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Les Douanes et les finances publiques/02

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Les Douanes et les finances publiques
Revue des Deux Mondes, période initialetome 22 (p. 557-589).
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LES DOUANES


ET LES


FINANCES PUBLIQUES




ANALYSE DU TARIF ET DIMINUTIONS DE LA DOUANE. -
REVISION DES TARIFS.




SECONDE PARTIE.


V.

Pendant que nous poursuivons notre travail de révision sur le tarif de la douane française, les événemens politiques se déroulent avec une rapidité bien propre à éblouir les imaginations. Partout les nations endormies se réveillent. Les trônes encore debout chancellent sur leurs bases ; de nouvelles constitutions s’élaborent, qui consacrent ou préparent l’affranchissement des peuples ; les limites des états se déplacent ; la guerre éclate entre des royautés long-temps unies. Certes la magie de ces événemens est une diversion bien puissante aux sévères études de l’économiste et du financier, mais d’autres considérations doivent y ramener l’attention publique. Si brillantes que soient les destinées qu’on rêve pour la France dans l’avenir, il faut reconnaître que le présent est triste. Le commerce et l’industrie se meurent, les finances publiques s’épuisent, les fortunes privées disparaissent comme des ombres, le travail est suspendu, et par là les sources mêmes de la richesse tarissent. Bientôt, si on n’arrête le cours de cette désorganisation croissante, l’assemblée nationale, troublée dans l’élaboration de sa grande œuvre, va se trouver en présence d’un trésor public à sec, d’une industrie en ruines et d’une population haletante, sans travail et sans pain. Il est temps que l’on s’occupe d’appliquer à ce mal redoutable des remèdes énergiques, et il n’y en a guère de plus efficace, dans l’état présent des choses, qu’une réforme sérieuse de nos tarifs. Pour ranimer l’industrie et le commerce, après le retour de la confiance, qui est le premier besoin, cette réforme est sans contredit une des meilleures mesures à prendre ; pour rétablir nos finances, c’est presque la seule qu’on puisse heureusement tenter. Sans nous arrêter donc à ce que de telles études peuvent avoir de malséant pour certains esprits dans les circonstances actuelles, poursuivons-les résolûment. On sera trop heureux bientôt d’y revenir pour réparer les fautes commises.

Déjà, des quatre sections qui composent le tarif de la douane, nous avons analysé la première, relative aux matières animales, en y indiquant de larges et fécondes réformes ; la seconde et la troisième appelleront aujourd’hui notre attention.


DEUXIEME SECTION. – MATIERES VENETALES.

La deuxième section du tarif, relative aux matières végétales, est beaucoup plus considérable que la première, soit par le nombre des articles qu’elle comprend, soit par l’importance des recettes qu’elle procure au trésor public. Elle se divise en dix chapitres, comme suit 1° farineux alimentaires ; 2° fruits et graines ; 3° denrées coloniales ; 4° sucs végétaux ; 5° espèces médicinales ; 6° bois communs ; 7° bois exotiques ; 8° fruits, tiges et filamens à ouvrer ; 9° teintures et tanins ; 10° produits et déchets divers. Tous les objets compris dans ces dix chapitres ont produit ensemble au trésor, en 1845, une somme de 104,098,448 francs. C’est cette vaste branche de notre système financier qui s’offre maintenant à notre analyse. Toutefois nous en écarterons d’abord le chapitre relatif aux denrées coloniales, dont nous ferons plus tard une section distincte. C’est le plus important de tous quant à la quotité du revenu, car il a produit seul, — en 1845, — 68,737,866 fr., ou près des deux tiers de la recette totale. Il ne nous reste ainsi que neuf chapitres à examiner, et nos calculs ne portent plus que sur une recette de 35,360,582 francs.

Farineux alimentaires. — Le chapitre des farineux alimentaires comprend, dans les tableaux de la douane, vingt-six articles productifs de revenu. Ce sont d’abord les diverses espèces de céréales, froment, épeautre et méteil, seigle, maïs, orge, avoine, sarrasin, articlés qui tous, excepté l’orge, sont au moins doubles, puisqu’on les distingue toujours en grains et en farines. Viennent ensuite le pain et le biscuit de mer, le riz en grains ou en paille, les marrons, châtaignes et leurs farines, les pommes de terre, les légumes secs et leurs farines, les gruaux et fécules, les grains perlés ou mondés, l’alpiste, le millet, les pâtes d’Italie et autres pâtes granulées, le sagou et l’arrow-root, la semoule de pâte et de gruau, et enfin le salep.

Tous ces articles, en 1845, ont produit ensemble au trésor 5,201,863 fr. Cependant en 1844 la recette avait été plus que double (10,695,415 fr.), et elle s’est élevée de nouveau à 9,889,304 fr, en 1846. C’est qu’il n’y a rien de plus inégal, de plus irrégulier, que l’importation des céréales elle dépend essentiellement de la plus ou moins grande abondance des récoltes, et il faut ajouter que le jeu trompeur de l’échelle mobile ajoute encore à ces irrégularités. Or, les céréales sont l’article capital de cette section. La recette a été, en effet, sur ce seul objet d’environ 10,100,000 fr. en 1844, et de 4,550,116 fr. en 1845. Il n’est pas possible d’asseoir aucun calcul certain sur une telle base de revenu. Sans parler des cas où l’application de la loi des céréales est forcément suspendue, comme elle l’a été récemment en France, les variations sont si grandes d’une année à l’autre, qu’on ne saurait jamais dire approximativement sur quel produit il faut compter. Il est bon de remarquer cependant que la recette de 1845 se rapproche de la moyenne des cinq années antérieures, dont celle de 1844 s’éloigne, au contraire, sensiblement. Considérons-la donc, si l’on veut, comme une recette normale.

Si l’on ajoute à la somme de 4,550,116 francs, obtenue en 1845 sur les céréales, la somme de 503,923 fr. qu’ont produite, dans la même année, les riz en grains, on aura le chiffre de 5,054,039 fr., et, comme la recette totale sur le chapitre des farineux alimentaires n’a été que de 5,201,863, on voit que tous les autres articles n’ont produit ensemble que 147,824 francs. Au point de vue du trésor public, il y aurait donc très peu d’inconvénient à ce que tous ces articles fussent admis en pleine franchise de droits. Y en aurait-il davantage au point de vue de l’agriculture, nous ne disons pas selon notre manière de voir, car, dans notre opinion, toutes ces restrictions nuisent à l’agriculture beaucoup plus qu’elles ne lui profitent, mais dans la manière de voir même des protectionistes ? Quel ombrage l’agriculture pourrait-elle prendre de l’entrée en franchise des riz en paille, des marrons, châtaignes et leurs farines, des légumes secs et leurs farines, des pommes de terre, des gruaux et fécules, des grains perlés ou mondés, de l’alpiste, du millet, des pâtes d’Italie et autres pâtes granulées, du sagou et arrow-root, de la semoule en pâte ou en gruau et du salep ? Les pommes de terre forment le seul article de quelque importance dans cette série ; mais les pommes de terre sont une marchandise trop encombrante et trop lourde pour que l’importation en soit jamais considérable. Aussi cette importation n’a-t-elle été, en 1845, que d’environ 19,000 quintaux métriques, ce qui équivaut tout au plus, pour l’alimentation, à 9 ou 10,000 hectolitres de blé. N’étant donc pas arrêté en ceci par la considération du revenu public, ni même par la nécessité de ménager la transition d’un régime à l’autre, puisque tous ces articles sont trop peu importans pour exercer une influence sensible sur le marché, nous n’hésitons pas à dire qu’ils devraient être immédiatement déclarés francs de droits.

Quant aux céréales, qui forment le principal objet de ce chapitre, il faudrait d’abord supprimer l’échelle mobile, combinaison décevante dont l’unique effet est de jeter le trouble dans les relations commerciales, et remplacer les droits variables du tarif actuel par un droit fixe et modéré. Rien de plus simple au premier abord et de plus convenable en même temps, quand on veut à toute force mettre un droit sur les grains étrangers, que d’élever ou d’abaisser ce droit selon que les prix s’élèvent ou s’abaissent dans le pays : aussi n’est-il pas étonnant que, dans le principe, tant de gens se soient laissé prendre à la séduisante amorce de l’échelle mobile. Malheureusement cette ingénieuse combinaison manque de base, et, dans la pratique, elle fait constamment défaut. Sans parler de l’incertitude qu’elle jette dans les opérations du commerce, incertitude qui est déjà un très grand mal, elle repose sur des évaluations nécessairement inexactes, puisque ces évaluations n’ont pas d’autre base que des mercuriales toujours arriérées de plusieurs semaines et d’ailleurs très irrégulièrement établies. Tout ce système, si séduisant qu’il ait pu paraître à quelques théoriciens du système protecteur, ne soutient donc pas l’examen quand on en vient à considérer les défaillances de la pratique ; l’expérience l’a définitivement condamné.

Quel sera cependant le chiffre du droit fixe que nous substituerons au droit variable du régime actuel ? Il nous semble qu’on pourrait, quant à présent, s’arrêter au chiffre de 1 fr. 50 c. l’hectolitre pour le froment, et ce serait encore beaucoup, surtout dans les années de disette, c’est-à-dire précisément lorsque l’importation devient considérable. Ce n’est même pas sans un violent scrupule que nous proposons un droit si élevé, et, tout en l’admettant comme mesure provisoire, nous éprouvons le besoin de protester de nouveau hautement contre l’existence future de tout impôt de cette sorte. Frapper d’une taxe la marchandise qui fait la base essentielle de l’alimentation du peuple, c’est déjà chose bien grave ; que sera-ce si l’on considère qu’à la manière dont cet impôt est assis, il n’en rentre qu’une faible portion dans les caisses de l’état ? Pour quelques millions que le public paie sur les grains importés de l’étranger, il en paie quinze ou vingt fois plus sur tous les grains qu’il consomme en raison de la cherté artificielle que l’établissement du droit fait naître à l’intérieur, et ce surcroît d’impôt, ce n’est pas l’état, ce n’est pas même, répétons-le, l’agriculture qui en profite. Ceux qui proposent ou qui soutiennent des mesures de ce genre ne savent guère ce qu’ils font, et c’est la seule considération qui puisse leur servir d’excuse. Autrement, ils auraient un compte trop sévère à rendre à leur pays.

Il va sans dire que, par rapport aux grains d’espèces secondaires, seigles, maïs, sarrasins, etc., le droit s’abaisserait en raison de leur valeur, celui que nous avons fixé pour le froment devant seulement servir de base pour déterminer les autres. Dans le tarif actuel, cette gradation n’est pas bien observée, en ce que les espèces inférieures sont relativement plus imposées que les fromens ; aussi l’importation en est-elle beaucoup plus faible et presque insignifiante eu égard à la consommation. C’est une échelle à rectifier. Il faudrait aussi diminuer proportionnellement les droits sur les farines, qu’on a surtaxées sans motif, et dont en conséquence l’importation est presque nulle. En bonne raison, la différence du droit entre les grains et les farines ne devrait pas excéder la différence de la valeur. Au moyen d’une plus juste graduation de tous ces droits, on mettrait un peu plus d’équilibre dans l’importation de ces divers produits, bien que, par la nature des choses, les fromens en grains doivent toujours être l’objet du principal commerce.

