareille chose que le duc de Cumberland lui-même, qui, soit dit en passant, a à peu près autant de sang anglais dans les veines, qu’il se trouve d’eau de la Méditerranée dans la Baltique. — Eh ! Attwood ? — Cependant, sir Wycherly, je vous demande quelques ménagements pour mon ami, mon secrétaire, qui a la faiblesse, comme Écossais, de partager un peu la prédilection nationale pour le Prétendant et tout ce qui compose le clan des Stuarts.

— J’espère qu’il n’en est rien, sir Gervais, je l’espère sincèrement, s’écria le vieux baronnet avec une chaleur qui n’était pas tout à fait sans alarme, sa fidélité à la nouvelle famille régnante étant sans tache et sans reproche. M. Attwood a l’air d’avoir de trop bons principes pour ne pas voir de quel côté se trouve la véritable liberté religieuse et politique. Je suis sûr que vous plaisantez, sir Gervais ; le fait seul qu’il est en votre société est une garantie de sa loyauté.

— Je ne voudrais pas vous faire concevoir une fausse idée de mon ami Attwood, sir Wycherly ; je dois donc ajouter que, quoique son sang écossais le portât à être tory, son bon sens anglais en a fait un whig. Si le Prétendant ne doit monter sur le trône qu’à l’aide d’Étienne Attwood, il peut faire ses adieux pour toujours à l’ambition.

— C’est que je croyais, sir Gervais, je pensais que votre secrétaire ne pouvait avoir adopté la doctrine de l’obéissance passive et de la non-résistance. C’est un principe qui conviendrait difficilement à des marins, amiral Bluewater.

Le grand et bel œil bleu de Bluewater brilla d’une expression presque ironique ; mais une légère inclination de tête fut sa seule réponse. Dans le fait, il était jacobite, quoique personne ne le sût que son ami le vice-amiral. Comme marin, il n’était appelé qu’à servir son pays, et, comme cela arrive souvent aux militaires, il était disposé à le faire sous tout officier que les circonstances pourraient lui donner pour supérieur, et quelles que pussent être ses opinions politiques. Pendant la guerre civile de 1715, il était trop jeune et avait un grade trop inférieur pour que ses opinions eussent de l’importance, et, étant employé à dans des stations étrangères, ses services ne pouvaient être utiles qu’aux intérêts généraux de la nation, sans avoir aucune influence sur le résultat de la contestation qui avait lieu en Europe. Depuis cette époque, rien n’était arrivé qui obligeât un homme que son devoir retenait sur l’Océan à se prononcer très-décidément entre les deux maîtres qui prétendaient avoir droit à son obéissance. Sir Gervais avait toujours été en état de le convaincre qu’il soutenait l’honneur et les intérêts de son pays, ce qui devait suffire à un patriote, n’importe qui portât le nom de roi. Malgré cette grande différence dans les sentiments politiques des deux amiraux, — sir Gervais étant aussi décidément whig que son ami était tory, — leur amitié personnelle n’avait jamais connu aucun nuage. Du reste, le vice-amiral connaissait assez bien l’officier, qui était son inférieur d’un grade, pour être sûr que le meilleur moyen de l’empêcher de prendre ouvertement le parti des jacobites ou de leur rendre des services secrets, c’était de mettre en son pouvoir de manquer d’une manière flagrante à la confiance qu’on avait en lui. Il était certain que, tant qu’on aurait foi dans son intégrité, on pouvait compter sur Bluewater, mais que s’il arrivait jamais un moment où il voulût quitter le service de la maison de Hanovre, il se démettrait franchement de tous ses emplois pour aller se ranger sous l’étendard ennemi, sans profiter de la confiance par lui obtenue pour nuire au parti qu’il servait d’abord. Il est également nécessaire que le lecteur comprenne bien que le contre-amiral n’avait jamais fait connaître ses opinions politiques à aucune autre personne qu’à son ami, et que le Prétendant et ses conseillers les ignoraient aussi bien que George II et ses ministres. Le seul effet que ses sentiments eussent produit sur lui en pratique avait été de lui faire refuser le commandement en chef d’une escadre, ce qui lui avait été offert plusieurs fois.

