Les Dieux antiques/L’Héraclès grec ou l’Hercule latin

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J. Rothschild, éditeur (p. 129-141).




L’HÉRACLÈS GREC OU L’HERCULE LATIN.


Héraclès. — Héraclès est le fils de Zeus et d’Alcmène. Sa vie, considérée d’une façon générale, apparaît comme une longue servitude aux ordres d’un maître vil et faible, ainsi qu’un sacrifice continuel de soi-même au bien des autres : trait commun à plusieurs mythes. Une force corporelle irrésistible, qu’il emploie toujours à aider les souffrants et les faibles et à la destruction de toute chose nuisible, caractérise ce dieu. Notez enfin la signification du nom d’Héraclès, qui désigne, comme celui d’Héré, une déité solaire. Zeus se vanta à Héré, le jour de la naissance d’Héraclès, que l’enfant qui sortirait de la famille de Persée serait, par sa volonté, le plus puissant des hommes. Ce que sachant, Héré fit naître Eurysthée avant Héraclès. L’origine de ce détail remonte à de très-anciennes phrases parlant du soleil comme s’il se donnait du mal pour une créature aussi pauvre et aussi faible que l’homme. La vie d’Héraclès sera en effet un sommaire de la marche quotidienne et annuelle du soleil : fort simplement, chaque trait des nombreuses légendes attachées à son nom peut être ramené à des dictons montrant l’astre né pour une vie de labeur, débutant en ses tâches pénibles à la suite d’une courte mais heureuse enfance ; et se plongeant finalement dans le repos, après une rude bataille contre les nuages qui l’empêchèrent dans sa marche. Les travaux d’Héraclès ont commencé pour lui au berceau ; on assigne toutefois les labeurs connus sous le nom des Douze Travaux d’Héraclès (fig. 103, 104, 105 et 106) à des périodes postérieures de sa vie. Mais le nombre en a été fixé par les poètes d’un âge relativement avancé, qui recueillirent maintes et maintes traditions locales, quelques-unes basées sur des faits, d’autres purement fictives, et les attribuèrent toutes à Héraclès. Les poètes homériques n’essayent nullement de classifier ses exploits et ses peines.

Enfant donc, comme il était endormi dans son berceau, deux serpents s’enroulèrent autour de lui ; s’ éveillant, il mit ses mains sur leur cou et les dompta, dans une étreinte toujours plus ferme, jusqu’à ce qu’ils tombassent morts sur le sol. Ce sont les serpents de la nuit ou de l’obscurité, sur qui l’on peut dire que le soleil pose les mains quand il se lève, et qu’il tue à mesure qu’il se hausse plus avant dans les cieux. Pays natal, Argos : pourquoi ? parce qu’Argos est un mot qui signifie « splendeur ». Argos est en conséquence la même chose que Délos et Ortygia, le lieu de la naissance de Phoïbos et de sa sœur Artémis, Le précepteur d’Héraclès fut le sage Chiron, un des Centaures ou êtres à buste et tête d’homme avec la croupe d’un cheval (fig. 107). Semblable notion vint apparemment de certaines légendes indiennes, qui parlaient des Gandharvas ou nuages brillants, comme Fig. 103. — Bas-relief des Douze Travaux d’Hercule.
Fig. 104. — Autre bas-relief des Travaux d’Hercule.
Fig. 105. — Autre bas-relief des Travaux d’Hercule.
Fig. 106. — Autre bas-relief des Travaux d’Hercule.
montant à cheval dans les cieux. Le sophiste Prodicos, qui a traité la légende d’Héraclès comme illustrant la victoire de la droiture sur l’iniquité, nous montre le dieu, adolescent, accosté par deux jeunes filles, l’une habillée d’une robe séante et d’un blanc pur, l’autre mesquinement vêtue et la face rougie, les yeux inquiets. Cette dernière, qui s’appelle le Vice, le tente par des offres d’aise et de plaisir ; l’autre, la Vertu, lui commande de travailler Fig. 107. — Centaures.
virilement pour une récompense future et peut-être éloignée. Héraclès suit le conseil de la Vertu, et entreprend d’un cœur brave ses labeurs. À côté de ces figures allégoriques il est une autre jeune fille que l’on dit avoir gagné l’amour juvénile d’Héraclès : Iole, fille d’Eurytos, roi d’Œchalie ; mais il fut bientôt séparé d’elle ! Toujours parce que tous les héros qui représentent le soleil sont séparés de leur premier amour, juste comme le soleil laisse la belle aurore derrière lui quand il s’élève dans les cieux. (Voyez du reste ce que signifie le nom d’Iole : la couleur violette, et il désigne les nuages couleur violet qu’on ne voit qu’au lever ou au coucher. Ce nom apparaît en d’autres légendes sous les formes d’Iamos, d’Iolaos et de Iocaste.)