Reste à voir maintenant quel serait le produit des droits que nous avons admis. L’extrême irrégularité des importations empêche, comme nous le disions tout à l’heure, d’asseoir sur ce point aucun calcul précis, et quoique cette irrégularité doive être, dans une certaine mesure, atténuée par l’établissement des droits fixes, elle sera toujours assez grande. Prenons néanmoins comme point de départ l’importation moyenne des cinq années antérieures à 1845. Elle a été d’environ 1,600,000 hectolitres en toutes sortes de grains. Il n’est pas à présumer qu’elle augmente beaucoup sous le nouveau régime que nous établis sous ; cela dépend essentiellement de l’abondance des récoltes. Arrêtons-nous donc au chiffre de 1,600,000 hectolitres, et, comme il y entre une certaine quantité de grains secondaires, considérons-le comme formant l’équivalent de 1,500,000 hectolitres de froment. À raison de 1 fr. 50 c. l’hectolitre, la recette ne s’élèverait qu’à la somme de 2,250,000 francs. Si nous y ajoutons, pour les riz en grains, à propos desquels nous ne croyons devoir proposer aucun changement quant à présent, une somme de 500,000 fr., chiffre égal à la recette de 1845, nous arriverons à un produit total de 2,750,000 fr. sur l’ensemble du chapitre. La recette de 1845, un peu inférieure, il est vrai, à la moyenne des cinq années antérieures, ayant été sur ce même chapitre de 5,200,000 francs, il y aurait ici pour le trésor une perte qui s’élèverait au moins à 2,500,000 francs.

Fruits et graines. Le chapitre des fruits et graines comprend d’abord les diverses sortes de fruits de table, parmi lesquelles on remarque, comme étant les plus productifs de revenu, les citrons, oranges et leurs variétés, et les fruits secs ou tapés, puis les graines oléagineuses, c’est-à-dire les graines de ricin, de lin, de sésame et autres, puis encore les fruits à distiller, anis et baies de genièvre, et enfin les graines à ensemencer. Tout cela forme de vingt-quatre à trente articles de recette. Le produit total a été, en 1845, de 4,004,652 francs. Les graines oléagineuses y figurent seules pour la moitié de cette somme ; tous les autres articles réunis produisent le reste.

Il y a peu de changemens à faire en ce qui concerne les fruits de table et les autres articles du même ordre. Ce sont des produits essentiellement imposables et pour la plupart exotiques. Seulement on pourrait en écarter quelques-uns qui ne donnent que des recettes insignifiantes, comme les baies de genièvre, ramener les droits sur les autres à un maximum de 20 à 25 pour 100, et affranchir les graines à ensemencer. Ces modifications n’altéreraient pas sensiblement le revenu, ni en plus, ni en moins ; aussi n’en tiendrons-nous pas compte dans nos calculs. Il y a plus à dire sur les graines oléagineuses.

Jusqu’en 1844, la législation avait été, par exception, assez libérale en ce qui concerne ce produit. Pour les graines de lin, le droit n’était que de 1 franc les 100 kilogrammes, lorsqu’elles étaient importées par mer et par navires français, de 1 fr. 50 cent. par navires étrangers et par terre des pays limitrophes, de 2 fr. par terre et d’ailleurs que des pays limitrophes, soit 1 fr. dans les cas les plus favorables, et 2 fr. au maximum. Le prix courant de ces graines étant supposé de 27 fr. les 100 kil.[1], c’était environ 3 et 3/4 pour 100 dans le premier cas, et un peu plus de 7 pour 100 dans le dernier. Pour les graines de sésame, le droit variait de 2 fr. 50 cent. à 3 fr. 50 cent., et comme le prix courant était de 48 fr. les 100 kil., cela revenait à environ 5 1/2 et 7 l/2 p. 100 de la valeur. Cette dernière échelle était également applicable aux graines non dénommées, telles que cameline, chènevis, colza, etc. C’était là, comme on peut le voir, un tarif exceptionnellement modéré, et ce n’est pas tout-à-fait sans raison qu’on l’a considéré comme une sorte d’anomalie dans notre code fiscal.

Voyons pourtant ce que cette anomalie avait produit.

Les importations de graines étrangères s’étaient considérablement accrues sous ce régime, et elles s’accroissaient encore de jour en jour suivant une progression rapide, surtout dans le midi, où la graine de sésame, produit presque nouveau sur nos marchés, était venue depuis quelques années jouer un rôle important. On jugera de la rapidité de ces accroissemens par le tableau suivant :
GRAINES OLEAGINEUSES
IMPORTATIONS (Commerce général)


Années Import. par la frontière du nord Import. par la frontière du midi Importations totales
1835 9,144,900 kil. 1,035,300 kil. 10,180,200 kil.
1836 29,058,800 2,234,600 31,293,400
1837 21,449,700 2,663,200 24,112,900
1838 20,931,200 7,366,200 28,297,400
1839 18,394,300 10,756,600 29,154,900
1840 32,662,300 16,785,900 49,448,200
1841 39,380,800 30,661,600 70,012,200
1842 41,048,100 336,508,000 77,556,600
1843 24,190,200 37,542,200 61,735,400

Ce qui frappe d’abord dans ce tableau, c’est la rapidité et la continuité, de la progression ascendante dans le midi, où, en moins de dix ans, l’importation s’élève de 1 million de kilogr. à plus de 37 millions, sans qu’on remarque dans ce long intervalle de temps aucun pas rétrograde. Pour le nord, la marche des importations est moins régulière, ce qui s’explique sans peine par l’inégalité des récoltes. A la différence de ce qui se passe dans le midi, où on ne cultive pas les graines grasses, les graines étrangères ne sont reçues dans le nord que comme un complément de la production locale, et, selon que cette production est plus ou moins insuffisante, elle provoque une plus ou moins abondante importation.

Maintenant, quelles avaient été les conséquences de ces importations croissantes ? Il en était résulté d’abord un développement remarquable de la fabrication des huiles, tant au nord qu’au midi, dans les rayons de Lille et de Marseille. Cet accroissement de la fabrication des huiles avait naturellement tourné à l’avantage de toutes les industries, et elles sont en grand nombre, qui font usage de ce produit. Entre beaucoup d’autres, la fabrique du savon, pour laquelle l’huile est la matière première par excellence, était dans une situation florissante qui s’améliorait encore de jour en jour. Malgré l’accroissement de la consommation à l’intérieur, elle fournissait un aliment notable à nos exportations ; elle serait allée même beaucoup plus loin, si elle n’avait pas été entravée, dans une certaine mesure, par les droits excessifs établis sur les solides et les potasses[2], et par les prix trop élevés de ces produits.

Si bienfaisante pour la fabrique, cette large importation de graines étrangères avait-elle par hasard nui à notre agriculture ? Elle n’avait pu nuire dans le midi, où la culture des graines grasses a toujours été nulle, ou peu s’en faut. Était-ce peut-être dans le nord ? Pour être convaincu du contraire, il suffit d’avoir parcouru les campagnes dans cette partie de la France. Non-seulement la culture des graines grasses y était florissante, prospère, mais elle s’y étendait encore de jour en jour. C’est que le développement croissant de toutes les industries qui font usage de l’huile ouvrait un débouché chaque jour plus large à ses produits. En admettant que les prix de ses graines fussent un peu réduits par la concurrence étrangère, elle était amplement dédommagée de cette perte apparente par la facilité de ses ventes et l’agrandissement continu du marché.

On s’est lassé de ce régime. On a trouvé probablement que les industries auxquelles les graines oléagineuses servent d’aliment prospéraient trop, et que cela faisait tache sur le tableau général de la France. Pour mieux dire, les agriculteurs du nord ont cru qu’ils feraient un coup de maître, si, au nom de la loi, ils pouvaient s’emparer seuls de cette immense consommation qui s’était développée sous l’influence des bas prix, et le législateur, toujours prompt à seconder ces calculs égoïstes, s’est prêté à cette nouvelle et insultante violation du droit. En 1844, un projet de loi fut présenté qui doublait les anciens droits ; mais le parti agricole, ce parti qui, sous prétexte de favoriser l’agriculture, travaille depuis trente ans à la ruiner, et avec elle toutes les industries qui en relèvent, le parti agricole, disons-nous, ne se tint pas pour satisfait d’une telle augmentation. Il se remua, il s’agita au sein de la chambre des députés ; il fit retentir bien haut ces mots puissans, ces mots électriques, agriculture en souffrance, intérêts agricoles compromis, marché national envahi ; il épuisa tout ce vocabulaire dont il a tant abusé, et, à force d’évoquer aux yeux de la chambre surprise des fantômes menaçans, il l’amena à surenchérir de beaucoup sur la proposition du ministre, en quadruplant les anciens droits. Ces droits furent donc portés, pour les graines de lin, à 4 fr. les 100 kil., et pour les graines de sésame à 10 fr. Ajoutons que les droits différentiels en faveur du pavillon français, qui n’étaient que de 50 cent. dans l’ancienne loi, furent portés à 4 fr. pour le sésame, à 2 et 4 fr. pour les graines de lin. Telle est la loi actuelle, qui, présentée en 1844, n’a été pourtant votée qu’en 1845.

Les funestes effets de cette nouvelle loi n’ont pas tardé à se manifester. Appliquée seulement dans la seconde moitié de l’année 1845, c’est sur l’année 1846 qu’elle a commencé à exercer toute son action. Eh bien ! voici les résultats : de 70 millions de kilogrammes en 1845, l’importation des graines oléagineuses est tout à coup tombée, en 1846, à 36 millions de kilogrammes, c’est-à-dire que, d’une année à l’autre, elle est tombée de moitié. La chute est rude, comme on le voit, et telle qu’elle doit faire craindre la perte assez prochaine de tous les avantages précédemment conquis. Et cependant il s’en faut que l’importation de l’année 1846, quoique supérieure à celle des années 1843 et 1844, soit une importation exceptionnelle, puisqu’elle est inférieure même à celles des années 1841 et 1842. A voir le chiffre de nos exportations, qui a été pour cette année au-dessous de la moyenne quinquennale, on peut juger que l’appel fait aux marchandises étrangères eût été même moins considérable, si la loi rendue au mois de juin n’eût pas été mise en vigueur avant l’expiration de l’exercice. Cette décroissance de moitié en 1846 est donc réellement due à l’application de la nouvelle loi, et c’est un fait grave et menaçant. Rien ne prouve, il est vrai, que l’importation ne se relèvera pas jusqu’à un certain point dans les années suivantes. La fabrique a ses besoins, qu’elle doit satisfaire à tout prix, sous peine de suspendre ses travaux ; mais il n’en est pas moins vrai que le déclin de l’industrie a commencé.

Sans pousser plus loin ces considérations, nous dirons maintenant que la raison demande, que l’intérêt pressant de l’industrie exige que l’on revienne promptement au tarif de 1844. C’est celui que nous proposerions de rétablir sans aucun autre changement. Par ce qu’on a vu précédemment de la marche ascendante de nos importations, on peut juger que, si le tarif de 1845 n’était pas intervenu pour en arrêter l’essor, elles s’élèveraient dès à présent à un chiffre fort supérieur à celui des années antérieures, et qu’en conséquence la recette se serait accrue dans la même proportion, d’autant mieux que le sésame, la plus fortement imposée des deux graines, était celle dont l’importation s’accroissait avec le plus de régularité. Toutefois, pour faire la part des éventualités, nous nous arrêterons au chiffre de 1845, qui était, comme on l’a vu, de 2,017,164 francs. Le chapitre des fruits et graines demeure ainsi tel qu’il était, sans augmentation ni diminution dans les recettes.

Sucs végétaux. — Comme nous écartons ici le chapitre des denrées coloniales, pour en faire plus tard une section distincte, le chapitre que nous rencontrons maintenant est celui des sucs végétaux. Il se compose de trente et quelques articles de recette, compris sous les dénominations suivantes : gommes pures, baumes, résines indigènes, résineux exotiques, sucs d’espèces particulières, comme le caoutchouc, l’aloès, l’opium, le camphre, la manne, le jus de réglisse et la glu, puis les huiles fixes, d’olive, de palme, de graines grasses, etc., et enfin les huiles volatiles ou essences. Tous ces articles réunis ont produit au trésor 9,186,926 fr., en 1845, et une somme à peu près égale en 1844.

Ce chapitre des sucs végétaux réclame d’assez grandes réformes, réformes qui, cette fois, augmenteraient le revenu, bien loin de l’affaiblir.

