Les Finances de la guerre/02

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Les Finances de la guerre
Revue des Deux Mondes2e série de la nouv. période, tome 7 (p. 936-969).
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LES


FINANCES DE LA GUERRE






II.


LES FINANCES DE L'ANGLETERRE.[1].





Il nous reste à montrer que ce poids de la guerre, que le gouvernement russe a imprudemment soulevé et qui l’accable, est porté comparativement avec aisance par les peuples de l’Occident. La France et l’Angleterre, au moment de la prise d’armes, se trouvaient affaiblies par les sacrifices de tout genre qu’avait entraînés pour elles, après la récolte de 1853, le renchérissement extraordinaire des grains. La Russie au contraire avait profité de la disette, et l’exportation des blés vendus à très haut prix avait fait affluer l’argent dans ses provinces méridionales. En dépit de cette abondance temporaire, il ne paraît pas que le commerce et la propriété présentent aujourd’hui à l’impôt une surface beaucoup plus considérable ; le gouvernement russe, en fouillant la richesse nationale, est bientôt arrivé au tuf. Les choses ne vont pas ainsi de l’autre côté de cet échiquier des batailles. La France et l’Angleterre, sans être, comme on l’a prétendu, inépuisables, ont, dans les tributs combinés de l’impôt et du crédit, de quoi soutenir la guerre aussi longtemps qu’il le faudra.

Les finances de la Grande-Bretagne ont été réglées en vue de la paix, mais avec un cadre tellement large et sur des bases si éminemment solides, que les ressources propres à la guerre peuvent s’y déployer sans difficulté. Depuis plus de vingt ans, sous la domination des tories comme sous celle des whigs, et quel que soit l’homme d’état qui dirige les affaires, le gouvernement de cet heureux pays travaille à soulager la nation en diminuant les dépenses publiques et en donnant une meilleure assiette à l’impôt. Deux ministres en ont principalement la gloire : M. Hudkisson, qui reconnut et proclama le premier que les taxes modérées, pourvu qu’on les établit sur des objets de grande consommation, étaient les plus productives, — et sir Robert Peel, qui mit fin au règne de la protection en matière d’industrie et de commerce, tant en réduisant les droits d’importation qui grevaient les marchandises étrangères qu’en affranchissant de tout droit les denrées alimentaires et les matières premières du travail. Le système inauguré par M. Hudkisson, et dont sir Robert Peel semble avoir posé les limites, tend à réaliser cet idéal de la civilisation par son côté matériel, la vie à bon marché et le taux élevé des salaires. Il en résulte non seulement pour l’ouvrier un progrès de bien-être et de dignité, mais encore pour l’état un accroissement de puissance, la certitude de commander a une population disposée par l’aisance et par le contentement aux sacrifices que peut exiger l’intérêt public.

Sir Robert Peel, en opérant le déplacement de l’impôt, a rendu à l’Angleterre un service qui n’est pas moins considérable. Avant les réformes de 1842 et 1846, les taxes indirectes, les taxes de consommation, alimentaient à peu près exclusivement le revenu de l’état. Les contributions directes, celles qui s’adressent à la richesse mobilière ou à la propriété, ne figuraient au budget que pour la forme. Les contribuables payaient tribut au fisc, non pas dans la proportion, mais plutôt en raison inverse de leur fortune. C’était en quelque sorte le système de l’impôt progressif retourné : le trésor ne demandait au possesseur du sol qu’une imperceptible obole ; il prélevait au contraire sur le thé, sur le sucre, sur le café, sur la bière et sur le pain du laboureur et de l’ouvrier le gain le plus clair de leur journée. Le budget était dépensé par les riches et payé par les pauvres. Sir Robert Peel a prouvé que les réformes préviennent les révolutions : le déplacement de l’impôt a rendu inutile le déplacement du pouvoir. Aussi la tempête de 1848 a trouvé l’Angleterre inébranlable.

Sir Robert Peel a introduit ou étendu l’impôt direct dans le système financier de la Grande-Bretagne, sous la forme de L’income tax. Sans doute l’on aurait pu atteindre le même but par des moyens politiquement et scientifiquement moins contestables ; mais l’impôt sur le revenu avait pour lui en Angleterre la sanction d’un long usage qui avait familiarisé la nation avec son mécanisme, et la nécessité l’avait fait entrer dans les mœurs. C’était une taxe de guerre accommodée à une époque de paix. Les résultats ont dépassé les espérances. Pour ne parler que du revenu de l’état, le gouvernement a pu solennellement fermer l’ère du déficit. Depuis cette époque, les recettes du trésor ont constamment excédé ses dépenses : chaque année, le parlement britannique, la seule assemblée que l’on ait mise à cette épreuve en Europe, a eu à délibérer sur l’emploi d’un excédant qui variait entre 2 et 3 millions sterling. Chaque année, il a pu consacrer cette somme soit à des remises d’impôt[2], soit à l’amortissement de la dette publique. À l’ouverture de l’exercice 1854, et au moment où les armées de l’Occident ont dû passer du pied de paix au pied de guerre, l’échiquier anglais avait en réserve une provision claire et nette de 70 à 75 millions de francs.

L’Angleterre n’avait contre elle, à la veille du combat, que les hésitations de sa politique. Ce gouvernement, qui n’avait d’abord vu dans l’ambassade du prince Menchikof que la querelle des lieux-saints à vider, qui s’inquiétait du prosélytisme religieux de la France quand il aurait fallu surveiller et contenir l’ambition de la Russie, qui parlait encore de la loyauté du cabinet de Pétersbourg au moment où il en recevait les ouvertures les plus compromettantes, et qui a voulu attendre que les Russes eussent franchi le Pruth pour envoyer sa flotte dans le Bosphore, n’a pas montré d’abord un coup d’œil plus sûr ni une résolution plus ferme dans ses arrangemens financiers. On eût dit que le mot même de guerre lui coûtait à prononcer ; il parlait d’une expédition en Orient comme d’une promenade militaire. Plus l’opinion publique le pressait, allant au-devant de tous les sacrifices, et moins il se hâtait de les accepter. Les rôles étaient intervertis : c’était le parlement qui offrait l’argent que les ministres auraient dû demander. Le chancelier de l’échiquier, avec une réserve qui faisait plus d’honneur à sa modération qu’à sa prévoyance, présentait à la dernière heure un budget extraordinaire qui se bornait à pourvoir aux besoins des six premiers mois. Le gouvernement semblait croire que le pavillon britannique n’avait, pour rétablir la paix, qu’à se déployer par-delà le Sund et le Bosphore.

Dans l’exposé qu’il fit, le 7 mars dernier, à la chambre des communes, M. Gladstone estimait à 4,307,000 liv. st. (107,675,000 fr.) les dépenses extraordinaires que l’état de guerre pouvait entraîner pour la Grande-Bretagne, du 5 avril 1854 au 5 avril 1855 ; mais, grâce à l’excédant de recettes qu’avait légué l’exercice de 1853, l’on n’avait à pourvoir, au moyen de ressources extraordinaires, qu’à un déficit de 2,840,000 livres sterling (71,000,000 fr.). Et comme le produit de l’impôt sur le revenu était évalué à plus de 6 millions sterling pour l’année, en portant la taxe au double du tarif pendant le premier semestre, le chancelier de l’échiquier obtenait un surcroît de revenu de 3,307,500 livres sterling, qui devait combler ce déficit temporaire et laisser encore une marge de 11 à 12 millions de francs pour faire face à l’imprévu.

La combinaison était bonne, mais évidemment insuffisante. Il semblait que les ministres eussent un parti pris de ne mettre leurs moyens d’action en rapport ni avec la gravité des circonstances, ni avec la grandeur du but. L’opinion s’en inquiétait, et le parlement, tout aussi peu rassuré, votait sans comprendre. On demandait pourquoi le ministère, en proposant de doubler l’income tax, n’étendait pas cette augmentation aux produits de l’année entière. Là-dessus, le chancelier de l’échiquier croyait se tirer d’embarras par un hommage rendu à l’omnipotence du parlement.


« C’est notre devoir, disait-il, de ne pas soustraire les dépenses publiques, et particulièrement les dépenses de la guerre, au contrôle de la chambre des communes. Si nous venions vous demander de prendre sur le produit des taxes et de placer dans nos mains une somme considérable de millions à consacrer aux préparatifs de la guerre, vous auriez le droit de nous dire : « Attendez que la nécessité s’en fasse sentir. Le parlement n’est pas au moment de se séparer ; nous ne sommes qu’au mois de mars, et vous pourrez nous faire de nouvelles propositions en juin ou en juillet, si l’état du pays et la situation de l’Europe le commandent. »


Le parlement britannique était loin de tenir le langage que M. Gladstone lui prêtait. Majorité et minorité, tout le monde avait compris que les préparatifs d’une grande guerre ne se font pas pièce par pièce ni jour par jour, que le succès tient au contraire à l’ensemble des dispositions, et que, pour donner confiance aux siens autant que pour frapper l’ennemi de terreur, il faut avoir, dès l’entrée en campagne, la libre et entière disposition des forces ainsi que des ressources dont les circonstances peuvent réclamer l’emploi. Le ministère lui-même ne tarda pas à reconnaître et autant que possible à réparer son erreur. À deux mois de date, le 9 mai, un nouvel exposé financier fut présenté à la chambre des communes. Dans cette seconde édition du budget, la dot de la guerre est assurée.

Dans son exposé du 7 mars, le chancelier de l’échiquier, présentant une évaluation sommaire du revenu et des charges de l’état pour l’exercice qui allait s’ouvrir, estimait les recettes probables à 53,349,000 livres sterling (1,333,725,000 fr.), et les dépenses à 56,189,000 livres sterling (1,404,725,000 fr.), dans lesquelles le budget de l’armée et de la marine, qui flotte année commune entre 15 et 16 millions sterling, figurait pour plus de 25 millions[3]. On sait que dans cette combinaison le déficit devait être couvert par le produit de l’income tax, que l’on doublait pendant six mois, produit calculé par M. Gladstone à 3,307,000 livres sterling.

Dans l’exposé du 9 mai, le chancelier de l’échiquier a demandé l’autorisation d’augmenter, jusqu’à concurrence de 6 millions sterl., les dépenses de la guerre. En y ajoutant un crédit de 850,000 livres sterling, — sur l’emploi duquel le ministre n’a pas jugé à propos de s’expliquer, — on trouve un total de 63,039,000 livres sterling (1,575,975,000 francs) pour les charges de l’exercice qui s’étend du 5 avril 1854 au 5 avril 1855, Pour défrayer ce surcroît de dépenses, M. Gladstone proposait de nouvelles taxes dont il attendait un produit de 6,850,000 livres sterling. L’ensemble des ressources ordinaires et extraordinaires, non compris les moyens de service que l’on demande au crédit, s’élève donc à la somme de 63,500,000 livr. sterling (1,587,650,000 francs). Une marge de 11 à 12 millions est ainsi réservée pour les besoins imprévus.

Pour nous conformer à l’usage reçu en Angleterre, nous donnons ici, dans la comparaison des recettes et des dépenses, le chiffre du revenu net ; mais, si l’on veut rapprocher ces évaluations des budgets dressés pour les autres états, il faudra charger encore des frais de perception et d’exploitation, qui sont pris sur le revenu brut, le bilan annuel de la Grande-Bretagne. On ne saurait les estimer à moins de à millions 1/2 de livres sterling pour l’exercice courant, ce qui porte les recettes à (58,000,000 livres sterling, et les dépenses à 67,539,000. Ainsi le budget de 1854 roule sur un chiffre de 1,700 millions de francs. La nation s’est rarement montrée plus libérale des trésors amassés par le travail. Il faut remonter dans les annales de l’Angleterre jusqu’à l’année 1816 pour en trouver un autre exemple.

