Les Femmes Poëtes au XVIe siècle/Mademoiselle de Gournay

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Les Femmes Poëtes au XVIe siècle

MADEMOISELLE DE GOURNAY

étude sur sa vie et ses ouvrages


On ne saurait nier que, depuis des époques fort reculées, les femmes n’aient en France cultivé les lettres avec succès et rendu de grands services à la langue. Pour le prouver, il suffit de rappeler les noms de Christine de Pisan, de Louise Labé, des deux reines Marguerite ; et cependant, parmi nous plus que chez aucun autre peuple, les hommes, par un sentiment de méfiance et de jalousie, accueillent difficilement la renommée des femmes auteurs. Bien différents des Gaulois et des Germains, nos ancêtres, qui croyaient volontiers que l’inspiration divine résidait dans le sein des femmes, nous ne payons souvent leurs efforts que par la raillerie et le dédain. La personne très-distinguée qui est le sujet de cette étude a pu l’éprouver. Mais si elle n’a pas eu peu à souffrir des préventions de son temps, la postérité, qui est impartiale, ne doit la juger que sur les titres qu’elle a laissés : c’est là du moins ce que nous allons entreprendre.

Les biographes de mademoiselle Le Jars de Gournay ne sont pas d’accord sur la date de sa naissance. Elle-même, très-explicite en général sur ce qui la concerne, ne nous a transmis là-dessus aucune indication positive. En réalité, il paraît constant qu’elle naquit dans les derniers jours de septembre 1565. C’était au moment où Montaigne, dont la destinée se trouva par la suite étroitement liée à la sienne, venait d’atteindre l’âge de trente-deux ans et demi. Après avoir perdu l’ami qu’il ne cessa de pleurer, celui-ci avait cherché dans une autre affection un allégement à ses vifs regrets, et tout récemment il avait épousé Françoise de Chassaigne, la fille d’un conseiller de Bordeaux.

Mademoiselle de Gournay était l’aînée d’une famille assez nombreuse. Plusieurs de ses six frères et sœurs sont mentionnés dans ses ouvrages. Elle nous apprend notamment qu’une de ses sœurs, Léonor de Jars, religieuse à Chanteloup, la précéda de beaucoup d’années au tombeau. Un de ses frères, Augustin de Jars, sieur de Neufvi, à qui son courage promettait un brillant avenir, périt très-jeune sur le champ de bataille. Quant à son père, il appartenait à une de ces races de gentilshommes campagnardes et guerrières, fortes par l’éducation et les exemples, que la politique de nos ministres et de nos rois devait à l’envi abâtardir. La guerre qu’elles faisaient à leurs dépens, pour la gloire du suzerain, en avait appauvri ou ruiné la plupart : de là ce famélique désir d’emplois qui naquit parmi elles au seizième siècle, et dépeupla, pour le séjour des villes, les champs et les manoirs, émoussant la rudesse des façons et aussi la trempe des caractères. La noblesse, détachée du sol où elle avait sa racine et puisait sa vigueur, s’abaissa sous le niveau commun. Comme tant d’autres descendants de bonne maison qui n’avaient plus guère que leur épée, le père de mademoiselle de Gournay, Guillaume de Jars, fut contraint de quitter le ménage de ses champs, pour chercher un office et des ressources à la cour. Là on allait voir, de plus en plus, trafiquant de leur liberté, les fils de nos fiers chevaliers devenir de souples courtisans : transformation qui ne tourna ni au profit de la couronne ni à la gloire du pays.

Nous savons, au reste, par mademoiselle de Gournay, que son père, qui tirait son origine et son nom du bourg de Jars vers Sancerre, était « un personnage d’honneur et d’entendement : » elle a vanté « sa candeur, sa bonté et sa prudence. » Il est certain que son mérite et son dévouement au prince ne demeurèrent pas sans récompense. Assez libéralement traité, il fut trésorier de la maison du roi ; en outre, il eut sous son commandement divers châteaux jadis bâtis par les Anglais sur notre territoire : on l’appelait, à raison de deux d’entre eux, seigneur de Gournay et de Neufvi. Il posséda d’autres charges plus belles encore, si l’on en croit sa fille, mais seulement par commission, c’est-à-dire pour un temps déterminé ; ce qui fait qu’elle s’abstient de les désigner. Quoi qu’il en soit, il aurait réussi sans doute, grâce à son activité laborieuse et aux biens que lui avait apportés sa femme, à placer sa maison dans un brillant état de prospérité, si la mort ne l’eût arrêté au milieu de sa carrière.

Marie de Gournay, car « la sainte Vierge daigna l’honorer de son nom, » n’était encore qu’une enfant, et, suivant son expression, elle florissait à l’ombre de tendres soins, lorsque sa mère devint veuve. Celle-ci s’appelait Jeanne de Hacqueville. Des vers consacrés à sa mémoire célèbrent la chasteté de cette dame, « que Diane avait élevée dans son temple. » C’était une vocation manquée, que devait réaliser sa fille. De bonne noblesse comme son mari, sœur d’un président au grand conseil, et comptant d’autres proches dans les hautes fonctions de la robe, Jeanne de Hacqueville avait eu, nous venons de l’indiquer, un assez beau patrimoine. Mais laissée avec six enfants en bas âge, elle fut appauvrie par les frais d’une maison onéreuse, surtout par les discordes et les guerres qui épuisaient la substance du pays. Dans les luttes sans cesse renaissantes des protestants et des catholiques, le faible était alors également pillé et ruiné par les soldats indisciplinés des deux partis. Pour s’abriter contre leurs déprédations, madame de Gournay s’était retirée en Picardie, dans la petite ville qui portait son nom, et qui, peu distante de Compiègne, n’est plus guère qu’un bourg aujourd’hui. Là se passa la première jeunesse de sa fille aînée, dont l’âge mûr devait voir des jours plus calmes et plus prospères.

Un penchant spontané ou plutôt une véritable passion innée entraînait mademoiselle de Gournay vers l’étude, la localité, comme on le présume aisément, n’offrant que de minces ressources pour le développement des esprits. À la pénurie des maîtres se joignait la disette des conversations. De plus, avec une ignorance qu’elle prenait pour du bon sens, madame de Gournay, peu touchée des besoins de l’intelligence, considérait volontiers comme perdu le temps qui n’était pas donné aux soins du ménage. Mal secondés ou même combattus, les goûts de sa fille pour d’autres occupations que celles de son sexe n’en éclatèrent que plus fortement ; ses progrès solitaires n’en furent que plus réels. À des heures pour la plupart adroitement dérobées aux travaux de l’aiguille, la jeune Marie, comme elle le rapporte, « apprit le latin seule, sans grammaire et sans maître. » Par une sorte de divination, elle se familiarisa avec cette langue, en confrontant dans quelques traductions d’anciens auteurs, débris de la bibliothèque paternelle, le texte original à la version française. Cette insuffisance des moyens d’instruction, en la faisant beaucoup chercher et comparer, eut un effet heureux, celui de fortifier en elle la réflexion, plus précieuse que tous les livres. Non contente d’être devenue une assez bonne latiniste, elle voulut pareillement aborder la connaissance du grec : toutefois les difficultés qu’elle rencontra la contraignirent à lâcher prise, désespérant d’y pénétrer assez avant ; elle n’en posséda guère que les éléments, et dans la suite elle nous dit « qu’elle les avait presque totalement oubliés. » Néanmoins, à la prière d’un gentilhomme, elle traduisit, dans Diogène de Laërce, la vie de Socrate. On le remarquera d’ailleurs à son éloge : elle préférait à l’étude des mots celle des choses ; et, dans ses lectures multipliées, elle s’attachait principalement aux écrivains qui traitaient de la philosophie et de la morale.

Elle avait atteint, dans cette éducation toute personnelle, dix-neuf ou vingt ans, lorsque les Essais, dont les deux premiers livres avaient paru en 1580, à Bordeaux, tombèrent par hasard entre ses mains. Elle éprouva de leur lecture cette commotion électrique, qu’à son jour et à son heure tout esprit d’avenir reçoit d’un livre ou d’une idée qui l’illumine et le révèle à lui-même. Elle a peint avec feu l’enthousiasme dont elle fut saisie par cette œuvre qui offrait un monde nouveau à ses regards. Ce fut pour elle l’étincelle de passion nécessaire au talent pour le faire éclore, ou comme le choc qui donne à l’âme oisive l’impulsion secrète. Peu s’en fallut, dit-elle, qu’à son transport on ne la prît pour une visionnaire. Son goût, plus que la réputation naissante et indécise des Essais, lui en avait découvert l’excellence. Il lui sembla qu’ils l’initiaient tout d’abord à des pensées qu’elle n’avait jusque-là que pressenties, et qu’une sympathie fatale attirait invinciblement son génie vers celui de Montaigne.

Mademoiselle de Gournay n’eut pas dès lors de plus vif désir que celui de lier connaissance avec l’auteur du chef-d’œuvre aimé : ce vœu ne devait se réaliser toutefois qu’environ trois ans après, dans un voyage qu’elle fit avec sa mère à Paris, lorsque Montaigne s’y trouvait lui-même pour réimprimer son ouvrage qu’il avait récemment complété. C’était en 1588 : instruite de cette heureuse rencontre, mademoiselle de Gournay envoya aussitôt un exprès le saluer et lui déclarer l’estime qu’elle avait conçue pour sa personne et pour son livre. L’écrivain, en réponse à un message si flatteur, vint dès le lendemain la voir et la remercier, « lui présentant, dit-elle, l’affection et l’alliance de père à fille : » l’un avait atteint sa cinquante-cinquième année ; l’autre touchait à peine à sa vingt-troisième. L’offre fut, comme on pense, acceptée de grand cœur, et de nombreuses visites, durant les huit ou neuf mois de séjour de Montaigne dans la capitale, cimentèrent cette union intellectuelle. Il consentit, en outre, à suivre les deux dames et à demeurer assez longtemps auprès d’elles dans leur maison de Gournay. C’était de retour dans son château que, plein du souvenir des tendres attentions dont il avait été l’objet, il écrivait les lignes suivantes, en revoyant le deuxième livre des Essais :

« J’ai pris plaisir à publier en plusieurs lieux l’espérance que j’ai de Marie de Gournay le Jars, ma fille d’alliance, et certes aimée de moi beaucoup plus que paternellement, et enveloppée en ma retraite et solitude comme l’une des meilleures parties de mon propre être. Je ne regarde plus qu’elle au monde. Si l’adolescence peut donner présage, cette âme sera quelque jour capable des plus belles choses, et entre autres de la perfection de cette très-sainte amitié, où nous ne lisons point que son sexe ait pu monter encore[1]… »

Différents passages de mademoiselle de Gournay attestent que ses rapports avec le Sénèque français, comme Juste Lipse appelait Montaigne, n’avaient pas laissé chez elle de moins chers souvenirs. Son admiration et sa reconnaissance y sont vivement empreintes : car de ce titre de fille d’alliance, elle n’était pas, selon ses propres termes, moins glorieuse « qu’elle ne l’eût été d’être mère des Muses mêmes. » Ailleurs elle se félicite de devoir « à ce second père l’instruction de son esprit : » il est certain qu’il put en goûter et contribua à en mûrir les premiers fruits. En d’autres termes, elle lui soumit les essais de sa plume, et il ne lui refusa ni ses encouragements ni ses conseils. Le Promenoir de Montaigne paraît en effet dater de l’époque où celui-ci reçut l’hospitalité à Gournay ; et tout annonce que cet opuscule est la plus ancienne production de notre auteur.

Cette histoire romanesque, rééditée plusieurs fois, tire son nom de ce qu’elle la raconta, nous dit-elle, à son père adoptif, en se promenant avec lui, un jour qu’ils devisaient des funestes effets qu’entraînent les passions : elle la lui adressa ensuite, peut-être imprimée, en 1589. C’est un accident tragique, tel que l’amour en a souvent causé, comme le rapporte Plutarque : elle en a puisé l’idée dans un livre a dont le nom lui a échappé. » Voici la fable :

« Un roi des Parthes, après avoir triomphé de la Perse, demanda au souverain de ce dernier pays, comme gage et condition de la paix, qu’il lui donnât en mariage une de ses parentes, aussi belle que bien née. Alinda, c’était le nom de cette princesse, fille du satrape Orondatès, l’oncle du monarque persan et le second personnage de l’empire, répugnait beaucoup à l’idée de quitter le sol natal et de contracter un hymen étranger ; cependant elle se soumit par patriotisme et par affection filiale ; elle partit sous la conduite de son père. Dès le premier gîte, ils s’arrêtèrent chez un vieux seigneur, qui avait jadis habité la cour et qui se consolait dans la retraite en élevant un fils, appelé Léontin, doué de l’extérieur le plus séduisant : rencontre périlleuse, dont mademoiselle de Gournay prend occasion pour disserter sur les caractères de l’amour et sur ses causes, ainsi que ses espèces et ses résultats, La digression est un peu prolongée, et l’auteur, qui s’en aperçoit, allègue pour son excuse la puissance même de l’amour. Cette puissance devait être éprouvée par Alinda et Léontin. Le jeune homme, comme on le pense, n’avait pu voir la belle fiancée sans une vive admiration, à laquelle se mêla presque aussitôt un sentiment plus tendre. Un accident vint seconder le développement de cette passion et la rendre insurmontable. Le satrape fut retenu dans ce séjour par une maladie soudaine. À la faveur de ce délai, Léontin, de plus en plus épris, fit partager son amour à la jeune fille, qui consentit, après de longs combats, à s’enfuir avec lui. Une barque arrêtée dans le port voisin reçut les fugitifs. Mais la colère des dieux ne tarda pas à les poursuivre. Une tempête affreuse éclata et les jeta sur une plage lointaine, dans une contrée sauvage de la Thrace, où l’un des plus riches et des principaux habitants du pays leur offrit une hospitalité destinée à leur être funeste. »

Ici le roman se complique :

« En effet ce seigneur, bien qu’il n’eût connu jusque-là d’autre goût que celui de la guerre et de la chasse, fut d’abord troublé, ensuite subjugué par la beauté d’Alinda : dès lors il ne songea plus qu’à remplacer son ravisseur auprès d’elle. Il saisit l’occasion d’un moment où elle était seule pour lui découvrir sa passion. Celle-ci le repoussa avec une douceur prudente : le cœur plein d’amour pour Léontin, elle comprenait qu’elle était, ainsi que lui, au pouvoir du barbare ; elle s’abstint donc de l’irriter, de le désespérer. Othalque, tel était son nom, put se méprendre par ce motif sur les dispositions où elle était à son égard. Plus charmé que jamais, il redoubla de soins, et s’empressa de tout mettre en œuvre pour éloigner son rival. Un moyen facile de succès se présentait à lui : il avait une sœur dont la grâce avait captivé Léontin, et qui de son côté n’était pas insensible aux charmes de l’étranger ; il imagina de les unir, et ne rencontra des deux côtés aucun obstacle à son projet. Restait Alinda trahie, dont il se préparait à être le consolateur ; mais celle-ci, dès qu’elle eut acquis la certitude de ce cruel abandon, résolut de ne pas y survivre. Loin de se plaindre d’être sacrifiée, elle feignit toutefois de prêter l’oreille aux sollicitations d’Othalque, qui venait lui renouveler l’offre de sa main. Elle le flatta même de l’espoir d’un prompt bonheur ; seulement elle réclamait de lui une complaisance : c’était qu’il donnât l’ordre de tuer dans son lit une vieille servante, dont la langue téméraire, disait-elle, ne l’avait pas épargnée. Il ne coûtait guère à un Thrace d’accorder une telle grâce : l’exécution fut commandée pour la nuit prochaine. Cependant une autre victime s’apprêtait à périr. Après avoir écrit au perfide Léontin une lettre touchante qui devait lui apprendre le lendemain pourquoi elle avait voulu mourir, elle prit la place de celle qui était désignée aux coups de l’aveugle Othalque. Les satellites l’égorgèrent effectivement : puis, s’apercevant de leur méprise, ils s’enfuirent épouvantés. En ce moment le barbare accourait, impatient de savoir le meurtre accompli, pour en porter à celle qu’il aimait la première nouvelle ; à la vue de ce corps ensanglanté, quelle fut sa stupeur ! Léontin, au même instant, troublé du message qu’il avait reçu, cherchait de tous côtés Alinda. Attiré par les cris qui retentissaient autour du cadavre, il se précipite, la reconnaît, la serre dans ses bras, tente de la réchauffer contre son sein, et presque aussitôt, lassé de ses impuissants efforts, il tire son poignard et se punit, en se perçant le cœur, du crime d’avoir causé ce trépas. Un tombeau, élevé par les soins du Thrace et de sa sœur désespérés, réunit les cendres des deux époux. »

Par la variété et par la nature de ses incidents, cette histoire était très-propre à plaire au seizième siècle : elle eut assez de vogue pour ne pas manquer de critiques. Les rigoureux du temps reprochèrent à mademoiselle de Gournay d’avoir traité un sujet amoureux. C’est ce qu’elle nous apprend en reproduisant cette œuvre de sa jeunesse, sur l’invitation expresse de quelques dames du premier rang ; et à cette occasion, pour réfuter ses censeurs, elle se couvre de l’exemple d’Héliodore, qui n’avait pas craint, disait-elle, aussi éminent prélat qu’illustre écrivain, d’aborder de telles matières ; de saint Augustin, qui avait pleuré sur la Didon de Virgile ; enfin de du Perron (le rapprochement paraîtra singulier), qui avait traduit, en mourant, les plaintes de la reine de Carthage. Il eût été plus juste de blâmer dans cet opuscule, qui vise trop aux grands mouvements, une absence presque continue de vérité et de naturel. Mademoiselle de Gournay n’a garde d’être simple dans ce récit, qui, naïvement tracé, eût été plus touchant. Elle s’applique à tout orner, à tout embellir ; elle ne saurait permettre que ses personnages se désolent sans agrément : aux éclats de la douleur, aux plaintes du désespoir se mêlent en abondance des traits d’esprit et des pointes. Les discours sont d’ailleurs aussi multipliés qu’étendus ; même avant de se donner la mort, les deux héros prennent le temps de parler beaucoup, avec infiniment de soin et d’étude. Leur passion s’analyse et raisonne fort bien : chacun d’eux prouve en règle qu’il doit mourir. Cette rhétorique prétentieuse ne laisse pas que d’être pour le lecteur assez fatigante ; mais ce défaut n’était nullement particulier à l’auteur du Promenoir. On ne savait pas alors se hâter vers le dénoûment, on s’attardait dans les détours, on mêlait, on troublait à plaisir les fils du récit : la recherche des beautés de détail étouffait l’effet de l’ensemble.

La composition de mademoiselle de Gournay n’est pas néanmoins dénuée de qualités louables : on y trouve de l’intérêt et un certain feu d’imagination. L’intrigue, quoique compliquée à l’excès, n’est pas sans art ; le style, musqué et mignard, n’est pas sans vivacité et sans souplesse. Trop chargée de réflexions, la narration offre par intervalles des traits bien sentis. Ce n’est pas l’œuvre d’un esprit vulgaire. À côté de la manière et de l’effort se rencontrent la facilité et la grâce : si en subtilisant sur la nature et l’effet des passions, l’auteur tombe souvent dans le faux, la femme a quelquefois aussi des aperçus justes et des accents vrais. On peut encore recommander cette lecture, curieuse à plus d’un titre, aux studieux qui ne dédaignent pas de sortir des chefs-d’œuvre.

Deux ans après avoir terminé cet ouvrage, mademoiselle de Gournay perdit sa mère, en 1591 : elle avait alors vingt-six ans. Le besoin des affaires que lui causa ce décès l’ayant conduite à Paris, elle ne tarda pas à s’y fixer. On ne sera point surpris que le séjour de la petite ville où sa jeunesse s’était passée obscurément eût conservé peu d’attrait pour elle ; mais on a dit que le malheur des temps, après la mort de son père, avait bien resserré l’aisance de la veuve et des orphelins : l’héritage sauvé par la prudence de la mère n’assura aux quatre enfants qui lui survivaient que des ressources très-restreintes, eu égard à leur naissance. Là-dessus mademoiselle de Gournay, accusée de s’être ruinée par sa prodigalité, comme on le verra plus loin, est entrée dans de minutieux détails. Il en résulte que la part d’un aîné prélevée (c’était, il est vrai, la part du lion), il restait à peu près pour chacun des trois enfants 2,400 livres de revenu, que diminuèrent en outre des procès, des suppressions de rentes et divers accidents semblables dont on trouvera chez elle l’énumération.