On remarquera d’abord que, parmi les articles qui le composent, il n’y a guère que les huiles fixes qui aient actuellement une importance réelle, au moins quant aux recettes. Sur environ 9,200,000 fr. que la douane a perçus, elles en ont procuré au-delà de 8,300,000. Encore ce produit est-il dû presque en totalité à l’importation des huiles d’olive, qui n’ont pas donné moins de 8,146,000 fr. Tous les autres articles qui composent ce chapitre, articles si importans à d’autres égards, n’ont donc contribué ensemble que pour 1 million, en comptant même la recette obtenue sur les huiles de graines grasses et de palme. Si un tel résultat était dû à la modicité des droits, on pourrait s’en applaudir ; mais quand on considère qu’il est dû, au contraire, à l’exagération des droits, qui a empêché le pays d’importer ces marchandises en quantité suffisante pour son usage, on ne peut que le déplorer amèrement.

Même pour les huiles d’olive, le droit actuel est trop fort. Il est de 25 francs les 100 kilogrammes par navires français, et de 30 francs par navires étrangers et par terre ; ce n’est pas moins de 22 à 28 pour 100 de la valeur[3]. Aussi voyons-nous que, depuis douze à quinze ans, l’importation de ces huiles a plutôt diminué qu’augmenté. Elle avait été en 1833, par exemple, d’un peu plus de 45,000,000 de kilogrammes, tandis qu’elle n’est plus, en 1845, que de 30,000,000 de kilogrammes. Si l’on considère, d’une part, les emplois si étendus et si variés de l’huile d’olive, de l’autre, l’extrême abondance de la production sur tout le littoral de la Méditerranée, on trouvera que l’importation même de 1833 était bien médiocre ; celle de 1845 est donc véritablement chétive. Quoique l’arrivage plus abondant des graines grasses sur nos marchés ait pu contribuer à l’amoindrir, en satisfaisant par d’autres moyens une partie des besoins, il est incontestable pourtant qu’elle deviendrait plus forte avec un droit plus modéré. Cette modération du droit sur les huiles étrangères ne causerait, du reste, aucun dommage à la culture de l’olivier dans le midi, puisque la Provence ne produit guère que des huiles comestibles d’une qualité supérieure, tandis que celles que nous tirons du dehors sont généralement destinées à la fabrique. Le véritable ennemi de cette culture, c’est la maladie qui trop souvent attaque les arbres ; ce n’est pas l’importation étrangère, dont les cultivateurs n’ont jamais eu grand souci. Nous proposons donc de réduire le droit sur les huiles d’olive de 25 francs les 100 kilogrammes à 15 fr. Ce serait encore environ 13 pour 100 de la valeur, et, pour un produit si utile, c’est beaucoup. À ce taux, le droit produirait à peu près la même somme qu’aujourd’hui, car il n’est pas douteux que l’importation augmenterait dans une très forte proportion.

Si le droit de 25 francs les 100 kilogrammes est trop élevé pour les huiles d’olive, il est surtout excessif par rapport aux huiles de graines grasses, dont la valeur est moindre. Dans ce cas, il devient même prohibitif. Aussi l’importation de ces huiles n’a-t-elle été que de 8,000 kilogrammes en 1845, et de 1,000 seulement en 1844, chiffres tout-à-fait insignifians eu égard à l’étendue des besoins. On peut dire, il est vrai, que, le droit sur les graines grasses ayant été jusqu’en 1845 assez faible, on trouvait plus d’avantage à importer les graines que les huiles qui en proviennent. Il n’en est pas moins certain que, si le droit avait été plus modéré, les huiles seraient entrées concurremment avec les graines, au grand avantage de l’industrie en général. Cela n’eût-il produit d’autre effet que de modérer ces extrêmes variations auxquelles les cours des huiles sont si sujets en France, et qui viennent en grande partie des intermittences forcées de la fabrication[4], on aurait encore rendu un grand service, non-seulement aux diverses industries qui emploient les huiles, mais encore à celles qui les fabriquent. Le droit sur les huiles de graines grasses devrait donc être réduit tout au moins à 10 francs les 100 kilogrammes. Peut-être même cette réduction serait-elle encore insuffisante pour provoquer une importation notable, et alors il conviendrait d’en opérer une plus forte, jusqu’à ce que les huiles étrangères vinssent jouer un rôle nécessaire sur nos marchés. Dire que cette importation se ferait au détriment de nos producteurs, c’est manquer du vrai sens industriel. Loin de là, elle ne ferait que développer, étendre en France les nombreuses industries auxquelles l’huile sert d’aliment, et par là elle ouvrirait aux produits de notre agriculture un débouché plus étendu, plus régulier et plus certain. C’est alors aussi que les huiles de graines grasses, au lieu de présenter au trésor ces recettes ridicules, qui vont de 800 à 6,000 francs par an, lui procureraient un revenu respectable, que nous évaluerons seulement, pour ne rien exagérer, à 1 million.

Le droit sur les huiles de palme et de coco, plus modéré que les précédens (4, 12 et 14 francs les 100 kilogrammes), a produit aussi davantage (162,427 francs en 1845), quoique ces huiles soient comparativement d’un médiocre usage en France. Nous réduirions toutefois ce droit à 8 francs au maximum, avec la certitude d’en augmenter encore le produit.

Sans entrer dans le détail des autres articles, qui sont presque tous trop fortement imposés, et qui rapportent en conséquence fort peu, nous dirons qu’il faudrait surtout opérer de très larges réductions 1° sur les résines, particulièrement sur le brai gras et le goudron, aussi bien que sur la poix ou galipot, matières si nécessaires à la marine, et qui ne sont pas imposées actuellement à moins de 40 et 50 pour 100 de la valeur ; 2° sur les gommes pures, particulièrement les gommes exotiques et plusieurs autres. Au moyen de toutes ces réductions convenablement faites, on augmenterait sans aucun doute le résultat fiscal au point d’élever le produit, sur l’ensemble du chapitre, de 9 millions, chiffre actuel, à 11 ou 12 millions. Nous ne compterons toutefois, pour éviter toutes chances d’erreur, que sur un revenu moyen de 10,500,000 francs.

Espèces médicinales. — Pour les espèces médicinales qui, sous les dénominations générales de racines, écorces, herbes, feuilles, fleurs, fruits et lichens médicaux[5], présentent de vingt-sept à trente articles de recette, nous voudrions les voir disparaître entièrement du tarif. Les raisons de cette réforme se présentent d’elles-mêmes. Le sacrifice pour le trésor ne serait que d’environ 260,000 francs par an.

Bois communs. — Nous demanderions aussi la suppression totale du chapitre relatif aux bois communs. Ce chapitre, qui présente environ quarante articles, sous les noms de bois à brûler, charbon de bois ou de chenevottes, bois à construire, mâts, mâtereaux, espars, perches, échalas, bois en éclisses, osier en bottes, bois feuillard, merrains de chêne et autres, racines à vergettes, bruyères à vergettes, tiges de millet, liège, etc. ; tout ce chapitre, disons-nous, qui comprend des objets si intéressans pour l’industrie, si utiles pour la marine marchande, soit comme matières premières, soit comme articles de fret, n’a produit au trésor, en 1845, que 620,067 francs, et 607,493 en 1844. Il est vrai que les droits sont en général très modérés ; mais sur des produits de ce genre, si faibles qu’ils soient, ils sont toujours trop forts. Il importe d’ailleurs de simplifier, d’épargner au commerce les complications et les embarras que la perception entraîne, complications et embarras qui, dans le cas actuel, sont même plus graves que dans beaucoup d’autres, en ce que sur le bois à construire le droit varie selon les dimensions des pièces, que sur les merrains, perches, échalas, éclisses, il est établi d’après le nombre, et que par conséquent, dans l’un et l’autre cas, la perception nécessite des opérations ou des calculs très assujettissans pour les importateurs. Nous n’apercevons d’ailleurs aucune objection sérieuse contre l’affranchissement absolu de ces articles, si ce n’est de la part du trésor, qui n’y perdrait qu’un revenu annuel d’environ 262,000 francs, bien facile à compenser.

Bois exotiques. — Les bois exotiques sont un produit plus imposable que les bois communs ; aussi ne serait-il pas mal qu’ils fussent sujets à des droits d’importation, et qu’on en fît même une source assez abondante de revenu. Il ne faudrait pourtant pas en abuser, car, après tout, ce sont là des matières dont l’industrie française tire un très bon parti, et dont il lui serait facile de faire un emploi bien plus considérable.

Ce chapitre comprend de dix-sept à vingt articles, divisés en trois classes, bois d’ébénisterie, bois de teinture et bois odorans. Il a produit 1,004,890 francs en 1845. Rien de plus facile que de doubler ce produit tout en soulageant les consommateurs. Ce n’est pas que le droit principal établi sur la plupart de ces articles soit élevé ; mais l’assiette en est très irrégulière, très inégale, et surtout les droits différentiels établis en faveur de notre marine marchande sont excessifs. On a voulu multiplier pour notre marine les longs voyages, et Dieu sait comme on a réussi. Dans cette intention, on a grevé d’abord outre mesure les marchandises apportées par ces mêmes navires des pays moins éloignés, et surtout on a frappé avec un redoublement d’ardeur sur le pavillon étranger. La marine française a-t-elle profité de ces faveurs ? Les voyages de long cours se sont-ils multipliés pour elle ? Ce n’est pas ici le lieu de l’examiner. Ce qui est certain, c’est qu’il est résulté de ces mesures un immense dommage et pour le commerce et pour le fisc. Rendons cette vérité sensible par un exemple.

Le droit sur l’acajou apporté de l’Inde par navires français n’est que de 5 francs les 100 kilogrammes : c’est à peu près 14 pour 100 de la valeur officielle, droit modéré et pourtant suffisant ; mais lorsque ce bois est apporté d’autres pays hors d’Europe, toujours par navires français, il paie 7 fr. 50 cent. les 100 kilogrammes ; s’il est apporté des entrepôts, 18 fr. 50 cent. ; enfin, s’il nous arrive par navires étrangers, le droit s’élève à 21 fr. 50 cent., ou plus de quatre fois le droit primitif.

Encore ne s’agit-il là que des billes d’acajou qui ont plus de 3 décimètres d’épaisseur : c’est bien pis pour celles d’une dimension moindre. Quand elles sont importées de l’Inde par navires français, le droit n’est toujours que de 5 fr. les 100 kilogrammes ; seulement il faut qu’elles viennent des lieux mêmes de production, sinon le droit s’élève à 15 fr. Que ces mêmes navires les apportent d’autres pays hors d’Europe, elles paieront, venant des lieux de production, 7 fr. 50 cent., et d’autres lieux, 22 fr. 50 cent. ; si elles sont importées des entrepôts, toujours par navires français, le droit sera de 55 fr. 50 cent., ou plus de onze fois le droit primitif. Que si, par malheur, elles ont été transportées par navires étrangers, elles paieront, selon les lieux d’où elles viennent, 21 fr. 50 cent., ou 64 fr. 50 cent. les 100 kilogrammes, ce qui fait, dans ce dernier cas, treize fois le droit primitif et environ 185 pour 100 de la valeur.

Cette monstrueuse inégalité dans l’assiette du droit se fait, du reste, sentir dans la perception. Ainsi, en 1845, les billes d’acajou de plus de 3 mètres d’épaisseur ont été importées sans exception par navires français, non pas, il est vrai, de l’Inde, ce qui aurait donné lieu à l’application du moindre droit, mais, pour la plus grande partie, d’autres pays hors d’Europe, notamment d’Haïti, et voici en conséquence ce qui est ressorti de l’application du tarif. Sur une quantité de 4,359,865 kilogrammes mise en consommation, et dont la valeur officielle est de 1,525,953 fr., la totalité du droit perçu a été de 362,231 fr., soit environ 23 pour 100 de la valeur. Au contraire, les billes de moindre dimension, malgré l’exagération des droits différentiels, ont été importées, non pas en totalité, mais en partie, par des navires étrangers, et aussi, il faut bien le dire, près de la moitié nous est venue des entrepôts des Pays-Bas. En conséquence, sur une quantité de 2,197 kilogrammes, évaluée à 769 fr., le montant des droits perçus n’a pas été de moins de 979 francs, ou 127 pour 100 de la valeur. Était-ce l’intention da législateur que les billes d’acajou de moins de 3 décimètres d’épaisseur payassent 127 pour 100 de droits, tandis que les autres ne paieraient que 23 pour 100 ? Cela n’est pas probable. Tel est pourtant le résultat clair et net de l’application de la loi.

