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Les Femmes poètes bretonnes/Madame Sophie Hue

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Les Femmes poètes bretonnes Voir et modifier les données sur WikidataSociété des bibliophiles bretons et de l’histoire de Bretagne Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 145-152).


MADAME SOPHIE HUE



MADAME SOPHIE HUE


Madame Sophie Hue est née à Lorient.

Son père, M. Sachs, lieutenant de vaisseau, quitta la marine de l’État pour le commerce, en 1815, et alla s’établir aux colonies, où il est mort.

La famille revint en France et Mademoiselle Sachs épousa à Lorient un magistrat, M. Benjamin Hüe, qui a fait toute sa carrière en Bretagne, et, depuis 1862, a été mis à la retraite comme président de chambre à la Cour de Rennes.

Mme Hüe a publié en 1865 les Maternelles, 1 vol. in-12. Elles ont obtenu un succès prodigieux : de nombreux tirages en ont été faits ; la cinquième édition, corrigée et augmentée, a paru chez Hachette, en 1875 ; une autre chez Plihon et Hervé, à Rennes, en 1885.

Les Maternelles ayant été admirées et répandues partout, nos éloges sur cette publication seraient inutiles ; qu’il nous soit seulement permis d’ajouter qu’il est impossible de rencontrer une femme plus sympathique que Madame Sophie Hüe.

Elle a un grand nombre de poésies en portefeuille. On espère qu’elle publiera bientôt un volume sous le titre de L’Oiseau bleu.

L’ÉPINE BLANCHE

  On me néglige, on me délaisse,
  Disait une épine en bouton,
  Et pour chercher sous l’herbe épaisse
Je ne sais quoi de sombre, un avorton,
  Qui semble à peine une fleurette.
  Qu’a-t-elle, cette violette,
  Pour faire aux gens perdre leurs pas ?
Un oiseau qui passait lui répondit tout bas :
  — Elle embaume et ne pique pas.

PETITE MÈRE, C’EST TOI

La nuit lorsque je sommeille,
Qui vient se pencher sur moi ?
Qui sourit quand je m’éveille ?
  Petite mère, c’est toi !

Qui, pour que je sois bien sage,
Doucement prie avec moi ?
Qui d’un ange a le visage ?
  Petite mère, c’est toi !

Qui gronde d’une voix tendre,
Si tendre que l’on me voit
Repentant rien qu’à l’entendre ?
  Petite mère, c’est toi !

Qui pour tous est douce et bonne ?
Au pauvre ayant faim et froid,
Qui m’apprit comment on donne ?
  Petite mère, c’est toi !

Quand te viendra la vieillesse,
À mon tour veillant sur toi,
Qui te rendra ta tendresse ?
  Petite mère, c’est moi !


UN VIEUX PORTRAIT


C’est un très vieux portrait d’une très jeune fille,
Quelque aïeule sans doute : on ne sait plus son nom ;
Dans un grenier rempli d’épaves de famille,
Hier, on l’exhuma des fouillis d’un caisson.

Elle est charmante avec sa coiffure poudrée,
Un simple velours noir autour de son cou blanc,
Sa taille longue et mince, étroitement serrée
Sous les nœuds-papillons du corsage collant.

Son chat sur ses genoux, à la main une rose,
Elle s’alanguissait en un demi-sommeil ;
Et l’artiste a fixé sa ravissante pose,
Sans avoir attendu le moment du réveil.

Les yeux sont presque clos ; un reflet de pervenche
Glisse à peine au travers de leurs longs cils brunis.
La bouche rit encor : du jeune front qui penche
Les rêves enchantés ne se sont pas ternis.

Comme elle s’abandonne à la molle caresse
De sa grande bergère en lampas du Levant,
Où le temps est si court, si douce la paresse,
Qu’elle doit y venir se câliner souvent.

Son chat sur ses genoux, confiante, vermeille,
Aurore, frais printemps, vie en sève, elle dort ;
Et le peintre cruel, pendant qu’elle sommeille,
À posé devant elle une tête de mort !

Les lugubres débris qui furent un visage,
Des lèvres et des yeux pleins de charmes vainqueurs,
Semblent lui parler bas, haineux jetons, sans âge,
Sans prunelles, sans voix, sinistrement moqueurs.

C’est un très vieux portrait d’une très jeune fille :
Fronton rubanné d’or et biseaux de cristal,
Plus triste à regarder dans son cadre qui brille
Que sous de pâles fleurs un cercueil virginal.

Celle qu’on couche là peut-être eut sa chimère,
Et, cœur en deuil, au moins de souffrir a cessé ;
Celle qui dort ici, qu’attend la vie amère,
N’avait pas encor commencé.