Vint l’âge des grands exploits, dont je dirai les principaux : le dieu extermina l’hydre aux cent têtes ou serpent d’eau du lac de Lerne, le sanglier sauvage d’Eurymanthe et les harpies des marécages de Stymphale [1].

Toutefois ces exploits ressemblent pleinement à ceux d’autres héros. N’est-ce pas que, pour vous déjà comme pour moi, tant de hauts faits représentent purement le meurtre de Python par Phoïbos, de Fafnir par Sigurd, du Sphinx par Œdipe, du dragon libyen par Persée, du Minotaure par Thésée, et de Vritra par Indra ? Maintenant, les autres actes que conte de lui la légende ! Héraclès cueillit les pommes d’or du jardin des Hespérides, en d’autres mots, les nuages couleur d’or qui se groupent autour du soleil quand il se plonge dans le ciel occidental. Couronnement de ces grands triomphes : il épousa Déjanire, fille d’Œnée, chef de Calydon. Savez-vous ce qu’est Déjanire vis-à-vis d’Iole ? Ce qu’est Hélène vis-à-vis d’Œnone, dans l’histoire de Pâris. Sigurd épouse de la même façon Gudrun, après avoir délaissé Brunehilde ; et Achille, Odyssée (l’Ulysse latin), Thésée (Theseus) et Céphale (Kephalos) sont de la même façon séparés de celles à qui ils avaient engagé leur foi, ou consomment eux-mêmes cet abandon. Aussi Héraclès ne demeura pas avec Déjanire pendant le reste de sa vie. Un jour il tua de sa lance infaillible Eunome, fils d’Œnée ; et rien après ce meurtre ne put l’empêcher de poursuivre sa marche occidentale. Le meurtre d’Eunome n’est lui-même qu’un de ces incidents qu’on retrouve dans divers contes : une autre forme par exemple de l’histoire qui représente Tantale tuant son propre fils.

Déjanire avait quitté sa maison avec son mari et elle alla avec lui aussi loin que Trachis, ayant reçu, sur sa route, du centaure Nessos (le Nessus latin) que tua Héraclès, une coupe remplie du sang de ce personnage. Ce don n’était pas sans objet : « Elle pourrait, avait dit Nessos, en répandant ce sang sur une robe portée par Héraclès, regagner à tout moment son amour, si elle venait à la perdre. » Déjanire eut à craindre ce malheur, du moins elle s’en crut menacée ; car, résidant à Trachis, elle entendit parler de la capture faite en Œchalie par le héros et dire qu’il ramenait avec lui l’aimable vierge Iole. Elle lui envoya en conséquence la robe ointe du sang de Nessos (ou Nessus). Le messager le trouva sur le point d’offrir un sacrifice, et Héraclès revêtit la robe, qui lui brûla promptement la chair et fit jaillir son sang en ruisseaux sur le sol. Héraclès ordonna au messager de le porter sur le sommet du mont Œta, et le dieu mourut au milieu du tonnerre et de l’orage, considérant Iole qui se tenait, pleurante, à son côté. Cette scène magnifique a un sens profond : reconnaissez le dernier incident de ce qui a été plus haut appelé la Tragédie de la Nature, — la bataille du Soleil avec les nuages qui se rassemblent autour de lui comme de mortels ennemis, à son coucher. Comme il s’enfonce, les brumes ardentes l’étreignent et les vapeurs de pourpre se jettent par le ciel, ainsi que des ruisseaux de sang qui jaillissent du corps du mythe ; tandis que les nuages violets couleur du soir semblent le consoler dans l’agonie de sa disparition.

