Les Eaux de Saint-Ronan/22

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Les Eaux de Saint-Ronan
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 25p. 329-330).


CHAPITRE XXII.

REPROCHES.


Ne paraissez point à la fête avec de tels habits ; allez dans ma chambre… prenez des habits à moi.
Shakspeare.


On était prêt à passer dans la salle à manger quand on s’aperçut de l’absence de miss Clara Mowbray. Son frère, redoutant quelque nouveau trait de bizarrerie de sa part, monta non sans inquiétude à sa chambre. Après en avoir obtenu l’entrée avec quelque difficulté, il y trouva sa sœur qui venait de quitter le costume élégant qu’elle avait porté à la représentation du matin, pour reprendre la robe de chasse qu’elle portait d’habitude. Son frère, ne pouvant la décider à faire une toilette plus convenable, se borna à la supplier de mettre au moins sur ses épaules le beau schall des Indes qui avait le matin excité l’admiration de toute la compagnie. Miss Clara confessa, non sans quelque embarras, que, vaincue par les sollicitations de lady Pénélope qui convoitait ce schall avec une ardeur extrême, elle l’avait donné à cette dame. Mécontent de la conduite de sa sœur, et encore plus de celle de lady Pénélope, Mowbray se promit de ne pas laisser échapper l’occasion de se venger de cette dernière.

L’occasion ne se fit pas attendre : miss Clara était descendue, et, après avoir présenté à la compagnie ses excuses pour sa toilette un peu sans façon, elle venait de prendre place. Elle faisait les honneurs de la table avec une élégance et une grâce parfaite, quand la personne la mieux intentionnée et la moins spirituelle de la compagnie, mistress Blower, fit la remarque que miss Clara était sans schall. Comme la respectable dame en avait trois, et que miss Clara, dont la santé réclamait tant de ménagements, courait risque de s’enrhumer, elle crut devoir, dans la bonté de son cœur, lui en offrir un. « Ma sœur vous rend grâces, répondit Mowbray ; elle n’est pas encore assez grande dame pour prendre les schalls des autres. »

Ces mots piquants s’adressaient à lady Pénélope ; et si elle eût pu en douter, la manière dont Mowbray la regardait en les prononçant l’en aurait avertie. N’osant pas laisser échapper publiquement son ressentiment, elle jura de s’en dédommager tôt ou tard.

Cet incident devait être remarqué, car le dépit que conçut en cette circonstance lady Pénélope explique une grande partie des événements qui remplissent la fin de ce roman.