Les Eaux de Saint-Ronan/27

La bibliothèque libre.
Les Eaux de Saint-Ronan
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 25p. 356-358).


CHAPITRE XXVII.

LA RÉPONSE.


Tu portes un précieux paquet, gentille poste : nitre et soufre… prends garde à l’explosion.
Vieille Comédie.


« J’ai reçu vos deux longues lettres, mon cher Étherington, avec non moins de surprise que d’intérêt ; car ce que je connaissais déjà de vos aventures en Écosse ne suffisait aucunement pour me préparer à un exposé de faits si terriblement compliqué. Mais à présent je suis à vos ordres, plutôt néanmoins par souvenir du passé que par espérance de l’avenir. Je ne suis pas faiseur de phrases, mais vous pouvez compter sur moi tant que je serai Harry Jekill. Il fut un temps où tout vous réussissait : le jeu vous était favorable, les femmes se jetaient à votre tête ; néanmoins, pendant ce temps-là, la vieille épée classique était suspendue sur vous par un crin de cheval ! votre rang était douteux, votre fortune incertaine ; comment votre bonheur vous a-t-il manqué précisément lorsque vous vouliez former une union pour la vie, union que le soin de votre fortune exigeait ?… Étherington, j’en suis étonné.

« C’est un ami qui vous parle ; et s’il vous donne ses conseils dans un langage quelque peu franc, je vous en prie, ne vous en offensez pas. D’abord, il me semble que jusqu’à présent votre conduite n’a ressemblé à rien moins qu’à ce sang-froid et à ce jugement dont vous êtes si heureusement pourvu quand il vous plaît de les déployer. Je passe par dessus la mascarade de votre mariage… c’était un tour d’écolier ; et quand même il aurait réussi, quelle sorte de femme auriez-vous eue, si cette Clara Mowbray eût consenti au changement que vous lui proposiez ? Je ne vous pardonne pas non plus la farce que vous avez jouée au ministre, aux yeux duquel vous avez détruit la réputation de la pauvre fille, pour l’engager à célébrer la cérémonie… ce n’était pas une ruse de guerre permise. Mais enfin toute femme est esclave de son honneur : je n’imagine donc pas qu’il soit bien difficile pour Clara Mowbray de se décider à devenir comtesse, plutôt que d’être un sujet de conversation pour toute la Grande-Bretagne, pendant qu’elle sera engagée en procès avec vous.

« Il est cependant possible qu’il faille du temps à miss Mowbray pour en venir là, et je crains que vous ne soyez gêné dans vos opérations par votre rival. Or, je songe avec plaisir qu’ici je puis vous être de quelque utilité, à cette condition spéciale qu’il n’existera plus la moindre idée de voies de fait entre vous, et que vous emploierez toute la force de votre esprit à combattre cette haine impie. Si vous m’en donnez votre parole, je me jetterai aussitôt dans une chaise de poste pour aller vous joindre. Je chercherai moi-même ce Martigny, et j’ai la vanité de croire que je lui persuaderai de nous débarrasser de sa personne. Mais il ne vous faudra pas, en cas de besoin, regarder à un sacrifice d’argent, même considérable. Je ne puis penser que vous ayez à craindre quelque chose de sérieux d’un procès relativement à vos biens et à votre titre, car je ne puis croire qu’une cérémonie légale ait eu lieu entre votre respectable père et cette dame française. Je vous répète donc que je ne doute pas de pouvoir satisfaire aisément les prétentions de Martigny, et le décider à quitter l’Angleterre. Fiez-vous à moi, je trouverai moyen de le faire fléchir. Peu importe, direz-vous, pour la réussite de vos desseins, que ce soit la distance ou le tombeau qui vous sépare : peu importe ! sinon que de ces deux buts vous pouvez atteindre l’un avec honneur et sans péril, tandis que l’autre, si vous tentiez d’y parvenir, vous attirerait une exécration générale et un châtiment mérité. Dites un mot, et j’arriverai près de vous.

« Harry Jekill. »

À cette épître admonitoire, l’auteur reçut par le retour du courrier la réponse suivante :

« Mon dévoué Harry Jekill me semble avoir pris un ton d’exaltation que n’exigeait pas la circonstance. S’il faut le redire pour la millième fois, je n’ai pas dessein d’agir avec ce drôle comme j’agirais à l’égard de tout autre. Puisque le sang de mon père coule dans ses veines, il sauvera la peau que sa mère lui a donnée : ainsi donc arrivez, sans étaler davantage vos stipulations et vos arguments ; venez à vos propres conditions, et le plus promptement possible. Tout à vous.

Étherington. »

P. S. Un mot encore : ne parlez à personne ni de moi ni de votre projet de voyage. J’ai soigneusement caché à tout autre que vous mon projet de venir ici ; cependant Martigny l’a su et il y est arrivé avant moi. En outre, bien que je n’aie communiqué à personne mes vues sur Clara, on bavarde déjà ici sur mon mariage avec elle… J’aurais dû vous dire dans ma dernière que j’ai été reconnu dans une fête par le ministre qui donna à moi et à Clara la bénédiction nuptiale, il y a environ huit ans. Il voulut à toute force m’appeler encore Valentin Bulmer, nom sous lequel j’étais alors connu ; mais je me suis aisément débarrassé de lui ; car le digne homme est un des gens les plus distraits qui rêvèrent jamais les yeux ouverts. Je crois l’avoir persuadé qu’il ne m’a jamais vu. Pour finir toujours par le même refrain, venez, et venez vite.