C’est dans l’intérêt de la marine marchande, dit-on, qu’on a établi d’aussi choquantes inégalités ; soit : a-t-on du moins réussi dans cet objet ? Hélas ! il suffit de jeter les yeux sur cette pauvre marine pour se convaincre du contraire. De jour en jour, elle décline sans que les prétendues faveurs dont elle jouit puissent rien pour prévenir ou arrêter sa décadence, et ce qu’il y a de plus remarquable, c’est que les longs voyages, dont on a voulu à tout prix lui réserver le privilège, et qu’on semble même créer quelquefois pour elle tout exprès, sont précisément ceux dont le nombre diminue avec la plus effrayante rapidité. Tout cela s’explique. On veut que notre marine fasse la grande navigation, on veut qu’elle entreprenne les longs voyages et particulièrement les voyages des Indes : rien de mieux ; mais en même temps on lui ôte, sans y prendre garde, tous les moyens de réaliser ces voyages avec profit. On croit tout faire en lui réservant sur quelques marchandises secondaires des privilèges fantastiques, tandis qu’on la prive en réalité de tous les meilleurs élémens de fret. Peu ou point de chargemens d’aller ; nulle latitude pour rapporter au retour les marchandises qui seules abondent dans ces pays. Voici donc ce qui arrive. Nos bâtimens partent le plus souvent pour ces contrées lointaines sur lest, pour en revenir avec des chargemens incomplets. S’ils emportent quelque chose au départ, ce sont trop souvent des marchandises de peu de valeur, dont il arrive même que le débarquement leur est refusé, et qu’ils se voient réduits quelquefois à jeter à la mer. Ceci n’est point une hypothèse ; nous en connaissons des exemples tout récens. Au retour, ils n’ont à choisir qu’entre un petit nombre d’articles, les autres étant exclus de leur pays ou par des prohibitions formelles ou par de violentes surtaxes. Se rejetant donc, faute de mieux, sur le peu de marchandises qu’on leur laisse, et usant de la faveur exagérée que la loi leur attribue, ils en exigent des frets exorbitans, non peut-être pour augmenter leurs bénéfices, car les bénéfices sont rares sur un pareil terrain, mais pour atténuer leurs pertes. C’est ainsi que le commerce est écrasé et que la marine périt. Laissez là toutes ces faveurs trompeuses, et, prenant une autre route, faites en sorte que nos navires trouvent des chargemens abondans tant à l’aller qu’au retour. C’est alors que la marine grandira, sans peser sur le commerce de tout le poids des privilèges abusifs qu’on lui accorde.

Quoi qu’il en soit, il est évident que ces privilèges, si onéreux pour l’industrie et le commerce, contribuent d’autre part à appauvrir le fisc. Si le droit sur les acajous, que nous avons pris pour exemple, n’était en réalité, et dans tous les cas, que de 14 pour 100 ; si nulle autre charge ne venait peser sur ce produit, la consommation en serait peut-être bientôt quadruplée, et ce n’est pas trop dire. Actuellement, ce bois n’est guère employé en France que pour les ouvrages d’ébénisterie et pour quelques usages tout-à-fait spéciaux et très limités de l’industrie manufacturière ; mais de combien d’autres emplois ne serait-il pas susceptible ! Il suffit de voir tout ce qu’on en fait en Angleterre depuis qu’il y est importé franc de droits[6].

Si l’on applique aux autres bois exotiques[7] les observations que nous venons de faire par rapport aux acajous, ou trouvera que le produit, sur ce chapitre, pourrait être sans peine élevé de un million à deux ou trois. Il suffirait, pour cela, de modérer les surtaxes en maintenant, quant à présent, le droit principal de 14 pour 100. Dans ce cas, la recette s’élèverait donc tout au moins à 2 millions.

Fruits, tiges et filamens à ouvrer. — Quoique le chapitre des fruits, tiges et Martiens à ouvrer comprenne de vingt-deux à vingt-cinq articles, il n’y a que trois de ces articles qui aient une importance réelle pour le trésor public, le coton en laine, le chanvre et le lin. En effet, sur un produit total de 14,283,033 francs en 1845, le coton en laine figure seul pour 13,097,181 francs, le chanvre pour 593,087 francs, et le lin pour 466,753 francs, sommes qui, réunies, forment un total de 14,157,021 francs, ne laissant ainsi qu’un produit insignifiant d’un peu plus de 100,000 francs pour tous les autres articles. On pourrait donc, sans grande perte pour le trésor, rayer du tarif tous ces articles, savoir : les coques de cocos, les grains durs à tailler, les joncs et roseaux de diverses espèces, tant exotiques qu’européennes, et les végétaux filamenteux non dénommés. La libre importation de ces produits ne ferait d’ailleurs ombrage à aucun intérêt français ; celle des joncs et roseaux exotiques, particulièrement des bambous, tendrait à favoriser nos relations avec les Indes orientales et avec la Chine. On affranchirait pareillement de tout droit l’importation des tiges brutes de lin ou de chanvre, qui seront toujours assez grevées par les seuls frais de transport.

En ce qui concerne les trois articles maintenus au tarif, nous avons déjà dit à peu près dans quelle mesure les droits pourraient être actuellement réduits. Pour le lin et le chanvre, ce serait 2 fr. 50 cent. les 100 kilog. au lieu de 5 fr. pour l’un et de 8 fr. pour l’autre. La réduction proposée est relativement plus forte pour le chanvre, mais c’est contre toute raison que ce filament, dont la valeur est moindre que celle du lin, avait été jusqu’ici plus fortement imposé, et peut-être même conviendrait-il de le dégrever encore davantage, d’autant mieux qu’il est d’un immense emploi pour la marine. Pour le coton, le droit, qui varie maintenant de 5 à 35 francs les 100 kilog., mais qui est, pour les neuf dixièmes des quantités importées, de 20 francs plus le décime, on pourrait le fixer à 5 francs, sans admettre désormais aucune distinction de provenance. Il est parfaitement inutile, en effet, d’accorder en cela à nos colonies une faveur onéreuse, dont elles ne sont même pas en état de profiter.

Aucune objection ne s’élèverait sans doute quant à la réduction applicable au coton en laine, si ce n’est dans l’intérêt du fisc, qui y perdrait certainement quelque chose, mais auquel nous offrirons bientôt d’amples compensations. Il n’en serait pas de même relativement au lin et au chanvre, à propos desquels on invoquerait probablement l’intérêt de l’agriculture. Pour nous, loin d’admettre que la réduction des droits sur ces produits dût nuire à l’agriculture, nous affirmons, au contraire, qu’elle la servirait beaucoup. Nous ne pourrions, au reste, que répéter en cette occasion ce que nous avons dit à propos des graines grasses.

Quelles seraient maintenant les conséquences de ces réductions pour le trésor public ? En ce qui concerne le lin et le chanvre, il ne nous paraît pas douteux que l’accroissement de la consommation compenserait assez promptement l’abaissement du droit, car les emplois de ces produits sont tellement nombreux et si variés que des quantités doubles des quantités actuelles se placeraient sur nos marchés sans y causer le moindre encombrement. De ce côté donc, nulle diminution à subir sur le produit. Il n’en serait pas de même pour le coton en laine. Quoique l’emploi en soit très étendu, il est beaucoup moins varié et moins susceptible aussi d’un accroissement immédiat. Il ne faudrait pas croire pourtant que la perte serait égale à l’abaissement du droit[8]. Ce que nous pouvons admettre, c’est donc que la recette sur cet article tomberait des deux tiers, et c’est beaucoup. Elle se réduirait ainsi de 13 millions, chiffre actuel, à 4,300,000 francs. Ajoutant à cette somme celle d’un million, que nous avons trouvée pour les lins et les chanvres, nous aurions, pour l’ensemble du chapitre, au lieu de 14,283,000 fr., une recette totale de 5,300,000 fr. La perte serait donc de 8,983,000 fr. C’est la plus forte que nous ayons eu à signaler jusqu’à présent.

Teintures et tanins. — Encore un chapitre à supprimer entièrement. Il se compose de vingt et un articles, compris sous les dénominations suivantes : garance, orcanète, quercitron, curcuma, écorces à pin, à tan et de grenade, pastel, lichens tinctoriaux, safran, carthame, nerprun, noix de galle, avelanèdes, gousses tinctoriales, sumac et fusten, et libidibi. Le produit total n’a été, en 1845, que de 192,314 fr. Inutile de faire ressortir tout ce qu’aurait d’avantageux pour l’industrie l’affranchissement complet des matières tinctoriales, pour un pays surtout qui excelle dans l’impression des étoffes et la teinture. Par la médiocrité de la recette, on voit, en outre, que le trésor n’est pas fort intéressé au maintien des droits. Que si l’on craignait la concurrence que ces produits pourraient faire aux nôtres, nous dirons qu’il en est plusieurs dont nous n’avons pas même les similaires, et que, pour les autres, comme la garance, nous n’avons pas de rivalité sérieuse à craindre, puisque nous sommes nous-mêmes les principaux exportateurs de ces produits. En effet, l’importation de la garance, tant en racines que moulue ou en paille, n’a été, en 1845, que de 142,000 kilog., tandis que l’exportation s’en est élevée à plus de 13 millions. Il en est de même, quoique dans une moindre mesure, pour le pastel. Nous ne croyons pas d’ailleurs qu’il y ait aucune raison pour maintenir des droits sur un seul de ces produits.

On rencontre, dans le tarif actuel, à propos de ce chapitre, deux prohibitions absolues : l’une regarde l’importation du curcuma en poudre, l’autre, l’exportation des écorces à tan. On ne peut se les expliquer l’une et l’autre qu’en se souvenant de cette intempérance protectioniste dont, à une certaine époque, notre législature a été possédée. Nous les remplacerions, comme tout le reste, par un affranchissement complet.

Produits et déchets divers. — Rien de plus varié que la nature et le genre des objets qui, au nombre de vingt-quatre à trente, sont compris sous la dénomination générale de produits et déchets divers. En voici l’énumération : légumes verts, salés ou confits, fourrages de diverses sortes, houblon, plants d’arbres, agaric de diverses sortes, bulbes ou oignons, tourteaux de graines oléagineuses, champignons, morilles et mousserons, lycopode, truffes fraîches ou marinées, chardons cardières, racines de chicorée, plantes alcalines, drilles et chiffons, marc de raisins et marc de roses, amurca ou marc d’olives, tourbe crue, mottes à brûler, levure de bière. Tous ces articles réunis ont produit au trésor, en 1845, 602,796 francs, chiffre supérieur d’environ 120,000 à celui de 1844, mais inférieur à celui de 1846.

Le seul article de quelque importance dans cette série, au moins par rapport au revenu, c’est le houblon, qui a produit seul, en 1845, une somme de 478,463 francs. Viennent ensuite les racines de chicorée, tant vertes que sèches, qui ont produit 45,173 francs. C’est, pour les deux articles réunis, une somme de 523,636 francs, ou beaucoup plus que les cinq sixièmes de la recette totale.