Pendant qu’elle recueillait les débris de la fortune maternelle, un coup qui ne lui fut guère moins rude frappa encore son cœur, qui saignait d’une plaie si récente. Elle reçut à Paris, en 1592, la nouvelle de la mort de Montaigne, si bien racontée par Pasquier[2]. Une correspondance assidue avait rendu de plus en plus étroits les liens de cette généreuse et philosophique amitié, qui unissait la fille d’alliance à son père adoptif. Dans ses regrets amers, elle n’envisagea d’autre consolation que celle d’aller contempler les lieux qu’il avait aimés, chercher sa mémoire au séjour où elle s’était plus vivement empreinte, pleurer sur son tombeau et mêler ses larmes aux larmes de sa femme et de la fille unique qu’il avait laissée. Mais comment effectuer ce pèlerinage ? La France était toute en armes : les villes, derrière leurs ponts-levis, relevaient leurs remparts ; les villages étaient fermés ou déserts, les communications interrompues. L’herbe, on l’apprend par les mémoires du temps, croissait sur les grands chemins, et, répandus dans les plaines dévastées, des soldats indisciplinés pillaient les gens des deux religions, sans distinction et sans pitié. Un voyage était une campagne : mademoiselle de Gournay l’entreprit résolument pour obéir à un devoir qu’elle jugeait sacré, et, protégée par son seul courage, elle parvint à accomplir sans mésaventure cette expédition périlleuse. Elle ne demeura pas moins de quinze mois à Montaigne, pour soulager une douleur qu’elle partageait : touchant spectacle que de voir ces trois femmes rassemblées par le regret commun d’un grand homme et par son pieux souvenir. Cimentée ainsi, leur liaison se maintint aussi tendre que durable ; elle ne cessa, de près ou de loin, d’être religieusement entretenue de part et d’autre par d’affectueux témoignages. Un attachement plus que fraternel, ce sont les termes que mademoiselle de Gournay emploie, l’unit surtout, depuis cette époque, à la jeune Éléonore, dont nous parlent les Essais, qu’elle appelait sa sœur d’alliance et qu’elle nous représente « comme touchée de quelque amour des Muses et de leurs vertus. » On aime à croire que cet éloge put s’appliquer justement à la fille de Montaigne, et qu’elle méritait l’hommage poétique qui lui fut plus tard décerné par mademoiselle de Gournay.

Une autre diversion que celle-ci trouva à son chagrin, ce fut de se dévouer à la gloire de l’ouvrage qui l’avait si fort captivée. La mort avait frappé l’auteur des Essais, au moment où il se préparait à donner de son livre une édition nouvelle qui devait offrir plus d’une amélioration sur celle de 1588. Les matériaux amassés à cet effet furent remis à sa fille d’adoption. Entourée de tous les secours que son intérêt pour une gloire si chère pouvait désirer, elle s’empressa d’accepter une mission que la tendresse de Montaigne semblait d’ailleurs lui avoir léguée.

Son admiration, assez manifestée par ce vers qu’elle voulait que l’on gravât au frontispice des Essais, comme la seule devise qui en fut digne,

Montaigne écrit ce livre, Apollon l’a conçu,


semble garantir le zèle patient et le scrupule qu’elle apporta dans la reproduction de ce chef-d’œuvre : son respect filial lui en imposait de plus l’obligation. Cependant on a, de nos jours, accusé mademoiselle de Gournay de n’avoir pas suivi le texte original avec assez de fidélité et de rigueur : reproche qui ne doit pas rester sans examen et sans réfutation.

La vérité est que Montaigne avait laissé à sa mort deux exemplaires de la dernière édition des Essais, corrigés et augmentés de sa main ; l’un d’eux, déposé dans la bibliothèque de la communauté des feuillants à Bordeaux, y dormit environ deux siècles. C’est seulement à l’époque de la révolution, et lorsque la bibliothèque des religieux devint la propriété de la ville, qu’il revit le jour et fut consulté. Quelques érudits ne l’ont pas depuis feuilleté sans profit. Livré à mademoiselle de Gournay, l’autre exemplaire a été la base du texte qu’elle a suivi. Rien de plus clairement établi, rien de plus incontestable que cette provenance. Par malheur, la trace de cet exemplaire est présentement perdue ; mais on ne saurait nier qu’il ait survécu longtemps à l’impression[3].

Les nombreuses éditions des Essais qui se sont succédé jusque aujourd’hui ont très-justement, ce semble, adopté pour modèle celle qui a été publiée par la fille d’alliance de Montaigne. Deux toutefois se sont écartées de son texte, celles de Naigeon et d’Amaury-Duval : on ne s’étonnera donc pas que ce dernier, pour être conséquent, en ait contesté l’exactitude. Avec d’excellents critiques, il n’en faut pas moins croire qu’il est digne de toute confiance, et que ceux qui ont mal à propos prétendu mieux faire méritent d’être condamnés.

Ce fut en 1595 que parut l’édition des Essais, commencée par mademoiselle de Gournay aussitôt après son retour à Paris. Mais à quarante ans de là, en 1635, elle donna de ce travail une réimpression perfectionnée et dont nous croyons devoir parler dès à présent.

Constatons d’abord que, malgré d’imposants suffrages déjà produits en leur faveur, les Essais étaient loin à cette époque d’avoir obtenu cette vogue populaire qui les a fait depuis reproduire tant de fois. L’attachement filial de mademoiselle de Gournay, on ne craindra pas de le dire, n’a certes pas été inutile à la gloire de Montaigne. Pour entreprendre cette nouvelle édition, dont le besoin n’était pas senti généralement, elle dut s’adresser à beaucoup de personnages en crédit, qu’elle sut mettre dans les intérêts de son admiration affectueuse. C’est donc bien à tort que Chapelain, au lieu de louer son dévouement courageux, lui a reproché d’avoir spéculé avidement sur une publication dont elle n’aurait pu, sans le concours bienveillant qu’elle réclama, supporter les frais considérables. Parmi les grands seigneurs dont la libéralité empêcha, comme elle nous l’apprend, que son zèle restât mutile, figurait en première ligne le cardinal premier ministre. La reconnaissance de mademoiselle de Gournay lui dédia cette magnifique édition in-folio, précédée d’une très-curieuse préface. Bayle n’en a pas sans raison recommandé la lecture, et la prédilection que mademoiselle de Gournay a témoignée elle-même pour ce morceau semblera, à qui en voudra prendre connaissance, parfaitement fondée. Après s’y être plainte du froid accueil que les Essais avaient trouvé près du vulgaire, elle relevait, avec un singulier jugement, dont les conclusions ont été acceptées, le mérite de cet ouvrage : suivant elle, « c’était une œuvre non à goûter d’une attention superficielle, mais à digérer avec une application profonde. » Par un de ces jeux de mots qu’affectionnait l’époque, elle ajoutait que « pour en décrire la langue, il fallait la transcrire ; » surtout elle s’arrêtait de préférence, entre les parties saillantes de Montaigne, à ce qu’il avait dit de l’amitié, « sur laquelle il a rencontré ce que les autres semblent seulement avoir cherché jusqu’ici, » comme aussi il avait parlé en maître « de la néantise et vanité de l’homme en l’apologie de Sebonde, pièce si rare en son espèce que le souhait n’y pouvait ajouter. » Il serait aisé de multiplier les citations ; mentionnons plutôt une petite découverte de l’érudition contemporaine. On avait longtemps attribué à Pascal tout l’honneur de ce mot célèbre sur l’immensité de Dieu : « C’est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. » Cette définition sublime est littéralement contenue dans la préface de mademoiselle de Gournay, qui l’a sans doute empruntée à l’un des plus grand docteurs de l’Église, saint Bonaventure, chez qui elle se trouve, ou qui peut-être aussi s’est contentée de la prendre à Gerson ou Rabelais, chez qui elle se lit également.[4]

Une circonstance qui ajouta encore beaucoup de prix au travail de mademoiselle de Gournay et qui mérite notre reconnaissance, c’est que, la première, elle a traduit en français les passages grecs, latins, italiens, cités par Montaigne, et qu’elle en a recherché les sources, non indiquées jusque-là : rude et laborieuse entreprise, où elle n’eut d’autre secours que sa patience et son savoir, Qu’elle se soit trompée sur l’interprétation de plusieurs de ces textes, si multipliés dans les Essais ; qu’elle ait commis des inexactitudes en rapportant leur origine, on n’en saurait donc être surpris. Là-dessus il est très-facile sans doute de relever des fautes de détail ; mais si elle a souvent failli, qui pourrait se flatter d’éviter les faux pas, en pénétrant dans une route semée d’obstacles et inexplorée ? Niceron, qui ne s’abstient pas de critiques particulières, dit qu’en somme on n’a pas songé à mieux faire pendant longtemps.

Nous avons cru devoir grouper ici tout ce qui lie le souvenir de mademoiselle de Gournay à la destinée des Essais. Reportons-nous au moment où elle revint à Paris après son séjour prolongé dans le château de Montaigne. On a vu que les affaires de la succession maternelle l’avaient ramenée dans la capitale, et que ses penchants littéraires l’y avaient retenue. Sa première jeunesse était passée ; elle ne paraît pas avoir eu la pensée de s’établir : on croira aisément que son goût dominant pour les travaux de l’esprit se fût peu concilié avec les occupations de la mère de famille, et qu’elle ne voulut avoir de souci que celui des lettres. « Héritière des études de ce grand homme, dit Pasquier dans sa belle lettre sur Montaigne, elle se proposa de n’avoir jamais autre mari que son honneur, enrichi par la lecture des bons livres. » Quoi qu’il en soit, elle vécut assez répandue dans le monde distingué et entourée des égards de la bonne compagnie, mais non sans attirer aussi, par quelques singularités d’humeur, la maligne attention des oisifs et des plaisants de profession. On la raillait d’abord d’être demeurée fille, ce qui a toujours été chez nous une source intarissable de facéties plus ou moins mauvaises ; on raillait en outre sa qualité d’auteur : car alors, comme aujourd’hui, nous l’avons déjà indiqué, on voyait volontiers les femmes se renfermer dans le mérite suprême que leur attribue Thucydide, celui de l’obscurité et du silence. Il semble que nous éprouvions le besoin de nous venger de celles qui, non contentes d’avoir de l’esprit pour elles-mêmes, en font profiter le public, et que nous voulions punir par les quolibets la prééminence intellectuelle d’un sexe qui a sur nous tant d’autres avantages.

Cette rancune des hommes contre l’esprit des femmes se manifesta, au sujet de mademoiselle de Gournay, par quelques niches que racontent les mémoires du temps. Parmi elles, l’aventure des trois Racan est la plus comique. Nous en devons le récit à Tallemant des Réaux[5]. Celui-ci, fort curieux d’anecdotes malignes, et assez médisant, comme on sait, après avoir peint le poëte Racan, « qui avait la mine d’un fermier, bégayait et ne pouvait prononcer son nom (l’r et le c étaient les deux lettres qu’il articulait le plus mal), » continue en ces termes : « Étant tel que je viens de vous le dire, le chevalier de Bueil et Yvrande, sachant un jour qu’il devait aller sur les trois heures remercier mademoiselle de Gournay, qui lui avait donné son livre (il s’agit de son Ombre, publiée en 1626), s’avisèrent de lui faire une malice, et à la pauvre pucelle aussi. Le chevalier y va vers une heure : il heurte ; Jamyn, c’était sa chambrière, annonce à la demoiselle qu’un gentilhomme la demandait. Elle faisait des vers, et elle dit en se levant : « Cette pensée était belle, mais elle pourra revenir, et ce cavalier peut-être ne reviendrait pas. » Il dit qu’il était Racan : elle, qui ne le connaissait que de réputation, le crut, Elle lui fit mille civilités à sa mode, et le remercia surtout de ce qu’étant jeune et bien fait, il ne dédaignait pas de venir visiter la vieille (elle pouvait avoir soixante ans). Le chevalier, qui avait de l’esprit, lui fit bien des contes. Elle était ravie de le voir d’aussi belle humeur, et disait à Jamyn, voyant que sa chatte miaulait : « Jamyn, faites taire ma mie Piaillon, pour écouter M. de Racan. » Dès que celui-là fut parti, Yvrande arrive, qui, trouvant la porte entr’ouverte, dit en se glissant :

« — J’entre bien librement, mademoiselle ; mais l’illustre mademoiselle de Gournay ne doit pas être traitée comme le commun.

« — Ce compliment me plaît, s’écria la pucelle. Jamyn, mes tablettes, que je le marque.

« — Je viens vous remercier, mademoiselle, de l’honneur que vous m’avez fait de me donner votre livre.

« — Moi, monsieur, reprit-elle, je ne vous l’ai pas donné, mais je devrais l’avoir fait. Jamyn, une Ombre pour ce gentilhomme.

« — J’en ai une, mademoiselle ; et, pour vous montrer cela, il y a telle et telle chose en tel chapitre.

« Après, il lui dit qu’en revanche il lui apportait des vers de sa façon ; elle les prend et les lit.

« — Voilà qui est gentil, Jamyn, disait-elle ; Jamyn en peut être, monsieur : elle est fille naturelle d’Amadis Jamyn[6], page de Ronsard. Cela est gentil ; ici vous Malherbisez, ici vous Colombisez[7], cela est gentil. Mais ne saurai-je point votre nom ?

« — Mademoiselle, je m’appelle Racan.

« — Monsieur, vous vous moquez de moi.

« — Moi, mademoiselle, me moquer de cette héroïne, de la fille d’alliance du grand Montaigne, de cette illustre fille de qui Lipse a dit : Videmus quid sit paritura ista virgo !

« — Bien, bien, dit-elle, celui qui vient de sortir a donc voulu se moquer de moi, ou peut-être vous-même vous en voulez-vous moquer ; mais n’importe, la jeunesse peut rire de la vieillesse. Je suis toujours bien aise d’avoir vu deux gentilshommes si bien faits et si spirituels.

« Et là-dessus, ils se séparèrent. Un moment après, voilà le vrai Racan qui entre tout essoufflé. Il était un peu asthmatique, et la demoiselle était logée au troisième étage.

« Mademoiselle, lui dit-il sans cérémonie, excusez si je prends un siège.

« Il fit tout cela de fort mauvaise grâce, et en bégayant.

« — Oh ! la ridicule figure, Jamyn, dit mademoiselle de Gournay.

« — Mademoiselle, dans un quart d’heure je vous dirai pourquoi je suis venu ici, quand j’aurai repris mon haleine. Où diable vous êtes-vous venue loger si haut ? Ah ! disait-il en soufflant, qu’il y a haut ! Mademoiselle, je vous rends grâce de votre présent, de votre Omble que vous m’avez donnée, je vous en suis bien obligé.

« La pucelle cependant regardait cet homme avec un air dédaigneux.

« — Jamyn, dit-elle, désabusez ce pauvre gentilhomme ; je n’en ai donné qu’à tel et à tel ; qu’à M. de Malherbe et à M. de Racan.

« — Eh ! mademoiselle, c’est moi.

« — Voyez, Jamyn, le joli personnage ! au moins les deux autres étaient-ils plaisants. Mais celui-ci est un méchant bouffon.

« — Mademoiselle je suis le vrai Racan.

« — Je ne sais pas qui vous êtes, répondit-elle, mais vous êtes le plus sot des trois. Merdieu ! je n’entends pas qu’on me raille.

« La voilà en fureur. Racan, ne sachant que faire, aperçoit un recueil de ses vers.

« — Mademoiselle, lui dit-il, prenez ce livre, et je vous dirai tous mes vers par cœur.

« Cela ne l’apaise point : elle crie au voleur ! Des gens montent ; Racan se pend à la corde de la montée, et se laisse couler en bas. Le jour même elle apprit toute l’histoire ; la voilà au désespoir : elle emprunte un carrosse, et le lendemain, de bonne heure, elle va le trouver chez M. de Bellegarde, où il logeait. Il était encore au lit ; il dormait : elle tire le rideau ; il l’aperçoit et se sauve dans un cabinet. Pour l’en faire sortir il fallut capituler. Depuis ils furent les meilleurs amis du monde. Bois-Robert joue cela admirablement ; on appelle cette pièce les Trois Racan. Il les a joués devant Racan même, qui en riait jusqu’aux larmes, et disait : « Il dit vlai, il dit vlai[8]. »

Ménage a rapporté la même aventure, mais avec quelques variantes[9]. Suivant lui, la vive demoiselle, passant des paroles aux faits, mit, pour punir celui dont elle se croyait jouée, sa pantoufle à la main. Le marquis de Racan, bon homme et poëte estimable, n’avait pas, comme on a dit, la parole agile. La vue de la pantoufle levée acheva de paralyser sa langue, déjà fort entravée par le bégayement qui lui était naturel. Il tourna les talons au plus vite, et ne se crut en sûreté que lorsqu’il eut placé l’escalier entre lui et mademoiselle de Gournay. Le lecteur choisira entre ces deux versions : il faut observer seulement que Ménage, dans cette anecdote, a commis une erreur en appelant mademoiselle de Gournay une demoiselle gasconne. La pétulance de son humeur, ou peut-être aussi les liens qui l’unirent à Montaigne, l’ont trompé : d’origine picarde, elle était née à Paris, et, suivant l’usage des gens de lettres du temps, elle s’en faisait un titre d’honneur. Dans son Discours à Sophrosyne, placé en tête des dernières éditions de ses œuvres, elle se qualifie de « Parisienne, zélée à ce berceau, huitième merveille du monde ; » elle s’applaudira donc, par ce motif, que « ses écrits, pour être nés à Paris, soient baptisés du nom de Parisiens. »

Le trait raconté par Tallemant et par Ménage fait bien ressortir, en tous cas, cette humeur brusque et impétueuse, ce caractère irritable dont elle s’est accusée elle-même dans des vers où elle peint ses mœurs avec une franchise qui croit n’avoir rien à déguiser :

.....Je suis d’humeur bouillante ;
Je suis impatiente et sujette à courroux.

Ce n’était qu’à grand’peine, dit-elle, qu’elle parvenait à dominer la vivacité de ses impressions et à pardonner les offenses ; mais elle ajoute noblement :

L’injure plus qu’à nul à mon cœur est amère :
J’aimerais mieux pourtant la souffrir que la faire.

Elle revient encore sur ce sujet, dans une Apologie en prose, dont nous aurons à nous occuper plus tard. On y trouvera la trace de quelques travers qui lui furent plus ou moins sérieusement reprochés, mais qui la rendirent surtout justiciable des rieurs. De là d’autres histoires qui ont défrayé les compagnies et les recueils du temps. Sa chatte, digne objet de sa passion, comme elle a pris soin de nous l’apprendre dans ses vers, n’a pas été oubliée[10]. Relevons, à cette occasion, une méprise de l’abbé de Marolles, qui en a fait un chat : Tallemant est mieux informé.

C’est aussi ce dernier qui rapporte les autres tours plaisants que lui jouèrent les pestes qui s’attachèrent à elle : « On supposa une lettre du roi Jacques d’Angleterre, par laquelle il lui demandait sa vie et son portrait. Elle fut six semaines à faire sa vie (il en sera question ailleurs) ; elle se fit barbouiller, et envoya tout cela en Angleterre, où l’on ne savait ce que cela voulait dire. »

Saint-Amant, dans son Poëte crotté, l’a maltraitée encore avec plus de méchanceté que d’esprit. Bois-Robert, on a pu le remarquer plus haut, ou, pour parler le langage du temps, l’abbé de Bois-Robert, ne se faisait pas faute de s’amuser d’elle ; mais sa malice était du moins sans amertume : elle-même l’appelait le bon abbé. Il est vrai que le lieutenant d’Apollon, ainsi qu’elle le nomme dans ses Épigrammes, fort goûté de Richelieu, dont il chassait la mélancolie, était souvent le canal des grâces de Son Éminence.

Les courtisans notamment lui firent une rude guerre : on peut le conjecturer par les traits que, dans ses ouvrages, elle ne cesse de leur décocher. Une pièce dirigée contre ses détracteurs, dont elle se préoccupe beaucoup trop pour son repos, renferme ce distique :

Le monde est une cage à fous :
Gens de cour le sont plus que tous.

Aussi son antipathie est-elle acquise à cette race, fort sotte effectivement à cette époque, si on la juge sur le portrait qu’elle nous en a tracé. Bavards, oisifs et railleurs, les courtisans, d’après elle, avec l’aplomb de l’incapacité suffisante, dénigraient tout pour n’avoir besoin de rien apprendre. Ils croyaient, et pour cause, ce que Fontenelle leur reprochait encore au dix-huitième siècle[11], qu’il n’y avait rien de plus noble que de ne rien savoir. Leur fatuité et leur ineptie, ou, suivant l’expression de mademoiselle de Gournay, leur bec jaune[12], servent de texte inépuisable à ses moqueries. Elle leur prodigue une riche variété d’épithètes mordantes : ce sont « les intrigants du Louvre, les jobs, les frisés, les bien coiffés, les poupées de cour ; » tout leur mérite est dans la coquetterie de leurs ajustements, « dans leur aigrette et leur moustache relevée : » elle ne peut dire ce qu’il faut admirer le plus, de leur nullité ou de leur présomption. On se souvient que Montaigne et Henri Estienne ne les épargnaient pas davantage : c’est que les courtisans, censeurs téméraires et irréfléchis, s’arrogeaient alors sur les usages et sur la langue une juridiction qui pouvait nous être très-funeste ; « ils se rendaient (selon les termes de mademoiselle de Gournay) très-impertinemment précepteurs publics, tandis que chacun les eût refusés pour disciples. » Sans esprit national, sans culte pour les traditions, sans autre passion que celle du changement, ils se plaisaient à effacer nos origines politiques et intellectuelles. Par un goût frivole pour tout ce qui était étranger, ils innovaient contre le génie de l’idiome français ; ils émoussaient sa vivacité antique, ils énervaient sa vigueur. Ennemis de tout son rude, ces prêcheurs de paroles miellées, en proscrivant surtout les consonnes et les voyelles qui se heurtaient dans les mots, en préférant aux plus expressifs et aux plus forts « ceux qui semblaient graissés d’huile pour mieux couler, » appauvrissaient et mutilaient notre langage, au lieu de l’épurer et de le polir. Leur afféterie et leur ignorance élaguaient sans pitié, sous prétexte de l’adoucir, ce qu’il avait de plus pittoresque et de plus hardi.