Les dépenses de l’année financière 1853-54, qui avaient été évaluées à 52,183,000 livres sterling, n’ont pas excédé en réalité la somme de 51,171,000 livres sterling. Par une exception qui devient de plus en plus rare, et qu’il convient de proposer à l’imitation de l’Europe continentale, le gouvernement anglais a dépensé un million sterling de moins qu’il n’avait demandé et a reçu un million de plus qu’il n’avait osé espérer. Il a recueilli ainsi le fruit de ses calculs, et la fortune cette fois a été le prix de la sagesse.

Le budget de 1854, comparé à celui de 1853, fait ressortir une différence d’environ 12 millions sterling. Ce chiffre de 300 millions de francs représente les dépenses de la guerre ; mais comme le revenu de 1853 avait laissé un excédant disponible, l’insuffisance des recettes ordinaires ne paraît devoir être que de 10 millions sterling. Par quels moyens le gouvernement britannique y a-t-il pourvu ?

La ressource la plus importante sera puisée dans l’impôt sur le revenu. Cette taxe était de 7 deniers par livre sterling de revenu, proportion légèrement inférieure à 3 pour 100. On la porta à 1 shilling 2 deniers, ce qui représente un peu moins de 6 pour 100[4], et l’on obtient une recette supplémentaire de 6,587,500 livres sterling, qui doit élever le produit total de la taxe pendant l’exercice à 12,862,000 livres sterling (321,550,000 fr.), somme qui égale, à quelques millions près, les produits cumulés de l’impôt foncier et de l’impôt mobilier en France[5].

On s’est demandé pourquoi le gouvernement britannique, qui trouve sans peine dans une augmentation de l’income tax les deux tiers de la somme destinée à défrayer la guerre, n’avait pas simplifié la difficulté en élevant un peu plus le tarif de cette taxe, ce qui l’eût dispensé de créer ou de modifier d’autres impôts. Avec un tarif de 8 pour 100, l’income tax eût donné plus de 17 millions sterling, dont environ 11 millions à titre de ressource extraordinaire. Quel capitaliste, quel propriétaire se serait plaint d’avoir à payer au fisc le douzième de son revenu ? Y a-t-il un pays au monde où l’impôt foncier, quand il est établi, ne pèse dans une proportion plus forte ? Les fruits du capital dans la Grande-Bretagne auraient encore été taxés en temps de guerre moins durement qu’ils ne le sont partout ailleurs en temps de paix.

Mais le chancelier de l’échiquier, qui avait déjà introduit dans le système financier le droit sur les successions, a craint d’exagérer l’impôt direct et de compromettre, en surchargeant les résultats, la fortune naissante du principe. L’équité lui a paru conseiller de ne pas faire supporter entièrement le fardeau de la guerre aux personnes qui jouissaient d’une certaine aisance, à une seule classe de la population. Il a préféré demander le dernier tiers de ce tribut extraordinaire aux impôts indirects, qui s’adressent aux consommateurs de toutes les classes. On a donc augmenté les droits sur les spiritueux, qui doivent fournir un supplément de 450,000 liv. sterl. ; sur les sucres de toute provenance, dont on espère obtenir 700,000 liv. sterling de plus, et enfin sur la taxe qui frappe la drèche, et qui est portée de 2 sh. 8 d. 1/2 a 4 sh. par boisseau. M. Gladstone attend de cet impôt, qui produit annuellement 5 millions sterling, une ressource supplémentaire de 2,450,000 liv. sterl. La drèche rendra ainsi à elle seule au trésor 187,500,000 fr., ou 60 et quelques millions de plus que tous les spiritueux ensemble, vins, bières, cidres, alcools, ne rapportent à la France.

Cette dernière partie du plan ministériel a été sanctionnée par le parlement comme les autres, mais avec un assentiment moins général. M. Gladstone fait valoir que la drèche a été successivement dégrevée depuis la paix de 1816, que l’on a supprimé l’impôt sur la bière, qui était en quelque sorte un double emploi, enfin que les autres spiritueux se trouvent beaucoup plus fortement taxés, et qu’il n’y a que stricte justice à l’assimiler davantage au tarif commun. Jusqu’à présent, l’assimilation des taxes s’était opérée par voie de réduction, en modérant les plus élevées, et non par voie d’augmentation, en exagérant les plus modestes. Il a dû en coûter à M. Gladstone de donner ce démenti taux principes que sir Robert Peel avait légués à ses collègues, et que le chancelier de l’échiquier lui-même professait naguère avec tant d’éclat.

Une question plus grave s’élève. Le gouvernement de la Grande-Bretagne a-t-il suivi la meilleure politique en demandant à l’impôt des ressources que le crédit pouvait fournir ? Les raisons de cette préférence ont été déduites avec beaucoup de force parle chancelier de l’échiquier dans son exposé du 7 mars ; en voici les passages les plus saillans :

« Il n’est pas possible au gouvernement, il n’est pas possible, à la chambre des communes, il n’est pas possible au pays, de s’engager d’une manière absolue, ni par une résolution immuable, à défrayer les dépenses de la guerre par des augmentations d’impôt ; mais ce qu’il nous appartient de faire, c’est d’approcher de cette difficulté avec un cœur ferme, et de décider, tant que le fardeau ne sera pas trop lourd pour nos épaules, tant que les ressources nécessaires pour le service de l’armée pourront être fournies dans l’année par les contribuables, qu’aussi longtemps nous n’aurons pas recours au système des emprunts. Les raisons qui militent contre un appel aux capitalistes, les raisons qui s’opposent à ce qu’on mette ces dépenses à la charge de la postérité, sont nombreuses et graves. Je n’ai pas la présomption de poser des principes qui fassent loi pour les autres nations ; mais il n’y a pas de nation qui se soit engagée dans ce jeu dangereux aussi avant que l’Angleterre, il n’en est pas qui ait hypothéqué l’industrie des générations futures pour une somme aussi effrayante. D’autres états peuvent avoir leurs motifs pour agir différemment. Prenez l’Amérique par exemple. Ayant les mains libres, ne devant rien, et avec un excédant permanent de recettes, rien n’est plus naturel, rien n’est plus facile à comprendre que la conduite qu’elle tient lorsque, pour annexer un nouveau territoire à son empire, elle contracte un emprunt destiné à payer les frais de la guerre qui lui assure cet accroissement. En effet, selon les doctrines les plus rationnelles en matière d’impôt, elle sait que cet excédant temporaire de dépense sera regagné en deux ou trois années, et couvert par le surplus régulier du revenu, et elle évite sagement de porter la perturbation dans son système de taxes, pour faire face à des embarras qui n’ont rien de durable. Les mêmes principes peuvent évidemment s’appliquer à d’autres contrées. Voyez notre grand et puissant voisin le peuple français. La dette de la France, bien qu’elle soit considérable, ne saurait entrer en comparaison avec celle de l’Angleterre. J’ai regret à le dire, mais telle est notre supériorité à cet égard, que la dette de l’Angleterre excède non-seulement celle de toute autre nation prise à part, mais encore celles de toutes les nations réunies. Quiconque a été mêlé à l’administration financière du pays sait à combien de maux une telle situation a donné naissance, quelles lourdes charges il a fallu imposer au peuple anglais pour apaiser la faim dévorante de la dette, combien de travaux utiles elle n’a pas permis d’entreprendre ou de terminer, combien ce poids énorme et perpétuellement accablant a diminué les forces dont nous avions besoin pour aider et pour encourager les entreprises de la philanthropie ainsi que les progrès de la civilisation ! Ceux qui accroîtront la dette sans avoir cédé à une nécessité impérieuse encourront une grande responsabilité.

« M. Mill dit : « Le capital qu’absorbent les emprunts de l’état est enlevé à des fonds engagés jusque-là dans la production, ou qui allaient recevoir cet emploi. En les détournant de leur destination, l’on agit comme si l’on en prenait le moulant sur les salaires des classes laborieuses. » Sans nous embarquer dans les raisonnemens abstraits de l’économie politique, tout le monde conviendra que, lorsqu’on demande des subsides à l’impôt, la somme nécessaire est fournie par les épargnes qui constituent pour chaque contribuable l’excédant du revenu sur la dépense, tandis que, si l’on a recours à l’emprunt, l’on agit directement, et jusqu’à l’épuiser, sur cette partie du capital de la nation qui se trouve immédiatement disponible pour les besoins de l’industrie et du commerce. Dans le premier cas, nous prenons principalement sur le superflu ; dans le second, nous allons droit à la source même du capital qui alimente l’activité du travail, et d’où, découle le bon marché de la production. En considérant la question d’un point de vue moins scientifique, M. M’Culloch dit, dans son ouvrage sur l’impôt, à propos des dépenses que la guerre amène : « l’industrie et l’économie des individus peuvent seules compenser avec quelque efficacité les profusions et les ravages de la guerre. Pour mettre ces vertus en honneur, il faudrait que chaque homme pût se rendre un compte exact de l’influence que les dépenses de la guerre exercent sur sa fortune et sur les moyens qu’il a de subsister. Le défaut capital du système des emprunts consiste en ce qu’il trompe le public en ne troublant pas soudainement le bien-être de chacun. Ses empiétemens sont graduels et passent inaperçus. Il n’exige sur le moment que de légers sacrifices ; mais il ne revient jamais sur ses pas : vestigla nulla retrorsùm. C’est un système d’illusion et de déception. Il ajoute les taxes aux taxes, sans que l’on puisse jamais abolir aucune de celles qui ont été ainsi établies, en sorte qu’avant que le public s’éveille au sentiment du danger, la propriété et le travail se trouvent grevés, à titre permanent, d’un tribut annuel beaucoup plus considérable, pour servir l’intérêt de la dette, que celui auquel il aurait dû se soumettre pour défrayer les charges de la guerre à mesure que la nécessité s’en présentait. » Mais quelque force qu’aient les motifs tirés de la science économique, je ne trouve pas moins puissantes les raisons de l’ordre moral. Les dépenses de la guerre sont le frein moral que le Tout-Puissant impose à l’ambition des conquêtes. Il y a dans la guerre un attrait et une excitation qui tendent à la revêtir d’un certain charme pour le peuple, et à lui fermer les yeux sur les maux qui en sont la conséquence. La nécessité de pourvoir année par année aux charges que la guerre détermine est un frein salutaire et sûr. Les hommes sont ainsi amenés à réfléchir, à comparer les avantages qu’ils se promettent avec les sacrifices qu’il leur en coûtera pour les obtenir. »


Les raisonnemens de M. Gladstone, flanqué comme il se présente de la double autorité de M. Mill et de M. M’Culloch, ne sont pas à beaucoup près sans réplique. Le gouvernement anglais fait une entreprise morale et courageuse, en tentant de soutenir la guerre à l’aide des sacrifices que s’imposent les contribuables, en évitant de s’engager sur la pente séduisante de l’emprunt : c’est un devoir pour les gouvernemens de réserver l’avenir intact, quand ils le peuvent ; mais il ne faudrait pas exagérer les conséquences de cette doctrine ni l’ériger, sans égard aux circonstances, en principes qui ne doivent jamais fléchir. C’est ici que l’appréciation des faits vient à propos éclairer la politique. La guerre a tantôt pour but un avantage présent, et tantôt elle peut se proposer la grandeur ou le repos des générations à venir. Dans ce dernier cas, l’emprunt est légitime ; il n’y aurait ni équité ni prudence à porter intégralement les frais de la lutte au compte de l’impôt.