Nous retrancherions donc de ce chapitre, en les affranchissant de tous droits : d’abord les légumes, qu’il est désirable de voir mettre à la portée de tout le monde, et sans excepter même de cette mesure les légumes salés ou confits ; puis les fourrages, tels que foin, paille, herbe, graines de vesce, son, etc., produits d’encombrement, d’ailleurs si utiles, et dont l’importation ne sera toujours que trop entravée par la difficulté des transports ; puis les plants d’arbres, qui peuvent rendre de si grands services à l’agriculture ; puis encore l’agaric, tant à l’état brut qu’à l’état d’amadou ; les bulbes ou oignons ; les tourteaux de graines oléagineuses, qui servent à l’engrais des bestiaux aussi bien qu’à l’amendement des terres, et qu’il est parfaitement inconséquent de grever de droits quelconques à l’importation, alors qu’on s’efforce d’en arrêter l’exportation ; les champignons, morilles et mousserons, qui ne feront jamais une concurrence bien dangereuse aux nôtres ; le lycopode ou soufre végétal ; les truffes, à quelque état qu’elles se trouvent, qui ne donneront jamais qu’un produit insignifiant, et dont nous exportons beaucoup plus que nous n’importons ; les chardons cardières, si utiles pour la draperie ; les plantes alcalines, dont les unes servent comme engrais, dont les autres sont utilement employées pour la fabrication de la soude ; les drilles et les chiffons, nécessaires à nos fabriques de papier, et qu’il est absurde de frapper d’un droit quelconque à l’importation, alors qu’on en prohibe l’exportation ; les marcs de raisins ou de roses, dont l’importation a été nulle en 1845 ; l’amurca et le grignon, deux sortes de résidus d’olives ; enfin les mottes à brûler et la tourbe, si utilement employées et si nécessaires pour le chauffage du pauvre.

De cette longue série d’articles, il n’en resterait ainsi que deux, le houblon et les racines de chicorée. Si les droits actuels étaient maintenus sur ces deux produits, les recettes qu’ils ont données demeurant à peu près à leur niveau actuel, la perte éprouvée par le trésor sur l’ensemble du chapitre serait très peu considérable ; mais il faudrait ici même de notables réductions. Sur le houblon en particulier, le droit actuel, établi en 1826, époque d’effervescence protectioniste, est fort exagéré. Il ne va pas à moins de 60 et 68 francs les 100 kil. pour un produit dont la valeur officielle est portée à 125 francs en entrepôt ; c’est à peu près 50 pour 100. Sensible aux plaintes qui s’étaient élevées à ce sujet, le ministre du commerce, dans un projet de loi présenté aux chambres pendant la session de 1846-47, avait proposé de réduire le droit à 45 francs : nous demanderons qu’on le réduise immédiatement à 25 francs, et ce sera encore beaucoup. À ces conditions, il nous paraît hors de doute que l’importation du houblon augmenterait, non pas, comme on pourrait le croire, parce que le produit étranger se substituerait au produit indigène, mais parce que la consommation s’en étendrait. Les bières françaises sont généralement trop peu saturées de houblon et se conservent mal : de plus grandes facilités pour les importations en augmenteraient sans aucun doute l’emploi. Comme nous ne croyons pas pourtant que cet accroissement serait assez rapide pour compenser tout d’abord l’abaissement du droit, nous réduirons de 478,463 francs à 300,000 la recette présumée sur cet article.

En ce qui concerne les racines de chicorée, les droits actuels, qui sont de 50 c. les 100 kil. sur les racines vertes, et de 2 fr. 50 c. sur les racines sèches, ne nous paraissent pas trop forts, eu égard à ceux qui frappent les autres produits du sol. Il n’y a donc à cet égard aucun changement à proposer quant à présent ; mais il existe sur la chicorée moulue une prohibition absolue qui ne s’explique pas. Dans le projet de loi que nous venons de mentionner, on proposait de lever cette prohibition, mais en la remplaçant par le droit actuellement applicable aux cafés importés des entrepôts d’Europe, c’est-à-dire par un droit de 100 fr. les 100 kilogrammes, droit que l’on regardait comme élevé, et que nous regarderions, nous, comme dérisoire. Ce serait, en effet, remplacer une prohibition ouverte par une prohibition déguisée, et ce n’est vraiment pas la peine de remanier un tarif pour si peu. « Il s’agit, disait l’exposé des motifs, d’empêcher que du café en poudre ne soit introduit sous la dénomination de chicorée moulue. » A la bonne heure ; mais, comme nous proposerons, dans la dernière partie de cette étude, une très large réduction sur les cafés, et comme avec des droits plus modérés la contrebande sera moins surexcitée, cette crainte nous touche peu. De 100 francs, nous réduirions donc le droit sur la chicorée moulue à 10 francs les 100 kil., ce qui rétablirait à peu près les proportions et porterait la recette sur cet article de 45,173 francs à environ 60,000. Ajoutant à cette somme celle de 300,000 francs prélevée sur le houblon, nous aurions pour l’ensemble du chapitre une recette totale de 360,000 francs.

Ici se termine la revue de cette longue et importante section des matières végétales. Que de choses nous aurions encore à dire sur cet intéressant sujet, si nous n’avions à cœur d’abréger ! Il y a de prétendus grands esprits qui n’abaisseront sans doute leurs yeux qu’avec dédain sur les détails infimes dans lesquels nous venons d’entrer : il s’agit pourtant, dans tout cela, de l’existence du pauvre, du pain qui le nourrit, du bois dont il se chauffe, du vêtement qui le couvre, des matières premières qui fournissent un aliment à son travail ; mais qu’importent ces objets à ceux qui n’ont que la main à ouvrir pour faire couler sur la terre des ruisseaux de miel ?

Les résultats financiers des mesures que nous proposons paraissent au premier abord moins satisfaisans que les résultats économiques ; mais ils ne doivent pas nous effrayer, car nous aurons plus tard à offrir à l’état d’assez belles compensations, d’autant mieux que de plus grandes facilités accordées au peuple par rapport aux denrées alimentaires tendent à développer d’autres consommations plus véritablement productives pour le trésor public.

Voici le tableau comparatif des recettes pour les neuf chapitres maintenus dans le tarif :


Farineux alimentaires 5,201,863 fr. 2,750,000 fr.
Fruits et graines 4,004,652 4,004,652
Sucs végétaux 9,186,926 10,500,000
Espèces médicinales 264,041 »
Bois communs 620,067 »
Bois exotiques 1,004,890 2,004,890
Fruits, tiges et filamens à ouvrer 14,283,033 5,300,000
Teintures et tanins 192,314 »
Produits et déchets divers 602,796 360,000
TOTAUX 35,360,582 fr 24,919,542 fr.

La perte à subir pour le trésor, sur l’ensemble de cette section, serait donc de 10,441,240 fr. Si nous y ajoutons celle de 4,200,000 fr. que nous a présentée la section des matières animales, nous nous trouverons dès à présent en face d’un déficit total de 14,641,240 francs. C’est beaucoup en apparence, et cependant c’est peu si l’on considère l’importance des résultats obtenus. Moyennant ce sacrifice, de larges réductions ont été faites sur tous les principaux articles de consommation ; un plus grand nombre d’autres articles ont été entièrement rayés du tarif ; d’immenses facilités sont acquises à l’industrie et au commerce, dégagés par là de leurs vieilles entraves et débarrassés du poids des taxes fort onéreuses qu’ils subissent ; enfin, et ce n’est pas le moindre avantage de ces mesures, le service de la douane est admirablement simplifié. Il faudrait d’ailleurs avoir bien peu étudié les vices de notre système fiscal, et les ressources qu’il offre à l’homme habile dont la main saura le féconder, pour douter un seul instant de la possibilité de combler un tel déficit. Dès à présent, nous pourrions en réduire sensiblement le chiffre, en tenant compte des économies que l’état aurait à faire, tant sur le service de la douane, que sur les primes payées à l’exportation à titre de restitutions de droits, puisqu’il serait naturel et nécessaire que ces primes fussent réduites dans la même proportion que les droits perçus sur les matières premières ; mais cette précaution même nous est inutile, et nous n’aurons pas de peine à faire voir que, nonobstant tous ces dégrèvemens, il est facile d’élever le revenu de la douane fort au-dessus de son niveau présent.


VI
TROISIEME SECTION. – MATIERES MINERALES

Nous aurons à nous arrêter moins long-temps sur la section des matières minérales que sur celle des matières végétales, d’abord parce qu’elle est beaucoup moins compliquée et plus courte, ensuite parce que, les principes étant déjà nettement posés quant aux plus importantes de ces matières, nous n’aurons plus guère qu’à tirer les conséquences. Cette section ne se compose, en effet, que de deux chapitres dont l’un comprend les pierres, terres et combustibles minéraux, et l’autre les métaux. Dans le premier, le produit le plus important que l’on rencontre, c’est la houille ; dans le second, c’est la fonte et le fer, et quoiqu’on y compte en outre un assez grand nombre d’articles de recette, ces deux produits y forment la base essentielle du revenu.

Pierres, terres et combustibles minéraux. — Ce chapitre comprend de quatre-vingts à quatre-vingt cinq articles distincts, dont les principaux sont, après la houille, les diverses sortes de marbres, les agates, l’albâtre, les pierres ouvrées, les meules à moudre, les meules à aiguiser, divisées en plusieurs catégories selon les dimensions ; les matériaux de construction, formant seuls vingt-deux à vingt-cinq articles de recette pour la plupart insignifians ; les pierres et terres servant aux arts et métiers, qui forment dix-huit à vingt articles ; la marne, le soufre, le graphite ou plombagine, le jais, le succin et les bitumes. Tous ensemble, ces articles ont produit 4,977,574 fr. en 1844, 6,031,836 fr. en 1845, et un chiffre à peu près égal, 6,088,723 fr., en 1846. Dans la première de ces trois années, les houilles seules figurent à la recette pour une somme de 3,884,965 fr., dans la seconde, pour 5,092,477 fr., et dans la troisième, pour 5,185,219 fr., ne laissant ainsi, chaque fois, qu’un produit d’environ 1 million pour tous les autres articles réunis. Comme nous avons déjà établi, par des raisons qui nous paraissent décisives, que les droits devraient être entièrement et immédiatement supprimés sur les houilles, il restera peu de difficultés pour tout le reste, au moins en ce qui touche aux intérêts du trésor public.

Comme mesures fiscales, les droits établis sur ces matières sont au nombre de ceux qu’on peut considérer comme les plus vexatoires et les plus abusifs. Ils rapportent d’abord fort peu, on vient de le voir, et c’est à peine si, dans certains cas, les recettes couvrent les frais de perception. Elles y seraient même fort inférieures, si, aux frais que supporte l’état, on ajoutait ceux bien plus considérables qui tombent à la charge du commerce. Le régime applicable à ces matières est, en effet, malgré le peu de valeur qu’elles ont en général, très compliqué, et la perception des droits nécessite des opérations aussi coûteuses que gênantes. S’agit-il, par exemple, des marbres, il faut peser les blocs, ce qui n’est pas toujours fort commode, ou si, par leur trop grand volume, ils se refusent au pesage, il faut au moins en mesurer toutes les dimensions pour en induire le poids. Il faut, en outre, les soumettre à un examen assez minutieux pour en déterminer l’espèce par les couleurs ou la texture, et, s’il existe quelque doute sur ce point, il est ordonné aux employés de provoquer l’expertise légale. De semblables formalités sont prescrites pour la plupart des autres articles, sans compter que, dans bien des cas, on a cru devoir encore limiter le nombre des bureaux où ils seront admis. Comprend-on un tel régime pour des produits si encombrans, si lourds, et dont la circulation est déjà si difficile ?