Outre ces griefs généraux, on reconnaît facilement que mademoiselle de Gournay en a de particuliers contre les courtisans, qu’elle représente encore « comme des artisans de mensonges, tirant gloire de leurs faussetés. » Elle eut de plus l’imprudence de s’attirer d’autres inimitiés, en se mêlant aux querelles religieuses de son temps. Objets de sympathies et de haines ardentes, les jésuites étaient très-vivement assaillis et non moins chaudement défendus. Elle embrassa leur cause et composa un écrit en faveur du célèbre père Coton ; ce qui lui valut, à la vérité, le beau nom d’amazone, que lui a décerné Richeome, mais ce qui l’exposa en revanche aux coups du parti hostile à la compagnie : il ne se fit pas faute de la maltraiter[13]. Avec la violence grossière de la polémique en usage, ses adversaires, non contents d’injurier l’auteur, attaquèrent l’honneur de la femme ; et ce fut en vain qu’elle demanda, à ce qu’il paraît, par une requête présentée au lieutenant civil, qu’on défendît la vente du libelle où elle était outragée. À ce sujet, on prêta au cardinal du Perron un propos fort peu charitable : si l’on ajoute foi au recueil d’ana publié sous son nom, il eût dit que la figure de la demoiselle la protégeait assez contre des accusations de ce genre. Du Perron, qui fut au nombre des protecteurs et des panégyristes de mademoiselle de Gournay, la voyait sans doute avec des yeux plus indulgents.

Que mademoiselle de Gournay ait été si disgraciée qu’on ne dût pas lui savoir gré de sa vertu, on peut d’ailleurs en douter très-sérieusement. Elle s’est peinte elle-même au physique comme au moral, et son portrait, à l’un et l’autre égard, n’a rien de si fâcheux. On voit, dans une description détaillée qu’elle nous a laissée de sa personne, que sa taille était médiocre et bien faite, qu’elle avait le teint brun, mais clair, les cheveux châtains, et que son visage, de forme ovale, pouvait passer pour n’être ni beau ni laid. Ajoutez que sa physionomie ne démentait pas sa réputation de bel esprit. Elle est représentée en tête des dernières éditions de ses Œuvres[14], et ce dessin, qui remonte à 1596, époque où elle avait trente ans, répond assez bien aux paroles que nous lui avons empruntées. Sans accueillir sur ce point avec une confiance aveugle un témoignage trop intéressé, on conclura volontiers qu’elle avait en réalité moins de beauté que de mérite[15], et ainsi l’on s’expliquera que, dans ses Épigrammes, elle n’épargne pas ceux qui, hors d’état de sentir l’un, n’ont de regards que pour l’autre et n’apprécient que les agréments extérieurs ; mais on ne lui donnera pas, avec quelques médisants, un corps maigre et sec, une figure à l’avenant. L’affection très-vive de Montaigne semble nous garantir qu’il n’en était rien. Pour lui, chez les femmes, il nous en a fait la confidence, la beauté était une qualité fort prisée. Il est vrai qu’aux yeux de l’auteur qu’elle admire une personne jeune et distinguée ne saurait guère manquer d’être belle.

Les attaques et les calomnies, comme on voit, n’ont pas été épargnées à mademoiselle de Gournay ; mais, à ceux qu’elle nomme ses drapeurs, elle a riposté et non pas sans avantage. Parmi eux, il en est un qu’elle poursuit en vers, sous le nom supposé de Lentin. Une réponse plus générale a pour but de montrer « ce que les médisances et les brocards ont de vil et de honteux ; » et, contre ceux qui s’en rendent coupables, elle rassemble dans ce traité spécial, écrit en prose, tous les traits que lui fournissent les anciens et les modernes. En outre elle a fait son Apologie pour compléter la réfutation de ses adversaires : c’est sa réplique collective aux imputations mensongères dont ils ont voulu noircir sa réputation. Par ce plaidoyer, elle prétend témoigner du moins que, « toujours suivie de l’infortune, elle était digne d’un meilleur sort. » Aux inventions des mauvaises langues elle oppose donc le langage de la vérité, et, se plaignant avec amertume d’être l’objet des froideurs du public, elle recherche la cause de cette disgrâce. C’est à sa pauvreté qu’elle l’attribue, ainsi qu’aux faux dehors que l’on prêtait à son savoir. On la raillait d’être latine[16] ; mais la connaissance du latin l’empêchait-elle de bien posséder le français ? Là-dessus, elle croyait pouvoir avec sécurité renvoyer le lecteur à ses écrits. Quant au reproche qui lui était adressé de pratiquer l’alchimie, elle ne s’en disculpait qu’avec mollesse, ou plutôt elle s’attachait à défendre cet art chimérique. Elle ne refusait pas d’ailleurs de confesser quelques torts : la vanité lui avait fait jadis avoir deux laquais et dépenser cinq cents écus de trop. Toutefois, si elle avait eu carrosse, la faute en était à la saleté du pavé de Paris. À l’égard des habitudes de mademoiselle de Gournav, de son mobilier et de l’ordinaire de sa table, les curieux trouveront beaucoup d’autres renseignements dans cette pièce étendue et divisée en deux parties. La seconde permet surtout de pénétrer dans la connaissance de ses affaires. Elle s’efforce d’y établir, par de très-minutieux calculs, dont nous ferons grâce au lecteur, que ses embarras de fortune n’étaient que le résultat d’accidents et de pertes qu’on ne pouvait lui imputer ; enfin elle se console des malheurs qui l’ont frappée, en citant ces paroles de l’Ecclésiaste, qu’il faut répéter pour en consoler bien d’autres : Nescio quo fato bonœ mentis soror est paupertas.

À cette apologie[17], destinée à un prélat, il faut joindre une autre pièce en vers, où, revenant sur la plupart des idées qui nous ont déjà occupé, elle ne se défend pas avec moins de chaleur et ne se loue pas avec moins de complaisance. C’est la Peinture de ses mœurs, adressée au président d’Espagnet[18]. Elle y insiste notamment, c’est là son texte favori, sur les préventions très-injustes, suivant elle, de ceux qui s’obstinent à publier qu’elle a dissipé follement une fortune considérable :

Je ne m’accuse pas du défaut de ménage.
De ce reproche en vain le vulgaire m’outrage :
Pour me voir sans moyens, sans ménage on me croit.

Sa singulière excuse de n’avoir pas conservé son patrimoine, c’est qu’il était trop peu important pour mériter qu’elle en prît soin : au reste elle a toujours été, remarque-t-elle, plus curieuse d’honneur que d’argent. On le croira sans difficulté. On pensera aussi que l’économie, si elle y prétend à bon droit, fut chez elle une qualité acquise plutôt qu’innée ; elle le confesse dans les vers suivants :

L’équité, la candeur, je les tiens de nature ;
L’ordre, je l’ai gagné par temps et par lecture.

Ici encore, mademoiselle de Gournay ne se fait pas faute d’avouer sa foi à l’alchimie, tout en niant qu’elle l’ait entraînée à de ruineuses folies[19]. Ce ne fut qu’avec peine, et assez tard, qu’elle se détacha de cette superstition. On le reconnaît par cette note ajoutée, dans la dernière édition de ses Œuvres, à un passage qui la montre en quête de la pierre philosophale : « Cela fut durant la première impression de mon livre, et n’est plus dès longtemps. » Curieux progrès d’une raison particulière, qui dénote le progrès des lumières publiques. L’erreur séculaire de l’astrologie, générale sous les Valois et souveraine même à Paris, d’après le témoignage de L’Hôpital[20], commençait à se dissiper aux rayons naissants du grand siècle, bien que Bossuet n’ait pas jugé inutile de s’élever contre elle dans un ouvrage de sa vieillesse, la Politique tirée de l’Écriture sainte[21].

Un troisième ouvrage de mademoiselle de Gournay achève de nous éclairer sur tout ce qui la concerne ; c’est sa propre Vie qu’elle prit soin de rédiger : on a dit précédemment en quelle occasion. Elle-même, dans une lettre au trésorier Thévenin, fait allusion à la mystification dont elle avait été victime : si on avait vu « courir sa Vie par les rues de Paris, c’est que deux hommes qui lui voulaient mal, lui ayant tiré cet opuscule des mains par artifice, l’avaient falsifié à leur mode ; » et elle expose en effet, non sans s’écarter quelque peu du récit de Tallemant, comment on l’avait trompée. C’était donc pour protester contre la fourberie, qu’elle avait publié cette biographie abrégée que l’on trouvera à la fin de la dernière édition de ses Œuvres, Sa seule prétention était de s’y faire bien connaître, en demeurant fidèle à la vérité, pour laquelle elle a toujours professé, nous dit-elle, un religieux respect.

Quoi qu’il en soit, si les railleurs, et non sans quelque raison, comme on vient de l’entrevoir, ne manquèrent pas à mademoiselle de Gournay, il est juste de dire qu’elle eut aussi beaucoup de patrons, d’amis dévoués, et même de sincères admirateurs. Parmi les premiers il faut nommer d’abord Richelieu, qui, malgré le poids des affaires, avait toujours quelques moments à donner aux lettres et à ceux qui les cultivaient. Ce puissant ministre la plaisanta bien un peu, mais il la protégea en revanche très-sérieusement. Une fois qu’en sa présence elle s’était servie d’un terme suranné et bizarre qui avait excité son hilarité, loin de perdre contenance, elle s’excusa spirituellement, en témoignant sa joie d’avoir pu un instant « égayer celui dont les travaux assuraient la prospérité du pays. » Tallemant rapporte un peu différemment cette aventure ; nous le laisserons parler[22] : « Bois-Robert la mena au cardinal de Richelieu, qui lui fit un compliment, tout de vieux mots qu’il avait pris dans son Ombre. Elle vit bien que le cardinal voulait rire : « Vous riez de la pauvre vieille, dit-elle ; mais riez, grand génie, riez : il faut que tout ce le monde contribue à votre divertissement. » Le cardinal, surpris de la présence d’esprit de cette vieille fille, lui demanda pardon et dit à Bois-Robert : « Il faut faire quelque chose pour mademoiselle de Gournay. Je lui donne deux cents écus de pension. — Mais elle a des domestiques, dit Bois-Robert. — Et lesquels ? reprit le cardinal. — Mademoiselle Jamyn, répliqua Bois-Robert, bâtarde d’Amadis Jamyn, page de Ronsard. — Je lui donne cinquante livres par an, dit le cardinal. — Il y a encore ma mie Piaillon, a ajouta Bois-Robert ; c’est sa chatte. — Je lui donne vingt livres de pension, répondit l’éminentissime. — Mais, monseigneur, elle a chatonné, » dit Bois-Robert. Le cardinal ajouta encore une pistole pour les chatons. » Richelieu, par la suite, ayant voulu augmenter ce total bizarre, on prétend que mademoiselle de Gournay se refusa généreusement à rien recevoir de plus.

D’autres personnages importants de cette époque lui accordèrent une protection moins efficace sans doute, mais qui ne témoignait pas d’une opinion moins favorable. Parmi les hommes de lettres les plus distingués, elle compta de nombreux amis, tels que Balzac, le savant du Puy, Juste Lipse, etc. On raconte qu’à la naissance de l’Académie française, les membres de ce corps illustre ne dédaignèrent pas de se rassembler plusieurs fois chez elle[23]. Un auteur assez inconnu[24] nous initie, par un récit plaisant, aux entretiens qui défrayaient ces doctes réunions et aux passe-temps qui les occupaient. À son origine, comme on sait, le corps institué par Richelieu avait pour mission spéciale d’épurer et de fixer la langue : les mots ne devaient être français que par un arrêt de l’Académie, qui avait sur eux juridiction suprême, chargée qu’elle était de les confirmer ou de les abolir. L’historiette suivante, que je transcris, nous apprend que mademoiselle de Gournay ne fut pas étrangère à ce minutieux travail, dont Vaugelas a été souvent, dans ses Remarques, le zélé rapporteur. « Il parut de son temps un livre intitulé : le Raffinage de la cour. Cette muse antique (il s’agit de mademoiselle de Gournay), n’ayant aucune familiarité avec ce mot, avait de la peine à le souffrir. Elle se piquait de bon goût, et d’abord raffinage ne put entrer dans le sien. Cependant elle était convaincue qu’il faisait assez entendre ce qu’on voulait dire. Pendant qu’elle le tournait de tous côtés, l’examinant rigoureusement et le prononçant pour se déterminer à le rejeter ou à le retenir, arrivèrent chez elle sept ou huit puristes de ce temps-là, juges souverains de la langue française. Incontinent, elle les pria de mettre à l’examen raffinage, qui lui paraissait un mot un peu hardi. Ces messieurs y consentirent, et, prenant leurs mines graves, le pesèrent, le sondèrent, le prononcèrent, le considérèrent en ses voyelles, en ses consonnes, en ses syllabes, en sa terminaison. Enfin jamais mot ne fut mieux ballotté ; et, quand il eût été question de la chose la plus sérieuse, ils ne s’y fussent pas pris avec une plus forte application. Les uns étaient pour, les autres contre ; et les autres avaient peine à se décider. Durant leurs contestations assez violentes, le pauvre raffinage était dans de furieuses alarmes, et attendait son arrêt de vie ou de mort. Après une longue dispute, ceux qui doutaient dirent qu’avant de faire droit ils seraient bien aises d’entendre prononcer un peu de loin, mais ferme et plus d’une fois, ce mot qui leur semblait extraordinaire. Aussitôt la vieille sibylle commande à sa servante, pas plus jeune quelle, de s’aller planter au bout de la salle, de prononcer distinctement Raffinage, et d’en faire bien sonner toutes les syllabes, appuyant dessus de toute sa force. La servante obéit, fit une profonde révérence à l’antique, et prononça raffinage de manière à faire croire qu’elle avait un vrai gosier d’airain. Ceux qui étaient pour ce mot firent une favorable inclination de la tête ; ceux qui étaient contre, la hochèrent, et ceux qui balançaient firent un certain hon, en serrant les lèvres : marque qu’ils étaient à demi gagnés. Encore une fois, dit la maîtresse. La servante fit une seconde révérence et prononça derechef Raffinage, haussant la voix presque de deux tons. Eh bien ! dit mademoiselle de Gournay, en se tournant gracieusement vers ces messieurs, que vous semble de raffinage ? Pour moi, je trouve qu’il ne sonne pas mal à l’oreille. Vous dites vrai, répondit un de ces vénérables juges, au nom de tous. Il fut donc conclu que raffinage aurait son passe-port avec un brevet de mot du bel usage. »

Cet aréopage philologique, cette singulière séance, donnent une juste idée de la manière dont fut reçu plus d’un terme : grande affaire à cette époque, et pour laquelle on se ménageait d’avance des partisans. Balzac écrivait ainsi à l’un de ses amis, au sujet d’un verbe, fort goûté depuis, qu’il a le premier mis en vogue : « Je vous félicite d’avoir M. de Roncières pour gouverneur… Si féliciter n’est pas encore français, il le sera l’année qui vient ; et M. de Vaugelas m’a promis de ne lui être pas contraire, quand nous solliciterons sa réception. »

La compagnie lettrée et savante ne cessa donc jamais, comme le prouve cette anecdote, de priser à sa valeur et de fréquenter mademoiselle de Gournay. On pourrait citer beaucoup d’autres témoignages des égards et de la haute estime que lui accordèrent ses contemporains. Grotius traduisait de ses vers ; Heinsius déclarait que, femme, elle était entrée en lice avec les hommes, et qu’elle les avait vaincus[25] ; Dominique Baudius[26], encore plus hyperbolique, la saluait du nom « de sirène française et dixième muse. » C’était là du baume versé sur les blessures que son amour-propre irritable dut fréquemment recevoir.

En écartant ce que l’enthousiasme naïf de cette époque leur prêtait d’exagéré pour la forme, ces hommages n’avaient d’ailleurs au fond rien que de légitime. Pour achever de le démontrer, il suffit de s’arrêter un moment sur les autres travaux de mademoiselle de Gournay, ceux dont il n’a pas encore été question dans cette étude. Ouvrons, par ce motif, les éditions de ses œuvres réunies ; l’une de 1626, où se trouve déjà à peu près tout ce qu’elle devait nous laisser (il est vrai que l’auteur à cette date avait passé soixante ans), et les suivantes de 1634 et 1641, qui, si elles renferment peu de pièces nouvelles, offrent du moins, dans la reproduction des anciennes, d’importantes améliorations.

On voit en effet, si l’on confère ces impressions successives, qu’animée constamment du désir de se perfectionner, elle ne cessait de corriger ses ouvrages. Dans ces changements continus, outre la preuve d’un soin patient et consciencieux, on découvre un indice frappant des progrès de la langue, qui l’entraînaient, bien qu’un peu malgré elle, ainsi que nous aurons à le remarquer. Elle s’est représentée quelque part inquiète de l’opinion d’autrui sur ses productions, et empressée à recourir aux conseils de la critique : elle paraît en avoir très-réellement profité.

Avec ce coin de singularité que nous lui connaissons, elle intitula sa première édition, l’Ombre de la demoiselle de Gournay, en expliquant sa pensée par cette épigraphe : « L’homme est l’ombre d’un songe, et son œuvre est son ombre. » Cette Ombre, quelque peu compacte, n’a pas moins de douze cents pages in-8o, scrupuleusement remplies. Les Avis ou les présents de la demoiselle de Gournay, tel fut le titre substitué dans les dernières éditions, de format in-4o, qui approchent beaucoup de mille pages[27]. La disposition des travaux est, dans chacune des trois, presque identique, et leur ordre y répond d’ordinaire à celui de leur publication primitive : je m’y conformerai aussi dans l’examen que je vais en faire.

Dans une épître préliminaire adressée au lecteur, mademoiselle de Gournay commence par s’excuser de la franche simplicité de son œuvre et de son dessein. N’osait-elle pas, avec une confiance téméraire, entreprendre de réformer les mœurs et les jugements publics, à cette saison peu clémente, où « d’une part la pédanterie des savants, de l’autre l’ignorance du monde, avaient décrié les muses en France ? » On sait que les écrivains, et cela très-souvent par représailles, se plaignent volontiers de leur temps. Mademoiselle de Gournay s’annonce comme attendant du sien peu de justice, mais elle a en vue la postérité, dont elle recherche la faveur ; et, fort préoccupée de ses arrêts, elle fait cette déclaration solennelle : « Si ce livre me survit, je défends à toute personne, telle qu’elle soit, d’y ajouter, diminuer, ni changer jamais aucune chose, soit aux mots ou à la substance, sous peine à ceux qui l’entreprendraient d’être tenus pour violateurs d’un sépulcre innocent. Les insolences, voire les meurtres de réputation, qui se font tous les jours en cas pareil dans ce siècle impertinent, me convient à lâcher cette imprécation. »

Reportons-nous actuellement à l’année 1600, qui vit le mariage de Henri IV et de Marie de Médicis. Jusque-là mademoiselle de Gournay n’avait fait paraître que son Promenoir, accompagné de quelques poésies qui seront examinées en dernier lieu. À l’occasion des noces royales, elle publia, sagement prévoyante, des conseils donnés aux époux sur l’éducation future de leurs enfants. Dans l’opuscule composé à cet effet[28], après avoir établi les avantages d’une institution bien dirigée et l’importance du choix des maîtres appelés à y présider, elle insistait sur l’étude des lettres, dont elle faisait l’apologie. Cet éloge n’a rien de neuf ni d’original. On remarquera seulement, à la suite de préceptes pédantesques, des réflexions judicieuses sur la nécessité de confier à un homme distingué par son mérite, plutôt que par sa naissance, le soin de former l’héritier du trône. Elle se demandait, et c’est à nos yeux la partie la plus saillante de ce morceau, qui pourrait remplir une mission si difficile, et il lui semblait qu’aucun n’en eût été plus digne que son père adoptif, que le grand Montaigne, qui se fût cru propre effectivement, il nous l’a dit lui-même[29], à parler au prince le langage de la vérité. À défaut de l’auteur des Essais, qui s’entendait certes en éducation[30], elle aurait volontiers choisi d’Ossat, récemment nommé cardinal, et qui relevait l’éclat solide de beaucoup de belles qualités par une singulière modestie, se plaisant sans cesse à rappeler « sa basse origine, la pauvreté de sa jeunesse et de ses parents. » Aux yeux de mademoiselle de Gournay, qui sympathise avec ces pensées libérales, la vraie noblesse, la vraie supériorité, n’est pas dans l’illustration de la race, mais dans l’excellence de l’âme, dans les lumières de l’esprit : « Un roi, a-t-elle écrit autre part, sait faire les riches, les puissants, les comtes, marquis, ducs et chefs d’armées ; un habile homme, un homme d’honneur, il ne le peut faire : c’est l’ouvrage du souverain Créateur ; autant élevé par-dessus ces autres ouvrages-là, s’il se pouvait dire, que le Créateur l’est par-dessus le prince. »

Peu après, mademoiselle de Gournay « saluait d’un autre traité la naissance des enfants de France, » en leur adressant, sous forme d’horoscope, des exhortations animées de généreux accents et d’une cordiale chaleur. Elle les avertissait de ce que la nation, fatiguée de ses longues adversités, avait droit d’attendre des rejetons de Henri le Grand. Pour se montrer dignes de leur sang, que de vertus ils auraient à déployer, que de gloire à obtenir ! Par un vieux reste de l’esprit qui avait parmi nous suscité l’héroïsme aventureux des croisades, elle les invitait à tourner leurs regards vers l’empire des Turcs, riche proie qu’elle désignait à leur ambition. Mais, se reprenant ensuite, elle voulait que la sagesse contînt une ardeur trop belliqueuse. Si elle avait mis en avant cette idée de conquête, c’était, ajoutait-elle, « par un essor poétique, sachant que la prudence convie nos princes à entreprises plus utiles. » Revenue à des idées d’une application plus immédiate, elle énumérait les devoirs liés à la haute fortune des fils de France, et prononçait sur leur jeune tête des oracles que l’avenir devait peu se charger de réaliser. Le culte monarchique qui respire dans cet ouvrage n’est pas sans mélange d’un tendre amour du peuple, sur la félicité duquel elle fait reposer, à la façon de nos vieux Français, la grandeur du souverain. Le modèle qu’elle propose au Dauphin est Titus, dont la gloire fut d’être bon, et qu’elle loue avec, une certaine éloquence. À la fin, l’éloge des lettres, dont le goût la préoccupe toujours, reparaît encore sous sa plume : elle souhaite que le prince, dont elle célèbre avec enthousiasme l’illustration future, en soit tout à la fois l’ami et le protecteur, comme Alexandre, comme César, qui, par un juste sentiment de la communauté d’intérêts qu’ils avaient avec la littérature et l’histoire, n’ont cessé de confondre les beaux écrits et les beaux faits dans une égale admiration.