Quant à la distinction inventée par quelques économistes anglais, et qui consiste à dire que l’impôt puise dans l’excédant du revenu, tandis que l’emprunt entame le capital même de la nation, ce n’est qu’une subtilité qui nous paraît peu digne de la science. Les nations industrieuses font chaque année, sur leurs revenus, des épargnes qui constituent ce que l’on appelle, dans la langue économique, l’accumulation des capitaux. Ces capitaux de récente formation, que la production engendre au moyen des capitaux déjà existans, peuvent être consommés en largesses improductives, ou bien être employés à leur tour à l’accroissement de la richesse ; mais, comme il arrive rarement que le détenteur de ces instrumens de travail soit en position de les utiliser lui-même, le crédit s’en empare : on les prête, soit à des entrepreneurs qui les l’ont fructifier dans l’industrie ou dans le commerce, soit aux gouvernemens, auxquels est dévolue la fonction importante de faire régner l’ordre dans la société, d’y entretenir par là le mouvement et de concourir au progrès. Quand l’état emprunte, détourne-t-il de leur destination, comme l’avance M. Mill, les fonds actuellement engagés dans l’industrie ? Cela ne serait pas possible, car il faudrait, obliger les manufacturiers ou les commerçans qui ont reçu ces capitaux, et qui les ont incorporés à leurs usines, à les rembourser à court terme ; ce serait une immense et universelle expropriation. Quant aux capitaux qui se trouveraient encore disponibles, il est bien vrai que l’état, en les empruntant, évince d’autres emprunteurs individuels par sa concurrence, qui a le privilège de sa force ; mais je n’admets pas qu’il prélève ces capitaux sur les salaires des laboureurs ou des ouvriers. En temps de guerre, l’industrie, quand elle est sage, au lieu de courir après les entreprises, se modère et se restreint. L’argent que l’état n’absorberait pas risquerait donc, dans ces graves circonstances, de rester oisif ; la consommation des produits se resserrant ou tout au moins n’augmentant pas, la production ne choisirait pas ce moment pour prendre l’essor et pour se répandre en créations de matériel ainsi qu’en salaires. Les emprunts contractés en vue de la guerre n’ôtent donc pas le pain aux ouvriers. Ils leur donnent au contraire du travail sous une autre forme, en activant le mouvement des arsenaux quand celui des ateliers se ralentit.

Il est tout aussi gratuit de supposer que les subsides de guerre, quand on les lève par l’impôt, sont pris sur le superflu de la nation, sur l’excédant disponible de son revenu. L’impôt s’adresse en effet à tous les contribuables : l’impôt, étant obligatoire pour tous, les appelle indistinctement aux mêmes sacrifices dans la proportion de leurs moyens, soit qu’ils vivent du revenu d’un capital ou des fruits de leur travail. L’impôt est donc pris, selon les cas individuels, suivant que la fortune a favorisé ou contrarié les calculs de chacun, tantôt sur le superflu et tantôt sur le nécessaire, tantôt sur le revenu et tantôt sur le fonds qui sert à produire. Les taxes ordinaires, celles qui ne changent pas ou qui changent peu, finissent par s’incorporer aux frais de production et viennent en déduction du produit net. Cependant les taxes extraordinaires attaquent le plus souvent les sources même du capital. La nécessité peut les justifier, elles peuvent être, à un moment donné, le moindre de plusieurs maux, mais on ne parviendra pas à les ériger en ressources normales.

Pour que l’impôt de guerre ne frappât que le superflu, il faudrait que chaque contribuable tînt des épargnes en réserve. Or l’accumulation des capitaux, dans tout pays, s’opère par un petit nombre de mains. Ne fait pas des économies qui veut. Pour ceux mêmes qui ont le nécessaire, le travail ne produit pas toujours avec abondance, et l’esprit d’ordre et de prévoyance préside rarement à l’emploi des produits. L’immense majorité des individus, à l’exemple des gouvernemens, joint à peine les deux bouts, ou solde son année en déficit, et la fortune privée, les hypothèques ainsi que les ventes par autorité de justice en font foi, n’est pas mieux administrée que la fortune publique. On risque donc, en exagérant les taxes, de demander de l’argent principalement à ceux qui en manquent. L’emprunt au contraire, étant facultatif pour les souscripteurs, ne tente que ceux qui ont de l’argent en réserve, ceux dont le revenu excède les dépenses, ceux qui ont fait des épargnes, en un mot les détenteurs du capital disponible, les vrais trésoriers du pays. Au reste, l’observation des faits mieux que tous les raisonnemens résout ce problème. L’impôt de guerre ne réussit pleinement que lorsqu’il s’adresse, comme aujourd’hui en Angleterre, à des classes de choix, lorsqu’il va puiser dans la bourse des riches ; mais alors ce n’est qu’un emprunt déguisé.

M. Gladstone avait, pour expliquer la politique du gouvernement anglais dans cette circonstance, de meilleurs argumens que les théories des économistes dont il a invoqué le nom, et qui, n’ayant jamais concouru au maniement des affaires publiques, manquent, en matière d’impôt et de crédit surtout, quand ils s’engagent dans les sentiers les moins frayés de la science, de l’expérience qui fait autorité. L’income tax, l’impôt de guerre dans la Grande-Bretagne, trouve sa raison d’être dans la situation présente et dans le passé de la nation. C’est ce que le chancelier de l’échiquier, qui avait négligé ce moyen le 7 mars, a exposé le 9 mai suivant dans un passage de son discours qui restera comme un excellent morceau d’histoire. Je traduis en abrégeant :

« J’ai sous les yeux le budget de la guerre pour l’année 1792. M. Pitt, ayant à pourvoir à une dépense extraordinaire de 4,500,000 liv. sterl., proposa de la couvrir, non pas en remplissantl’échiquier par le produit des taxes, mais en recourant aux capitaux de la Cité et en ouvrant un emprunt de 6 millions de livres sterling ; il espérait l’obtenir au taux de 4 pour 100, mais il fallut donner un intérêt de 4 liv. 3 shill. 6 den. (un peu plus de 4 1/6 pour 100). Le second pas fait dans la même voie fut un emprunt de 11 millions de livres sterling, contracté en 1794, au taux de 4 l. 10 sh. 9 d. (4 1/3 pour 100). En 1795, M. Pitt emprunta 18 millions de livres sterling, et paya pour cette somme un intérêt de 4 l. 15 sh. 8 d. pour 100 ; en 1796, 25 millions de livres sterling à 4 liv. 13 sh. 5 d. pour 100 ; en 1797, 32,500,000 liv. slerl. (plus de 722 millions de francs en une seule année !) à 5 l. 14 sh. 10 d., et en 1798 17 millions de livres sterling à 6 l. 4 sh. 9 d. (6 1/4 pour 100). Telle était l’impureté des sources auxquelles puisait le ministre, que, pour 17 millions sterling qu’il reçut, il dut ajouter 34 millions sterling à la dette du pays, et que les opérations financières de ces six années, opérations malheureuses et qui ne répondaient pas aux exigences de la guerre, en versant, à grand peine 108,500,000 liv. sterl. dans les caisses de l’échiquier, surchargèrent d’environ 200 millions sterling (5 milliards de francs) le capital de cette dette.

« Je vais maintenant vous rappelée la conduite que tint M. Pitt lorsqu’il eut reconnu qu’il s’était trompé. Voyant le pays marcher à sa ruine et ses ressources épuisées, il résolut de faire un effort courageux pour l’arracher à sa perte. La première tentative date de 1797. À ce moment, M. Pitt proposa de lever sur les contribuables une somme de 7 millions sterling au moyen de taxes assises. Cette combinaison échoua, et le trésor ne reçut que 4 millions. L’année suivante, sans se laisser abattre par cet échec, M. Pitt revint à la charge et demanda 10 millions sterling à l’impôt. Depuis cette époque, la carrière politique du ministre ne fut qu’une série d’efforts incessans et convulsifs pour se relever lui-même et pour faire sortir le pays des embarras dans lesquels l’avait jeté l’imprévoyance du gouvernement. Ces embarras étaient tels que l’on peut dire, sans rien exagérer, qu’au cours actuel des fonds publics, la dette nationale se trouve augmentée de 250 millions slerl. (6,250,000 fr.) dont le trésor n’a jamais reçu un seul penny. On venait de créer alors l’amortissement, et l’on rachetait tous les jours à 3, 4 ou 5 p. 100 des rentes que l’on émettait ensuite de nouveau à un taux plus désavantageux, C’était comme un séton mis au corps humain, une pompe aspirante qui épuisait perpétuellement les ressources du pays. L’erreur de M. Pitt à cette époque fut celle de la nation tout entière, et Dieu sait que la nation l’a cruellement expiée.

« Après six années de guerre et au milieu de l’épuisement qui en était la conséquence, M. Pitt proposa l’income tax. Il s’agissait d’accroître de 40 p. 100 le revenu du pays. En 1798, le revenu public s’élevait à 23,100,000 liv. sterl., et en 1799 à 25,600,000 liv. sterl. ; mais la progression des dépenses était telle qu’il fallut des moyens plus énergiques pour y faire face. En 1802, on porta le revenu à 38,600,000 liv. sterl., et en 1805, la dernière année de M. Pitt, à 50,900,000 liv. sterl. (1,272,500,000 fr.). En 1806, le marquis de Lansdown, alors chancelier de l’échiquier, mit en vigueur le tarif extrême de l’impôt sur le revenu, et les recettes s’élevèrent, pour l’année 1807, à 59,300,1100 liv. st. De 1806 à 1816, le revenu annuel ne descendit jamais au-dessous de 60 millions sterl., et monta plus d’une fois à 70 millions.

