Les Excentricités du langage/Édition Dentu, 1865/E

La bibliothèque libre.
E. Dentu (p. 116-128).
◄  D
F  ►

Eau d’affe : Eau-de-vie. V. Paf, Danser.

Ecce homo : Homme dont l’extérieur macéré rappelle celui d’un Christ. — « Humilité incarnée, espèce d’ecce homo. » — David.

échalas : Jambe maigre comme un échalas (Dhautel). — Les jambes fortes sont des Poteaux. — « Joue des guibolles, prends tes échalas à ton cou.» — Montépin.

Échelle (Tirer l’) : Être aussi haut qu’on peut monter et, par conséquent, n’avoir plus besoin d’échelle. — Pris au figuré.

éclairer : Payer d’avance au jeu. — Mot à mot : faire luire (éclairer) sa monnaie. — « C’est pas tout ça, i’faut éclairer. C’est six francs. » — Monselet.

Écluse (Lâcher l’) : Uriner. — « Allons ! il faut lâcher l’écluse du bas rein » — Parodie de Zaïre (dix-huitième siècle).

Écossais : Homme sans pantalon. — Les Écossais ont les jambes nues. — Hospitalité écossaise : Hospitalité gratuite. — Usité depuis les représentations de la Dame blanche.

elbeuf : Habit de drap d’Elbeuf. — « Si l’étoile au mérite N’orne pas mon elbeuf usé. » — Festeau.

Emballer : Arrêter, écrouer. — « Tu vas nous suivre à la Préfecture. Je t’emballe. » — Chenu.

On dit d’un cheval emporté qu’il emballe son cavalier, sans doute parce que celui-ci est réduit au rôle passif d’un simple ballot.

Emballes, Embarras (Faire ses) : « Faire son embarras : Faire beaucoup d’étalage pour peu de chose. » — Dhautel, 1808. — Emballe est une corruption d’embarras.

Emblème : Mensonge, conte fait à plaisir. — Terme ironique inventé sans doute par un ennemi de l’allégorie mythologique dont le peuple comprend mal les finesses. — « Voyez quel emblème ! Sa nièce d’Angoulême Nous met tous à même. » — Decourcelle, 1832. — Emblêmir : Tromper (Vidocq).

Embrouille (Ni vu, ni connu ! je t’ ) : Locution placée ordinairement à la fin d’un récit pour peindre la rapidité d’un acte et la difficulté de l’expliquer. V. Dhautel.

Éméché : Ivre. — Allusion à l’air échevelé des ivrognes. — « Quand je rentre un peu éméché après minuit, elle me dit : La cruche est dans le coin. » — Monselet.

Emmerdement : Peine, ennui. — Emmerder : « Figurément et d’une manière ignoble pour attraper, ennuyer, obséder, injurier. » — Dhautel, 1808.

Emmieller : Emmerder. — « M’emmiell’ra Qui voudra ! Moi, je n’m’emmielle guère. » — Valère, Chanson.

Empaffe : Drap de lit (Vidocq). — Il est à remarquer que paffe veut dire aussi soulier. Appliqué à des objets différents, ce même mot semble être un essai d’harmonie imitative. On a voulu indiquer l’action de se jeter sur le lit ou d’entrer son pied d’un seul coup dans de gros souliers.

Empaffer : Enivrer. V. Paf.

Emplâtre : Empreinte (Vidocq). — Allusion à la couche de cire molle sur laquelle est prise l’empreinte.

Empoigner : Critiquer. — « Attends donc à demain, mon cher, tu verras comment Lucien t’a empoigné.» — Balzac.
Empoigner : Séduire, émouvoir. — « Me parlerez-vous de la fille aux yeux bleus ? Il parait que vous avez été solidement empoigné. » — About. — On dit d’un drame à effet qu’il empoigne son public.

Empoivrer (S’) : S’enivrer. — Mot à mot : s’empourprer. V. Poivre. — « Les fêtes tu t’empoiveras avec ta largue au tapis franc. » — Vidocq.

Emporter : V. Bachotteur. — Emporteur à la côtelette : Grec exerçant son art dans les cafés et dans les restaurants, à la suite d’un déjeuner offert à sa dupe (Vidocq). — Il emporte l’argent de son invité à la côtelette, comme des troupiers emportent à la baïonnette une position. — « Les emporteurs sont des malfaiteurs qui, sous prétexte de payer leurs achats à domicile, font emporter leurs acquisitions par des commis du magasin. Le grand point, c’est de séparer le commis de sa marchandise. Tantôt on le renvoie au magasin pour faire rectifier un prix de la facture, tantôt on le fait entrer par une porte dans un hôtel garni, et l’on en ressort par une autre. » — Al. Monnier.