Quand le poignard de Ravaillac arrêta le cours des prospérités de la France, mademoiselle de Gournay se rendit l’organe des regrets du pays. Après avoir déploré cette perte irréparable, et peint en traits énergiques la fureur du peuple acharné contre le meurtrier, elle enseignait à Louis XIII enfant ce qu’il aurait à faire un jour pour consoler la France, privée de son père, et, s’adressant ensuite à la reine régente : « Tu es grande, lui disait-elle ; néanmoins ta charge l’est encore plus que toi ; pour mieux parler, les princes ne sont grands que parce qu’en bien faisant leur charge, elle leur incorpore sa grandeur et son lustre. S’ils ne la font bien, elle accable leur grandeur et leur puissance. » On ne peut nier qu’il n’y ait dans ce langage de la dignité et une certaine force oratoire.

Mademoiselle de Gournay, outre ces publications de circonstance que lui inspira son patriotisme, fut auteur de traités moraux et de dissertations sur divers points de langue et de littérature. Occupons-nous des premiers. On discutait alors volontiers sur la morale. Balzac, qui la revêtit des formes d’une éloquence un peu apprêtée, fit paraître ses premières Lettres deux ans avant le recueil de mademoiselle de Gournay. Celle-ci, d’après le goût du temps, agite plusieurs questions assez subtiles : l’une d’elles est à moitié religieuse. Il s’agit de la fausse dévotion ou de l’hypocrisie, contre laquelle mademoiselle de Gournay se donne carrière, en n’épargnant pas, suivant son habitude, les médisants et les railleurs : car les mauvais chrétiens sont surtout pour elle « ceux qui méprisent un des commandements principaux de Dieu, la charité envers leurs semblables. » C’est à cette espèce de pécheurs qu’elle a voué la haine la plus forte, qu’elle fait la guerre la plus obstinée. À ses yeux du reste, comme elle l’établit très-sensément, la vraie piété ne consiste pas dans l’engloutissement des messes et chapelets : on se flatterait vainement d’attraper Dieu par de tels hameçons. Ennemie jurée de l’hypocrisie, qui révolte son âme franche et droite, elle compare les faux dévots à certains hommes qui se targuent d’une générosité mensongère et ruinent de malheureux créanciers pour distribuer en fastueuses aumônes ce qu’ils devraient employer à l’extinction de leurs dettes : semblables à ce singulier homme de bien « qui allait la nuit dérober le cuir dont il faisait le jour des souliers aux pauvres, se publiant le cordonnier de Dieu. » Il faut, conclut-elle, que les vains dehors fassent place à une saine conscience, à la véritable charité, cette reine suprême des vertus ; il faut vivre dans l’accomplissement loyal de tous ses devoirs et dans la pratique désintéressée du bien, les yeux attachés sur le terme de l’existence : car quiconque a mal vécu ne saurait aboutir sans miracle à une bonne mort.

Dans un autre morceau, qui, comme quelques-uns des suivants, se rapproche davantage d’un genre de composition familier aux anciens rhéteurs, et particulièrement à Plutarque, mademoiselle de Gournay examine « si la vengeance est licite. » Son opinion est qu’il convient d’établir entre les offenses une distinction essentielle. Pour les vulgaires, on en poussera l’oubli aussi loin que possible ; mais il est des torts d’une gravité exceptionnelle, qu’il y aurait un grand inconvénient à laisser impunis. En poursuivre la réparation est, selon elle, non seulement équitable, mais nécessaire : autrement, les méchants enhardis deviendraient par trop redoutables. L’homme de bien saura donc joindre à une généreuse bonté, indulgente au repentir, une fermeté qui contiendra l’audace et servira de sauvegarde aux lois de l’éternelle justice. À beaucoup d’honnêtes gens dont la facilité, complice du mal, trahit la cause de la vertu, on peut recommander cette lecture, qui abonde en mâles sentiments. Ajoutons que de sages préceptes déterminent, à la fin de cet opuscule, la mesure et la discrétion qu’on doit observer, même dans l’exercice d’une vengeance légitime.

Parmi les causes qui en provoquent les plus fréquents et les plus funestes effets, figure la médisance. Mademoiselle de Gournay lui a consacré un traité spécial : il est dédié à la célèbre marquise de Guercheville, dame d’honneur de la reine mère du roi. On sait comment elle avait obtenu ce poste : aimée de Henri IV, elle avait su lui résister ; et ce prince, plein de respect pour sa vertu, l’avait placée auprès de Marie de Médicis, voulant, disait-il, puisqu’elle était vraiment dame d’honneur, qu’elle en possédât le titre. C’est à cette personne distinguée que mademoiselle de Gournay adresse, suivant son langage un peu maniéré, « le combat qu’elle présente aux duels et à la médisance ; » car les duels proviennent de la médisance pour la plupart, comme elle le fait observer. Dans ce travail, divisé en trois parties, elle expose d’abord, avec les résultats déplorables du vice qu’elle attaque, les peines sévères que lui ont infligées les anciens législateurs ; elle s’occupe ensuite plus spécialement de la moquerie, que saint François de Sales définissait la plus cruelle des médisances[31]  ; elle insiste principalement sur ce que l’esprit frondeur, de jour en jour plus général parmi nous, a de périlleux pour le pays (idée à laquelle elle aura occasion de revenir). C’est, à l’en croire, la témérité des mauvais propos qui, depuis soixante ou soixante-dix ans, a suscité presque toutes les calamités de la France : les rencontres particulières qu’elle a causées ne lui ont pas coûté moins de soixante mille de ses généreux enfants. Il était temps, continue-t-elle, que la rigueur des édits contre le duel fût sérieusement appliquée. Jusque-là on s’en était fait un jeu, parce qu’ils étaient enfreints sans péril, et Henri IV lui-même avait trop souvent enseigné à les mépriser. L’auteur, en terminant, se déchaîne avec une nouvelle colère contre les artisans de médisances, et fait voir par une conclusion morale, au moyen de nombreux exemples, qu’ils n’ont presque jamais réussi qu’à se nuire à eux-mêmes. En somme, cette composition, plus diffuse encore qu’abondante, et que recommandent trop peu l’originalité de la pensée et la netteté de l’expression, a néanmoins un côté curieux : c’est qu’échauffée d’une ardeur qui sent la passion personnelle, elle est une sorte de manifeste lancé par mademoiselle de Gournay contre ses envieux et ses censeurs.

Ailleurs elle entreprend de montrer « l’antipathie qui éloigne les âmes basses des hautes. » Celles-ci, dont le nombre n’est que trop restreint, demeurent, selon elle, au milieu de la foule des autres, isolées et solitaires. Il leur manque le plus souvent, avec une place où elles soient dans leur jour, des juges capables de les apprécier. Quels yeux assez clairvoyants, en effet, pour discerner les divins caractères qui les distinguent ? Si la perfection n’en est pas méconnue, on la suspecte : elles choquent et offensent, par leur supériorité même, celles qui ne peuvent y atteindre. Leur sort est donc pour mademoiselle de Gournay, qui ne se croit pas sans doute désintéressée dans la question, l’objet d’une sympathie douloureuse. Son inquiétude de n’être pas prisée à sa valeur perce dans ces considérations, qui ne sont pas dépourvues toutefois d’un mérite plus élevé et plus général. L’auteur en déduit cette conséquence sensée, digne de rallier beaucoup d’assentiments, c’est que, pour notre tranquillité et notre bonheur, nous souhaiterons de ne point paraître trop au-dessus des autres hommes, de peur d’alarmer leur amour-propre et d’attirer leurs persécutions.

Des réflexions « sur quelques contes de cour, » placées après ce traité, en semblent d’abord le complément, puisqu’elles roulent, du moins au début, sur le même ordre d’idées. S’il est vrai que tout mérite supérieur ait, comme on vient de le voir, peu de chance d’être goûté, c’est principalement à la cour. Entre autres exemples cités pour le prouver, mademoiselle de Gournay allègue celui de La Boétie, que l’on n’a pas su y mettre au rang qui lui était dû, bien que a le pertinent et gentil auteur du Contr’un fût un si grand homme au témoignage des Essais. » On reconnaît là les griefs ordinaires de mademoiselle de Gournay, peu amie des courtisans : ce qu’elle leur reproche, ce n’est pas seulement d’avoir les yeux blessés de toute espèce d’éclat ; c’est d’être infectés de cet esprit de dénigrement, qui minait les ressorts du pouvoir en détendant chaque jour davantage les liens de l’autorité morale. De là une humeur indocile et une manie d’opposition effrénée (le mal n’est pas nouveau parmi nous), qui, des hautes régions, se répandaient dans le reste du pays. La noblesse inquiète et agitée affectait un dédain superbe pour le trône, toujours prête à la révolte au premier intérêt, au premier caprice qui l’y conviait ; « seule en Europe, elle avait tourné les rébellions en coutume ; » paroles qui, pour le dire en passant, expliquent et justifient quelques-unes des rigueurs de Richelieu. Sous prétexte d’indépendance, le clergé, qui n’avait pas oublié la Ligue, s’abandonnait en chaire aux plus graves témérités. Qui parlerait dès lors avec circonspection et modestie ? Encouragée par de tels exemples, la légèreté de la parole, qui s’attaquait à tout, n’avait plus de bornes : aisément répandue, plus aisément accueillie, la calomnie était dans toutes les bouches. On se jouait des réputations, on les immolait à plaisir ; enfin, par l’habitude de tout mépriser et de tout braver, on détruisait la notion du devoir, l’idée du respect, la foi même à la vertu. Delà, chez les particuliers, que de haines amassées, qui aboutissaient à des vengeances meurtrières ; dans le public, que d’attentats contre la loi, quel ébranlement des principes sociaux ! C’était là, ce semble, toucher d’une main hardie une plaie du caractère national, une de nos blessures qui n’a pas cessé de saigner. Mademoiselle de Gournay terminait ce morceau chaleureux en faisant appel au prince, pour réprimer de tels désordres, en provoquant sa juste sévérité : car « ; il ne méritait point d’être appelé bon, celui qui n’était pas mauvais aux méchants. »

Les gens d’Église, qui ont eu leur part dans les critiques précédentes, reçoivent une nouvelle atteinte de mademoiselle de Gournay, dans un avis qui les concerne plus directement. Elle reproche à quelques-uns d’entre eux, non plus l’inconséquence de leur langage, mais leur sensualité, qui transformait le dîner du vendredi saint en un repas de luxe et de délices. Grâce à leur raffinement, le festin de ce jour, disait-elle, « plus friand et plus dépensier que vingt autres ordinaires, durait trois heures au moins, sans hyperbole. » C’est ainsi que son dévouement à l’Église, « colonne et firmament de la vérité, l’engage à faire la guerre aux abus, petits ou grands, qu’elle abrite ou tolère. Elle ne se préoccupe pas seulement des pasteurs, mais de tout le troupeau des fidèles. Un grave inconvénient l’a frappée : établie pour épurer les cœurs, la confession lui semble essentiellement détournée de son but par la manière dont certaines personnes la comprennent et l’appliquent. Elles lui supposent, pour effacer toutes les fautes, sans exception, une vertu infaillible ; et, par un bénéfice anticipé de ses résultats, elles pèchent sans crainte, sûres de leur pardon futur : l’ont-elles obtenu, elles retombent, vicieuses avec prévoyance, dans la même sécurité criminelle. Cette illusion funeste dont se bercent des consciences égarées, mademoiselle de Gournay s’attache à la dissiper ; elle s’arme, pour la combattre, de scrupules salutaires, et s’ingénie à prouver que les menues pratiques de la dévotion ne suffisent pas pour sauver les âmes, et qu’il faut, pour désarmer le ciel, non un simple mouvement de déplaisir ou de crainte, mais un repentir sincère et persévérant : nobles efforts qui témoignent du moins de ses lumières autant que de son zèle religieux.

À la suite de ce traité, où mademoiselle de Gournay s’est faite théologienne par occasion, elle soutient une thèse morale ainsi énoncée : « Par nécessité, les grands esprits et les gens de bien cherchent leurs semblables. » L’auteur a cru devoir, pour sa démonstration, s’entourer d’un formidable appareil d’arguments et d’exemples, qu’elle emprunte aux Latins et aux Grecs, aux livres sacrés comme aux profanes : de là un caractère subtil et pédantesque dans le style de ce passage, trop chargé de citations. L’une d’elles nous plaît toutefois, lorsque, amenée par son sujet à parler de l’amitié, elle s’excuse de célébrer « ce présent céleste, après les merveilles qu’en a récitées son second père. » Mais on comprend qu’elle aurait pu établir avec moins de peine qu’il nous faut ici-bas un ami pour nous aider à porter le poids de nos maux ou celui de notre bonheur, et que, si ce besoin est général, il est surtout très-vivement senti des natures supérieures : c’est qu’elles seraient comme perdues dans un désert, sans quelques compagnes dignes d’elles, à qui elles pussent se révéler et se faire comprendre.

Ces âmes d’élite se font, par malheur, de plus en plus rares, au dire de mademoiselle de Gournay. Elle s’en plaint particulièrement dans un discours sur le peu de prix de la noblesse du temps, où, revenant à ses critiques de prédilection, elle pose en principe que l’on pourra, presque toujours à coup sûr, baptiser du nom de fou le gentilhomme français : jugement trop vrai de cette race frivole qui, après avoir amassé tant de périls sur le pays, se montra si tristement impuissante à les repousser. Ce portrait peu flatté des jeunes nobles de la première partie du dix-septième siècle n’est pas sans intérêt historique. À en croire mademoiselle de Gournay, leur sottise n’avait d’égale que leur insolence. Par leur pétulance offensive, ils ne savaient que se rendre formidables les uns aux autres. Le brelan, l’ivrognerie, les femmes, c’étaient là leurs passions ; on aurait pu les appeler cavaliers de bouteille et de cabaret. Jadis Hercule avait eu un autel commun avec les Muses : par là on avait voulu témoigner que la prudence, la courtoisie et la bonté étaient inséparables de la véritable bravoure. Quant à la vaillance brutale, elle était le partage des animaux, et ne méritait par elle-même aucune estime. « Les gladiateurs, si courageux et si hardis, n’étaient-ils pas à Rome les plus méprisés de tous les esclaves ? » Sur le privilège de la naissance, mademoiselle de Gournay répétait d’ailleurs les idées de Sénèque, de Juvénal et des autres moralistes anciens ; elle montrait comme eux ce qu’il avait de futile aux yeux de la raison, ce que l’idée imaginaire qui en était le fondement avait de capricieux et de variable chez les différents peuples. À cette aristocratie, également incapable d’action et de repos, elle comparait le gentil peuple (c’est ainsi qu’elle le nomme), vrai soutien de nos rois, intrépide défenseur de l’État, et n’hésitait point à lui donner l’avantage. De son sein étaient sortis ceux qui avaient le plus illustré le pays ; et n’était-elle pas née dans ses rangs celle que se plaisait à signaler « sa plume française et surtout féminine, » la Pucelle d’Orléans, « palladium sacré de la patrie, sans lequel la France eût été anglaise depuis plusieurs siècles ? » Jamais la noblesse n’avait possédé une aussi pure, une aussi belle renommée. Il lui convenait donc de se faire pardonner son élévation par sa modestie, bien loin d’être fière et jalouse de titres dont elle trafiquait volontiers en mariage « pour quelques écus. »

On se rappellera, à l’honneur de mademoiselle de Gournay, qu’elle appartenait à la classe privilégiée dont elle n’a pas craint, supérieure aux préjugés de naissance, d’attaquer les travers et les prérogatives injustes. La même générosité de sentiments se manifeste dans quelques pages écrites à l’effet de prouver « que l’intégrité suit la vraie suffisance. » L’intégrité, pour elle, est le synonyme de la bonté, cet attribut divin de l’homme, comme Bossuet nous l’enseigne[32], et dont Platon avait dit que « la retrancher d’un cœur humain, c’était arracher l’autel du temple. » Pénétrée de cette vérité mademoiselle de Gournay se joint à Sénèque pour blâmer Tite-Live d’avoir écrit, au sujet d’un personnage, « que son esprit avait moins de bonté que de grandeur ; » ces deux qualités ne pouvant être séparées à son avis, ce qu’elle exprime par cette proposition : « L’homme est bon ou n’est pas grand. » Le principe qu’elle développe ensuite, c’est que l’auxiliaire le plus actif de la bonté est la culture de l’intelligence, qu’élèvent et améliorent les lettres. Dans l’antiquité, les bons livres n’étaient-ils pas la nourriture ordinaire des belles âmes ? Malheureusement les lettres, ajoutait mademoiselle de Gournay (mais on sait que c’est un peu l’éternelle plainte de tous les temps), avaient beaucoup perdu parmi nous de la faveur dont elles jouissaient autrefois. Il ne restait qu’un bien petit nombre de personnes pour qui vivre ce fût penser. Cependant on ne méritait le titre de galant homme qu’à la condition de connaître le prix de l’étude. Très-justes idées, sans doute, mais qui souffrent du style trop peu naturel de l’auteur.

Ce défaut d’un langage souvent métaphysique et subtil perce surtout dans un fragment d’un genre très-distinct de celui des compositions précédentes, et qui a pour titre : Chrysante, ou Convalescence d’une petite fille. C’est un compliment à une dame du plus haut rang et de la plus brillante fortune, sur la guérison d’un enfant « éclos en l’aurore de ses années, » et que la mort avait pensé lui ravir. Avec lui a failli périr tout son bonheur : elle la convie donc justement à une allégresse reconnaissante. Mais tandis que la vérité des émotions et l’accent de la nature auraient suffi pour émouvoir, mademoiselle de Gournay prodigue avec une affectation puérile les antithèses et s’évertue à être spirituelle. C’est àpeine si àtravers ces prétendus ornements de la diction se font jour quelques pensées simples, de beaucoup les meilleures, telles que celle-ci : « L’extrême douleur et l’extrême joie du monde consistent à être mère. » Par une dernière recommandation, adressée à cette mère heureuse, elle l’invite, dans un mouvement mythologique, à payer un tribut de gratitude aux Muses, protectrices de l’enfance et de la beauté, en initiant sa fille à leur commerce, malgré la barbarie des temps.