Relevons quelques particularités omises dans l’ensemble du récit précédent. À propos des armes d’Héraclès, d’abord : il se sert quelquefois d’une massue, d’autres fois d’une lance, et parfois de flèches empoisonnées. Les Grecs n’employèrent jamais de flèches empoisonnées : il n’y a du moins aucun témoignage qu’ils l’aient jamais fait. Quelle peut être l’origine de ce détail ; est-il quelques héros qui employèrent de semblables armes ? oui, Philoctète et Odyssée (ou Ulysse). Comment donc ces modes inhumains de combattre ont-ils été attribués par les Grecs à leurs héros les plus grands ? Parce que le mot ios, lance, est le même, pour le son, que le mot ios, poison. Les deux idées se confondirent ; et l’on dit que Hélios, Héraclès et plusieurs autres combattirent avec des lances ou des flèches empoisonnées. Autre chose. Les pérégrinations d’Héraclès ne se bornèrent pas à la Grèce : il voyage par tout le monde, mais, comme le soleil, se meut toujours de l’Est à l’Ouest. Étudions enfin si le caractère d’Héraclès est simplement fait de dévouement ou de sacrifice de soi-même. Si l’on parle du soleil comme se donnant du mal pour autrui, on peut en parler aussi comme jouissant, dans chaque terre, des fruits qu’il a mûris. Héraclès devint donc quelqu’un avide de manger et de boire : et lorsqu’il apprend dans la maison d’Admète que son hôte vient de perdre sa femme, il ne regarde pas ceci comme une raison suffisante pour perdre son dîner. Le même esprit bouffon distingue le conflit avec Thanatos (ou la mort), dans lequel Héraclès délivre Alceste de l’étreinte funèbre.

Je n’ai rien dit de l’aventure d’Héraclès et d’Échidna, voulant la traiter à part en raison de son importance générale. Le dieu errait en Scythie, quand il rencontra Échidna, qui le garda dans sa caverne quelque temps, avant de vouloir le laisser partir. Histoire n’ayant pas de trait qui lui soit particulier : Héraclès vient à la demeure d’Échidna, cherchant son bétail qui lui a été volé, juste comme Phoïbos cherche les vaches dérobées par Hermès, ou comme Indra se met en quête des vaches ravies par le Panis. La terre obscure qu’habite Échidna est simplement le pays lugubre des Grées, où va Persée quand il recherche Méduse. La détention d’Héraclès dans la caverne dénote simplement le temps qui se passe entre le coucher et le lever du soleil. Quand ce héros quitte Échidna, il lui donne des armes qu’elle ne doit céder qu’à celui-là seul qui est capable de s’en servir, incident que répètent précisément les légendes de Thésée et de Sigurd. Avant de finir il nous reste à déterminer ceci : Héraclès est-il un héros particulier à la mythologie grecque ? Point. Sous le même nom et sous d’autres noms, nous trouvons un héros d’espèce semblable dans les légendes mythiques de presque chaque contrée, et, dans toutes, nous avons un groupe analogue d’incidents qui toujours nous fait remonter à de très-anciennes légendes, disant la marche du soleil de son lever à son coucher.