Quoique les droits sur ces matières paraissent en général assez faibles et qu’ils rapportent peu, ils ne laissent pas d’être souvent fort élevés relativement à la valeur. Ils varient, par exemple, de 5 fr. à 25 fr. 20c. les 100 kil. sur les marbres, selon les espèces et les dimensions et selon qu’il s’agit de blocs simplement équarris ou de tranches. Dès l’instant que les marbres sont sculptés, moulés, polis ou autrement ouvrés, ils sont taxés à 40 et 44 fr. les 100 kil. Sur les écossines, pierres de même nature que les marbres, mais de qualité inférieure et qui servent notamment à faire les carreaux de pavage, le droit est de 15 pour cent de la valeur. L’albâtre paie 4 fr. et 4 fr. 40 c. les 100 kil. lorsqu’il est brut, et 15 pour 100 de la valeur lorsqu’il est sculpté, moulé ou poli. Les agates paient 15 fr. et 16 fr. 50 c. lorsqu’elles sont brutes ; ouvrées et en chiques, 20 et 22 fr. ; autres, 200 et 220 fr. C’est bien pis pour le cristal de roche, qui, sujet à un droit de 62 fr. et 67 fr. 60 c. à l’état brut, est frappé d’une prohibition absolue lorsqu’il est ouvré. Il n’est pas jusqu’aux pierres ouvrées, en chiques ou autres, qui ne soient sujettes à des droits de 10 et 11 fr. les 1.00 kil., ou de 15 pour cent de la valeur. Les meules à moudre ou à aiguiser, que la loi distingue en douze espèces, selon les dimensions, sont sujettes à autant de droits différens, qui vont de 10 c. à 7 fr. 50 c. la pièce. On n’a pas même épargné les pierres et terres servant aux arts et métiers, telles que pierres à aiguiser, spath. castine, pierres à feu, bol d’Arménie et terre de Lemnos, terre à pipe, tripoli ou alana, craie, groison, pierre ponce, pierre de touche, talc brut, pierres ferrugineuses, derle ou terre à porcelaine, cailloux à faïence ou à porcelaine, ocres et autres pierres ou terres non dénommées. Les droits, qui varient de 5 c.[9] à 9 fr. 90 c. les 100 kil., peuvent être considérés comme faibles dans certains cas, comme assez élevés dans d’autres, mais toujours déplacés et abusifs. On n’a pas épargné davantage les matériaux à bâtir, même la chaux, le plâtre, les moellons et déchets de pierre et le sable commun. C’est le délire de la protection ou le côté ridicule de la fiscalité. La marne, qui ne sert guère qu’à l’amendement des terres, paie également un droit de 10 c. les 100 kil. ; le code de la douane ne dit pas de quelle manière on doit en constater le poids, et c’est fâcheux. Sur le soufre, le droit varie, selon l’état dans lequel il se présente, de 25 c. à 14 fr. 30 c. les 100 kil. Enfin, les bitumes, sans en excepter le goudron minéral provenant de la distillation de la houille, paient également des droits qui, sur les cinq articles distincts qu’ils présentent, varient de 10 cent. à 7 fr. 70 cent. les 100 kilogrammes.

Il ne faut certainement pas une grande force de raisonnement pour comprendre combien toutes ces taxations sont abusives, et combien il importe que cette partie du tarif soit dès à présent, sinon entièrement biffée, au moins réduite à deux ou trois articles, en attendant une suppression totale. Il y a de cela plusieurs raisons dont chacune est décisive. La première, c’est que, la plupart des articles qui forment cette série étant des produits naturels que la terre donne inégalement et par places, sans qu’il soit possible de les faire naître à force d’art A, ils n’existent pas, il faut bien, quoi qu’on fasse, se résoudre à les prendre ou ils se trouvent, et qu’ici par conséquent le système protecteur, en supposant qu’il puisse dans certains cas être utile pour favoriser l’essor d’une industrie naissante, demeure nécessairement sans effet. Si l’on considère en outre l’extrême utilité de ces produits, dont l’usage est plus ou moins nécessaire en tout pays, on comprendra combien il importe d’en rendre la circulation facile, afin de corriger autant que possible le tort de la nature, qui ne les a pas répartis également partout. Cela est d’autant plus nécessaire que ces produits sont en général très encombrans et très lourds. On l’a si bien senti dans d’autres circonstances, qu’on a presque toujours réduit en faveur de ces matières le coût du transport sur les chemins de fer et les canaux. Comment concevoir après cela qu’on les assujettisse à des droits onéreux et à des formalités gênantes à la frontière ? C’est substituer aux obstacles naturels, que l’on travaille à grands frais à détruire, des barrières artificielles qu’il en coûte beaucoup pour élever et pour garder.

De cela même que la terre produit ces matières inégalement et par places, et qu’elles sont en général très lourdes, il résulte encore que le monopole s’en empare facilement. Le plus souvent il n’existe qu’un petit nombre d’exploitations dans un même lieu, quelquefois même une seule, et alors les producteurs, maîtres absolus du marché, rançonnent à leur gré les consommateurs. Comment craindre d’ailleurs que cette concurrence puisse en aucun cas devenir menaçante pour les producteurs indigènes ? Est-ce que dans ces sortes de travaux, où la nature a fait presque tous les frais de la production, les conditions d’exploitation ne sont pas à peu près les mêmes partout ? Est-ce que les frais de transport, toujours considérables, ne sont pas une garantie surabondante contre un excessif avilissement des prix ?

Si l’on avait bien pesé ces considérations, et surtout celle qui ressort du danger des monopoles, jamais on n’aurait conçu la pensée d’établir un droit quelconque à l’importation des matières minérales, quelle qu’en soit l’espèce, pierres, terres, combustibles ou métaux. C’est déjà bien assez, c’est beaucoup trop même, de l’inégalité de leur répartition sur le sol et des obstacles que leur poids seul oppose à l’activité des transports. En tout état de choses, l’établissement des monopoles n’est que trop facile sur la plupart de ces produits en ajoutant aux obstacles naturels des obstacles artificiels, on multiplie les monopoles et on les aggrave, et comme ils s’attaquent à des produits de la plus haute utilité, qui sont ou les matières premières de l’industrie, ou les agens nécessaires du travail, on atteint par là à sa source même, on enchaîne en quelque sorte par sa base toute l’industrie d’un pays.

Les droits établis sur les articles qui nous occupent devraient donc, en principe être tous immédiatement supprimés. Cependant, comme l’état de choses actuel a créé dans certaines directions quelques intérêts qui pourraient être compromis par un changement si brusque, nous proposerions de maintenir provisoirement des droits réduits sur trois articles : les ardoises, les tuiles, et le cristal de roche ouvré.

De ces trois produits, les deux premiers sont actuellement frappés de droits excessifs, le dernier d’une prohibition absolue. Sans nous étendre sur les conséquences de ces rigueurs, qui ont été l’amoindrissement des recettes publiques, le renchérissement artificiel des prix à l’intérieur, et de plus, notamment en ce qui concerne les ardoises, la détérioration progressive des produits, nous demanderons qu’on établisse provisoirement sur ces articles des droits qui n’excéderaient pas 15 et 20 pour 100 de la valeur, sauf à les dégrever encore dans un terme assez prochain. À ces conditions, la recette de la douane s’accroîtrait. Toutefois, comme il serait difficile d’en apprécier l’importance, et comme le chiffre n’en serait pas, en fin de compte, très élevé, nous n’en tiendrons pas compte dans nos calculs.

Métaux. — Par rapport à ce grand chapitre des métaux, qui comprend un peu plus de cinquante articles de recette, il n’est guère possible d’opérer d’une manière aussi radicale que nous l’avons fait pour le précédent, et nous en avons dit les raisons, au moins en ce qui concerne les fontes et les fers. On pourrait toutefois en retrancher immédiatement plusieurs articles, qui ne donnent que des produits insignifians ou nuls, et dont aucun intérêt présent ne peut raisonnablement solliciter le maintien, par exemple, l’or et l’argent en minerai, en feuilles ou en lingots ; les cendres et regrets d’orfèvre ; les minerais de fer, de cuivre, de plomb et de tous les autres métaux. Si faibles que soient les droits sur ces divers minerais, ils sont toujours des entraves, et à quoi bon maintenir des taxes gênantes qui ne produisent rien ? On supprimerait pareillement, et par les mêmes raisons, les droits sur les limailles et les mâchefers. Si l’on étendait encore cette mesure au mercure ou vif-argent, au manganèse et à quelques autres produits secondaires dans lesquels les intérêts existans sont moins engagés, on aurait déjà obtenu, sans perte sensible pour le trésor, une très grande et très utile simplification de cette partie du tarif.

Il est difficile de comprendre pourquoi on a fait figurer dans ce chapitre des métaux certains produits ouvrés, qui figureraient beaucoup mieux, selon nous, au chapitre des fabrications diverses, comme, par exemple, les articles de tréfilerie, les cordes métalliques pour instrumens, etc. Passons toutefois sur cette considération, et prenons le chapitre tel qu’il se trouve après les radiations que nous venons d’y faire.

Le produit total en a été, pour 1844, de 6,612,501 fr., et, pour 1845, de 6,980,807 fr. L’article fer, sous ses divers aspects, fonte, fer et, acier, figure seul dans ce total, en 1845, pour 5,366,556 fr. Il est donc de beaucoup le plus considérable quant au revenu fiscal, comme il l’est d’ailleurs par son importance commerciale et industrielle. Après le fer vient le plomb, qui a produit, en 1845, 1,103,611 francs. Le cuivre, qui vient en troisième lieu, a produit, dans la même année, 308,093 francs. Si l’on additionne les recettes obtenues sur ces trois articles principaux, on trouvera qu’elles constituent la presque totalité du revenu prélevé sur ce chapitre. À ce point de vue, il y aurait donc fort peu d’inconvénient à faire disparaître du tarif tous les autres métaux tels que le zinc, l’étain, le bismuth, l’antimoine, le cobalt, l’arsenic métallique, etc. Il paraîtrait d’autant plus convenable de le faire, que la Frange ne produit que de très faibles quantités de tous ces métaux. Sans proposer toutefois de nouvelles radiations, voyons seulement comment il conviendrait de régler cette partie du tarif, dans le double intérêt de l’industrie et du trésor public.

En ce qui regarde la fonte et le fer, nous avons déjà posé les bases. Pour la fonte, les droits, qui sont actuellement de 4 francs à l’importation par terre et de Belgique, de 7 fr. et 7 fr. 70 c. par mer, devraient être réduits au moins de moitié. Il serait en outre convenable et nécessaire d’arriver à les égaliser aussitôt que nos engagemens avec la Belgique le permettraient. Placés en face du bassin houiller de Valenciennes, qui, mieux qu’aucun autre centre industriel français, est en mesure de tirer parti des fontes étrangères, les producteurs belges auront toujours, à prix égal, la préférence sur tous les producteurs étrangers. Pourquoi fortifier, exagérer ces avantages naturels par des préférences injustes ? Par là nous ne faisons guère que faciliter l’établissement en Belgique de monopoles dont l’existence n’est que trop réelle, et qui ne sont pas moins funestes à ce pays qu’à nous. Un tel privilège est d’ailleurs contraire au développement de nos intérêts maritimes, qu’on affecte ailleurs de vouloir favoriser. Cette distinction fâcheuse étant supposée détruite, nous fixerons le droit sur les fontes à 3 francs les cent kilogrammes, sans distinction de provenances. À ces conditions, l’importation augmenterait considérablement. L’industrie du bassin de Valenciennes, qui a déjà considérablement gagné à la modération des droits opérée en 1836 et en 1841, qui doit même à ces utiles réformes son existence actuelle, en recevrait une nouvelle impulsion et un redoublement d’activité. Par rapport an trésor, le résultat serait à peu près nul, en ce sens que l’augmentation de l’importation compenserait l’abaissement du droit. Nous supposerons toutefois que la recette tomberait de 3,235,491 fr., chiffre de 1845, à 3,000,000.

C’est sur le fer proprement dit, en barres, en tôles, en fils, qu’il pourrait y avoir une augmentation de revenu considérable, si les droits étaient plus modérés, parce que l’importation, singulièrement restreinte aujourd’hui par l’exagération du tarif, est fort au-dessous des besoins réels du pays. Voici l’état actuel de la législation sur cette matière.