Cette petite pièce est suivie de plusieurs dissertations assez minces, qui traitent successivement des vertus vicieuses, des grimaces mondaines, de l’impertinente amitié, des sottes ou présomptives[33] finesses, du grief des dames. En premier lieu, mademoiselle de Gournay déclare la guerre à cette faible raison, qui nous pipe si facilement, comme l’ont dit Montaigne et Pascal. Elle démontre que le vulgaire, prompt à confondre la vertu et le vice, est déçu à tout moment, en baptisant du nom de vertueuses des actions qui ont le vice pour racine : presque tout ce qui se fait ici-bas n’a-t-il point sa source dans l’amour de la gloire, le désir de la renommée ou tout autre calcul d’intérêt privé ? Avec cette rigueur excessive d’appréciation, elle interroge les mobiles secrets de la conduite humaine, et se plaît à la dépouiller des dehors spécieux et recommandables dont elle se pare faussement. Une humeur un peu chagrine et un peu de malignité se mêlent à cette étude du cœur, d’ailleurs superficielle et rapide. Les Grimaces mondaines sont une espèce de satire dirigée contre ces esprits légers qui jugent et honorent les hommes sur le prestige dont leurs richesses ou leurs dignités les entourent, non d’après leur valeur réelle ; qui, les yeux éblouis par une vaine pompe extérieure, s’arrêtent à la cérémonie et sont incapables de percer jusqu’à l’individu lui-même. L’Impertinente amitié, dont s’occupe ensuite mademoiselle de Gournay, lui paraît renfermer plusieurs espèces ; mais il en est deux qu’elle s’attache à examiner de préférence : l’une qui se couvre des apparences menteuses de l’affection pour contenter, à l’aide de puissants amis, ses sentiments d’envie et de haine ; l’autre, qui s’impose le devoir de louer en toute rencontre, sans équité et sans raison, ceux dont elle se déclare les séides. Comme le précédent, ce genre d’amitié, qui de nos jours a pris le nom de camaraderie, a son principe, au rapport de mademoiselle de Gournay, dans l’intérêt privé, la cupidité et les mauvaises passions. Après cette diatribe contre les faux amis et les flatteurs, en un mot contre tous ceux qui abusent, pour le faire servir à leurs mauvais desseins, du saint nom de l’amitié, elle poursuit également les sottes finesses, que Tibère personnifie à ses yeux. La sincérité de son caractère n’en est pas moins choquée que la justesse de son esprit. Une conduite franche et loyale lui semble en effet ce qu’il y a au monde non-seulement de plus noble, mais de plus habile. Toutes les nuances de la dissimulation, tous les déguisements de la vanité sont par elles énumérés et stigmatisés tour à tour. Dans le Grief des dames, mademoiselle de Gournay s’offense de l’infériorité où son sexe est retenu, pour la vie civile comme pour les lettres, et de l’opinion qui lui interdit, en quelque sorte, d’exprimer ses jugements et ses pensées. Sous prétexte de courtoisie, ne refuse-t-on pas de discuter avec les femmes, ne les avertit-on point par un sourire qu’elles ne peuvent être admises à l’honneur d’une lutte inégale ? « Pour emporter le prix, il suffit dès lors à ces messieurs de fuir les coups, et ils peuvent moissonner autant de gloire qu’ils se veulent épargner de labeur. » C’était par suite de cette disposition que plusieurs, faisant profession de mépriser les écrits des femmes, refusaient même de les lire, au grand scandale de mademoiselle de Gournay.

Une certaine chaleur de détails ne laisse pas de racheter, dans ces différentes pièces ce que le fond a de frivole ou de commun : cette observation s’applique spécialement au dernier morceau, qu’anime par intervalle le mouvement de la passion. Il en est ainsi d’un autre ouvrage de mademoiselle de Gournay, qui serait plus piquant sans la forme pédantesque dont il est hérissé, sans les citations fréquentes et les raisonnements scolastiques qui le surchargent : c’est l’Égalité des hommes et des femmes. Elle le dédia à la reine Anne d’Autriche, qui était alors, selon le style maniéré de l’auteur, ce dans l’orient de son âge ainsi que de ses vertus, » et à qui elle recommandait, « pour en atteindre heureusement le midi, de se jeter avec ardeur sur l’étude des bons livres, précepteurs de prudence et de mœurs. »

Après s’être amèrement déchaînée contre l’outrecuidance de ceux qui renvoient son sexe à la quenouille, elle établit ses preuves « de la dignité et de la capacité des dames » sur l’autorité de Dieu et des Pères de l’Église, ainsi que des anciens philosophes. Les bons patrons, on peut le voir, ne manqueront pas à sa cause. Elle commence par invoquer le témoignage de Socrate, de Platon et d’Aristote, qui prétendent que les femmes ont, par leurs vertus ou par leurs talents dans les arts, surpassé maintes fois les hommes : avantage qu’il faut d’autant plus imputer à l’excellence de leur nature que leur éducation moins soignée semble davantage le leur interdire. Plutarque et Sénèque, dans l’antiquité, Montaigne, Érasme, Politien, parmi les modernes, n’ont pas déposé avec moins de force en leur faveur. Chez nous, il est vrai, la loi salique paraît militer contre elles ; mais cette loi, s’il faut l’en croire, n’a été portée qu’à raison des guerres allumées, au temps de Pharamond, entre nos ancêtres et l’empire romain, dont ils secouaient le joug. Or, pour l’exercice des armes, mademoiselle de Gournay veut bien céder la supériorité aux hommes, non sans quelques restrictions cependant ; elle la leur refuse absolument pour la science de l’administration : car, « sans l’invention des régentes, » elle ne doute pas que l’État français n’eût été perdu depuis longtemps. À combien d’autres situations élevées les femmes ont-elles su faire honneur par leur mérite ? mademoiselle de Gournay le montre à loisir, en interrogeant l’histoire sacrée et profane ; et les nombreux exemples qu’elle y recueille l’amènent à conclure que si l’Écriture sainte a déclaré le mari chef de la femme, ce serait une grande folie à celui-ci d’entendre ce mot dans son acception littérale. Nulle part, au reste, comme elle l’affirme, l’égalité des deux sexes ne doit exister à plus juste titre que dans notre pays, où les femmes, « affilées par la conversation, » l’emportent en esprit et en grâce sur celles de toutes les autres contrées.

Abordons maintenant une nouvelle série de travaux plus intéressante pour nous, celle qui se compose des opuscules de mademoiselle de Gournay sur divers points de notre idiome ou de notre littérature : cette partie, que l’on peut nommer philologique, a conservé quelque chose de plus vivant ; on peut la consulter avec fruit pour l’histoire du goût en France, comme pour celle du langage.

À l’époque où mademoiselle de Gournay commençait à écrire, une langue florissait, la langue d’Amyot et de Montaigne, qui devait bientôt, par l’effet même des progrès que ces deux excellents maîtres de style avaient imprimés à l’esprit national, céder sa place au français définitif, à celui que les grands hommes du dix-septième siècle ont parlé et qui n’a subi jusqu’à nos jours que de faibles modifications. Le premier qui l’employa vraiment parmi nous, Balzac, publia une partie de ses lettres en 1624, et Malherbe avait déjà donné auparavant ce qu’il a laissé de durable. De là, entre le langage ancien et celui qui le dépossédait, entre la littérature qui mourait et celle qui venait de naître, une lutte curieuse dont mademoiselle de Gournay, par la passion qu’elle a mise dans la polémique soulevée à ce sujet, a été de son vivant et est demeurée la personnification[34].

S’il est vrai que nous renoncions difficilement aux sympathies et aux admirations de notre jeune âge, on trouvera, dans l’ardeur opiniâtre de mademoiselle de Gournay à servir une cause perdue, une sorte de dévouement chevaleresque qui mérite notre indulgence ; et, si elle excite un sourire, ce sourire sera doux et bienveillant. Jusqu’après le Cid et le Discours de la méthode, au milieu de l’enfantement d’un monde nouveau et des promesses d’un si brillant avenir, presque seule fidèle au culte du passé, elle ne cessa d’invoquer des dieux abandonnés. Par une singulière fortune, ses livres étaient destinés à vieillir dans le temps même qu’on les imprimait. On ne s’étonnera donc pas qu’elle ait cherché à lutter contre le torrent qui entraînait tout autour d’elle : tel est le sens de ses protestations multipliées, que nous allons passer en revue.

C’est dans le fragment intitulé : Du langage français, fragment de peu d’étendue, qu’elle déclare d’abord la guerre à ceux qui, par une délicatesse fort déplacée suivant elle, désertaient l’emploi des vieux termes indigènes ou des mots de dérivation latine. Elle reproche à ces scrupuleux « d’arracher de la langue l’uberté, la grâce et tout espoir d’enrichissement. » Ce grief ne cessera de reparaître sous la plume de mademoiselle de Gournay, qui réclame le maintien des anciennes libertés et du droit commode d’innovation dans le langage. En outre, l’aigreur de l’écrivain censuré se fait sentir dans quelques critiques adressées à ceux « qui veulent limiter la mesure du prix d’un auteur sur celle de leur intelligence ; » elle perce, entre autres, dans cette observation, assez juste d’ailleurs, que « menus scrupules de style, vraie chicane de collège, ne firent jamais un bon livre. »

À cette classe de publications, où le thème précédent se reproduit avec des variations de peu d’importance, appartiennent les traités de mademoiselle de Gournay sur la Version des poëtes antiques, ou les Métaphores, sur les Rimes et sur les Diminutifs français. Ce sont autant de plaidoyers pour les traditions et les franchises du vieil idiome, qu’une époque plus jeune travaillait à détrôner. Le premier de ces morceaux, qui débute par quelques considérations sur l’art de détruire les chefs-d’œuvre de l’antiquité, se rapporte ensuite presque exclusivement à l’élocution, ou plutôt à l’une de ses parties, la métaphore, dont on accusait mademoiselle de Gournay de se servir avec trop peu de sobriété. Mais, remarque l’auteur, dans un idiome « si stérile de mots magnifiques ou puissants que le nôtre, » les métaphores forment la principale richesse et comme l’élément nécessaire de la poésie ; il lui semble même que, dans son développement progressif, le langage éprouve sans cesse le besoin « d’en planter et provigner de nouvelles, » en vue de se retremper à leur source vivifiante. C’est donc la cause des métaphores que mademoiselle de Gournay prend en main ; elle veut les protéger contre certains poëtes contemporains, ardents à les proscrire, et dont la maladresse étrange s’attaquait surtout à celles qui avaient le plus de distinction. « Bientôt, à en juger d’après ces écrivains décharnés, il eût fallu croire que c’était ce qu’on retranchait des vers, et non pas ce qu’on y mettait, qui leur donnait du prix, en sorte que le nom d’excellent poète eût de préférence été dû à qui n’y disait rien ou même à qui n’en faisait point du tout. » Grâce à ces théories, la poésie, dénuée d’inspiration, ne redevenait-elle pas une œuvre de patience, comme au temps où, « par diverses mesures de vers, on représentait des œufs, des ailes, des cognées et autres fadaises ? » Pour en arrêter les prétendus écarts, ces réformateurs en épuisaient la sève ; ils en élaguaient les branches les plus vigoureuses et les plus florissantes ; enfin ils la dépouillaient, pour retenir son expression pittoresque, « de fleur, de fruit et d’espoir. » Que penser notamment de la guerre acharnée qu’ils faisaient aux métaphores, appelées par Vida le langage des dieux ? Les idiomes antiques les plus beaux et les plus généreux ne les offraient-ils pas en abondance ? Les meilleurs écrivains, et Virgile plus qu’aucun autre, n’en étaient-ils pas partout émaillés ? Maintenant cette locution, « le vin rit dans l’or, » et de pareilles figures, ne provoquaient plus qu’un rire moqueur. Autant valait-il dès lors, au dire de mademoiselle de Gournay, entendre jouer de l’épinette sur une planche, que d’ouïr parler, soit en vers, soit en prose, ces nouveaux docteurs, qui coloraient leur impuissance et leur sécheresse du nom de politesse et de pureté, prêchaient leurs défauts comme des règles et s’érigeaient en modèles de style : semblables au renard « qui, voyant qu’on lui avait coupé la queue, conseillait à tous ses compagnons qu’ils s’en fissent faire autant pour s’embellir et se mettre à l’aise. » C’était avec la même bonne foi, selon mademoiselle de Gournay, qu’ils dissuadaient d’écrire à la façon d’un Ronsard, d’un du Bellay, d’un Desportes, « comme s’ils eussent voulu que chacun allât à pied, parce qu’ils n’avaient pas de cheval. »

La même polémique s’agite dans les traités sur les Rimes et sur les Diminutifs français. Dans celui-là, mademoiselle de Gournay discute les règles et l’emploi de la rime ; suivant elle, « on lui gardera religion, non superstition ; » en d’autres termes, on ne s’attachera pas rigoureusement à rimer pour l’œil, on se contentera de rimer pour l’oreille. À cet égard, certains scrupules des puristes, certaines interdictions prononcées par eux la choquent grandement, et elle les combat à outrance. Des licences jusqu’alors autorisées ne trouvent pas auprès d’elle un appui moins énergique. Dans l’autre opuscule, elle montre un tendre attachement pour les diminutifs, ce gracieux ornement de notre vieille langue, qui tombaient dans le discrédit : en considération des grands poëtes de son temps qui les ont chéris, aussi bien que pour, la commodité de leur usage et la variété de leurs ressources, elle réclame leur maintien avec chaleur. Il lui semble, après en avoir produit de nombreux exemples, « qu’il y aurait violence et meurtre à sevrer notre langue de telles façons de parler ; » et loin de consentir à les perdre, elle serait prête, assure-t-elle, si on ne les possédait pas, à les aller chercher fort loin.

On se gardera sans doute d’entreprendre, par un amour paradoxal du passé, la défense des sympathies surannées de mademoiselle de Gournay : mais on ne la condamnera pas sans l’entendre ; on tirera d’ailleurs de son volumineux recueil, et de ces derniers travaux spécialement, avec de sages préceptes relatifs à la composition et à la poésie, des observations pleines d’intérêt au point de vue philologique en particulier. Après nous avoir dit, par exemple, que la capitale, réputée l’école du langage et de la prononciation, était pour les provinces l’arbitre de l’usage, elle constate, mais sans l’accepter, l’ascendant de la cour, qui devait finalement prévaloir[35]. Pour la pureté de la langue, les villes de Tours et d’Orléans étaient, d’après elle, « les sœurs de Paris. » Tout avait encore, dans cette époque de transition, un caractère indécis et flottant. Le genre des substantifs était loin d’être fixé ou généralement reconnu. Erreur et amour passaient auprès des uns pour masculins, à cause de leur origine latine ; mais le féminin, pour ce dernier mot surtout, était réclamé par les dames. Beaucoup de termes utiles, en butte à de fort injustes préventions étaient menacés d’être bannis du dictionnaire. Plusieurs nous sont restés ; mais quelques-uns moins heureux ont péri, tels que férir, qui disait plus que frapper ; affoler et certains autres, qu’on n’a pu remplacer que par des circonlocutions. Les disciples de Malherbe et les courtisans, par l’effet d’un goût trop rigoureux ou trop délicat, contestaient pareillement œillade, opportun et les interjections en général ; ils traitaient de scolastiques nombre d’adjectifs entre lesquels était ridicule ; ils frappaient d’interdiction sagacité et humiliation, si nécessaires cependant et fondés sur une analogie si naturelle au gré de mademoiselle de Gournay. En protégeant ces mots contre des oreilles trop promptes à s’offenser, elle montrait une intelligence réelle de l’esprit et des besoins de notre langage. On avouera que, dans cette mesure, elle n’avait pas tort de se tenir « au français que nos bonnes nourrices avaient chanté. » C’était là non un attachement puéril à des locutions tombées en désuétude, mais une réaction légitime contre des dégoûts sans motif et sans terme. Son sentiment au sujet de quelques alliances ou emplois métaphoriques de termes n’était pas moins éclairé, lorsqu’elle soutenait les locutions suivantes qui ont prévalu ; faire bannière d’une chose, pour s’en glorifier ; se piquer de bonne mine, ambitionner une faveur, bien ou mal intentionné, détrôner un roi, une opinion, etc. On la louera aussi d’avoir voulu, combattant les tendances d’une école trop compassée, « que l’on n’écrivît pas autrement que l’on parlait. » En même temps l’on saura gré à mademoiselle de Gournay de la foi qu’elle a dans le brillant avenir réservé à notre langue ; il lui semble qu’au point où notre idiome est arrivé, « il peut avancer, mais non plus reculer ni vieillir : » opinion plus sensée que celle qu’exprimait du Perron vers la même époque, lorsqu’il déclarait, avec une illusion présomptueuse, « que la langue française était parvenue à sa perfection, parce qu’elle commençait à décliner[36]. »

Amyot, pour la prose, Ronsard, pour la poésie, offrent du reste, à la vue un peu courte de mademoiselle de Gournay, le modèle idéal de la perfection. Un moment toutefois elle avait eu la pensée de rééditer les œuvres de Ronsard, en y effaçant, par une pieuse fraude, pour l’approprier au goût nouveau, les tours et les termes qui avaient vieilli. On dit que d’autres admirateurs du vieux temps la détournèrent de cette tentative comme d’un sacrilège envers le chef de la pléiade. En lui donc, ainsi que dans le traducteur de Plutarque, réside pour elle la règle suprême : son imagination ne conçoit rien au delà. À cet égard, comme pour tout ce qui se rattache à ses doctrines littéraires, si le mot n’est pas ici trop ambitieux, on trouve ses sentiments développés avec étendue dans la Défense de la poésie et du langage des poëtes, qui parut pour la première fois en 1619, et qui réimprimée plusieurs fois, obtint un assez grand succès contemporain[37]. Dans la dernière édition de 1641, mademoiselle de Gournay avertissait le lecteur que si cette pièce et quelques autres qui concernent notre langue n’avaient pas été publiées avant l’établissement de l’Académie française, elles n’auraient pas vu le jour, « puisque désormais l’on attendait de cette honnête et savante assemblée la correction des erreurs qu’elle avait eu pour but de réfuter. » Quant aux adversaires que mademoiselle de Gournay se proposait de combattre, c’était, disait-elle, « une cabale de gens sans nom et sans aveu, qui s’attribuaient insolemment le droit de châtier notre langue et ses bons livres. » Son œuvre reçut, en 1634 surtout, de notables accroissements, et fut partagée en trois traités, au lieu de deux qui avaient été d’abord consacrés à cette matière.

Ce discours, où la personnalité de mademoiselle de Gournay ressort plus vivement que dans aucune autre partie de ses œuvres, est dédié à Marie de Blaineau, dame des Loges, honorée au début du nom de muse, et qui, affable pour les petits, recherchée par les grands, offrait à ce qu’il paraît, aux gens de lettres, une maison hospitalière. Elle semble avoir été tendrement attachée à notre auteur et sa protectrice dévouée ; car, à cette époque où une dame invitait son amie à venir coucher avec elle, comme elle la convierait aujourd’hui ou à un déjeuner ou à une matinée de travail, mademoiselle de Gournay, adressant son livre à madame des Loges, la priait de lui donner place sous son chevet, pour le cacher et sauver des mains de ses censeurs, « ainsi qu’au besoin elle donnerait place en son lit à la mère de cet ouvrage. »

Le but de ce morceau curieux, où l’on trouve, au milieu de développements diffus, d’excellentes remarques sur les changements des langues et sur ceux de la nôtre en particulier, est de défendre la réputation dès lors contestée des poëtes du seizième siècle, et au-dessus de tous, celle du grand Ronsard. Mademoiselle de Gournay s’indigne des attaques dont ils sont l’objet, et principalement de cette assertion colportée par leurs détracteurs, c’est « que l’on ne parle plus ainsi. » À ce moment du Perron et Bertaut, les derniers en date de nos vieux poëtes, venaient de descendre au tombeau. L’aurore du grand siècle commençait à poindre : Corneille croissait pour la gloire de notre tragédie ; Molière et La Fontaine allaient naître ; et par une préoccupation singulière, mademoiselle de Gournay, découragée, jette l’anathème sur cet âge, « où la poésie, dit-elle, est si peu connue. » Illusion bizarre et toutefois concevable : on se résout difficilement à penser qu’après nous, si nous avons été poëtes, la poésie ne doive être en deuil et même en décadence. Comment se résigner à croire que sa jeunesse, au contraire, sera plus brillante et son essor plus vigoureux ? mademoiselle de Gournay s’imagine naïvement qu’elle a vu luire les plus beaux temps des lettres ; et, s’échauffant contre ceux qu’elle accuse de porter sur la couronne de nos auteurs une main coupable : « Mauvais Français sont-ils, s’écrie-t-elle, de vouloir ainsi flétrir un des plus riches fleurons de la gloire du pays. » Mais quoi ! Montaigne, cet excellent juge des choses de l’esprit, n’a-t-il pas aussi déclaré que Ronsard et du Bellay avaient élevé la poésie au plus haut point qu’elle put atteindre ? L’Hôpital n’a-t-il pas proclamé Ronsard le génie de la France ? grâce à lui, la langue était parvenue, suivant mademoiselle de Gournay, téméraire cette fois dans son affirmation, à cette maturité parfaite que créent les chefs-d’œuvre et qui doit les créer à son tour.