Empousteur : « Escroc faisant métier de vendre à des détaillants des produits dont le premier dépôt a été acheté par des compères. » — Vidocq.

Ému : Troublé par les fumées du vin. V. Paff. — Le buveur ému est sur le point de s’attendrir. — « Tu me crois ému, vieux… Allons donc ! je boirais dix fois autant. » — Frémy. — « Girard et Maret-Boistrop rentrèrent au quartier légèrement émus, et on ne put les réveiller à l’appel du soir. » — Vidal, 1833.

Encarrade : Entrée. — Encarrer : Entrer. V. Décarer.

ENFILADE : Série de pertes. — « Ils croient que la veine est revenue, mais ils ont une enfilade désespérante. » — Paillet.

S’enfiler : « Terme de jeu. Se laisser aller à jouer gros et perdre. » — Dhautel, 1808. — « Je m’enfile de douze sous. » — Monselet.

ENCRE (Tremper son pied dans l’) : Être consigné. Les soldats consignés portaient autrefois une guêtre blanche et une guêtre noire. — « Il ne sait pas ce que c’est que de tremper son pied dans l’encre, et jamais n’a entrevu la porte de la salle de police. » — Vidal, 1833. — V. Criblage.

ENDÊCHER : Ruiner. — « Je m’endêche de plus en plus ; je viens de mettre au clou la robe de soie. » — H. de Lynol.

ENFANT DE CHOEUR : Pain de sucre (Vidocq). — Allusion à sa petite taille et à sa robe blanche.

ENFLACQUÉ : Emprisonné. — Mot à mot : jeté en — Du vieux mot flaquer : lancer violemment. V. Roquefort. — « C’est donner tout son argent à l’homme enflacqué. » — Balzac.

ENFLÉE : Vessie (Vidocq).

ENFONCER : Dominer. — « Vous n’êtes pas de force au piquet ; je vous enfonce. » — Gavarni.

Enfoncer : Duper. — « Il m’apprenait la vie qu’il fallait mener pour ne pas être enfoncé. » — E. Sue.

Enfoncer : « Lorsqu’on réussit à perdre un journal à force de le décrier, ou un théâtre à force de blâmes, cela s’appelle enfoncer la feuille rivale ou le théâtre ennemi. » — Biogr. des Journalistes, 1826.

Enfonceur : Agent d’affaires, faiseur (Vidocq).

Enfourailler : Arrêter. — Mot à mot : fourrer dedans. — « Va-t’en dire à ma largue que je suis enfouraillé. » — Vidocq.

Enfrimer : Dévisager. V. Frime.

Enganter : Voler, prendre. — C’est un équivalent d’empoigner. Le gant est pris pour la main. V. Chêne.

Engrailler, Égrailler, Érailler : Attraper, prendre (Bailly).

Engueulement : Bordée d’injures. — « Vadé est le Démosthènes de l’engueulement. » — Catéch. poissard, 1844.

Engueuler : Invectiver. — «Et puis j’vous engueule la vilaine. » — Rétif, 1783.

enlevé : Réussi de prime-saut. — On dit : un article enlevé, au journal ; une scène enlevée, au théâtre. — Une œuvre s’enlève à la plume comme une position ennemie s’enlève a la baïonnette.

Enplanquer : Arriver. — « La rousse enplanque. » — Bailly.

enquiller : Entrer. — Mot à mot : jouer des quilles dans… V. Quille. — Ancien mot, car nous trouvons déquiller : sortir, dans Du Cange. V. Baptême. — Enquilleuse : V. Détourner.

Enquiner, Enquiquiner à la course : Insulter.

Enrosser : Donner une rosse pour un bon cheval. — « Des maquignons des Champs-Élysées les ont enrossés. » — Roqueplan.

Entauler : Pénétrer dans une maison. V. Taule.

Enterver, Entraver : Savoir. — Du vieux mot entrever, entrevoir. V. Roquefort. — « Électre le parlait, dit-on, divinement, Iphigénie aussi l’entravait gourdement. » — V. Bigorne.

Entiflement : Mariage. — Entifler : Épouser. V. Antifler.

Entortiller : Circonvenir, captiver. — « Ma chère, voici comment On entortille un amant. » — Festeau.

Entraîner un cheval : « L’animer et l’enivrer graduellement par la course et par des obstacles légers d’abord, dont le plus grand est le dernier. » — Alph. Karr. — Il y a des entraîneurs de profession.

Entraver : V. Enterver.

Entrollement : Vol (Vidocq). V. Dabe, Antroller.