La loi distingue d’abord les fers en barres traités au charbon de bois et au marteau de ceux qui sont traités à la houille et an laminoir. Dans chacune de ces classes, elle distingue encore les barres selon leurs formes, plates, rondes on carrées, et selon leurs dimensions, distinctions qui ont toujours été fort peu convenables, et qui sont même devenues tout-à-fait sans objet depuis que les fers de toutes formes et de toutes dimensions se fabriquent à peu près par les mêmes procédés et à des conditions égales. Sur les fers traités au charbon de bois et au marteau, les droits actuels varient de 15 fr. les cent kilog. à 37, fr. 50 c. par navires français, de 16 fr. 50 c. à 41 fr. 20 c. par navires étrangers. Sur les fers traités à la houille et au laminoir, ils varient de 18 fr. 75 c. à 37 fr. 50 c. par navires français et par terre, de 20 fr. 60 c. à 41 fr. 20 c. par navires étrangers. Tout cela établit sur un seul et même produit, disons mieux, sur une seule variété d’un produit, trente-deux droits différens. A toutes ces taxations inégales et si peu judicieuses, nous proposerions de substituer un droit unique de 9 fr. les 100 kilog. Ce serait encore plus de la moitié de la moyenne actuelle des droits perçus sur les grosses barres, puisque ces droits sont de 15 fr. pour les fers traités au charbon de bois, et de 18 fr. 75 c. pour les fers traités à la bouille. Quoi qu’il en soit, les rails pour chemins de fer, assimilés par la loi actuelle aux fers en barres, et imposés aux mêmes taux selon leurs dimensions, seraient également assujettis à ce droit uniforme de 9 francs.

À ces conditions, il est hors de doute que l’importation, en France, des fers en barres et des rails, qui est actuellement bien faible, augmenterait dans une proportion notable, tellement que la recette s’élèverait, malgré l’abaissement des droits. On peut en juger par ce seul fait, que, sur les fers traités au charbon de bois, quoique le droit soit moindre, la recette s’est élevée, en 1845, à 1,113,831 francs, tandis que sur les fers traités à la houille elle n’a pas excédé 104,281 francs. C’est qu’en effet l’importation des fers traités à la houille, repoussée par l’exagération de nos tarifs, est d’une insignifiance ridicule : elle n’a été que de 5,633 quintaux métriques en 1845 (commerce spécial), tandis qu’une importation décuple, dût-elle concourir, ce qui arriverait certainement, avec l’accroissement de la production intérieure, serait à peine en rapport avec l’étendue de nos besoins. Avec un droit uniforme de 9 francs, il ne faut pas douter qu’elle augmenterait à la fois pour les deux sortes de fers, mais surtout pour les fers traités à la houille : la recette de la douane s’élèverait alors sans peine à 3,000,000 de francs.

L’importation augmenterait également pour les rails, bien que cela pût dépendre, en ce cas, de l’activité que l’on apporterait à la construction des chemins de fer. Il ne faudrait pas s’étonner que de 303,719 fr., chiffre de 1845, elle s’élevât promptement à 2 millions ; mais elle pourrait demeurer aussi fort au-dessous de ce chiffre. Nous ne porterons donc en compte, pour cet article spécial, que la modeste somme de 500,000 francs.

Sur les produits immédiatement dérivés du fer, le fil de fer, la tôle et le fer-blanc, aussi bien que sur l’acier avec ses dérivés, l’exagération du tarif est poussée jusqu’au délire. Tôle, droit principal, 40 francs les 100 kil. ; fil de fr., 60 fr. ; cordes métalliques, 70 fr. ; acier en barres, naturel et de cémentation, 60 fr. ; acier fondu, 120 fr. ; en tôle de toute espèce, 80 fr. ; filé de toute espèce, 100 fr.[10]. Aussi l’importation de ces divers articles est-elle excessivement faible et la recette presque nulle. Voici comment nous croirions devoir rectifier cette échelle de droits, en ménageant autant qu’il est nécessaire les intérêts existans. Pour les articles en fer : sur la tôle, 20 fr. au lieu de 40 ; sur le fer-blanc, 35 au lieu de 70 ; sur le fil de fer, 30 au lieu de 60 ; sur les cordes métalliques, 35 au lieu de 70 : ce serait partout une réduction de moitié. Pour l’acier et ses dérivés, il faudrait immédiatement des réductions plus fortes, tant à cause de la haute utilité de ce produit que parce qu’il manque réellement en France, et que son absence ou sa cherté se fait cruellement sentir dans tous les travaux industriels. Sur l’acier en barres, naturel et de cémentation, 20 fr. au lieu de 60 ; acier fondu, 40 fr. au lieu de 120 ; en tôle de toute espèce, 30 fr. au lieu de 80 ; filé de toute espèce, 35 fr. au lieu de 100. Certes, une telle échelle de droits laisserait une marge suffisante aux producteurs indigènes ; elle leur serait même plutôt favorable que nuisible, surtout pour ceux qui fabriquent la tôle et le filé ; en même temps l’industrie française en recevrait un grand soulagement. Dans cette combinaison, la recette de la douane sur ces divers articles, qui ne s’est élevée, en 1847, qu’à 606,143 francs, s’élèverait sans peine au double, c’est-à-dire à environ 1,200,000 fr. En laissant donc de côté le minerai de fer, la limaille et le mâchefer, que nous exemptons de tout droit, et en négligeant la ferraille et la mitraille, dont l’importation n’est actuellement permise qu’au moyen d’autorisations spéciales, nous obtenons sur les seuls articles foule, fer et acier, les recettes suivantes :


Fonte 3,000,000 fr.
Fer et ses dérivés 3,000 000
Acier et ses dérivés 1,200,000
Total 7,200,000 fr.

résultat déjà supérieur à celui que la douane obtient aujourd’hui sur tout l’ensemble du chapitre des métaux.

Il n’y a guère moins à faire par rapport au cuivre, bien que la recette ne doive jamais s’élever en définitive aussi haut. Sur le cuivre brut, c’est-à-dire sur le cuivre pur, de première fusion, en masses, barres, plaques ou en objets détruits, le droit actuel paraît très faible, puisqu’il n’est que de 10 cent. les 100 kilogrammes ; mais la loi y met cette condition, que ce produit sera apporté des pays hors d’Europe par navires français. S’il vient par les mêmes navires des pays d’Europe, le droit s’élève aussitôt à 2 fr., à 3 fr. dans tous les cas par navires étrangers. C’est une de ces combinaisons soi-disant ingénieuses dont le législateur s’avise pour favoriser notre marine en lui fournissant l’occasion des longs voyages. Malheureusement c’est dans les pays d’Europe que le cuivre abonde, ou, s’il se trouve en grandes quantités dans quelques pays lointains, comme, par exemple, au Chili et au Pérou, c’est à l’état de minerai, que la législation actuelle sur les houilles et sur les cokes ne nous permet guère d’utiliser dans nos ports. Que penser dès-lors d’une telle combinaison ? Elle a paru si heureuse pourtant, que la loi du 9 juin 1845 l’a étendue aux cuivres de première fusion alliés de zinc ou d’étain, produits sur lesquels le tarif antérieur n’avait établi qu’une différence de 1 fr. à 2 fr., selon les provenances, quand ils étaient importés par navires français. Est-il rien de plus extraordinaire que cette persévérance aveugle dans une politique fausse, déjà si hautement condamnée par ses résultats ? On prétend favoriser notre marine en la forçant, par des différences exagérées de droits, à aller chercher dans les pays lointains des produits qui n’y sont pas ou qu’on n’y trouve qu’en médiocre quantité et à des conditions onéreuses, et en même temps on l’empêche de rapporter de ces pays les produits qui s’y trouvent et qui ne se trouvent que là. L’expérience montre, au reste, comment ces ingénieux procédés conduisent au but qu’on se propose.

Il y a pourtant une observation à faire sur ce sujet. Depuis un certain nombre d’années, c’est l’Angleterre qui est en possession de fournir à l’Europe la plus grande partie du cuivre de première fusion qui s’y consomme. Elle a dû cet avantage non-seulement à l’abondance de ses mines de cuivre et de ses houilles, mais encore et surtout aux facilités dont elle a joui par rapport à l’importation et à la mise en œuvre du minerai étranger. En vertu d’une loi adoptée en 1826 ou en 1827, il fut permis d’importer dans ce pays le minerai étranger par toutes sortes de navires et en franchise de droits, pour y être fondu en entrepôt, à charge de réexportation. Sous l’empire de cette loi, l’industrie qui s’applique à la fusion du minerai de cuivre acquit une grande importance en Angleterre, et les entrepôts anglais devinrent les centres d’approvisionnement de la plus grande partie de l’Europe. Cependant cette faculté de fondre le minerai de cuivre en entrepôt a été retirée en 1842. Tous les minerais étrangers ont été soumis dès-lors à l’application des droits, et, comme par cela même ils tombaient sous le coup de la loi de navigation, il n’a plus été permis de les importer, des pays hors d’Europe, que par navires anglais. Avec ce double désavantage, l’industrie de la fusion du cuivre n’a pu se soutenir dans son ancienne splendeur. Elle décline depuis 1842 et tend visiblement à se transplanter ailleurs. Déjà quelques établissemens se sont formés sur le littoral des États-Unis et dans les villes anséatiques. Il y a plus : les principaux pays de provenance, le Chili et le Pérou, qui autrefois se contentaient d’extraire le minerai de cuivre et de l’expédier en Angleterre, entreprennent aujourd’hui de le fondre eux-mêmes, malgré le désavantage frappant de leur situation. C’est grace à cette circonstance que la France a pu tirer de ces deux pays, en 1846, environ 1,100,000 kil. de cuivre de première fusion ; ce qui est encore bien peu de chose, toutefois, eu égard à ses besoins, puisque son importation totale s’est élevée, dans la même année, à environ 8,000,000 kil. Si les choses étaient demeurées dans leur ancien état, malgré les droits différentiels, c’est de l’Europe seule, et particulièrement de l’Angleterre, que nous aurions reçu la presque totalité de notre approvisionnement en cuivre. Et combien n’en a-t-il pas coûté au trésor, même dans l’état présent des choses, pour que la marine allât chercher au loin cette faible quantité qui nous était offerte à de bien meilleures conditions si près de nous[11] !

Si l’Angleterre devait persévérer, contre ses intérêts manifestes, dans la politique illibérale qu’elle a adoptée en 1842, et achever de ruiner chez elle l’industrie de la fonte du ruinerai de cuivre, nul doute que la France ne pût aspirer à en recueillir les débris. Elle est pour cela aussi avantageusement située qu’aucun autre pays de l’Europe ; mais il faudrait au moins qu’elle reçût en franchise, en même temps que le minerai de cuivre, le combustible nécessaire pour le mettre en œuvre. Il semble que les auteurs de la loi actuelle, qui date de 1836, se soient proposé un résultat semblable, en permettant que le minerai de cuivre fût importé de tous pays au faible droit de 10 centimes par quintal métrique, et en supprimant dans ce cas, par une exception assez rare, la surtaxe sur les navires étrangers. Malheureusement ils n’ont su faire les choses qu’à demi, car, en adoptant un régime assez libéral par rapport à la matière première, ils ont maintenu des droits excessifs sur le combustible, dont notre littoral est dépourvu. Dès-lors, l’industrie des fondeurs eût-elle été entièrement exilée de l’Angleterre, elle se serait transplantée partout ailleurs plutôt qu’en France. Aussi, quoique notre importation en minerai se soit graduellement accrue depuis 1842, elle ne s’est encore élevée, en 1846, qu’à 1,100,000 kilogrammes. C’est dire assez que l’industrie des fondeurs ne fait guère que poindre en France, tandis qu’elle aurait pu avoir dès à présent une grande importance, si on avait adopté un régime plus libéral. Au reste, l’Angleterre commence à comprendre la faute qu’elle a faite en 1842, et il est probable qu’elle la réparera bientôt. Soit qu’elle rétablisse purement et simplement le régime antérieur à cette époque, soit qu’elle en adopte un autre encore plus large et mieux en harmonie avec ses nouvelles idées, elle ne tardera pas à recouvrer ce qu’elle a perdu. Quoi qu’il arrive, ce que la France aura de mieux à faire sera toujours de recevoir le cuivre des pays qui le fournissent avec le plus d’abondance et au meilleur prix. Se raidir, comme elle le fait, contre le cours naturel des choses, c’est se condamner à de très grands sacrifices pour obtenir de très médiocres résultats.