Aux yeux de mademoiselle de Gournay, il y a impiété à troubler la cendre des illustres morts qui ont honoré la seconde partie du seizième siècle. Les observations dirigées contre eux, elle les traite de pointilleries débitées par des pédants qui veulent mordre sur ces grandes gloires ; elle les réfute avec humeur. Les licences de ces poètes, qui vont parfois jusqu’à rendre certains mots méconnaissables, n’ont, au jugement de leur apologiste, rien que de légitime et de naturel. En somme, toutes ces critiques ne sont, à l’en croire, que des scrupules vains de petits esprits entichés des règles de la grammaire et incapables de rien apercevoir au delà. Ces correcteurs qui, pour quelques nonchalances de langue ou de rime, osent s’attaquer à des œuvres si plantureuses et si riches, ce sont des pauvrets qu’elle raille de leur insuffisance ; quant à elle, son opinion est que la poésie, dont elle se fait une plus haute idée, ne doit pas s’abaisser à mendier l’approbation des fats et des ignorants ; que les suffrages des connaisseurs sont seuls dignes d’elle ; en un mot, qu’il lui convient « non de mugueter la faveur publique, mais de la ravir. »

Relativement au langage, mademoiselle de Gournay pense qu’il faut bien se garder d’en élaguer l’abondance et de vouloir, à l’imitation des censeurs raffinés qu’elle combat, resserrer le nombre des mots. Tout au contraire, comme Montaigne, elle tient à conserver tous ceux qui se trouvent chez nos poëtes, bien plus, tous ceux qui courent par les rues de Paris, en n’exceptant que les grossiers. N’était-ce pas l’avis de Fénelon, qui, de même que mademoiselle de Gournay, souhaitait ne rien perdre ? Celle-ci allègue, à l’appui de son sentiment, les témoignages de Coëffeteau, de Duplessis Mornay, de l’auteur d’Astrée, « ce bréviaire des dames, » Honoré d’Urfé, qui, dans leurs écrits si goûtés du public, avaient protesté par leur exemple contre la sécheresse de cette langue tristement réformée, que prétendaient imposer les aristarques grammairiens. Mademoiselle de Gournay, ennemie de leurs exigences, ne craint rien tant que de voir s’appauvrir notre vocabulaire. Elle demande que la langue, toujours en progrès, ne cesse de conquérir de nouvelles formes, sans abandonner aucune des anciennes ; ou plutôt « que l’on fasse un suc de la langue passée, présente et future. » Avec Cicéron, elle déclare enfin que, loin d’interdire à la pensée les instruments et les ressources dont elle dispose, il faut y ajouter au besoin par une généreuse hardiesse : Ubi res postulat, verbis imperare, non servire debemus.

Là-dessus elle est dans le vrai ; mais elle cesse d’avoir raison quand elle s’obstine à repousser également toutes les améliorations d’une école qui, exclusive ou exagérée à quelques égards, tendait du moins, pour l’avantage commun, à introduire dans le style un soin, un scrupule et un fini qui n’avaient pas existé jusqu’alors. Mademoiselle de Gournay se récrie sur la profusion de temps qu’il faudra mettre désormais à la composition de la prose et surtout des vers. Mais cet argument n’est pas de nature à toucher beaucoup le public, maître souverain des auteurs : pour lui, on le sait, le temps ne fait rien à l’affaire. Vainement Régnier, peu ami du travail, décochera aussi force traits malins contre les novateurs[38] : ils ont pour eux l’avenir. La réforme de Malherbe, sauf ses rigueurs outrées et quelques minuties, est dans le sens du progrès ; elle est l’expression d’un besoin qui se lie au mouvement continu des esprits et de la littérature. À mesure que la poésie marche en avant, les règles deviennent en effet plus sévères et plus étroites : les licences, d’abord multipliées, se restreignent ; les exceptions s’effacent : c’est que pour le talent exercé elles ont cessé d’être nécessaires. Mademoiselle de Gournay veut donc mal à propos remonter le flot intellectuel ; elle s’indigne à tort contre des entraves qui n’embarrassent que la médiocrité et n’arrêtent que la faiblesse, mais dont la contrainte salutaire, avertissement et aiguillon du génie, lui imprimera, en le forçant d’être sur ses gardes, une allure plus ferme et plus rapide. Ces menus scrupules de grammaire et de versification, comme parle mademoiselle de Gournay, qui en fait trop bon marché, vont justement élever notre littérature à cet accord heureux de l’imagination et de la raison, à ce point culminant et unique d’inspiration et d’exactitude qui la mettra dans le dix-septième siècle en possession de la suprématie européenne[39]. La révolte intéressée des anciens poëtes contre les prescriptions qui les gênaient sera donc impuissante ; et malgré leurs clameurs on continuera d’épurer de jour en jour la versification et le style français, pour les rendre en quelque sorte de plus dignes instruments des génies qui florissaient ou allaient naître.

Outre ces œuvres de morale et de critique dont nous avons présenté l’analyse, nous devons encore en prose à mademoiselle de Gournay plusieurs fragments de versions d’écrivains anciens. Si l’on se souvient du rôle important de la traduction dans cette époque et de l’action bienfaisante qu’elle a exercée sur le développement de notre langue, on ne sera pas surpris que nous arrêtions un moment notre attention sur cet ordre de travaux. Ils avaient un caractère littéraire qui n’a plus existé depuis, du moins au même degré : ce qui les faisait placer par l’opinion publique presque au niveau des produits de l’imagination. On sait avec quelle faveur fut accueillie la traduction de Quinte-Curce par Vaugelas ; elle ne lui avait pas coûté moins de trente années d’efforts, et Voltaire n’a pas dédaigné de dire que c’était notre premier bon livre écrit en prose française : il est vrai qu’il oubliait le Discours de Descartes sur la méthode. Coëffeteau avait acquis en traduisant aussi une réputation considérable qui rappelait celle d’Amyot et de Vigenère. L’Académie naissante était peuplée de traducteurs ; ils y entraient en foule, tandis que l’auteur du Cid y attendait une place dix ans encore après avoir donné ce chef-d’œuvre. Mademoiselle de Gournay, entraînée par ce goût général et salutaire, expression d’un besoin public de pureté et de correction, pensait, avec son temps et ainsi qu’elle s’exprime, que la maîtresse partie de l’âme, qui est le jugement, n’est pas moins en jeu dans le travail de la traduction que dans une création originale, et que, pour rendre avec convenance et justesse les pensées d’autrui, il ne faut pas moins de sens que pour être soi-même inventeur. Elle a mis en français, et non pas certes d’une manière méprisable, deux discours, dont le premier appartient à Tacite : c’est celui de Galba adoptant Pison ; le second est de Salluste, faisant parler Marius au peuple romain : ces harangues, rendues dans un style qui ne manque ni de précision ni de force, elle les adresse à M. de Gélas, évêque d’Agen, avec une lettre où elle expose ses idées sur la traduction, exercice si plein de difficultés et si périlleux, selon elle, qu’on ne saurait s’étonner justement que nous ayons si peu de bons interprètes. On compte encore parmi ses versions l’épître de Laodamie à Protésilas, empruntée aux Héroïdes d’Ovide, et qu’elle offre à sa cousine, Marie de Saint-Mesmin, « vrai modèle, nous dit-elle, d’esprit, de modestie, de candeur, de charité et de foi conjugale ; » la deuxième philippique de Cicéron, où elle s’excuse cette fois d’être un peu plus longue que son auteur, mais où cependant, en reportant ce travail à sa date, on ne la trouvera pas dépourvue de mérite : la véhémence oratoire de l’original est loin d’avoir entièrement disparu dans la copie. Enfin, et ce n’est pas là son moindre titre, elle a traduit en vers français, avec une ardeur souvent heureuse, quelques parties de l’Énéide et quelques autres fragments poétiques.

Ce détail nous amène à considérer le poëte dans mademoiselle de Gournay : et ce n’est pas là, nous croyons pouvoir l’affirmer, le côté le moins saillant de sa physionomie. Jusqu’ici il avait été trop laissé dans l’ombre. Les productions de mademoiselle de Gournay en ce genre ont-elles donc mérité en effet l’oubli où elles sont tombées ? Qu’il me soit permis de répondre à cette question en citant plusieurs de ses vers. Le lecteur puisera dans ces pièces du procès les éléments de sa conviction.

Auparavant toutefois signalons encore, comme un morceau assez important de critique, la dissertation en prose placée en tête des poésies, auxquelles elle sert de préface, et qui roule « sur la façon d’écrire de MM. le cardinal du Perron et Bertaut, évèque de Séez. » C’est une nouvelle apologie de ces deux écrivains et surtout de leur genre littéraire, dont s’éloignait le goût public, depuis que Malherbe avait commencé à régenter le Parnasse. Ce réformateur, sans être nommé, est assez clairement désigné dans cette pièce : on l’accuse « de frapper tout, à cause qu’il ne discerne rien ; » et ses doctrines sont vivement combattues. Là, mademoiselle de Gournay se montre, ainsi que d’habitude, partisan de l’indépendance capricieuse ou même du laisser-aller des anciens temps, jusqu’à défendre l’emploi de l’hiatus, dont La Fontaine, par insouciance, devait quelquefois après elle se permettre l’usage. En somme, toutes les licences poétiques sont fort autorisées à ses yeux, ou plutôt elles n’ont aucune importance : conséquente avec elle-même, elle n’avait garde de se les refuser.

Avec du Bellay, Desportes et Ronsard, dont la Franciade, les hymnes, les odes, les élégies excitaient son enthousiasme, du Perron et Bertaut étaient ses modèles, et comme ils venaient tous deux de s’essayer à rendre en français quelques parties de Virgile, elle les suit dans cette carrière, tout en s’excusant fort, par une modestie sincère ou affectée, de toute pensée de rivalité avec ces riches traductions, spécialement avec celle du cardinal, dont il lui semble que les vers ne peuvent manquer d’effacer les siens. Quoi qu’il en soit, du Perron ayant commencé la version du premier et du quatrième livre de l’Énéide, elle compléta, vers 1616, la traduction de l’un et de l’autre ; on lui dut de plus, par la suite, celle des second et sixième chants du même poëme. C’était dans celui-là qu’elle se portait pour rivale de Bertaut, non sans demander excuse « de ce qu’une quenouille attaquât une crosse, et une crosse de tant d’illustration. » Aussi, en entreprenant ces gestes d’amazone, avait-elle pris ce vers pour épigraphe : Audetque viris concurrere virgo ; ce qui rappelle l’éloge que, nous l’avons dit plus haut, lui donnait le jeune Heinsius.

C’est à l’illustrissime, ou, comme on parla depuis, à l’éminentissime cardinal du Perron qu’elle adresse sa traduction du premier livre, continuation de celle du prélat : elle dédie le quatrième livre au roi, qu’elle exhorte à provoquer, par ses récompenses, des travaux honorables pour les lettres françaises : surtout elle exprime le désir, « que nos souverains proposent des prix à des personnes de capacité connue, pour traduire à l’envi les plus dignes orateurs et poètes latins, en vue d’enrichir notre langue. » L’idée n’était pas mauvaise et méritait d’être accueillie par nos princes, ou, à leur défaut, par l’Académie naissante. Le second chant fut offert en 1626 au maréchal Bassompierre, qu’elle louait « de la beauté de sa personne autant que de son esprit, de sa générosité, de son cœur français, » et dont la grande réputation, disait-elle, avait amené l’usage proverbial, familier aux dames de toute condition, « d’appeler le Bassompierre, entre elles, celui qui primait sur ses compagnons[40]. » Quant au sixième livre, il parut, en 1634, sans dédicace.

La citation suivante, empruntée au premier chant, montre déjà que cette traduction ne manque ni de mouvement ni même d’un certain éclat.


Il chante[41] du soleil les courses opportunes
Et les erreurs sans fin des successives lunes ;
Quelle heureuse industrie a formé les humains,
Qui fit le feu, la pluie et les nuages vains,
Quel dessein forgea l’ourse et l’enfant qui la guide,
D’où naissent les trions, qui rend l’hyade humide,
Pourquoi Phébus, l’hiver, précipitant son cours,
Plonge sitôt en mer le blond fanal des jours,
Et d’où vient qu’un long jour les courtes nuits resserre,
Lorsqu’inspirant l’été ses rais[42] dorent la terre.
La cour des Tyriens bruit d’applaudissement,
Et celle des Troyens la suit allègrement :

Mais la pauvre Didon, à son mal conjurée,
De propos en propos allonge la serée[43]  ;
Et plus le prince parle, étincelant d’attraits,
Plus le venin d’amour elle hume à longs traits…


Le second livre, comme le premier, porte la trace d’honorables efforts, assez souvent heureux. Il y a du feu et de la vigueur dans la peinture du sac de Troie. Les deux serpents envoyés de Ténédos, par une divinité ennemie, contre Laocoon et ses enfants, sont pareillement décrits avec une énergique hardiesse[44] :


 …Ils tirent vers la ville,
De grands cercles marbrés couvant la mer tranquille,
Et droit au front du port voguent de même train,
Roidissant sur les eaux l’orgueil d’un large sein :
Le chef se dresse en l’air à crête rougissante ;
Le corps rase la mer, sous ses replis glissante
Et la queue effroyable en tortis s’élargit :
Le flot sonne écumeux ; l’un et l’autre surgit ;
La flamme éclaire en l’œil, aux menaces mêlée,
Et la langue qui roue[45], à trois dards affilée,
Siffle dedans la gueule…


J’aime aussi la manière dont se trouve rendue la comparaison de Pyrrhus avec un serpent qui secoue la torpeur de l’hiver[46] :


Tel, au nouveau printemps, un fier serpent se voit,
Naguère enflé sous terre et tout transi de froid :

Ores qu’il[47] s’est gorgé d’une herbe venimeuse,
Pour dépouiller sa peau, de vieillesse hideuse,
Repoli de jeunesse, au soleil des beaux jours,
Il sourd[48] à pas glissants et roüe en mille tours :
Son chef se dresse en l’air tressaillant d’insolence
Et sa langue à trois dards de la gueule s’élance…


Le désespoir et les fureurs de Didon abandonnée ont surtout inspiré dans le quatrième livre un langage plein de chaleur à mademoiselle de Gournay. La passion qui circule dans tout cet admirable épisode ne lui est pas restée étrangère : elle se reflète en plusieurs vers fortement frappés, par exemple, lorsque Didon adresse au guerrier troyen ces terribles adieux[49] :


Tu n’as point, déloyal, pour mère une déesse ;
Dardan n’est pas le tronc de ta feinte noblesse :
Mais le mont de Caucase, affreux en âpreté,
Du flanc de ses rochers t’a jadis enfanté.
Mes pleurs ont-ils fait naître un soupir en sa bouche ?
A-t-il daigné fléchir cette œillade farouche ?
A verser une larme ai-je plié son cœur ?
A-t-il plaint son amante en si triste langueur ?…


Cette véhémence ne se dément pas dans le reste du discours : il suffirait seul pour prouver que mademoiselle de Gournay sentait la poésie et n’était pas incapable d’en rencontrer l’accent.

Ajoutons encore quelques vers, empruntés aux dernières plaintes de Didon qui va mourir, passagel’éclatante beauté de l’original ne semble pas avoir été entièrement ternie[50] :


La nuit ouvrait son sein : les animaux et l’homme
S’enivraient, tous lassés, au doux oubli du somme…
Elle éclate en ces cris : Ah ! monarque du monde,
Il s’en va donc sans peine et sans crainte de toi :
Un étranger bafoue et mon royaume et moi !
Le poursuivrai-je point, ce perfide volage ?
Ne dois-je point armer pour courir au carnage ?
Dois-je pas envoyer navires et flambeaux,
Saccager et brûler ses corsaires vaisseaux ?
Des feux, peuple, des feux : matons cette insolence,
Tends les voiles au vent, que le rameur s’avance !
Que dis-je ? où suis-je, hélas ! quelle aveugle fureur
Te précipite, ô reine, en si profonde erreur ?
Pauvrette, il faut mourir : la sentence éternelle
De ton fatal destin au dernier jour t’appelle…
Voici doncques la main si saintement donnée,
Voici doncques la foi de ce fameux Énée,
Qu’on dit avoir sauvé ses domestiques dieux
Et chargé sur son cou le faix d’un père vieux.
Que n’ai-je par tronçons déchiré ce perfide,
Que n’ai-je des tronçons gorgé la mer avide,
Que n’ai-je, entre ses bras, Iule assassiné !…
Mais la victoire eût pu se tourner de sa part :
Et que m’importait-il d’affronter ce hasard ?
Quel sort eussé-je craint, de mourir désireuse ?…
Soleil, source du jour, qui sans fin tournoyant,
Vois les actes humains de ton œil flamboyant,
Vous, troupe des enfers, aux vengeances commise,
Et vous, les dieux plus chers de la mourante Élise,
Prenez pitié de moi, puissantes déités,
Exaucez ma prière et ma plainte écoutez…

On devra le reconnaître sur ces vers et d’autres qu’il serait aisé de citer, malgré la grande réputation contemporaine de du Perron et de Bertaut, mademoiselle de Gournay est loin de leur avoir cédé l’avantage. Tout au contraire. Plus harmonieuse et moins tendue que le premier, elle a plus de concision et de justesse que le second ; elle l’emporte sur l’un et l’autre en vigueur et en éclat poétique. Si on peut lui reprocher, avec l’abus de métaphores hardies à l’excès, celui de mots vieillis ou de grands mots qu’elle avait retenus de Ronsard et de du Bartas, il faut y louer aussi des beautés d’un ordre élevé. Quant à la traduction du sixième chant de l’Énéide[51], elle offre également, bien que mademoiselle de Gournay n’y ait travaillé que dans un âge avancé, plusieurs fragments pleins de verve. Bon nombre de vers s’y font remarquer par des traits vifs et brillants : on trouve surtout dans les discours un tour nerveux et une allure animée.

Mademoiselle de Gournay a fait encore d’autres excursions dans l’antiquité. Parmi quelques pièces gracieuses qu’elle en a reproduites, se trouve le dialogue d’Horace et de Lydie, où son style a plus de recherche maniérée que de véritable élégance. Elle a été plus simple et plus heureuse dans la traduction de la seconde idylle de Bion.


Un enfant aperçoit, traversant un bocage.
Un autre enfant qui fuit de ramage en ramage :

Il va, les bras ouverts, tout autour sautelant,
Pour happer ce poupon à deux ailes volant ;
Enfin, las et vaincu de sa fuite importune,
A quelque vieux pasteur il conte sa fortune.
Le bon pasteur sourit, par les ans raffiné,
Consolant de ces mots le garçon mutiné :
Attends, attends, mon fils, qu’un poil follet menace
De ceindre à demi-tour le vermeil de ta face ;
Et lors je te promets que cet enfant hautain,
Qui dédaigne aujourd’hui de tomber en ta main,
Volera de son gré, pour l’abréger ces peines,
En tes yeux, en ton sein, en tes bouillantes veines,
Si bien que le mignon, quittant ce vol léger,
Se nichera chez toi, sans vouloir déloger.


Mademoiselle de Gournay traduisait même parfois ses contemporains : c’est ainsi qu’elle mit en vers français deux fragments d’une tragédie sacrée, écrite en latin par Daniel Heinsius, et une inscription, pareillement latine, composée par le président d’Espagnet pour la statue de Henri IV, qui dès cette époque ornait le pont Neuf. Mais, après ses versions de Virgile, ce qu’elle a laissé de plus remarquable dans ce genre de travaux, ce sont ses versions de plusieurs psaumes et cantiques où elle est soutenue, en quelque sorte, par la grandeur du texte saint. Elle y montre certainement plus d’inspiration que dans ses poésies originales.

Ces poésies, généralement de peu d’importance au point de vue littéraire, ne laissent pas d’avoir pour nous un intérêt spécial, puisqu’elles éclairent à la fois la physionomie de mademoiselle de Gournay et celle de son temps.

Nous avons d’abord, de mademoiselle de Gournay, un livre d’épigrammes ; mais il ne faut pas s’attendre à y rencontrer cette piquante malice, assaisonnement du genre chez les modernes. Elle-même nous avertit qu’à la manière des anciens elle y a recherché la naïveté plus que la subtilité : il est certain que, pour eux, le trait final, la saillie mordante, n’en formait pas un caractère essentiel ; c’est ce que nous apprendrait au besoin l’anecdote que voici : Un jour qu’elle avait montré à Racan, devenu son ami, certaines épigrammes de sa façon, celui-ci, bonhomme et sans détour, en fut peu charmé et le lui avoua, alléguant qu’elles n’avaient pas de pointe. « Sans doute, répliqua l’auteur, elles sont à la grecque. » Racan, à peu de jours de là, était à un dîner auprès de mademoiselle de Gournay, qui trouva sans goût le potage qu’on leur servait, et le lui dit : « Oui, reprit l’autre, il est à la grecque. » Le mot fut entendu et fit fortune. Un méchant repas, un mauvais cuisinier, un poëme insipide, ce fut dès lors pour les rieurs, un repas, un cuisinier, un poëme à la grecque[52].

Toutes les épigrammes de mademoiselle de Gournay ne manquent pas néanmoins d’aiguillon ; on en jugera par les suivantes, dirigées, l’une contre un faux

dévot, l’autre contre un auteur médisant :

Pierre, étant douze mois méchant,
À Pâques est saint comme un ange :
Dont le peuple, qui prend le change,
Homme de bien le va prêchant.
Pierre, la vie est condammée
Par le crime d’un seul moment ;
Et tu te crois juste une année,
Si tu t’es un jour seulement.

Colin, qui n’a vu que son livre,
Veut faire le drapeur[53] de cour[54] ;
Or, Colin, pour le faire court,
La cervelle d’un sot t’enivre.
Un savant qui fait l’impudent
N’est pas certes, comme il te semble,
Courtisan et savant ensemble,
Mais il est pédant et pédant.