« Telle était l’idée que se faisaient M. Pitt et ses successeurs de leurs devoirs envers le pays et la postérité. L’Angleterre jouit aujourd’hui des fruits de quarante années de paix ; les charges du pays ont diminué dans une mesure qui tient du prodige. En vous faisant les propositions qui vous sont soumises, nous vous demandons de montrer ce que vous êtes ; nous éprouvons de quel métal vous êtes faits. Nous vous proposons d’ajouter 10 millions sterling aux charges publiques, et nous prétendons que ce sera là un effort que la raison peut avouer. N’êtes-vous pas capables de faire aujourd’hui ce que firent en 1798 M. Pitt et les Anglais de cette époque, quand la population de l’Angleterre n’égalait pas la moitié de la population de notre temps ? Les importations à la fin du siècle dernier ne représentaient pas le quart des importations actuelles ; les exportations s’élevaient à peine au tiers du chiffre qu’elles atteignent de nos jours, 33 millions sterl. en présence de 98 millions. Telle est l’indomptable vigueur, telle est la merveilleuse élasticité de notre industrie, que même avec le désavantage d’une mauvaise récolte et sous la pression de la guerre, les importations augmentent jour par jour, heure par heure ; les documens que nous venons de déposer sur la table de la chambre prouvent que dans les trois derniers mois de l’année financière (janvier, février et mars 1854), une augmentation de 250, 000 liv. sterl. s’est déclarée dans les exportations. Voilà quelle est votre situation, voilà les circonstances sous l’empire desquelles nous venons faire appel à votre patriotisme. »


Le parlement et la nation britanniques ont fait leur devoir. M. Gladstone vient d’obtenir, pour l’année 1854, le même impôt extraordinaire, les 10 millions sterling que M. Pitt, dans sa tardive prévoyance, avait arrachés au parlement de 17908. L’Angleterre ira beaucoup plus loin, s’il le faut. Au besoin, elle pourrait porter l’income tax a 11 pour 100 du revenu, sans exagérer l’impôt direct, sans accabler les contribuables et sans déranger l’économie régulière des finances. On aurait alors un supplément de budget entièrement disponible pour la guerre d’au moins 20 millions sterling (500 millions de francs), qui permettrait d’ajouter cent mille hommes à l’armée de terre et d’armer cinquante vaisseaux de plus. Cet effort ne serait ni pénible ni éphémère ; ce ne serait pas comme en Russie le dernier souffle de finances expirantes. L’accroissement qu’aurait pris ainsi le revenu public deviendrait sans peine une récolte annuelle que l’on renouvellerait tant que l’on voudrait. De 1801 à 1810, la moyenne de l’impôt que supportait le peuple anglais s’élevait par année et par tête à 5 liv. 12 sh. 1 d., soit un peu plus de 141 francs. Dans la seconde période décennale du siècle, cette moyenne, suivant les calculs de M. M’Culloch, descend à 3 liv. 15 sh. 6 d., pour tomber à 2 liv. 5 d., environ 50 francs, dans la troisième période. Qui doute que l’Angleterre soit en état de payer aujourd’hui, avec cette accumulation de capitaux que le monde lui envie, une somme de taxes égale ou même supérieure à celles que l’échiquier percevait il y a trente ans ? Au taux de 110 francs par tête, qui représente le budget de 1815, le royaume-uni, avec ses vingt-sept millions d’habitans, pourrait élever à 3 milliards de francs le tribut annuel des recettes. À ce compte, la Grande-Bretagne disposerait pour développer la guerre, l’intérêt de sa dette payé et tous les autres services largement pourvus, d’un budget de 2 milliards ; il y aurait de quoi armer l’Europe entière. En 1813, au moment du plus grand effort contre la France, l’Angleterre consacra aux dépenses militaires une somme un peu inférieure, — 72 millions sterling.

On voit, par ce tableau sommaire, que les ressources du gouvernement britannique, en matière d’impôt, sont à peu près illimitées. Quand la lutte prendrait des proportions gigantesques, quand il devrait sortir de l’invasion déjà rétractée des provinces danubiennes une autre guerre de trente ans, le gouvernement, s’appuyant sur le sentiment national et puisant à pleines mains dans les trésors du pays, y ferait aisément face. Quelles que soient les dépenses de l’état, les progrès de la richesse nationale vont encore plus vite. Arkwright et Watt, en multipliant la puissance de production par leurs inventions mécaniques, ont plus fait pour la grandeur de leur patrie que ne firent pour nous les victoires plus tard expiées de la république et de l’empire. Le génie de Watt et d’Arkwright se répand aujourd’hui dans tous les rangs de la population. L’Angleterre possède au plus haut degré les deux forces qui mettent la matière en mouvement et la rendent féconde, à savoir : la science du travail et les capitaux accumulés. Aussi, de 1815 à 1843 seulement, l’on a constaté un accroissement de 62 pour 100 dans les revenus de la propriété foncière ; les revenus de la classe aisée, ceux sur lesquels porte l’income tax, sont évalués aujourd’hui à près de 6 milliards de francs, et M. Porter les estimait à 8 milliards, en partant de la limite de 30 livres sterling ou 750 fr. de revenu. Le progrès dans le commerce d’exportation, de 1830 à 1854, a été de 150 pour 100 ; le tonnage de la marine marchande a doublé depuis le commencement du siècle ; la production du fer, qui est. L’instrument de toutes les industries, s’est élevée de 258,000 tonnes, moyenne décennale de 1801 à 1810, à 1,700,000 tonnes, chiffre qui représente la fabrication moyenne de 1840 à 1850. Si l’on veut avoir une idée plus complète de ces merveilles de richesses qu’a enfantées l’industrie en Angleterre par la création et par l’accumulation des capitaux, il suffira de rappeler que, depuis vingt ans, les compagnies ont exécuté sur le territoire britannique 12,000 kilomètres de chemins de fer, représentant un capital d’environ 0 milliards de francs, dont les deux tiers ont été réalisés et servent à leurs actionnaires un revenu qui excède celui d’un royaume de second ordre. Enfin un statisticien enfuient enlevé par une mort prématurée à l’administration et à la science, M. Porter, portait à 2 milliards de francs les épargnes annuelles, l’accumulation régulière des capitaux en Angleterre. Une masse flottante de 2 milliards, que la nation peut à volonté donner en offrande ou prêter à l’état pour ses besoins extraordinaires, ou bien employer en commandite de l’industrie, soit au dedans, soit même au dehors ! l’imagination s’effraie de mesurer la hauteur de ces chiffres. Quelle puissance pour le mal comme pour le bien !

Nous avons passé en revue les forces, de l’impôt ; mais le crédit n’est pas fermé à l’Angleterre. On comprend que le gouvernement britannique hésite avant de rouvrir la carrière des emprunts ; le passé peut lui servir à la fois de leçon et d’épouvantail. Comment ne pas trembler à la seule pensée d’ajouter à l’importance d’une dette qui, à la fin de la dernière guerre, s’est trouvée accrue en capital de 15 milliards et de 600 millions pour l’intérêt ? Aujourd’hui encore le service des intérêts, sans parler de l’amortissement qui ne figure qu’accidentellement dans l’emploi des excédans de recettes, entraîne une dépense annuelle d’environ 700 millions de francs. Cette charge, depuis quarante ans, a diminué de 75 millions à peine ; elle absorbe la moitié du revenu brut. Rien n’est donc plus légitime que la sollicitude avec laquelle le ministère veille à ne pas aggraver le fardeau que la liquidation du passé a fait retomber sur la génération actuelle ; mais l’on se tromperait grossièrement, si l’on allait prendre cette réserve calculée pour un aveu d’impuissance. Le 3 pour 100 consolidé, bien que les circonstances aient pesé sur les cours, est côté encore à 92, c’est-à-dire 20 pour 100 plus cher que le 3 pour 100 français, et 70 pour 100 plus cher que le 4 1/2 pour 100 russe. Cela signifie apparemment que les capitalistes ont une plus grande confiance dans le gouvernement du royaume-uni que dans tous les autres gouvernemens de l’Europe, et qu’ils s’empresseraient, le cas échéant, de lui apporter leur argent. D’ailleurs l’Angleterre pourrait emprunter aujourd’hui sans augmenter les charges de son budget ordinaire. L’extinction des longues annuités va réduire la dette en 1860 d’un capital d’environ 500 millions de francs, et d’une dépense annuelle de 32 millions. Ainsi, au taux actuel du 3 pour 100 consolidé, l’échiquier, pour 32 millions de rente, emprunterait aisément plus de 900 millions de francs, soit, de 1855 à 1860, près de 200 millions par année, sans ajouter un centime à l’intérêt de la dette publique. N’est-ce pas là une situation qui doit fortifier la confiance des alliés de l’Angleterre et conseiller la prudence à ses ennemis ?

Pour achever la description de ces forces financières, il convient de rappeler que la dette flottante, qui servait de vestibule à l’emprunt pendant la dernière guerre et qui s’éleva pour l’exercice 1815 à 58 millions sterling (1,450,000,000 francs), proportion digne des finances russes, oscille aujourd’hui entre 450 et 500 millions de francs. Réduite à ces termes, elle n’est plus qu’une affaire de trésorerie, un moyen de service. La banque d’Angleterre prend une grande partie des bons de l’échiquier : le reste se place le plus souvent avec bénéfice entre les mains des capitalistes de la Cité. Voilà donc encore une ressource qui peut s’étendre. Le gouvernement anglais, quand il ne lui conviendra pas d’emprunter en rentes, aura la faculté d’augmenter l’émission des bons de l’échiquier. Une dette flottante de 7 à 800 millions de francs n’éveillerait assurément aucune inquiétude dans un pays où les capitaux courent après les placemens, et qui est comme un immense atelier où se forge incessamment la richesse.


III. – LES FINANCES DE LA FRANCE.

On vient de voir l’Angleterre consacrer sans effort à l’augmentation de ses arméniens, pendant la campagne de 1854, de 250 à 300 millions. La France, en concourant au même but, s’impose un sacrifice semblable. Les crédits extraordinaires ouverts jusqu’à présent en dehors du budget de l’année, pour l’accroissement de nos forces de terre et de mer, s’élèvent à 276 millions. Nous irons au-delà, si les circonstances l’exigent. La France a pour ressources la richesse de son territoire et celle de son industrie, sans compter un crédit solidement fondé, et qui ne le cède qu’à celui de l’échiquier britannique. On peut ajouter que, si la notion du devoir s’est affaiblie dans l’ordre politique, l’énergie du sentiment national se retrouve encore entière devant un agresseur étranger.

Ce que la France entreprend aujourd’hui avec le concours de l’Angleterre et avec l’alliance de l’Autriche, elle était de taille à l’accomplir seule par ses trésors et par ses soldats. Cependant les conditions sont diverses, sinon inégales. Une population plus nombreuse et plus naturellement belliqueuse que celle du royaume-uni nous permet d’entrer en ligne avec de plus puissantes années ; mais ce serait flatter et par conséquent tromper le peuple français, que d’affirmer que ses finances sont aussi prospères.

Sans doute, le passé nous a légué, malgré la triste nécessité de nous racheter de l’invasion et des révolutions, des charges infiniment moins lourdes. Notre dette en capital représente à peu près le tiers de celle de l’Angleterre, et le service des intérêts, en y comprenant, il est vrai, la dépense fictive de l’amortissement et l’intérêt de la dette flottante, s’élève à une somme moitié moindre, qui oscille entre 350 et 360 millions. L’impôt est peut-être mieux assis chez nous, plus également partagé entre les taxes directes et les taxes indirectes, et les contribuables ne l’ont jamais servi avec une plus édifiante régularité. Enfin le budget, si l’on en retranche les dépenses qui sont une affectation locale, ne pèse pas assurément du même poids, et représente tout au plus 35 ou 40 francs par tête. Mais à côté de ces avantages, il faut voir aussi les côtés faibles de notre situation.

À tort ou à raison, soit parce que les progrès du crédit public sont d’une date encore récente en France, soit parce que la concurrence des capitaux sur le marché est peu animée, nos emprunts se font généralement à des conditions moins favorables. L’Angleterre emprunterait, si l’on en juge par le taux des consolidés, à un taux voisin de 3 1/2 pour 100 ; le gouvernement français vient d’emprunter à un taux qui représente près de 5 pour 100[6], et avec une addition éventuelle au capital réalisé de 37 pour 100 sur le 3 et de 11 pour 100 sur le 4 1/2. Ce début ne ressemble pas mal aux erreurs, peut-être inévitables, de Pitt que M. Gladstone a signalées.