Épatage (Faire de l’), Épate (Faire de l’) : Vouloir en imposer par un grand étalage. — « As-tu fini tes épates avec ta pelure de velours de coton. » — Les Cocottes, 1864. — « Ces jeunes troupiers font de l’épate, des embarras si vous aimez mieux. » — Noriac.

Épater : Stupéfier, émerveiller. — « Il nous regarda d’une façon triomphante, et il dit à ses admirateurs : Je les ai épatés, les bourgeois. — Il avait raison : nous étions émerveillés. » — P. d’Anglemont. — « Elle porte toujours des robes d’une coupe épatante. » — Les Étudiants, 1860.
Épateur : Faiseur d’embarras (Vidocq).

Épicerie : Mesquinerie. — « L’épicerie du siècle avait enfin rompu le cercle magique d’excentricité dont Rodolphe s’était entouré. » — Th. Gautier, 1838.

Épicier : « Les romantiques n’avaient de commun que leur haine des bourgeois qu’ils appelèrent génériquement épiciers (1830). La société ne se divisa plus à leurs yeux qu’en bourgeois et en artistes, — les épiciers et les hommes. » — P. d’Anglemont. — Épicier s’emploie adjectivement : — « Allons, vraiment, c’est épicier. » — Balzac.

Épicer : Railler (Vidocq). — On dit de même saler pour Gronder.

Épinard : Peint en vert cru. — « Le mercier amateur de jolis paysages épinard. » — Daumier.

Époux, Épouse : Amant, maîtresse. — « Vous pouvez amener vos épouses, il y aura noces et festins ; nous avons Adèle Dupuis, Mlle  Millot, ma maîtresse. » — Balzac. — « Les femmes elles-mêmes appellent leurs amants : Mon époux. » — L. Lespès. — V. Monsieur.

Éreintement : Critique excessive.

Éreinter : Maltraiter un écrit. — « Tu pourras parler des actrices… tu éreinteras la petite Noémie. » — E. Augier. — « Donc le livre de Charles fut éreinté à peu près sur toute la ligne. » — De Goncourt.

Es : Escroc (Vidocq). — Abréviation.

Esbigner (S’) : S’enfuir. — « Et l’amant qui s’sent morveux, Voyant qu’on crie à la garde, S’esbigne en disant : Si j’tarde, Nous la gobons tous les deux. » — Désaugiers.

esbrouffe : Fanfaronnades, étalage de grands airs. — « Pas d’esbrouffe ou je repasse du tabac. » — P. Borel, 1833. — « Faut pas faire ton esbrouffe, vois-tu ! ça ne prendrait pas. » — Cogniard, 1831. Vol à l’esbrouffe : V. Caroubleur.

Esbrouffer : Intimider, en imposer. — Du vieux mot esbrouffer : éclabousser. V. Du Cange. — « Allons, mouche-lui le quinquet, ça l’esbrouffera. » — Th. Gautier.

Escape, Escaper : Corruption d’Escarpe.

escarpe, scionneur : « Voleur détournant après minuit sur la voie publique, par violence et quelquefois par assassinat. » — Canler.

Escarper : Assassiner. — Du vieux mot escharper : mutiler, couper en morceaux (Roquefort). — « Mais tu veux donc que je t’escarpe (que je te tue). » — E. Sue. — V. Criblage.

Esclave : Domestique, garçon de restaurant, de café. Le mot date de Ponsard, de Rachel et du temps où l’on inventa de vraies coupes pour boire du champagne. — « Cet esclave pourrait dire vrai… Allons, va prendre l’ancien écriteau. » — Labiche.

esclot : Sabot (Vidocq). — Mot de langue romane. Roquefort.

Escofier : Tuer sur le coup. — Usité dès 1808. — Escofion voulait dire autrefois ou Bonnet de femme ou Mauvais coup. Calotte, à un degré beaucoup plus faible présente encore ce double sens. — « Trois sentinelles ont déjà été escofiées » — Cogniard, 1831.

escrache : Papiers. — Diminutif d’escrit. — « Le curieux a servi ma bille, mais j’ai balancé mes escraches. » — Vidocq. — Escrache tarte : Faux passeport.

Escracher : Demander le passe-port, interroger. — « En passant le portier vous escrache ; J’étais fargué, mais l’habit cachait tout Le jardinant, je frisais ma moustache ; Un peu de toupet, et je passe partout. » — Chans. nouv., Dict. Le Bailly.

Esgard (Faire l’) : Dérober à ses complices une part de vol (Vidocq). — Mot à mot : garder en dehors (exgarder).

espalier : Réunion de figurantes chargées d’animer un décor comme un espalier garnit un mur. — « Les petites filles qui se destinent à être danseuses et qui figurent dans les espaliers, les lointains, les vols, les apothéoses. » — Th. Gautier. — V. Bouisbouis.