Mais la plupart paraîtront trop inoffensives. Le malheur est que souvent elles n’ont pas plus de naïveté que de piquant, et qu’elles sont, en d’autres termes, ou vulgaires ou prétentieuses. Là en effet se montre très-fréquemment l’affectation du bel esprit, accréditée dans la cour de Louis XIII par le cavalier Marin. Rien de plus frivole que quelques-uns des sujets : il n’est pas jusqu’au « petit chien de la reine régente » qui n’ait son tribut poétique. Beaucoup de pièces sont d’ailleurs de simples distiques ou quatrains. On y trouve, en outre, des compliments adressés par mademoiselle de Gournay à des personnages d’un rang élevé, et ce n’est pas sans dignité qu’elle parle à ces derniers. Par exemple, transmet-elle à Henri IV, en guise de placet, des vers sur la pucelle d’Orléans ; après avoir dit au prince que cette héroïne fut suscitée pour le salut de son roi comme pour la gloire des lis, elle ajoute :


Mais le ciel, désireux d’illustrer la mémoire
Des actes généreux qui signalent ta gloire,
Une autre dame encore a fait naître en tes jours
Qui pût, de si beaux faits, ourdir un beau discours,
Si ta faveur promise à ses vœux ne refuse
Le calme et le repos nourriciers de la muse[55].


Le cardinal de Richelieu est pareillement célébré dans les Épigrammes. On sait, du reste, qu’il fut son bienfaiteur. Elle comble en lui, d’éloges hyperboliques, le vainqueur de la Rochelle. Quelques-uns de ces vers ont ainsi l’avantage de nous rappeler des noms ou des faits liés à notre histoire, et appartenant surtout au règne de Louis XIII : témoin les suivants, qui ne manquent pas d’élévation et de force, « sur l’heureuse guérison de ce prince à Lyon[56]. »


Ô rois, brisez l’orgueil de vos hautes couronnes,
Augustes majestés, portez le sceptre bas,
Si la grandeur permet que vos frêles personnes
Fondent comme le peuple au gouffre du trépas.

Mon roi, l’honneur des rois, gisait en l’agonie :
La beauté, la jeunesse et la ferme vigueur
Séchaient comme une fleur que la bise a ternie…

Mais un ange apparut, enflammé de lumière :
Le ciel n’a point, dit-il, votre vœu rejeté ;
Dieu rappelle son oint en sa santé première,
Non pour ses grands exploits, mais pour sa piété…


Nous devons encore à ce recueil des renseignements biographiques sur mademoiselle de Gournay et sur sa famille : elle adresse des vers à un de ses oncles, président au grand conseil, à un de ses neveux, président au parlement de Paris, à un autre, évêque de Soissons, tous trois nommés d’Hacqueville. Elle dit, en parlant aux deux premiers, qui furent des magistrats éminents :

Vous luisez ainsi tour à tour,
Père et fils, astres de justice[57].

Sous le nom de Bouquet du Pinde (c’est un bouquet, nous dit l’auteur, assorti de fleurs cueillies sur cette montagne des Muses), d’autres pièces de diverse étendue sont dédiées à la fille unique de Montaigne, Léonor, la sœur d’alliance de mademoiselle de Gournay. Leur étroite liaison, célébrée dès le début du recueil, ne fut interrompue que par la mort prématurée de Léonor, qui en 1626 avait déjà cessé de vivre. Au premier rang de ces morceaux, qui lui sont offerts pour resserrer les liens d’une tendre amitié, on remarque un sonnet en l’honneur du père adoptif de mademoiselle de Gournay, expression de sa piété et de son admiration. Il y a ensuite des églogues et des idylles, compositions éphémères qui ont eu leur jour de succès, et où respire une certaine grâce, enfouie sous beaucoup d’affectation. Même dans les tombeaux ou épitaphes en vers, consacrés par mademoiselle de Gournay, selon le goût de son temps, à des membres de sa famille, à de grands seigneurs ou à des célébrités de l’époque, la douleur parle trop généralement un langage apprêté et semé de traits d’esprit.

Mademoiselle de Gournay, dans deux pièces plus importantes pour nous, et qui ont plus de valeur littéraire, nous a donné sur sa personne et son caractère des détails dont nous avons déjà eu occasion de profiter. L’une est adressée à une amie, compagne de ses jeunes années, et avec qui elle s’applaudit d’avoir plusieurs traits de ressemblance :

Paris fut ton berceau qui fut aussi le mien ;


l’autre au président d’Espagnet, et nous l’avons précédemment citée. Dans la première, elle dit qu’elle a la taille moyenne et l’esprit modeste et ouvert, en rapport avec l’air de sa figure :

Nos deux esprits sont ronds, et ronds nos deux visages.


Elle ajoute qu’elle est charitable et qu’elle pratique ses devoirs religieux avec exactitude, tout en aimant la conversation et la gaieté : portrait que rien ne nous autorise à croire peu fidèle. Dans la seconde pièce, qu’elle composa, après l’âge de trente-cinq ans, avec un accent plus ferme encore, parce qu’elle répondait aux insinuations de la calomnie, elle s’est rendu ce témoignage :


J’ai le cœur noble et franc, je hais toute feintise,
Je suis inviolable en l’amitié promise ;
Les faibles je respecte à l’égal des puissants…
Je ne sème discord, je ne couve l’envie :
Nul prix ne flétrirait l’équité de ma vie ;
Nulle nécessité n’usurpe le pouvoir


De me faire offenser le proche ou le devoir. Tallemant des Réaux, fort peu louangeur d’habitude, rend effectivement hommage à la noblesse de son caractère, à sa force d’âme et à son humeur reconnaissante : « Car, pour peu qu’on l’eût obligée, elle ne l’oubliait jamais. » Un autre contemporain, Sorel, met fort au-dessus de son savoir ce sa générosité, sa bonté et ses autres vertus, qui n’avaient point leurs pareilles[58]. » L’abbé de Marolles lui a payé aussi, dans ses Mémoires [59], un tribut d’estime, qui montre qu’elle n’a dit sur elle que la vérité, ce Cette bonne fille, que j’ai toujours beaucoup estimée et que je visitais souvent, lit-on dans ce naïf écrivain, avait l’âme candide et généreuse. » Il remarque de plus « qu’elle savait force choses qui ne sont pas ordinaires aux personnes de son sexe[60], et que ceux qui l’ont voulu railler n’ont pas trouvé sujet de s’en glorifier. »

La critique de nos jours doit partager ces sentiments. En rendant justice à ses qualités morales, à ce que son cœur avait d’élevé et de viril, à son désintéressement (sur ce point, en effet, nous avons opposé un fait à des accusations peu réfléchies : c’est qu’après avoir obtenu une petite pension qui lui assurait seulement le nécessaire, elle ne souffrit pas qu’on l’augmentât en aucune façon), on ne négligera pas, au point de vue littéraire, de revendiquer pour elle, dans son époque, le rang qu’elle a mérité par ses efforts. Sans doute la plupart de ses œuvres ont beaucoup vieilli ; mais on a pu apercevoir que, pour l’histoire de la société et de l’esprit en France, qui est encore à faire, on ne la consulterait pas sans fruit. Si elle a plus d’érudition que de goût, lorsque, se rappelant par exemple le frigidulos singultus de Catulle, elle parle d’une dame qui pousse de son sein « maint sanglot froidelet ; » si elle s’embarrasse dans des raisonnements compliqués et des distinctions subtiles ou multiplie à l’excès les digressions, alléguant comme excuse que « son sexe aime à causer ; » enfin, si, pour la facilité et l’agrément du style, elle retarde, par une conséquence de ses principes, sur l’élite de ses contemporains, elle est loin cependant de manquer d’originalité et de valeur. Son âme, ouverte à tous les sentiments généreux, lui suggère de nobles accents. Avec un riche fonds d’instruction, il y a du cœur dans ce qu’elle écrit. Elle envisageait dans les lettres, ainsi qu’elle nous l’apprend, un enseignement pour les mœurs, et elle n’hésite pas à condamner « toute capacité où ne domine point, avec le jugement, la probité, sa compagne inséparable. » C’est assez dire qu’elle était digne de rencontrer parfois l’éloquence, et l’éloquence ne lui a pas toujours manqué. On peut ajouter que dans sa prose elle manie en général avec assez de [bonheur la période oratoire. L’émotion dont elle est capable respire aussi dans quelques-uns de ses vers : on a souvent cité son quatrain sur Jeanne d’Arc, « représentée l’épée nue au poing : »


Peux-tu bien accorder, vierge du ciel chérie,
La douceur de tes yeux et ce glaive irrité ? —
La douceur de mes yeux caresse ma patrie,
Et ce glaive en fureur lui rend sa liberté.


C’était une inscription préparée pour une statue de la Pucelle, qui ornait le pont d’Orléans. Pasquier nous apprend[61] que, sur la base, il avait été question, de son temps, d’inscrire quelques vers, et qu’à cette occasion un descendant de la famille de Jeanne avait invité tous les poëtes à célébrer cette illustre victime. Le recueil de ces pièces existe encore[62] ; mais parmi elles il n’en est aucune qui égale la brièveté expressive de celle de mademoiselle de Gournay. Avec autant de bonheur une jeune princesse, trop tôt enlevée aux arts, a reproduit de nos jours, par le ciseau, la physionomie tendre et fière de cette fille héroïque du peuple. Il semble que ce quatrain ait été une définition anticipée du touchant chef-d’œuvre de Marie d’Orléans.

Frappée, au reste, de la gloire nationale attachée au nom de Jeanne d’Arc, mademoiselle de Gournay lui à fréquemment rendu d’autres hommages, et l’on peut citer encore ce quatrain, empreint d’énergie et de noblesse, qu’elle a composé en l’honneur de cette amazone :


Les grands peuples lointains, de gloire ambitieux,
Accouraient au secours de la France opprimée ;
Soudain, comme un tonnerre, on oit ce cri des cieux :
Peuples, reposez-vous ; la pucelle est armée.


Ces vers, au dire de mademoiselle de Gournay, étaient comme une aurore du soleil qui allait enfin éclairer, grâce au poëme de Chapelain, une mémoire doublement sûre de vivre. En exprimant cet espoir, elle appelait de ses vœux l’œuvre longuement attendue : on sait toutefois que la réputation de Jeanne devait être peu servie par ceux qui l’ont chantée, et notamment par le poëme de la Pucelle.

On peut juger, d’après ses sympathies littéraires, que mademoiselle de Gournay, si elle eût vécu jusqu’aux satires de Boileau, n’eût pas manqué d’être, contre lui, du parti de Chapelain. Mais si le succès de la cause qu’elle soutenait était impossible, la justice et la raison, on a pu le reconnaître, ne manquaient pas absolument à sa défense du passé. Lorsque des novateurs hardis, donnant le signal de l’ingratitude, jetaient aux vents, suivant son expression, les vénérables restes de tous les poëtes de la renaissance, n’y avait-il pas lieu de protester ? De nos jours on l’a fait et à bon droit. Le dix-septième siècle, dans l’ivresse de son triomphe, s’était persuadé trop aisément que notre littérature commençait à lui, et il avait fait trop bon marché de vieux titres qui devaient être revendiqués par la suite. Mademoiselle de Gournay n’a pas été non plus inutile à notre langue, et ici on nous permettra de revenir encore un moment sur ce point précédemment abordé. À part les exagérations qui l’ont compromise, elle luttait pour des privilèges qu’il convenait de restreindre plutôt qu’il ne fallait les anéantir. Or, dans la réaction outrée qui se manifesta au sujet des négligences d’autrefois, on redoutait jusqu’à la simple rencontre des voyelles, et mademoiselle de Gournay n’a pas de peine à établir que de cette rencontre même on pouvait tirer d’heureux effets, Joachim du Bellay avait déjà interdit la suppression de l’article, souvent gracieuse et commode : depuis lui, la rigueur de cette prohibition et d’autres semblables avait toujours été croissant. Avec les diminutifs, qui nuançaient et variaient si agréablement l’expression, l’ellipse, l’un des traits les plus saillants de la physionomie du vieux français, ami des propos abrégés, avait également été proscrite. À force d’être logique, régulier et grammatical, notre langage, sans quelques protestations opportunes, n’eût-il donc pas été froid, compassé et roide, marqué de cette justesse géométrique qui n’a rien de commun, dit Pascal, avec celle du goût ? Pour la poésie pareillement, son essor semblait comprimé par d’insignifiantes prescriptions : mademoiselle de Gournay pouvait, avec quelque raison ce semble, traiter de badauds ceux qui condamnaient les rimes de hautain et de butin, de main et de chemin ; et n’était-ce pas, comme elle le dit encore, un scrupule puéril qui défendait d’omettre pas ou point dans ce vers :


Ne soyez sans pitié non plus que sans justice.


Si, par calcul personnel autant que par système, mademoiselle de Gournay a résisté aux doctrines qui rompaient avec le passé, on voit que ce n’était pas toujours mal à propos. Ennemie de ce qu’elle appelait des pointilleries de diction, elle voulait que l’esprit se préoccupât principalement des choses, et en cela elle s’accordait avec tous les maîtres de l’art. Seulement elle ne comprenait pas assez tout ce que la propriété des termes et la pureté du langage ont d’essentiel pour le développement même de la pensée ; mais son attachement aux mots de notre vieil idiome n’était pas sans excuse et sans avantage. On sait en effet combien le dix-septième siècle a fait main basse sur les trésors amassés par nos pères. « À l’égard de ces retranchements, remarque Sorel dans un morceau curieux sur les progrès de notre langue[63], si l’on veut citer une personne qui s’est mise fort en colère, ce sera la bonne demoiselle de Gournay ; elle pourrait donner grande matière de discourir touchant le langage, autant pour ce qu’on lui en a ouï dire que pour ce qu’elle en a écrit. » De là le rôle que lui a prêté Ménage, en supposant qu’elle avait adressé une supplique à MM. de l’Académie, qui proscrivaient :


Ces nobles mots, moult, ains, jaçoit,
Ores, adonc, maint, ainsi soit,
À tant, si que, piteux, icelle,
Trop plus, trop mieux, blandice, isnelle,
Piéçà, tollir, illec, ainçois,
Comme étant de mauvais françois[64].


N’était-il pas possible de produire, pour la défense et le maintien de plusieurs d’entre eux, des arguments assez solides ? Moult, ains[65], maint, d’une prononciation facile et douce, si que, tour nerveux autant que rapide, ont été regrettés par La Bruyère[66] ; Corneille n’a pas dédaigné piteux, que la poésie n’a point remplacé ; blandice était harmonieux ; isnel (agile), d’une vivacité gracieuse, imitative ; icelui, très-favorable à la clarté et à l’agrément du langage. On devra louer, ce semble, mademoiselle de Gournay, d’avoir voulu, comme elle l’indique, « user de ces termes au besoin, malgré les visions grammaticales de son siècle. » Mais il en est bien d’autres qu’elle s’est efforcée de retenir : c’est ainsi qu’elle réclame pour susdit, voire, aucunefois, malsonnants à l’oreille des puristes ; elle soutient contre leurs antipathies sauf, en outre et car, si utiles pour la netteté qu’exige l’esprit français ; elle lutte avec moins de succès pour se douloir, impugner, contraimer et bienheurer, qui méritaient de survivre. L’adjectif alme, plein de charme et de bienséance suivant elle, lui paraît digne d’être conservé, de même que rouer, dont tournoyer n’a point l’énergie, et jà, ost, que leur brièveté, disait-elle, rendait précieux pour nos poëtes. Il lui arrive de justifier par des notes plus d’un mot dont elle se sert : dans un morceau de poésie religieuse où elle emploie le mot liesse, elle a soin d’avertir le lecteur « qu’il est des plus propres au génie des sujets sacrés, bien que rebuté de certains esprits. »

En parcourant la longue série des plaintes et des réclamations de mademoiselle de Gournay, on ne peut remarquer sans surprise combien la sévérité impitoyable des réformateurs a failli nous ravir de locutions qui sont de première nécessité. Mademoiselle de Gournay, outre ces particules, liens naturels du discours, qu’elle a contribué à sauver, leur dispute, parmi les verbes, desservir, allécher, larmoyer, grommeler, boursoufler, agencer, raviver, égayer, épanouir ; parmi les adjectifs, intrépide, preux, tragique, inepte, ardu ; parmi les substantifs, pensers, imaginations, conceptions, obsèques, allégresse, qui tous, en durant, ont fait honneur à son patronage. Dans cette liste de noms menacés et maintenus, il faut placer cependant et extrêmement, « qui recevaient quelque œillade de travers ; » rougissant et verdissant ; lionceau et plusieurs diminutifs de ce genre ; poitrine, que les délicats refusaient de prononcer, « parce que l’on disait poitrine de veau ; » griefs, sanglots, angoisse, carquois, cohorte, fâcherie, précaution, etc. Joignons-y beaucoup d’acceptions métaphoriques qui ajoutaient, ainsi qu’on l’a fait observer, aux ressources et à la puissance du langage, et bon nombre de proverbes nationaux, traités de vulgaires, et en qui mademoiselle de Gournay voit « les images des siècles antiques. » Encore ne se borne-t-elle pas aux richesses que nous ont léguées nos ancêtres : dans son désir de les augmenter, elle accrédite à leur naissance adolescent, contesté par la cabale, et pétulance, récemment introduit par Amyot : « car quelle personne de jugement rejetterait un terme employé par cet auteur ? » En revanche, elle s’oppose aux fâcheuses tendances d’une autre classe de novateurs, qui, par un excès contraire à l’excès du scrupule, troublaient et défiguraient notre langue en s’affranchissant de toutes les règles ; elle combat ces formes barbares, j’allis, je donnis, et autres corruptions semblables que la manie de changer mettait en vogue ; elle proteste enfin contre les vices d’une prononciation affectée qui rendait les mots méconnaissables[67], et contre les imprécations, les jurements, de jour en jour plus communs dans la société, qu’elle signale comme une des causes de l’altération de notre idiome.

Pour être juste envers mademoiselle de Gournay, il faut donc avouer que ses travaux sur notre langue renferment des vues sages et utiles : entre les termes dont elle a pris la défense, il en est qui nous sont restés ou revenus ; on peut même être fâché que son autorité n’ait pas prévalu pour un plus grand nombre. À cet égard, sa cause est jointe, nous l’avons dit, à celle de très-bons esprits auxquels notre langue a été personnellement redevable. Montaigne prescrivait dans les Essais de retenir du bec et des ongles les mots anciens qu’on voulait nous enlever. L’énergique d’Aubigné, d’accord en cela avec le bonhomme Ronsard, affectionnait grandement « maints vocables naturels qui sentaient le vieux, mais le libre et le français : » en dépouiller notre langue, c’eût été, à son avis, « faire servante une demoiselle de bonne maison. » Ces mêmes termes, dans la suite, étaient l’objet des regrets de Chapelle, qui se plaignait de l’épuration excessive soufferte par notre idiome. Ils trouvaient un patron non moins décidé dans La Fontaine, fort assidu aux séances de l’Académie où s’élaborait le dictionnaire, en vue d’y solliciter une place pour les mots de sa connaissance, et assez mécontent d’ordinaire du peu d’accueil qu’ils recevaient. Voltaire plaidait aussi en leur faveur ; et Bayle était du parti de mademoiselle de Gournay, comme l’attestent ces paroles : « Tout bien considéré, cette demoiselle n’avait pas autant de tort qu’on se l’imagine, et il serait à souhaiter que les auteurs les plus illustres de ce temps-là se fussent vigoureusement opposés à la proscription de plusieurs mots qui n’ont rien de rude et qui serviraient à varier l’expression, à éviter les consonnances et les équivoques. La fausse délicatesse, ajoutait-il, a fort appauvri notre langue. »

Vers cette époque, en effet, les précieuses, dont l’influence incontestable sur notre littérature a été mêlée de bien et de mal, commençaient à fleurir. Quoique mademoiselle de Gournay, les désignant par leur nom, leur fasse volontiers la guerre sur leurs regratteries de la langue, elle est de leur bord à certains égards. Sans avoir toutes leurs réserves et leurs affectations de modestie, elle leur ressemble par le défaut de naïveté : comme son style, surchargé de science, est souvent pédantesque, il est permis de croire qu’elle prétendait, en parlant non moins qu’en écrivant, au mérite du beau langage. Elle-même nous dit que dans le monde on l’appelait dame Sapience. Mais ce qui, à nos yeux, la distingue des précieuses, ce qui communique à sa figure son principal intérêt, c’est qu’elle a conservé la franche nature gauloise et cette veine en quelque sorte indigène, qui lui fait représenter un autre âge à la veille de la grande époque des lettres françaises. La dernière édition qu’elle a donnée de ses œuvres est très-voisine du milieu du dix-septième siècle[68]. Elle était alors d’une vieillesse avancée, et cependant, comme dans l’édition précédente, on la voit augmenter et retoucher encore ses travaux[69]. Toutefois, elle prie le lecteur de considérer que s’il trouve des fautes typographiques, il ne faut pas en faire tomber le blâme sur elle, « sur une pauvre vieille qui, corrigeant son propre ouvrage lorsqu’il est sous presse, croit toujours lire ce qu’elle a écrit ; » et, recommandant son livre au public, elle se compare « à une mère qui est prête à quitter son enfant orphelin et veuf de toute assistance. » En réalité, elle ne survécut que très-peu d’années à cette impression finale. Âgée de près de quatre-vingts ans, elle mourut le 13 juillet 1645, et fut inhumée à Saint-Eustache. Elle disparaissait du milieu d’une société qui ne la connaissait plus et qu’elle ne connaissait guère davantage. Les yeux tournés en arrière, par l’effet de sa préoccupation trop constante, elle n’avait aperçu que peu le mouvement d’idées et l’immense progrès qui s’accomplissait, les germes puissants qui s’élaboraient, que dis-je ? les chefs-d’œuvre qui naissaient devant elle. Il semblait qu’une baguette magique l’eût endormie au sein du triomphe de la Pléiade, dont elle s’était obstinée ensuite à porter le drapeau délaissé. Mais les opinions humaines se détrônent entre elles ; et, dans leur cercle mobile, on revient souvent à celles dont on s’était éloigné. De nos jours il y a eu, par la lassitude du genre classique (je veux parler du mauvais), un retour vers quelques idées de la renaissance. M. Sainte-Beuve, à la fin de son intéressant travail sur la poésie du seizième siècle, cite d’Aubigné, Régnier et aussi mademoiselle de Gournay, outre les poëtes de la Pléiade, comme offrant, dans certains passages de leurs écrits, des points généraux de ressemblance avec les doctrines qui ont caractérisé la jeune école littéraire de 1830.