D’un autre côté, les dépenses ordinaires de l’état, au lieu de se renfermer, comme chez nos voisins, dans des limites inférieures ou égales à celles du revenu, continuent à excéder les recettes. Un accroissement de 110 millions dans le produit des impôts indirects, progrès inespéré et sans exemple qui est l’œuvre de deux années (1852 et 1853), n’a pas suffi pour rétablir l’équilibre. L’économie annuelle de 21 millions qui devait résulter de la conversion du 5 pour 100 en 4 1/2 se trouve annulée par l’extension qu’a prise la charge des dotations, portée au budget pour une somme de 37,383,114 francs. On a exagéré l’augmentation des traitemens attribués aux fonctionnaires au même degré que l’assemblée constituante en avait exagéré la réduction. Le luxe, pour emprunter une expression fort juste de M. de Chasseloup-Laubat, a sur ce point remplacé l’indigence. La passion de la fortune gagne les serviteurs de l’état. Si l’on n’y prend garde, l’argent passera bientôt avant l’honneur, et l’opinion publique, qui prononce, même quand on évite de la consulter, sera conduite à rechercher si la rétribution n’excède pas les services. Tel fonctionnaire, depuis la restauration de l’empire, reçoit, tant sur la liste civile que sur le budget, trois ou quatre traitemens dont le cumul représente environ 300,000 francs par année. À ce prix, un l’Hospital et un Turenne se seraient crus trop payés. De telles libéralités ne valent rien, ni dans l’intérêt de l’administration, ni au point de vue politique, et c’est le cas de rappeler que les dépenses de représentation prennent une importance qui tend à rejeter dans l’ombre les autres devoirs.

En somme, la progression des dépenses laisse encore une fois en arrière la progression des recettes. Les dépenses de 1854 avaient été évaluées à 1,516 millions ; celles de 1855, même après la révision du conseil d’état et du corps législatif combinés, sont portées à 1,562 millions. Or le budget de l’année prochaine aussi bien que celui de l’exercice courant, malgré les hostilités commencées, a été réglé sur le pied de paix. Les frais de la guerre restent en dehors, et figurent à un compte spécial, comme cela se pratiquait sous la monarchie pour les travaux extraordinaires. Il est impossible de ne pas faire remarquer que le budget de 1852, le dernier que l’assemblée législative ait voté, fixait les dépenses à 1,447 millions. Ce rapprochement avertit que l’on aurait tort de mettre les gros budgets au compte exclusif du gouvernement parlementaire. Le pouvoir, pour lequel on ne revendique pas ce titre, a aussi des exigences à satisfaire et des plaies à panser. Quoi qu’il en soit, l’absence d’un contrôle décisif ne paraît pas avoir été un principe d’amélioration pour nos finances. La responsabilité du gouvernement, n’étant plus partagée, s’accroît ainsi devant le pays et devant l’histoire : voilà tout.

Passons aux forces contributives de la nation. Il faut reconnaître que la France n’a pas fait de tels progrès dans l’accumulation des capitaux, qu’on puisse, sans se préparer quelque mécompte, lui imposer toutes les charges que le peuple anglais serait capable de supporter. J’ai vu le temps, et cette époque n’est pas très éloignée de nous, où l’on calculait que la place de Paris, le grand et peut-être le seul réservoir des capitaux flottans, ne pouvait pas fournir plus de 10 millions par mois pour de nouvelles entreprises. Et de fait, chaque fois que l’on avait devancé la formation de l’épargne nationale, l’on avait produit une crise sur le marché. C’est là, entre autres exemples, l’histoire de 1845. J’admets que ces épargnes se forment aujourd’hui moins lentement et sur une plus grande échelle. Le marché des chemins de fer représente déjà un capital de 1 milliard 1/2, qui n’existait pas il y a dix ans ; mais ce marché, comme celui de la rente, n’a-t-il pas donné quelques signes de surcharge ? N’a-t-il pas paru, même avant tout présage de guerre, plier un moment sous le faix ?

Ce serait envisager les choses en optimiste que d’estimer à 5 ou 600 millions par année les épargnes de la France. Faites la part de ce qui va naturellement s’engager dans l’agriculture, dans l’industrie manufacturière et le commerce, et vous verrez ce qui restera tant pour les dépenses extraordinaires de l’état que pour les grands ira vaux d’ordre public. 20 ou 25 millions par mois aujourd’hui me paraîtraient une hypothèse fort large. C’est du reste le calcul que semble avoir fait, en déterminant les conditions de l’emprunt, M. le ministre des finances ; 250 millions réalisables en quinze mois représentent en effet, pour chaque échéance mensuelle, un versement d’environ 16 millions 1/2. Encore ne faut-il pas perdre de vue qu’au moment où l’on a ouvert l’emprunt, le marché des capitaux avait déjà été comme saigné à blanc par les appels de fonds d’une multitude d’entreprises, notamment des chemins de fer que l’on avait concédés, je ne dis pas sans choix, mais assurément sans mesure. Ajoutons encore la crise des céréales, qui, en obligeant les consommateurs à dépenser 1 milliard de plus en denrées alimentaires, a retiré nécessairement ce milliard à l’épargne et au travail. La disette devait nous frapper plus rudement que l’Angleterre, car l’Angleterre, habituée à demander à l’étranger une grande quantité des blés qu’elle consomme, n’a eu qu’à augmenter temporairement ces importations pour couvrir un déficit plus considérable, tandis qu’il a fallu, dans un pays exportateur comme le nôtre, improviser un commerce d’importation qui exige des capitaux immédiatement disponibles et d’immenses moyens de transport. Aussi la France a beaucoup souffert, et aura besoin de temps pour se remettre d’une perturbation aussi forte. Le capital de la nation a été entamé ; il faudra combler ce déficit à l’aide des premières épargnes avant que l’accumulation de la richesse reprenne son cours.

Une dernière cause d’infériorité, notre dette flottante, a été portée à un chiffre qui doit, si les circonstances deviennent plus critiques, embarrasser la marche du trésor. Le 1er mars 1851, elle s’élevait à 592 millions ; le 1er avril 1852, M. le ministre des finances évaluait le découvert à 630 millions ; après le règlement de l’exercice 1853, il s’élevait à 760 millions.

Le budget de 1854 a été voté avec un excédant apparent de recette de 4 millions ; mais d’abord, en ce qui touche le revenu, l’on en avait évalué la partie mobile, celle qui suit la fortune publique dans sa progression et dans son mouvement de retraite, le produit des impôts indirects, à 851 millions, chiffre à peine inférieur d’un million et demi aux produits réalisés en 1852. Les résultats du premier semestre de 1854 sont connus. Comme il fallait s’y attendre, ils restent d’environ 7 millions au-dessous de ceux du même semestre pendant l’année qui vient de s’écouler. Les affaires ne reprennent pas encore toute leur activité, et le prix du blé, qui demeure nés élevé malgré l’abondance de la récolte, imposant encore de lourds sacrifices à la consommation, il est raisonnable de prévoir pour le deuxième semestre un nouveau mécompte. Le revenu réel sera probablement de 12 à 15 millions au-dessous des évaluations officielles, et par conséquent le budget de 1854 se soldera, pour ce chapitre seul, par un déficit de 10 à 12 millions. Viendront ensuite les crédits supplémentaires. Pour contribuer aux actes de bienfaisance ou aux travaux que les communes s’imposaient dans l’intérêt des classes nécessiteuses, le gouvernement a déjà surchargé de 10 millions le budget de l’année. Le décret du 5 août, qui vise le testament de l’empereur Napoléon, y ajoute 8 millions encore. D’autres nécessités ne tarderont pas à se révéler. Par exemple, l’état pourra-t-il laisser à la charge de la ville de Paris les 20 ou 25 millions que va faire peser sur le budget municipal la réduction artificiellement opérée du prix du pain à 40 centimes le kilogramme pour toutes les classes de la population, réduction qui dure depuis près d’une année ? Pourra-t-il, lui l’auteur de la mesure, ne pas en supporter les conséquences quand l’événement aura démontré que si l’on est maître de donner le pain à bon marché, aux dépens d’un trésor quelconque, quand le blé est cher, il n’est pas aussi facile de contraindre douze cent mille consommateurs à payer leur pain cher lorsque le blé se vend à bas prix ? La doctrine des prix moyens à établir par voie de compensation entre les temps de hausse et les périodes de baisse vaut celle du maximum et appartient à la même famille. Les gouvernemens se fourvoient quand ils prétendent régler la valeur commerciale des produits. Le prix des denrées dépend de leur rareté ou de leur abondance. Ce sont là des phénomènes qui échappent à l’action du pouvoir tout aussi naturellement que la marche des saisons. En un temps où prédominent les intérêts matériels, la liberté des transactions semble la dernière à laquelle on puisse porter une atteinte durable.

D’autres causes doivent affecter la dette flottante. Nous n’avons pas parlé des dépenses extraordinaires ; cependant il est facile d’apercevoir dès à présent que l’emprunt ne les couvrira pas : l’excédant est déjà de 26 millions. D’ailleurs les dépenses de la guerre n’en resteront pas là. Avec plus de cinq cent mille, hommes sous les armes et avec trois escadres à la mer, nous atteindrons probablement le chiffre de 300 millions, même sans déployer de nouvelles forces. Les ressources créées par l’emprunt présenteront donc une insuffisance de 50 millions à laquelle la dette flottante devra pourvoir. Le découvert, à juger de l’état des finances par les documens très sommaires et très incomplets que le gouvernement fournit, excédera sans doute de beaucoup la somme énorme de 800 millions à la fin de cet exercice. Parvenue ainsi à son point culminant, la dette flottante dépassera de 200 à 250 millions les limites les plus tendues d’une situation normale. L’emprunt aurait dû servira consolider une partie des découverts, si la guerre n’en eût réclamé l’emploi. Quand sera-t-on en mesure de travailler à cette liquidation, si la guerre se prolonge ?

Un budget trop chargé de dépenses, une dette flottante hors de toute proportion, et une accumulation de capitaux annuellement moins considérable, voilà par quels côtés le champ de nos finances, comparé à celui des finances britanniques, paraîtra moins étendu ; on peut en tirer cependant d’abondantes ressources. Il ne s’agit que de ménager d’une main plus avare les trésors du pays dans les temps de calme, et d’en diriger l’emploi avec plus de prévoyance au moment des difficultés. La France est aujourd’hui deux ou trois fois plus riche qu’à l’époque où nous avons successivement payé une rançon de 1,500 millions à l’étranger et une autre de 800 millions aux émigrés. Si les économies nouvelles de la nation n’y suffisent pas, nous prendrons sur les capitaux accumulés depuis trente ans pour nourrir la guerre. Quand l’holocauste deviendra nécessaire, les millions, les centaines de millions et même les milliards ne nous coûteront pas.

Ce que l’on doit rechercher en attendant des nécessités plus impérieuses, ce sont les moyens de poursuivre la lutte sans déranger l’équilibre des finances publiques, et sans porter le trouble dans les régions du commerce et de l’industrie. Supposons qu’en évacuant la Valachie et la Moldavie l’armée russe n’ait songé qu’à renforcer sa ligue de défense, et que le cabinet de Pétersbourg ne se dispose pas à donner à l’Europe les garanties que les puissances de l’Occident réclameront avant de poser les armes ; les opérations militaires devront continuer, peut-être même s’agrandir : il faut donc nous préparer à une seconde campagne. Quels seront les moyens de la rendre décisive et d’amener le triomphe du bon droit ?