Esquintement : Fatigue extrême, lutte meurtrière.

Esquintement : Effraction. — « Cambriolle tu maquilleras par carouble et esquintement. » — Vidocq.
Esquinter : Battre. — « Ceux qui veulent se faire esquinter peuvent venir me trouver, je m’appelle Bonne-Lame. » — Vidal, 1833.
Esquinter : Harasser. — « Que dirais-tu si, au lieu d’avoir le fouet à la main, tu étais obligé de t’esquinter comme nous a la limonière ? » — Buchon.
Esquinter : Fracturer (Vidocq). — Roquefort donne avec le même sens les trois verbes d’esquatir, esquacher, esquisar.
Esquinteur : Voleur par effraction. — « Esquinteurs de boutogue : Enfonceurs de boutiques. » — Vidocq.

Estoc : Esprit, malice (Vidocq). — Acception figurée du mot qui désigne ordinairement une pointe acérée.

Estom : Estomac. — Abréviation. — « Je lui appuie le genou sur l’estom. » Monselet.

Estorgue : Fausseté. — Chasses à l’estorgue : Yeux louches (Vidocq). — Du vieux mot estor : duel, conflit. V. Roquefort. — Deux yeux louches ont l’air en effet de se contrarier ; et, comme on dit dans le peuple, ils se battent en duel. — Un centre à l’estorgue (faux nom) amène de même un malentendu (estor). V. Dévider.

Estourbir : Tuer. — Mot à mot : mettre hors de combat. — Du vieux mot estor : choc, mêlée, duel.(Roquefort). — « En goupinant de cette sorte, les parains seront estourbis ; il sera donc impossible de jamais être marons. » — Vidocq.

estrangouiller : Étrangler (Vidocq). — À peu de chose près, c’est le latin strangulare.

Éteignoir : Nez aussi gros qu’un éteignoir. — « Ah ! Quel nez ! Rien que de l’apercevoir, On s’dit : Dieu ! quel éteignoir ! » — Guinod, 1839. — V. Piston.

Éteignoir : Personne assez maussade pour éteindre la gaîté de ses voisins.

Étoile : Croix d’honneur. — « Ceux qui n’ont pas l’étoile disent : Bon ! je l’aurai une autre fois. » — E. Sue. — Avoir les deux, les trois étoiles : Être nommé général de brigade, général de division. — Les étoiles placées sur l’épaulette sont la marque distinctive de ces deux grades.

Étoile : Femme réputée en tel ou tel genre. On dit indifféremment : une étoile du monde officiel, une étoile du monde galant, une étoile du monde dramatique.

Étrangère (Piquer l’) : Penser à des choses étrangères à celles qui doivent occuper. — « Il en est qui ne se font point scrupule de piquer l’étrangère, bouquiner, piquer un chien, c’est-à-dire rêver pendant les classes, lire des livres interlopes ou se pelotonner dans un coin pour dormir. » — La Bédollière.

Être (L’) : Être trompé par sa maîtresse ou par sa femme. — « C’est notre sort… C’en est fait… je le suis. » — Boucher de Perthes, 1836.

L’Être : Être vierge. — « Je le suis encore, m’a-t-elle dit en riant, je voudrais cesser de l’être par un joli homme comme toi. » — Rétif, 1786.
Être avec : Être maître ou amant. — « Être avec un Anglais, c’était pour les femmes une fortune. » — Villemot.
En être : Être agent secret de la police. — « Il n’est pas assez malin pour en être. » — Balzac.
En être : Être pédéraste (Vidocq) — Ménage, dans ses Origines, avait commencé sa dissertation sur le mot Bougre par ces mots : Bougre : Je suis de l’avis, etc. — « Ah ! lui dit Bautru en se moquant, vous en êtes donc aussi et vous l’imprimez. Tenez ! il y a bien moulé : Bougre je suis. » — T. des Réaux. — On dit encore aujourd’hui dans le même sens : Il en est.

Étroite (Faire son) : Affecter un air virginal.

Étron de mouche : Cire (Vidocq). — Allusion au travail des abeilles.

Étudiante : Maîtresse d’étudiant. — « Toute étudiante pur-sang fume son petit cigare. » — L. Huart. — V. Haute.

Évanouir (S’) : Mourir, s’enfuir.

Expédier : Tuer. — Mot à mot : expédier en l’autre monde.

Extra : Repas plus soigné qu’à l’ordinaire. « Je crois qu’on peut bien se permettre un petit extrà une fois par mois. » — Canler. — Aux tables d’officiers, un extrà est un invité. — Dans un café ou un restaurant on appelle un extrà, soit un plat demandé en dehors de la carte, soit un garçon de supplément qui vient aider au service.