Malgré la nouvelle confirmation qui a été donnée, en 1845, à ce faux principe des droits différentiels en faveur de la navigation lointaine, nous établirions donc sur les cuivres un droit uniforme, sans distinction de provenances, comme étant à la fois le plus favorable au commerce et le plus productif pour le trésor public. Ce droit, nous le fixerions, sur le cuivre de première fusion, soit pur, soit allié de zinc et d’étain, au chiffre le plus élevé du tarif actuel, 2 francs les 100 kilogrammes par navires français, car ce dernier chiffre même est modéré, si on le compare à ceux qui s’appliquent aux fers. Alors la recette, qui n’a été en 1845 que de 211,304 fr., s’élèverait tout au moins à 300,000 fr.

Si le droit actuel, même le plus fort, est encore assez modéré en ce qui concerne le cuivre de première fusion, il n’en est pas de même aussitôt que cette matière a reçu un commencement de main-d’œuvre. Ainsi le cuivre pur laminé, en barres ou en planches, ne paie pas moins de 50 fr. les 100 kilogrammes par navires français et 55 fr. par navires étrangers. Battu, le même métal paie 80 et 86 fr. 50 cent. ; filé, selon qu’il est teint ou non teint, il est soumis à des droits de 100 fr. et 107 fr. 50 c., ou de 286 et 302 fr. 50 c. Même exagération pour les cuivres alliés de zinc et d’étain. Il résulte de là, en faveur du petit nombre d’industriels qui laminent ou battent le cuivre, particulièrement pour l’usage de la marine, des privilèges dont ils abusent. Ils rançonnent les armateurs, et de plus, dans un grand nombre de localités, les produits, au lieu de s’améliorer, se détériorent de jour en jour : on ne s’en aperçoit que trop dans le doublage de nos navires. C’est une autre conséquence fort naturelle de l’exagération des droits sur les cuivres ouvrés, que l’importation en est presque nulle : le trésor en souffre donc aussi bien que le commerce. Afin de mettre les droits sur ces produits ouvrés un peu mieux en rapport avec ceux qui frappent les matières brutes, nous les fixerions, sur les cuivres purs laminés, à 10 francs au lieu de 50, et sur les autres produits en proportion. Il va sans dire que nous remplacerions la prohibition qui frappe le cuivre allié de zinc, lorsqu’il est filé ou poli, par un droit gradué sur tous les autres. À ces conditions, ces divers produits, au lieu d’offrir comme aujourd’hui des recettes ridicules, qui vont à 47 fr., 39 fr., 3 fr. et quelquefois même à 0, et qui ne s’élèvent pas toutes ensemble à plus de 95,863 francs, en y comprenant même la recette plus considérable obtenue sur le cuivre doré, tous ces produits, disons-nous, donneraient sans peine au trésor 300,000 francs par an.

Ce que nous venons de dire à propos du cuivre s’applique avec la même force à l’étain, sur lequel, par des rectifications semblables du tarif, on élèverait la recette de la douane de 47,373 fr., chiffre de 1845, à 100,000 fr. pour le moins. Cela s’applique également au zinc, où l’on remarque aussi dans l’échelle des droits, quand on passe du produit brut au produit ouvré, des différences à peine croyables : 10 cent. à 50 fr. Pour le plomb, la différence est moins outrée ; elle n’est que de 5 à 24 fr. les 100 kilogrammes : aussi y a-t-il eu au moins une faible recette de 87 francs sur le plomb battu ou laminé ; mais cette différence est encore beaucoup trop forte. Le droit de 24 fr. serait réduit à 10, et le revenu s’élèverait. Sans entrer à cet égard dans de plus longs détails, nous dirons que ces observations s’appliquent de même, avec plus ou moins de justesse, aux autres métaux, tels que bismuth, nickel, antimoine, cobalt, en ce sens du moins que l’assiette des droits est partout fort inégale, et qu’en réglant mieux l’échelle du tarif, on en augmenterait sensiblement le produit. Là recette sur ces articles s’élèverait alors, y compris les droits perçus sur le plomb brut, de 1,276,306 fr., chiffre de 1845, à plus de 2,000,000.

Voici donc les divers résultats que nous obtiendrions sur le chapitre des métaux :


Fonte 3,000,000 fr.
Fer et ses dérivés 3,000,000
Acier et ses dérivés 1,200,000
Cuivre de première fusion, pur ou allié 300,000
Cuivres ouvrés 300,000
Plomb et autres métaux, bruts et ouvrés 2,000,000
TOTAL 9,800,000 fr.

Ce résultat est fort supérieur, comme on le voit, à la recette actuelle, quoique nous l’ayons plutôt amoindri qu’exagéré. Ainsi, malgré la suppression totale du chapitre précédent, relatif aux pierres, terres et combustibles minéraux ; malgré la radiation de plusieurs articles dans le chapitre actuel des métaux, et la modération de droits que nous avons admise sur presque tous les autres, nous trouvons encore, pour l’ensemble de la section des matières minérales, un chiffre qui excède les trois quarts de la recette actuelle ; c’est 9,800,000 francs au lieu de 13,012,643. Après tant d’améliorations introduites, la perte pour le trésor n’est en somme que de 3,212,643 francs sur cette section.

Ici se termine, du reste, la série des sacrifices que l’état aurait à s’imposer. A partir de ce moment, nous n’aurons plus, au moins sur l’ensemble de chaque chapitre, que des augmentations de recettes à constater. Voyons donc à quelle somme totale les sacrifices précédens s’élèvent :


1re section, matières animales 4,200,000 fr.
2e - végétales 10,441,240
3e - minérales 3,212,643
TOTAL 17,853,883 fr.

Voilà donc le chiffre total des diminutions de recettes que l’état aurait à subir après tant de réductions et tant de suppressions de droits. Et moyennant ce sacrifice, plus apparent que réel, quels immenses bienfaits répandus sur le pays ! La perte pour le trésor public dût-elle être absolue et définitive, il ne faudrait pas hésiter à l’accepter en considération des résultats. Il s’en faut bien pourtant qu’il en soit ainsi. Dans la partie du tarif qui nous reste à examiner, nous allons voir arriver une à une d’abondantes compensations. Déjà, sur les fabrications, qui forment la dernière section du tarif, nous verrons les recettes grossir de manière à couvrir à peu près le déficit précédent, et cela par la simple conversion des droits prohibitifs ou des prohibitions absolues en droits modérés, sans que d’ailleurs aucune industrie existante soit mise un seul instant en péril ; mais c’est surtout sur les denrées coloniales, dont nous avons fait une section à part, que les augmentations de recettes seront considérables. C’est là que nous trouverons pour le trésor public, aussi bien que pour notre marine marchande, des résultats aussi brillans qu’inattendus : il y a de ce côté, s’il est permis de le dire, tout un monde nouveau à conquérir. C’est ce que nous tâcherons de mettre en évidence dans la troisième et dernière partie de ce travail.


CHARLES COQUELIN

  1. Dans les tableaux de la douane, l’évaluation est portée à 75 fr. les 100 kil., tant pour les graines (le lin que pour les gaines de sésame. Nous ne savons sur quelle base ces évaluations ont été faites : les nôtres sont empruntées aux prix courans de février et avril 1844 sur la place de Marseille.
  2. Les droits sur les soudes sont de 11 fr. 50 cent. les 100 kil. par navires français, et 12 fr. 60 cent. par navires étrangers. C’est environ 80 pour 100 de la valeur. Sur les potasses, les droits saut de 10, 15, 18 et 21 francs ; la valeur officielle est de 60 francs.
  3. Dans les tableaux officiels, la valeur attribuée à l’huile d’olive est de 80 francs les 100 kil., et on évalue au même taux l’huile de graines grasses. Il y a là une double erreur. L’évaluation est peut-être un peu trop forte pour l’huile de graines grasses, mais elle est certainement trop faible pour l’huile d’olive, dont les prix varient, sur la place de Marseille, de 110 à 120 francs.
  4. La plupart des moulins qui fabriquent l’huile dans le nord sont des moulins à vent. Quand le vent fait défaut, ce qui arriva quelquefois pendant un temps assez long, la fabrication est forcément arrêtée, et alors les cours s’élèvent outre mesure pour retomber ensuite brusquement quand la fabrication est reprise. De là des inégalités continuelles et des désordres dont tout le monde souffre, même ceux qui croient en profiter. La facilité de l’importation des huiles étrangères aurait pour effet certain d’atténuer, sinon de faire disparaître entièrement ces inégalités.
  5. On distingue ces lichens de ceux qui sont propres à la teinture et qui figures parmi les matières tinctoriales.
  6. La consommation de l’acajou, en Angleterre, a été, en 1846, à peu près sept fois plus considérable qu’en France. C’est, pour la France, 5,800,000 kil., et pour l’Angleterre 38,000,000. Les Anglais emploient maintenant une sorte d’acajou, plus légère que les autres, à construire le pont ou plancher de leurs navires. Cette espèce particulière n’est guère comme en France.
  7. Le tarif par rapport aux bois exotiques autres que l’acajou a été modifié par la loi du 9 juin 1845 ; mais, au lieu de diminuer les surtaxes, dont l’expérience montre si clairement l’impuissance et les fâcheux effets, on les a aggravées.
  8. On comprend bien qu’il y a un peu d’éventualité dans ce calcul. L’accroissement de la consommation, après l’abaissement du droit, peut dépendre de l’abondance de la récolte aux États-Unis et du prix auquel le coton en laine s’élèverait dans ce pays ; mais, comme cette éventualité se rencontre également dans le régime présent, nous n’avons pas à en tenir compte.
  9. Sur la castine, les pierres à chaux brutes et les moellons et déchets de pierre, les droits ont été réduits à 1 centime les 100 kil. par la loi du 9 juin 1845. Pourquoi pas un affranchissement absolu ? On n’a pas eu le courage de le prononcer.
  10. La loi du 9 juin 1845 a légèrement modifié le tarif sur les aciers, mais elle en a maintenu les bases. Nous tenons compte ici de ces modifications.
  11. Ces 1,100,000 kil. de cuivre de première fusion tirés du Chili et du Pérou constituent à peu près le changement de deux navires d’un passable tonnage, en supposant toutefois qu’on ait pu former avec cette sorte de marchandise des cargaisons complètes, ce qui est difficile. Dans cette hypothèse, voici ce qu’aura coûté au trésor public le voyage de ces deux navires pour le retour seulement. Importés d’Europe par navires français, les 1,100,000 kil. de cuivre de première fusion auraient payé, à raison de 2 fr. les 100 kil., et 2 fr. 20 cent. avec le décime, 24,200 francs. Importés du Chili et du Pérou, ils n’ont payé, à raison de 11 centimes les 100 kil., décime compris, que 1,210 francs ; — différence, 22,990 francs. L’état a donc fait en réalité un sacrifice de 22,990 francs pour faire faire à deux navires un long voyage dans l’Amérique du Sud, au lieu d’un voyage court en Europe, et il faut bien remarquer que le commerce n’a profité en rien de cette différence, car il a payé les cuivres tirés du Chili et du Pérou tout aussi chèrement que ceux qui nous viennent de l’Angleterre, de la Russie ou des villes anséatiques. On peut juger, par cet exemple, combien il en coûte à l’état pour maintenir la marine dans sa misérable position actuelle, et combien il lui en coûterait surtout pour la mettre dans une position respectable en persévérant dans les mêmes voies.