Ces moyens sont l’impôt et l’emprunt. En présentant le 6 mars au corps législatif le projet de loi qui autorisait le ministre des financés à emprunter 250 millions, le gouvernement a exposé les motifs qui le déterminaient pour cette année à ne rien demander aux contribuables. » Personne ne pensera qu’il soit possible de demander à une extension considérable du chiffre actuel de la dette flottante toutes les ressources qu’exigent dès à présent les services de la guerre et de la marine. L’augmentation de l’impôt n’est pas non plus une ressource applicable à des supplémens de défense larges et prompts comme ceux que nécessite la transition de l’état île paix à l’état de guerre. S’adresser à ce moyen serait d’ailleurs faire peser sur le présent ce qui doit être plus naturellement la charge de l’avenir. C’est aux prospérités de la paix qu’il convient de demander la compensation des souffrances de la guerre. L’emprunt seul peut subvenir largement et sans retard aux nécessités financières résultant d’une situation que la France n’a pas recherchée, mais devant laquelle elle ne reculera pas. »

Si le gouvernement avait dit : « La disette de 1853 a porté la gêne dans les familles ; les épargnes sont dévorées par les nécessités quotidiennes et ne se renouvellent pas ; les contribuables épuisés acquittent péniblement les charges ordinaires de l’impôt. On ne peut pas songer aujourd’hui, ni avant que les économies annuelles de la nation se reforment, à les surcharger d’un supplément de taxes. Ce serait aggraver leur détresse et ajouter aux embarras de la situation. L’état, sous une forme ou sous une autre, ne doit demander de l’argent qu’à ceux qui en ont et dans la mesure de leurs ressources. Le revenu de la nation est diminué et périclite : adressons-nous aux détenteurs du capital disponible ; cherchons, pendant les temps difficiles, non pas des contribuables, mais des prêteurs. »

Si le gouvernement avait tenu ce langage, il n’aurait pas trouvé de contradicteurs ; mais, au lieu de faire valoir des motifs d’humanité, on a mis en avant des convenances de trésorerie qui ne sont rien moins qu’évidentes. L’emprunt, dans les conditions où il a été ouvert, ne pourvoit pas mieux que l’impôt « aux supplémens de défense larges et prompts que nécessite la transition de l’état de paix à l’état de guerre ; » les versemens en effet doivent s’opérer par quinzième et de mois en mois, ce qui ne donne pas d’avantage sur l’impôt, dont les rentrées s’opèrent par douzième et dans l’année. Ajoutons que les dépenses de l’état se fractionnant également par échéances mensuelles, ce qui importait, c’était d’obtenir la certitude plutôt que la disposition immédiate ou à bref délai d’une réserve considérable. L’impôt eût pourvu à cette nécessité aussi bien que l’emprunt et, en tout cas, concurremment avec l’emprunt.

On a dit encore, au nom du gouvernement, qu’il ne fallait pas « faire peser sur le présent ce qui devait être la charge de l’avenir. » C’est la théorie opposée à celle de M. Gladstone. Par un contraste bien étrange, pendant que le gouvernement britannique soutient que les charges de la guerre regardent le temps présent et doivent être exclusivement supportées par les contribuables, le pouvoir en France revendique un privilège d’exemption en faveur de la génération actuelle, et, au risque de fatiguer le crédit par des appels sans terme, rejette le fardeau sur les générations futures, alléguant que c’est bien assez pour nous des souffrances de la guerre, et que les dépenses en doivent être prises sur les prospérités de la paix. La vérité se place entre ces deux prétentions également arbitraires.

Il faut bien reconnaître aux pouvoirs publics le droit d’engager l’avenir, puisqu’ils doivent, comme de bons pères de famille, travailler pour la postérité et transmettre l’héritage agrandi à leurs successeurs. D’ailleurs la limite qui sépare l’avenir du présent est rarement appréciable : « Le moment où je parle est déjà loin de moi. » Pour un gouvernement prévoyant, l’intérêt de l’avenir et celui du présent se confondent. Du reste, la postérité n’ayant pas voix au chapitre, c’est une obligation étroite pour le pouvoir de ne lui renvoyer que les charges que la génération militante ne se trouve pas en état de porter. Entre le présent et l’avenir, la nécessité est le seul arbitre que l’on accepte. Refusez aux gouvernemens le droit d’hypothéquer « sur les prospérités de la paix » les charges de la guerre, et à l’instant la dette publique n’a plus de base ; vous paralysez, avec la faculté d’emprunt, les travaux qui préparent la grandeur ou le repos des nations. Admettez au contraire qu’un gouvernement peut tout ce qu’il veut, et qu’il est toujours le maître de dégrever le présent pour grever l’avenir, et vous allez donner à ceux qui viendront après lui l’irrésistible tentation de répudier le fardeau qu’on leur aura légué, et qui, du moment qu’il deviendra trop lourd, ne manquera pas de leur paraître injuste.

Un gouvernement prudent ne doit exclure de ses moyens d’action ni l’impôt ni l’emprunt. Pourquoi restreindre de gaieté de cœur les limites du possible ? L’état vient d’emprunter 250 millions : passons sur les faits accomplis ; mais des besoins nouveaux se déclarent. Est-ce le cas de s’adresser encore une fois au crédit ? Si l’on prend ce parti, il faudra bien attendre le terme des versemens qui restent exigibles, car on ne peut pas enchevêtrer l’emprunt qui va s’ouvrir avec l’emprunt déjà ouvert. Cela nous conduit au mois de juillet 1855. On s’est publiquement et hautement félicité des résultats qu’a produits au mois de mars dernier la souscription publique. Ce mode a beaucoup d’avantages, dont le plus considérable à mes yeux est d’attirer dans la rente les petits capitaux de province, qui, en se jetant sur les acquisitions territoriales, enflaient la valeur du sol et le fractionnaient en parcelles pour ainsi dire impalpables. Cependant à côté des avantages viennent se placer des inconvéniens très sérieux. Il ne faut pas se dissimuler que le dernier emprunt a épuisé la province, en même temps qu’il écartait ou rebutait les grands capitalistes. Cet état de choses rend, je le crains bien, aussi difficile de convoquer de nouveau la foule que d’obtenir des soumissions à forfait. On a peut-être agrandi le marché des rentes à l’intérieur, mais on s’est privé d’une ressource qui importe surtout aux jours de crise, en éloignant les capitaux de l’Angleterre et de l’Allemagne. L’emprunt de 1854, du reste chèrement payé, eût présenté une combinaison excellente et à l’abri de la controverse, si l’état n’avait plus dû emprunter. Ceci ne veut pas dire que les bourses vont se fermer devant le gouvernement ; je crains seulement qu’il ne trouve pas, quand il le voudra, l’argent très abondant ni les conditions très faciles.

Il semble naturel que la génération dans l’intérêt immédiat de laquelle la France prend les armes contribue à la guerre de ses ressources pécuniaires comme elle y contribue de son sang. Il y a place pour un impôt de guerre dans tout budget bien ordonné. Cet impôt est, comme on le pressent, la contribution directe qui s’adresse ouvertement aux facultés des contribuables, et que l’on allège dans les années de prospérité pour la retrouver plus élastique et plus féconde dans les temps d’épreuve. Je sais bien que les gouvernemens qui rehaussent le tarif des contributions, même en présence d’une nécessité reconnue, sont rarement populaires ; mais le devoir passe avant le besoin de la popularité. Le suffrage universel, avec lequel au surplus je ne confonds pas l’opinion publique, est moins passionné et moins aveugle qu’on ne croit. Tous les gouvernemens n’auraient pas succombé à l’épreuve des 45 centimes. Les contribuables en ont voulu au gouvernement provisoire, non pas d’avoir trouvé ce remède à une situation à peu près sans issue, mais de l’avoir rendu nécessaire. Aujourd’hui, au contraire, tout le monde en France est convaincu que la responsabilité de la guerre ne saurait peser sur le gouvernement, et c’est ce qui fait que l’on ne comptera pas les sacrifices pour maintenir la nation à la hauteur de ses destinées. Au reste je prends volontiers la responsabilité du conseil ; espérons que le pouvoir, tout bien considéré, ne reculera pas devant celle de l’acte.

La nécessité d’accroître les versemens qui proviennent de l’impôt ressort, avant toutes choses, du défaut d’équilibre que présente le budget de 1855. Bien que l’on ait retranché 12 millions du chapitre spécial des travaux extraordinaires, ce qui ne saurait passer pour une économie bien entendue, afin de guinder les recettes jusqu’au niveau des dépenses, l’on a été obligé de supposer que les contributions indirectes produiraient 891 millions[7]. C’est un chiffre de 40 millions supérieur aux produits de 1853, et qui excédera de 60 millions peut-être ceux de l’année courante. Comment espérer, sans une illusion qui n’est pas même plausible, que l’accroissement continuera et sur de pareilles proportions ? Les conséquences de la disette se feront sentir encore en 1855. Il ne faut d’ailleurs attendre une progression indéfinie pas plus du revenu public que de la richesse privée. Le produit des impôts indirects n’augmentera pas tous les ans de 65 millions comme en 1852, ou même de 44 millions comme en 1853. La consommation est une quantité qui a des limites, et des deux élémens qui concourent à l’augmenter, le progrès de la richesse et celui de la population, l’un nous manque d’une manière absolue, car la population, depuis dix ans, est à peu près stationnaire en France. Si l’on ne veut pas ou si l’on ne peut pas réduire, pour l’année 1855, les dépenses ordinaires, il faudra donc ajouter à l’échafaudage de la dette flottante ou se résoudre à une augmentation d’impôts. Mais indépendamment du budget nous aurons à défrayer la guerre : si la guerre doit coûter chaque année 250 à 300 millions, quel homme politique, quel financier conseillerait de demander tous les ans 300 millions au crédit ?

On a dégrevé, en 1853, la contribution foncière de 17 centimes ; c’est une remise de 26 millions qui a très peu profité aux contribuables, et une perte très sensible pour le trésor. Nous proposons de rétablir, à titre permanent, 17 centimes sur la contribution foncière, 30 centimes, ajoutés temporairement aux quatre contributions directes, produiraient de 75 à 80 millions. La taxe du sel, réduite à un décime par kilogramme, rend annuellement 35 millions ; on élèverait le produit au minimum de 25 millions en portant la taxe à 2 décimes, et ce serait encore une réduction d’un décime sur le tarif de 1847. On pourrait aussi augmenter les droits qui frappent les alcools, matière essentiellement imposable. Enfin, en opérant une retenue d’un cinquième sur les traitemens supérieurs à 10,000 fr., et d’un dixième sur les traitemens inférieurs jusqu’au chiffre de 2,000 fr., on obtiendrait une ressource additionnelle de 10 à 12 millions. Au total, on ajouterait ainsi 150 millions, à peine un dixième, aux charges de l’impôt.

Dans un pays industrieux et économe comme la France, à la veille d’un grand péril, ou seulement quand l’honneur national est engagé, il est certainement possible, sans troubler les progrès de l’accumulation et sans porter atteinte à l’assiette des fortunes, de demander annuellement 150 millions de plus à l’impôt et 150 millions à l’emprunt. De ce train-là, au lieu d’accabler nos finances au premier effort, on alimenterait la guerre au besoin pendant dix ans, et l’on rendrait notre action irrésistible.