Hercule. — Qu’est-ce qu’Hercule (fig. 138) ? Comme Fig. 108. — Statue d’Héraclès ou Hercule.
dieu latin, il semble se rapporter aux bornes des territoires et propriétés ou palissades, ainsi que Jupiter Terminus, le Zeus Hokios des Grecs ; et comme tel, son nom était probablement Herclus ou Herculus. La similitude du nom simplement amena les Romains à identifier leur Hercule avec l’Héraclès grec. Cette façon de voir acquit une nouvelle force de ce fait qu’un héros, nommé Garanus ou Recaramus, passait pour avoir tué un grand voleur nommé Cacus, et que ce héros ressemblait non-seulement à Héraclès, mais à Persée, Thésée, Œdipe, et à tous les autres destructeurs de monstres et de malfaiteurs. L’histoire de ce Cacus est racontée de diverses façons ; mais la version la plus populaire dit que quand Hercule atteignit les bords du Tibre, Cacus, fils à trois têtes de Vulcain, vola de son bétail, et pour qu’on ne le découvrît pas, tira les bêtes par derrière jusque dans sa caverne. Mais leurs mugissements parvinrent aux oreilles d’Hercule, qui, se frayant par la force un chemin vers l’antre du voleur, y recouvra non-seulement son troupeau, mais tous les trésors ravis qui y avaient été amassés. Cacus vomit des flammes et de la fumée sur son ennemi, qui le tua bientôt de ses traits infaillibles. Personne qui ne puisse se rendre compte de la formation de cette histoire : c’est simplement une autre version des fables nombreuses qui disent le conflit des cieux et du soleil avec les puissances de la nuit et des ténèbres, Récaranus qui tue le monstre, comme Sancus, dont le nom était inscrit également sur l’Ara maxima ou le grand autel d’Hercule, n’est autre chose que Jupiter, appelé ainsi parce qu’il était le faiseur ou le créateur : le mot de Récaranus se rattache enfin, ainsi que l’ont pensé plusieurs mythographes, à Cérès. Qu’est-ce alors que Cacus ? Comme monstre à trois tétes, il répond exactement au Géryon et au Cerbère grecs ou Sarvara indien. Volant les vaches d’Hercule, c’est Vritra qui enferme la pluie dans la nue d’orage, puis est percée par la lance d’Indra. Il se montre encore dans le Panis qui dérobe les vaches d’Indra. Les flammes par lui lancées de sa caverne sont les éclairs précédant cette averse de pluie que désignent les vaches reprises à Cacus. À Fig. 109. — Cœculus.
tort l’on rattacherait le nom de Cacus au mot grec, kakos, mauvais : la quantité de la première syllabe, qui est longue, se refuse à cette étymologie. D’autres formes existent de ce nom, Cakias et Cœculus (fig. 109), qui, dans la mythologie de Præneste, ville voisine de Rome, était fils de Vulcain, et, de plus, un voleur vomissant le feu. Maintenant Aristote parle d’un vent appelé Caikias, qui a le pouvoir d’attirer les nuages, et il cite le proverbe : « que les hommes attirent à eux les malheurs comme Caikias attire les nuages ». Partout au moins, les nuages ce sont les vaches ou le bétail d’Indra, d’Hélios, de Phoïbos et d’Héraclès, et au proverbe succéderait un conte ayant sa racine dans la phrase « Cœculus volant les vaches d’Hercule ». Le combat est la lutte d’Indra et de Vritra, qui finit par la victoire des puissances de la lumière.

Hercule.


  1. Le Traducteur. Pour compléler la série d’invention récente qui comprend les Douze Travaux classiques, il y aurait à ajouter enfin : le Combat contre le lion de Némée, la Prise du Cerf d’Arcadie, la Capture du Taureau de Crète et celle des Cavales de Diomède de Thrace, la Prise de la Ceinture de la Reine des Amazones, la Capture des bœufs de Gérion en Erythie, la Recherche des pommes d’or des Hespérides, Cerbère ravi à l’enfer, la Purification des Étables d’Augias.