— Non, répondit sir Gervais à la remarque de sir Wycherly, quoique l’expression grave et pensive de sa physionomie prouvât que ses opinions n’étaient pas d’accord avec son langage ironique ; non, sir Wycherly ; un marin à bord d’un bâtiment du roi n’a pas la moindre idée de l’obéissance passive et de la non-résistance. C’est une doctrine qui n’est intelligible que pour les papistes et les tories. Mais Bluewater est enfoncé dans de profondes réflexions, il pense sans doute à la manière dont nous tomberons sur M. Gravelin, si nous sommes assez heureux pour le rencontrer. Ainsi donc, si cela vous convient, nous changerons de conversation.

— De tout mon cœur, sir Gervais, et après tout il n’y a pas grande utilité à discuter plus longtemps les affaires du Prétendant, car il parait que personne ne songe plus à lui depuis le dernier échec qu’a reçu le roi Louis XV.

— Oui ; Norris a écrasé la jeune vipère dans sa coquille et l’on peut regarder l’affaire comme terminée.

— C’est ce que me disait toujours feu mon frère le baron Wychecombe. Il m’a assuré que les douze juges s’étaient déclarés contre les prétentions de la famille Stuart, et qu’elle n’avait rien à attendre d’eux.

— Vous a-t-il dit, Monsieur, sur quoi ces doctes magistrats s’étaient appuyés pour prendre cette décision ? demanda tranquillement Bluewater.

— Oui, sans doute, Monsieur, car il connaissait tout mon désir d’avoir de bons arguments à employer contre les tories, et il m’expliqua le point légal de l’affaire. Mais je n’ai point la main bonne pour répéter ce que j’entends dire, quoique mon pauvre frère, feu le révérend Jacques Wychecombe, que j’appelais toujours Saint-Jacques, eût été en état de vous faire un discours d’une demi-heure sur ce sujet, sans en oublier un seul mot ; mais il paraît que Jacques et Thomas ont emporté avec eux toute la mémoire de la famille. Je me souviens pourtant que la décision des douze juges était fondée sur un acte du parlement, qui est l’autorité suprême et la maison de Hanovre régnant en vertu d’un acte du parlement, nulle cour de justice ne pouvait y trouver à redire.

— Votre explication est fort claire, Monsieur ; mais vous me pardonnerez de vous dire que vous n’aviez pas besoin de faire une apologie pour votre manque de mémoire. Cependant votre frère peut ne pas vous avoir bien expliqué ce qu’est un acte du parlement. Le roi, les lords et les communes sont tous également nécessaires pour faire un acte du parlement.

— Sans contredit ; — nous savons cela, mon cher amiral, nous autres pauvres habitants de la terre ferme, aussi bien que vous autres qui vivez sur la mer. Mais la maison de Hanovre a ces trois autorités en sa faveur.

— Y avait-il un roi ?

— Un roi ? certainement, — ou, ce que nous devons considérer, nous autres garçons, comme valant beaucoup mieux, il y avait une reine. La reine Anne approuva l’acte, ce qui en fit un acte du parlement. Je vous assure que j’ai appris à connaître les lois durant les visites que le baron me faisait à Wychecombe, et pendant les heures agréables que nous passions à causer ensemble chez lui.

— Et qui signa l’acte du parlement qui fit d’Anne une reine ? Monta-t-elle sur le trône en vertu d’une succession régulière ? Marie et Anne régnèrent en vertu d’actes du parlement ; mais il faut remonter plus haut pour trouver la sanction d’un prince qui portait la couronne par droit de succession légitime.

— Allons, allons, Bluewater, dit sir Gervais d’un ton grave ; en parlant de cette manière, nous pourrions faire croire à sir Wycherly qu’il a en sa compagnie deux furieux jacobites. Les Stuarts ont été détrônés par une révolution, qui est une loi de nature, et dont Dieu a fait un acte qui l’emporte sur toutes les autres lois quand il a une fois pris l’ascendant, comme cela est clairement arrivé dans le cas dont il s’agit. — Mais je présume que voici la grille de votre parc, sir Wycherly, et que c’est votre maison que je vois au bout de cette avenue ?

Cette observation changea le sujet de l’entretien, et l’on s’avança vers la maison en discutant sur son origine, son histoire et les avantages de sa situation, jusqu’au moment où l’on arriva devant la porte.


  1. Abréviation familière de Richard.