L’impôt et l’emprunt sont des moyens différens de puiser aux mêmes sources, ce sont deux courans dérivés du même réservoir, qui est le marché des capitaux ; mais ce marché, qui représente les facultés contributives du pays, s’ouvre pour d’autres que pour l’état. C’est le fonds commun dont s’alimentent les entreprises industrielles ou commerciales, et au moyen duquel se développent, avec la puissance créatrice du travail, les améliorations agricoles, les usines, la navigation de long cours, ainsi que les voies intérieures de communication. Le marché des capitaux peut-il, en temps de guerre, défrayer concurremment les besoins des services publics et ceux de l’industrie ? Dans quelle proportion les épargnes de la nation sont-elles disponibles pour ce double usage ? La crise que nous traversons peut servir à le déterminer.

Depuis le milieu de l’année 1853, d’abord sous l’influence des alarmes qu’excitaient les desseins déjà manifestes de la Russie, et bientôt sous la pression de la guerre imminente ou déclarée, la situation du commerce, de l’industrie et du crédit s’est altérée en Europe. Les mauvais résultats de la récolte, venant ajouter aux anxiétés de l’opinion, ont pu aggraver ce malaise. Cependant la crise a une autre origine : il faut l’attribuer principalement à des causes politiques, qui ont agi sans mélange au début, et qui, les embarras des subsistances touchant à leur terme, vont avoir le champ libre désormais.

La dépression des valeurs a été lente, mais continue, pendant près de dix mois, et a fini par exercer une désastreuse influence sur la fortune publique. Les 3 pour 100 consolidés que la bourse de Londres cotait à 100 au mois de juin 1853 étaient tombés à 87 vers la fin de mars 1854, ce qui représentait une baisse de 13 pour 100. Le 3 pour 100 français, qui avait atteint un moment le cours de 86 fr., et qui se cotait encore 79 fr. 50 au mois de juin 1853, descendait, dans le courant de mars 1854, au-dessous de 63 fr., ce qui représentait, sur les cours de juin, une baisse d’environ 20 pour 100.

Dans un discours que M. Bright adressait, le 31 mars dernier, à la chambre des communes, l’honorable représentant de Manchester constatait que la dépréciation des fonds publics en Angleterre équivalait alors à une perte de 120 millions sterling, et que la dépréciation des valeurs industrielles, telles que les actions de chemins de fer, qui avait été proportionnellement plus forte, équivalait à une perte de 80 millions sterling. L’Angleterre avait donc vu, sur deux branches de sa richesse, et sans parler de l’agriculture ni de l’industrie manufacturière, le capital national diminuer, comme valeur vénale, de 200 millions sterling, 5 milliards de notre monnaie.

La baisse des valeurs mobilières a fait les mêmes progrès en France. Nous n’avons pas, comme en 1848, perdu à la fois sur le capital et sur le revenu, car les recettes des chemins de fer en particulier ont présenté, pour l’année 1853, un accroissement de 16 pour 100 sur les résultats correspondans de 1852, et le premier semestre de 1854 a donné, pour le réseau de 4,152 kilomètres, une recette de 86 millions, d’où ressort un accroissement de 12 38/100es pour 100 dans le produit kilométrique, mais cette augmentation, dont la régularité est vraiment remarquable, n’a pas préservé les actions des chemins de fer de la dépréciation qui atteignait toutes les valeurs. Les lignes exploitées ou en construction, qui représentaient en 1853 un capital d’environ 1,500 millions, figuraient, à la fin de mars 1854, sur les cotes de la bourse, pour 350 millions de moins. Les détenteurs de ces actions, qui s’étaient vus dans la nécessité de les vendre, avaient perdu 23 pour 100 de leur capital.

À la même époque, les rentes 4 1/2 pour 100 étaient dépréciées de 16 pour 100 ; en y ajoutant la baisse du 3 pour 100, on trouvait une diminution de capital d’environ 900 millions. Il y a bien encore la perte essuyée sur les obligations des chemins de fer, que l’on ne saurait évaluer a moins de 50 millions, et la dépréciation des actions des établissemens de crédit, tels que la Banque de France, le crédit foncier et le crédit mobilier, qui s’est élevée à une somme à peu près égale. La perte qui a frappé le marché des valeurs mobilières a donc été au total de 13 à 1,400 millions. En 1848, elle avait été de 50 pour 100 ou de 3 milliards et demi sur les rentes seules.

Le malaise qui agitait le pays se reconnaissait encore à d’autres symptômes. Ainsi l’argent abondait sur le marché ; il se livrait à bas prix dans les placemens temporaires, mais ne s’aventurait dans les placemens sérieux qu’attiré par l’appât d’un profit exorbitant. On pouvait acheter les yeux fermés les actions des meilleures lignes de chemins de fer sur le pied de 7 à 8 pour 100, et malgré de tels avantages ; les capitalistes n’accouraient pas. Chacun spéculait sur les perspectives de l’imprévu, et préférait en attendant, soit garder ses écus immobiles, soit prendre du papier à courte échéance, ou faire le commerce peu productif des placemens sur report. Quiconque avait besoin d’emprunter, en dépit des meilleures garanties, devait s’attendre à être égorgé. Les banques s’empressaient à l’envi d’élever le taux de leurs prêts et de leurs escomptes. Les propriétaires ne trouvaient plus que dans les bureaux du crédit foncier de l’argent à 5 pour 100. Le trésor lui-même, quelques mois avant l’emprunt, avait porté à 5 1/2 pour 100 l’intérêt de ses bons à longue échéance. Parmi les compagnies de chemins de fer, celles qui avaient ouvert des emprunts à un taux qui aurait six mois plus tôt déterminé des souscriptions en masse se voyaient délaissées par le public. Une seule réussit, mais en servant un intérêt qui, avec la prime au remboursement, représentait plus de 6 pour 100 du capital prêté ; il est vrai que cette compagnie n’avait admis à la souscription que ses actionnaires. D’autres administrations, plus prudentes ou mieux pourvues de ressources, ajournaient à des circonstances plus favorables tout appel au crédit.

Les mêmes phénomènes se sont manifestés avec encore plus d’intensité sur le continent européen. Ainsi le 5 pour 100 belge est tombé à 90, celui de Naples à 88, celui de Rome à 80, celui de Piémont à 73, et celui d’Autriche à 77 1/2. Le 3 pour 100 piémontais émis récemment à 69 francs ne se cotait plus, à la fin de mars, qu’à 47 francs, avec une perte de 30 pour 100 sur le capital d’émission, et à une distance de 52 pour 100 du pair nominal. Encore toutes ces valeurs seraient-elles descendues plus bas sans l’écoulement qu’elles trouvaient sur les places de Paris et de Londres, dont les capitaux rayonnent comme la lumière, et vont, avec une générosité souvent imprudente, se prodiguer au dehors dans toutes les directions.

En prenant la cote des fonds publics pour signe du taux moyen que représente dans chaque contrée le loyer de l’argent, on voit que, relativement au reste de l’Europe, dans la dépression qui a pesé sur le crédit et par suite sur les transactions de l’industrie et du commerce, la France et l’Angleterre sont incontestablement les nations que cette crise a le moins maltraitées. Un autre enseignement en ressort : la crise financière s’est étendue à l’Europe entière, parce que l’Europe entière est menacée par la guerre qui s’allume en Orient. Les intérêts au-delà des Alpes, du Rhin et de l’Escaut se sont montrés plus clairvoyans que la politique.

Depuis le mois de mai et surtout pendant le mois de juin, la confiance a paru se ranimer. On s’habitue évidemment à la pensée de la guerre ; on en calcule plus froidement les bonnes et les mauvaises chances. À mesure que la puissance de la Russie, mise à l’épreuve des difficultés, s’est amoindrie, la force de l’Occident a semblé grandir et dominer. Il devient évident que les esprits se relèvent. Aussi, bien avant que l’on pût connaître ou même pressentir les résultats de la récolte de 1854, qui doit exercer une influence si décisive sur l’économie intérieure des populations, un mouvement de reprise très prononcé s’est manifesté dans les régions du crédit. Le tableau suivant du cours des principales valeurs, aux trois époques de la fin de juin 1853, de la fin de mars et de la fin de juin 1854, permettra d’apprécier la nature et les proportions de ce mouvement en ce qui touche la France :


Juin 1854 Mars 1854 Juin 1853
3 pour 100 73 fr 30 c 63 fr 79 fr 50 c
4 1/2 98 fr 10 88 fr 90 98 fr 10
Chemin d’Orléans 1,170 fr 1,040 fr 1,170 fr
« du Nord 867 fr 50 745 fr 910 fr
« de l’Est 702 fr 50 680 fr 822 fr 50
« de l’Ouest 650 fr 545 fr 755 fr
« du Midi 610 fr 487 fr 50 645 fr
« de Lyon 950 fr 772 fr 50 940
« de la Méditerranée 827 fr 50 630 fr 745 fr
« de Rouen 1,020 fr 850 fr 1,070 fr

Après une année d’émotions et de désordres, le crédit public se trouvait ramené à une faible distance du point de départ. Le 4 ½ pour 100, soutenu par les achats au comptant, qui n’ont pas cessé d’agir, même dans les momens les plus critiques, a regagné le cours de 98 francs 10 centimes. Le 3 pour 100 est encore de 6 francs au-dessous du prix qu’il obtenait à la fin de juin 1853. Les actions des chemins de fer sont généralement remontées à leur cours d’il y a un an ; mais c’est encore une baisse de 8 à 10 pour 100, si l’on tient compte de la hausse égale qu’aurait dû amener dans la cote de ces valeurs la progression du revenu.

En résultat, le crédit n’a pas repris son assiette ; mais les événemens, qui l’ont éprouvé quelque temps, on ont mis en évidence la solidité. Il y a d’ailleurs des motifs de se rassurer, que je trouve considérables. Premièrement, par un temps de guerre et de disette, les produits de l’impôt indirect, ce thermomètre de la consommation, n’ont que très faiblement diminué ; secondement, l’impôt volontaire que le public paie aux compagnies de chemins de fer, pour prix du transport des personnes et des marchandises, et qui indique assez exactement le mouvement des affaires, a donné des résultats constamment progressifs. On peut donc en induire sans témérité que le revenu de la nation, s’il n’a pas augmenté, n’a pas diminué d’une quantité qui soit vraiment appréciable. C’est une année perdue pour l’accroissement de la richesse, et voilà tout.

Mais, si l’on veut que les ressources nationales conservent cette élasticité, il faudra qu’on les ménage. L’industrie, un peu trop encouragée, a mis toutes voiles dehors. Sans parler des usines et des manufactures, qui n’exigent pas l’autorisation des pouvoirs publics, depuis le 31 décembre 1851, en deux années, l’étendue des chemins de fer concédés a dépassé quatre mille kilomètres. Quatre mille kilomètres de chemins de fer représentent, sans parler de la subvention de l’état, une dépense d’environ un milliard pour les compagnies. Supposons que la moitié de ce capital ait déjà été réalisée ; 500 millions à lever sur le public en quelques années paraîtront encore une contribution très lourde. Il faudra que, par la prudente lenteur de l’exécution, en fractionnant les appels de fonds, en différant les emprunts, en ajournant tous ces embranchemens qui ne sont, à vrai dire, que des communications vicinales, les compagnies tempèrent l’effet que l’apparition simultanée de tant d’entreprises a produit. Que serait-ce si le gouvernement, ne prenant pas conseil des circonstances, allait, comme on l’a prétendu, faire des concessions nouvelles, ou ajouter aux charges des concessions déjà faites ? Nous aurons bien assez, pendant la guerre, de continuer et de mener à fin les travaux commencés pendant la paix ; ce n’est pas pour l’industrie le moment de former de vastes projets, de spéculer, ni d’entreprendre.