La longue carrière de mademoiselle de Gournay l’avait fait survivre à presque tous ses amis et ses illustres protecteurs. À ceux que nous avons déjà nommés il faut ajouter le chancelier de France Séguier, Louis de Chasteigner, les présidents de Grammont et Jeannin, les évêques de Poitiers et de Nantes, La Rochepozai et Godeau, les ducs de Mantoue et de Biron, enfin plusieurs princes et princesses. Car jadis, comme nous l’avons rappelé d’après Tallemant des Réaux, « elle avait vu le beau monde. » Elle nous a même fait savoir que Henri IV, fort bienveillant à son égard, relevait vivement ceux qui se permettaient de plaisanter sur elle, « à cause de son latin et de sa mauvaise fortune ; » il voulait qu’elle fréquentât sa cour, quoiqu’elle y eût peu d’inclination. En outre, elle avait entretenu longtemps une correspondance active avec tout ce qu’il y avait de personnes distinguées non-seulement en France, mais à l’étranger. Dans son cabinet l’on trouva parmi ses papiers des lettres de Richelieu, du cardinal Bentivoglio, de saint François de Sales, de mademoiselle de Schurmann, « le prodige de la Hollande[70], » de Balzac, etc. Il nous est toutefois resté fort peu de ses lettres. L’une d’elles, qui est adressée à Henri Du Puy[71], renferme de curieux renseignements. On y lit, entre autres détails, qu’elle s’efforce de favoriser l’écoulement, un peu lent à son gré, de sa première édition des Essais, dont le prix était de vingt-huit sous : on y apprend aussi que sa demeure était à Paris, rue de l’Arbre-Sec, devant l’église Saint-Germain-l’Auxerrois. Plusieurs écrivains, de style un peu arriéré comme elle, Adrien de Valois, le prieur Ogier, Malleville, Gui Patin, Ménage et Guillaume Colletet lui consacrèrent, suivant le vieil usage, des épitaphes en vers latins et français. Ce dernier, par un hommage dont elle eût sans doute été peu flattée, établissait entre elle et les sibylles une comparaison qu’il finissait ainsi :


Tu remportes, Gournay, cet illustre avantage
D’égaler en mourant les sibylles en âge
Et d’avoir en vivant surmonté leur vertu[72].


Par son testament elle désigna pour l’exécuteur de ses dernières volontés et l’héritier de sa bibliothèque, La Mothe le Vayer, l’un de ses meilleurs amis et de ses plus chauds partisans, de pur sang gaulois comme elle, et, quoique académicien, grand ennemi des réformes de Vaugelas. Elle laissa en outre quelques gages de souvenir à d’autres littérateurs, et notamment son Ronsard à Claude de l’Étoile, le fils de l’historiographe, l’un des cinq auteurs qu’avait jadis employés Richelieu.

Les Mémoires contemporains, d’accord avec le Journal de Henri IV, qui a mentionné plus d’une fois mademoiselle de Gournay, ont constaté l’importance et la réputation qu’elle posséda de son vivant. Après elle, son souvenir fut conservé dans des compilations érudites : Hilarion de Coste et Louis Jacob, dans leurs ouvrages sur les femmes célèbres ; Niceron, dans son volumineux recueil littéraire ; Pierre de Saint-Romuald, dans son Trésor chronologique, ont fait son éloge. L’abbé Goujet lui a consacré un article dans sa Bibliothèque française, ainsi que Titon du Tillet, dans son Parnasse français ; le père Bouhours, dans ses Entretiens, l’a mise au rang des illustrations de son siècle. Mais ces respectables auteurs ne devaient la protéger qu’imparfaitement contre l’oubli. C’est un intervalle critique et ingrat pour les écrivains que celui où, dans l’ordre des choses intellectuelles, un monde s’achève et un autre monde commence à naître. Or mademoiselle de Gournay avait marqué la fin d’une école littéraire ; il s’en levait une autre dont l’éclat éblouissant allait, pour le moment du moins, couvrir de ténèbres tout le passé, et Boileau, qui porta à la littérature surannée le coup suprême, était né en 1636.

Mademoiselle de Gournay, qui touche d’une main aux hommes illustres de la renaissance, et qui de l’autre atteint ceux du grand siècle, avait pu assistera presque tous les chefs d’œuvre de Corneille ; elle avait pu entendre Marguerite de Valois, l’Amyot de son sexe, et lire mademoiselle de Scudéri, avec qui elle a plus d’un trait de ressemblance. On supposera volontiers, quoique nous manquions de renseignements certains à ce sujet, qu’elle fut une des habituées de l’hôtel Rambouillet, sur lequel l’opinion a été, par plusieurs publications de nos jours, très-justement redressée[73]. De quelle révolution dans le goût et dans les mœurs, de combien d’événements elle fut témoin ! Elle avait vu le jour sous Charles IX, et traversé le règne de Henri III, dévouée à son roi, mais non sans éprouver quelque inclination pour les brillants chefs de la Ligue ; au sentiment de l’amour, sous Henri IV, elle avait ajouté celui de l’admiration ; elle avait célébré Louis XIII, lorsque ce prince se montra roi, du moins à la tête de ses armées ; en dernier lieu, comme un débris de la France ancienne au milieu de la nouvelle, elle saluait l’avènement du jeune Louis XIV à un trône qui devait être entouré de tant de gloire.

Cette fidélité touchante aux personnes et aux choses du passé, cette innocente et candide opiniâtreté d’affection suffisaient déjà pour nous intéresser à la mémoire de mademoiselle de Gournay. À ceux qui ont la religion du souvenir, fût-ce même jusqu’au ridicule, nous ne saurions refuser notre sympathie. Mais il nous a été facile de montrer qu’indépendamment de ce trait de caractère, elle était à bon droit le sujet de notre étude. Elle a uni des qualités littéraires non méprisables à une grande richesse de sève nationale et d’inspiration patriotique : dans l’in-quarto poudreux qui recèle ses œuvres, il y avait quelques pages à sauver de l’oubli. Aux talents d’un esprit distingué elle a joint de plus l’élévation d’un noble cœur. Enfin, n’eût-elle que mérité, par son culte pieux pour une de nos plus grandes gloires littéraires, le titre de fille d’alliance de Montaigne, son nom, lié à la mémoire de l’auteur des Essais, nous semblerait devoir survivre. Elle a su admirer. Le sentiment de l’admiration est le cachet des âmes d’élite ; et, à notre grand regret, nous le voyons s’affaiblir de jour en jour. On dédaigne beaucoup, et l’on croirait s’abaisser en témoignant pour les talents et les vertus supérieurs un généreux enthousiasme. C’est là rime des plaies de notre état social. Comment travailler à conquérir des hommages que l’on ne voudrait rendre à personne ? Nos ancêtres, avec une noble ingénuité, qui n’ôtait rien à la dignité et à la vigueur de leur caractère, marchandaient moins aux autres ce tribut d’admiration qui élève ceux qui le payent comme ceux à qui il s’adresse. Aussi ardente dans ses sympathies que dans ses haines, mademoiselle de Gournay exerça largement cette faculté de l’admiration qui est l’une des forces et l’un des plus beaux privilèges de notre nature. Qu’il lui en soit tenu compte. Elle s’est par là montrée digne de sa bonne fortune : heureux en effet ceux à qui il est donné de s’associer, par une rencontre privilégiée, aux existences glorieuses des hommes de génie ; heureux ceux qu’ils entraînent dans une immortalité fraternelle !

  1. Fin du dix-septième chapitre.
  2. Lettres, XVIII, 1 .
  3. Il en est question dans le Grand Dictionnaire de Moréri, qui s’exprime ainsi, à l’article de mademoiselle de Gournay : « On trouve à la bibliothèque de feu M. Spanheim l’exemplaire dont se servit mademoiselle de Gournay, avec des corrections de la main et suivant la vraie intention de l’auteur, comme elle s’en explique dans un billet qu’elle a collé au dedans du livre, à la couverture. »
  4. D’autres écrivains ont encore reproduit cette admirable comparaison, dont Voltaire a eu tort de rapporter l’origine à Timée de Locres. Elle parait appartenir à Empédocle.
  5. Voyez ses Historiettes, tome III de l’édition de M. de Monmerqué, p. 118-123.
  6. Poëte français du seizième siècle, que Ronsard traita comme s’il eût été son fils.
  7. Allusion à Colomby, qui fut un des élèves distingués de Malherbe.
  8. Bois-Robert fit de cette aventure sa comédie des Trois Orontes (Paris, Courbé, 1653, in-4o), dédiée à mademoiselle Martinozzi, nièce du cardinal Mazarin, et qu’il composa, dit-il dans l’épitre dédicatoire, par le commandement exprès du roi. La même aventure avait été placée, sous d’autres noms, par Sorel, dans sa Vraie histoire comique de Francion. Voyez le dixième livre.
  9. Menagiana. Paris, in-8o, 1693, p. 164 et 165.
  10. « Il n’a manqué qu’un Catulle à cette chatte, remarque Bayle, pour la rendre aussi célébre que le moineau de Lesbie. »
  11. Éloge du marquis de L’Hôpital.
  12. Avoir le bec jaune (d’où béjaune), c’était manquer d’expérience et de sens. Cette locution métaphorique, empruntée à la vénerie (on sait que les jeunes oiseaux ont le bec garni d’une sorte de frange jaune), se trouve dans Molière : Don Juan, II, v.
  13. La satire dont elle fut l’objet, l’une des suites de l’Anti-Coton, avait pour titre l’Anti-Gournay, ou Remerciment des beurrières de Paris au sieur de Courbouzon Montgommery, Niort, in-8o, 1610. Quelques critiques ont fait mal à propos deux ouvrages de celui-ci, qui a un double titre. Quant à l’œuvre de mademoiselle de Gournay, qui avait provoqué cette repartie, c’était l’Adieu de l’ami du roi pour la défense des pères jésuites, Lyon, 1610, in-8o. L’un et l’autre livre est devenu fort rare, et l’on s’en console. Pour plus de détails sur cette polémique, on peut voir d’ailleurs Bayle, dans son Dictionnaire, et Jolly, dans ses Remarques critiques sur le Dictionnaire de Bayle, chacun d’eux au nom de Gournay.
  14. On peut voir aussi son portrait au cabinet d’estampes de la bibliothèque impériale.
  15. « Sa beauté était plus de l’esprit que du corps, » a dit l’abbé de Marolles, dans ses Mémoires.
  16. On dirait aujourd’hui latiniste : ainsi Molière, Dépit amoureux, II, vii : « Je vous crois grand latin. »
  17. Elle prit grand soin de la répandre et l’adressa notamment à Balzac, comme on le voit par une lettre de celui-ci à mademoiselle de Gournay (IV, 13), datée du 30 août 1624, où il la remercie avec les grands mots qui lui sont ordinaires, et la rassure au sujet des propos publiés sur elle par la calomnie. Il trouve « que ce n’est pas un péché à une femme d’entendre le langage que parlaient autrefois les vestales, » et finit par louer chez elle « cette beauté qui donne de l’amour aux capucins et aux philosophes, et ne s’en est point allée avec sa jeunesse. »
  18. Balzac, dans quelques vers latins sur mademoiselle de Gournay, parait faire allusion à cette pièce :
    Ipsa suae pinxit se virgo coloribus artis :
    Artificis petitur cur aliena manus ?…
    Voyez J. L. Guezii Balzacii Carmina, p. 78, in-4o, 1650.
  19. On prétendait que l’alchimie ne lui avait pas coûté moins de cinquante mille écus ; mais elle ne les avait jamais possédés.
  20. Épist., l. III, p. 175 de l’édition d’Amsterdam.
  21. V, 3, 1.
  22. Voyez l’édition et le passage cités plus haut. Cf. Titon du Tillet, Parnasse français, in-folio, 1732, p. 215.
  23. Voyez M. de Noailles, Histoire de Mme de Maintenon. t. I, p. 101.
  24. Petit, Dialogues satiriques et moraux, in-12, 1687.
  25. Ausa virgo concurrere viris scandit supra viros.
  26. Natif de Lille, il fut célèbre, à la fin du seizième siècle, comme professeur d’éloquence et comme poëte.
  27. Mademoiselle de Gournay ne laissa pas de regretter le premier nom donné au recueil de ses œuvres. Dans un Discours sur son livre, ajouté aux deux dernières éditions, elle observe, au sujet de ce changement du titre d’Ombre, qu’il a eu pour objet « de contenter son libraire, qui craignait, ce semble, les esprits, » mais que son titre était fort bon, car ce livre « était son ombre et son image, puisqu’elle y exprimait la figure de son esprit. »
  28. Il a pour titre : De l’éducation des enfants de France.
  29. Essais, III, 13.
  30. Voyez son chapitre : De l’institution des enfants.
  31. Introduction à la vie dévote, ouvrage d’un pieux chrétien et d’un excellent écrivain français, que le saint évêque composa, sur la demande de Henri IV, pour les personnes de la cour en particulier, et qui réalisa tout le bien que ce prince en avait attendu.
  32. « Lorsque Dieu forma le cœur et les entrailles de l’homme, il y mit premièrement la bonté, comme le propre caractère de la nature divine, et pour être comme la marque de cette main bienfaisante dont nous sortons. La bonté devait donc faire comme le fond de notre cœur. » Oraison funèbre de Louis de Bourbon. Cf. Platon, dans les Lois, liv. V.
  33. Ce sont des finesses, présumées telles, par lesquelles on croit tromper les autres sans y réussir.
  34. Voyez la comédie des Académistes (académiciens), par Saint-Évremond, pièce où figure mademoiselle de Gournay ; cf. Baillet, Jugements des savants, in-4o, t. II, p. 654.
  35. Voyez les Remarques de Vaugelas sur la langue française, préface ; cf. Molière, Critique de l’École des femmes, scène vii.
  36. Perroniana, in-12, 1691, p. 183.
  37. Il en fut donné cinq éditions du vivant de l’auteur.
  38. Voyez notamment sa IXe satire, le Critique outré.
  39. Bossuet pouvait dire avec vérité, dans son discours de réception à l’Académie française (1671), que grâce aux ouvrages de son temps, « où l’on voyait la hardiesse, qui convient à la liberté, mêlée à la retenue, qui est l’effet du jugement et du choix… notre langue, semblait avoir atteint la perfection qui donne la consistance. »
  40. On peut juger par le détail suivant de la vogue dont jouissait ce personnage et de sa fatuité. Il nous apprend dans ses Mémoires que, « la veille du jour où il fut mis à la Bastille (février 1631), il brûla six mille lettres d’amour qui lui avaient été écrites par diverses femmes. » Tome III. p. 268 de la collection Petitot.
  41. Il s’agit du joueur de lyre Iopas. Voyez le texte, v. 744-753.
  42. Du latin, radii, rayons.
  43. Soirée, du latin serus.
  44. V. 203-211.
  45. Rotat (se), s’agite.
  46. . V. 471-476.
  47. Alors qu’il…
  48. Du verbe sourdre, sortir.
  49. V. 365-371.
  50. V. 522 et suiv.
  51. Ce chant, comme le quatrième, avait été traduit par Joachim du Bellay, en vers de dix syllabes, réputés alors, on le voit par la Franciade de Ronsard, plus propres à la poésie héroïque.
  52. Menagiana, in-8o, 1693, p. 164. — Dans la préface de ses Épigrammes mademoiselle de Gournay déclare qu’elle ne veut pas, « à la façon de son siècle, les aiguiser de pointe affilée, » et elle appuie son opinion de celles de Muret et de Montaigne : par suite de ce principe, elle donne de beaucoup l’avantage au judicieux Catulle sur le pointu Martial.
  53. Il ne nous reste que le verbe draper : railler quelqu’un, en dire du mal.
  54. Nous avons vu qu’on écrivait alors court.
  55. La mort empêcha Henri IV d’accorder à mademoiselle de Gournay
    la pension qu’il lui avait fait espérer et qui ne devait lui être accordée qu’ultérieurement.
  56. 1630.
  57. Nous avons lieu de croire que ce bon d’Hacqueville, qui fatiguait un peu de son affection et de ses soins madame de Sévigné (les d’Hacqueville, dont elle exprimait par ce pluriel l’ubiquité curieuse et obligeante), était un petit neveu de mademoiselle de Gournay.
  58. De la connaissance des bons livres, p. 418.
  59. P. 58, à l’année 1023. — Parmi les cantiques dont mademoiselle de Gournay a laissé la version, il en est un, celui de Zacharie, qu’elle nous atteste « avoir traduit en faveur des muses, des mœurs et de la piété de M. de Marolles, abbé de Villeloin : » c’est l’auteur des Mémoires cités.
  60. Il est certain qu’elle cite d’habitude non-seulement les plus grands, mais aussi les plus rares monuments de l’antiquité classique. Elle possédait aussi parfaitement la littérature italienne, etc.
  61. Lettres, XXI, 4, 5.
  62. Imprimé à Paris, in-4, 1613 et 1628.
  63. De la connaissance des bons livres, p. 418. — Cf. le même auteur, dans sa Bibliothèque française, p. 234.
  64. Voy. la Requête des dictionnaires, t. III, p. 259 du Menagiana, pièce qui, suivant Voltaire, empêcha Ménage d’entrer à l’Académie.
  65. « Cet ains, dit mademoiselle de Gournay, si nécessaire cependant pour remplacer çà et là mais, trop fréquent, sur le papier. »
  66. Voy. la fin du c. xiv de ses Caractères.
  67. Ce ridicule était surtout celui des courtisans ; un poëte satirique de cette époque (Auvray, Banquet des Muses, vers adressés à la France, 1628) signale, à l’exemple de Henri Estienne, comme un trait caractéristique de la jeune noblesse française, l’affectation qu’elle mettait à altérer l’ancienne prononciation des mots :
    Dire chouse pour chose et courtez pour courtois,
    Paresse pour paroisse…
  68. 1641, in-4o de 995 pages.
  69. Le discours préliminaire, consacré par mademoiselle de Gournay à un examen rapide ou plutôt à une apologie sommaire de ses œuvres, a particulièrement été modifié et amélioré assez sensiblement. En s’appréciant elle-même, elle réclame l’indulgence : « Car l’esprit, dit-elle avec assez de finesse, semble autant incapable de juger précisément le fruit qu’il a conçu, puisque c’est à vrai dire une partie de sa propre essence, que l’œil, quoiqu’il voie toutes choses, est impuissant à se voir soi-même. » — De nombreuses corrections dans ses vers, généralement bien faites, témoignent aussi, en dépit des principes qu’elle a parfois exposés, de sa difficulté à se contenter elle-même et de son travail persévérant.
  70. Cette académicienne d’Utrecht écrivait en français, en latin, en grec, en hébreu, etc, et dans sa thèse qui a pour objet d’établir « que l’étude des lettres ne messied pas à une femme chrétienne, » mademoiselle de Gournay était citée et alléguée comme exemple. On trouve aussi dans le recueil de ses œuvres des vers qu’elle a composés en son honneur :
    Ipsæ, Gornacense decus, tua signa sequemur…
  71. Savant de l’époque : en latin, Puteanus. Elle est du 16 mai 1627.
  72. Le nom de sibylle se retrouve appliqué à mademoiselle de Gournay,
    dans les poésies latines de Balzac :
    Montani soboles et Phœbo plena sacerdos,
    Filia digna patre est, digna sibylla Deo.
    On trouvera plusieurs autres épitaphes de mademoiselle de Gournay dans le Jardin d’épitaphes choisies, par Pierre de Saint-Romuald, in-12, 1648, p. 24 et suiv. Voici l’une d’elles :
    Quæ prius eximiæ sub virginis ore latebat,
    Nunc repetit sedes dia Minerva suas.
    Il en est une aussi qui permet de déterminer exactement l’époque controversée de sa naissance, en constatant qu’elle vécut soixante-dix-neuf ans, neuf mois et sept jours.
  73. Voyez surtout à ce sujet les derniers ouvrages de M. V. Cousin : la Société française au XVIIe siècle, Madame de Sablé, etc., et M. de Noailles, dans son Histoire de madame de Maintenon, t. I, p. 87-99.