Ne voit-on pas d’ailleurs que la force des choses résiste à l’audace de tous ces calculs ? Les ouvriers manquaient déjà ; le recrutement extraordinaire qu’exige l’armée va diminuer le nombre des hommes que l’industrie trouvait à enrôler. Le fer manque, et la réduction des droits sur les fers étrangers n’a donné qu’une satisfaction illusoire. Les machines manqueront à leur tour, et avant tout, ce personnel de mécaniciens qui est lent à se former, les pilotes de ces fleuves de rails, qui ont aussi leurs écueils signalés par plus d’un naufrage. Dans la conception de ces plans qui dévoraient l’espace et qui supprimaient le temps, l’on n’avait pas fait la part des circonstances perturbatrices ; aussi les causes de retard et de mécompte sont-elles partout.

En Angleterre, la spéculation a fait, pendant l’année 1853, des folies qu’elle expie en 1854. L’or de l’Australie, cet or qui enrayait quelques imaginations, est venu fort à propos au secours des embarras monétaires. Néanmoins le loyer des capitaux, par une dernière conséquence de la crise, y est encore assez élevé : la banque d’Angleterre tient le taux de l’escompte à 5 pour 100. Il est naturel que les peuples qui jouissent du self government ne s’instruisent qu’à l’école de leurs propres fautes ; mais chez nous et après la transformation qu’a subie le pouvoir, s’il prend l’initiative en toutes choses, on attend de lui qu’il ne laisse ni exagérer ni s’égarer l’action. Aussi. quand je vois M. le ministre des travaux publics, dans un rapport adressé à l’empereur, se féliciter de ce que l’exécution des 2,154 kilomètres de chemins de fer concédés par l’état en 1853 ne coûtera qu’un sacrifice de 39,300,000 fr., je ne puis m’empêcher de penser qu’il aurait rendu à l’état un plus grand service et qu’il aurait acquis une gloire plus réelle, si, prévoyant, comme il lui appartenait de le faire, la guerre qui s’amassait en Orient, il avait ajourné ou refusé la moitié de ces concessions.

Les dépenses des départemens et des villes sont une autre charge pour les finances, qu’il devient urgent de contenir dans des limites plus raisonnables. Les centimes départementaux et communaux, qui s’élevaient à 58 millions en 1830, à 114 millions en 1846 et à 132 millions en 1851, figurent au budget de cette année pour 140 millions. Ces dépenses, qui s’accroissent beaucoup plus vite que celles de l’état lui-même, absorbent déjà le tiers du produit des contributions directes ; c’est une somme presque égale au principal de la contribution foncière. Les autorités locales entrent ainsi, au-delà de ce que semble tolérer l’intérêt bien entendu des contribuables, en partage de la souveraineté qui appartient à l’état en matière d’impôt. Encore devrait-on ajouter à ce budget de 140 millions, pour donner une idée exacte des dépenses, les 80 et quelques millions que les villes retirent des octrois et le produit des emprunts contractés soit par les départemens, soit par les administrations municipales. L’ensemble ne s’élève pas à moins de 275 à 300 millions par année.

La situation ne comporte plus évidemment de tels sacrifices. La disette ne frappe plus à notre porte, et il ne s’agit plus de trouver un emploi profitable ou non pour les bras inoccupés. Les seuls travaux qu’il convienne d’encourager fortement aujourd’hui sont les travaux agricoles. De ce côté nous avons un long arriéré à solder, de ce côté apparaît désormais l’avenir de la richesse ; par-là nous augmenterons réellement le bien-être en améliorant les mœurs. Pour les travaux d’embellissement, nous avons du temps de reste. Les villes comme les particuliers ne doivent les entreprendre que lorsque leurs caisses regorgent d’argent, et lorsque leurs économies ne peuvent pas recevoir une meilleure destination.

Parmi les villes qui entreprennent de grands travaux et qui se livrent à de vastes opérations de crédit, Paris figure en première ligne. En le rappelant ici, je n’entends pas exprimer un blâme. Il m’appartiendrait moins qu’à tout autre de m’ériger en censeur d’une tendance d’ailleurs généreuse, après avoir eu l’honneur de proposer à l’assemblée législative, au nom du gouvernement, les lois qui ont décidé et rendu possible l’exécution des halles centrales et de la rue de Rivoli. L’intérêt de la paix publique autant que celui de la salubrité commandait de faire une large trouée à travers le quartier des barricades. L’air et la lumière y pénètrent aujourd’hui ; j’aurais mauvaise grâce a me plaindre de ce que la combinaison de 1851 a du succès et détermine de nouvelles entreprises. Mais n’a-t-on pas embrassé trop de projets à la fois ? Les finances de la ville, si florissantes qu’on les suppose, ne vont-elles pas être excédées ?

Le revenu municipal est en progrès : en 1853, il a dépassé 55 millions ; l’emprunt de 50 millions ne doit pas avoir été dépensé sans réserve, puisque l’on tient encore en projet la construction des balles centrales. Cependant ces ressources ne défraieront pas longtemps des budgets de 90 millions, comme celui que M. le préfet de la Seine a présenté pour 1854. Un nouvel emprunt sera bientôt nécessaire. Remarquez que l’on porte le marteau de la démolition partout à la fois. Des quartiers sont rasés entièrement comme dans une ville prise d’assaut. Nous avons passé l’hiver et le printemps au milieu des décombres : la circulation sur la voie publique était interceptée à chaque pas. Il s’agit évidemment désormais non pas d’assainir, non pas d’embellir, mais de transformer la capitale. Les abords du Louvre et des Tuileries, le bois de Boulogne et sa nouvelle chaussée, le boulevard de Strasbourg prolongé jusqu’à la Seine, le boulevard Malesherbes, la rue des Écoles, et bien d’autres créations dont l’énumération me conduirait trop loin, condamnent assurément la ville de Paris, pour première échéance, à quelque nouvel emprunt de 40 à 50 millions. N’oublions pas que son crédit est aujourd’hui chargé de 24 millions, empruntés au moyen des bons de la caisse de la boulangerie et qui constituent provisoirement une dette flottante.

Si l’on envisage par le côté politique cette accumulation d’entreprises, on ne peut se défendre de certaines appréhensions. Un premier résultat, qui n’est pas le plus grave à nos yeux, sera la perturbation des fortunes. À force de démolir coup sur coup, et en rasant plus de deux mille maisons, on a commencé par provoquer un renchérissement des loyers, factice assurément, temporaire si l’on veut, mais qui désole et met hors de leurs calculs toutes les familles placées dans les régions moyennes de la société. Plus tard, quand les constructions et les reconstructions, qui s’élèvent avec une grande rapidité, auront comblé les vides et créé trois ou quatre nouvelles villes dans Paris, les locataires ne se multiplieront pas aussi promptement pour les habiter, et le prix des loyers baissant peut-être de la même quantité qu’il avait haussé, les propriétaires et les spéculateurs qui auront construit à grands frais se trouveront à moitié ruinés. L’énorme capital que vont représenter les bâtimens et les terrains dans Paris sera frappé d’une dépréciation qui paraît inévitable.

Mais je redoute davantage, je l’avoue, l’agglomération extraordinaire d’ouvriers qu’entraînent des travaux exécutés sur une aussi grande échelle et pendant une suite d’années. Tous ces hommes que des salaires élevés attirent du fond des départemens, après avoir goûté pendant plusieurs années des habitudes parisiennes, se détachent de leur domicile d’origine, et finissent par grossir, même quand les travaux viennent à se ralentir, la population des faubourgs. Leurs mœurs se corrompent dans les cabarets, et leurs opinions dans les sociétés secrètes. Là on les forme aux agitations politiques, et ils deviennent la milice des révolutions. L’année d’ouvriers qui concourut à édifier les fortifications de Paris avait apporté à la population de la capitale des recrues qui contribuèrent avec un bien autre zèle à la révolution de 1848. Il n’est jamais bon, il n’est jamais sûr d’accumuler sur un seul point du pays des réunions d’hommes qui, après avoir fourni des moyens de travail, pourront, avec la même facilité, fournir des élémens de désordre.

En résumé, la situation des villes et des compagnies industrielles en France est la même que celle de l’état : des finances qui présentent de grandes ressources, mais qui se trouvent fortement engagées. On ne donne pas aux économies de la nation le temps de se former ; on les escompte. Ces épargnes du travail, ce trésor composé de parcelles, brillent d’une splendeur qui attire la convoitise ; tout le monde les couche en joue. Par l’impôt et par l’emprunt, l’état, les départemens, les villes et les compagnies, se les disputent Si la recolle de ces fruits réservés promet d’atteindre à 500 millions, on entreprend pour un milliard.

Avant la guerre, les esprits prévoyans n’étaient pas sans inquiétudes déjà sur le crédit public, mené ainsi au train de course. La guerre est venue, qui a donné un premier avertissement ; n’attendons pas le second. Il serait triste, avec tant d’élémens de force et de prospérité, quand la nation ne manque pas d’ardeur, que le gouvernement manquât de ressources. Cessons de prendre la fortune publique pour une quantité sans fin. Ajournons les entreprises nouvelles, fussent-elles déjà proclamées à son de trompe. Modérons l’essor de toutes celles qui sont en voie, d’exécution. Si l’on veut que l’état trouve chaque année, pour mener la guerre avec énergie, une ressource extraordinaire de 300 millions, il faut lui laisser le champ libre. L’industrie, assise au banquet du crédit, y avait pris double place ; tant que le canon grondera, elle fera bien de se contenter des miettes du festin.


Nous avons passé en revue les finances de la Russie, celles de l’Angleterre et celles de la France. Nous avons entrepris cet exposé sans passion, ni parti pris, bien convaincu que ce que nous avions à cœur de démêler, la vérité des situations respectives, était ce qu’il importait le plus au public de savoir. On ne trompe que ceux que l’on a intérêt à éclairer, quand on dissimule sciemment les forces de ses adversaires. Nous pensons avoir fait une peinture fidèle, autant que le permettent les documens officiels, qui sont rares, incomplets et obscurs dans l’empire russe, et dans lesquels le régime actuel en France ne se pique pas de prodiguer la clarté.

Il résulte, de cette comparaison entre les ressources des puissances belligérantes, que la Russie en est aux expédiens dès la première campagne, ce qui ne paraît pas laisser une grande marge à son obstination ; que la France a d’immenses richesses, que l’on n’a pas assez ménagées, et qui ne lui permettront qu’au moyen d’une direction plus économe de soutenir les efforts qu’elle fait en ce moment ; que l’Angleterre seule peut sans effort comme sans retard, à toute heure et tant qu’il le faudra, se procurer les trésors que la guerre, ce grand consommateur d’argent, exige.

Voilà le spectacle, à notre avis très intéressant et fort instructif, que la guerre d’Orient a donné aux peuples. Quelle conclusion l’opinion publique de l’Europe va-t-elle en tirer ? Tout le monde pensera, nous n’en doutons pas, que la Russie n’a jamais mesuré son ambition à ses forces réelles, et qu’elle n’a de son côté, dans la lutte, ni la puissance ni le droit : peut-être même en viendra-t-on à considérer la faiblesse relative de la Russie comme la meilleure garantie d’une paix prochaine ; mais ce n’est pas là, si je puis m’exprimer ainsi, toute la moralité de la pièce : elle a sans contredit une portée plus haute. Ce qui se passe n’est rien moins que la démonstration, incrustée cette fois dans les faits, des avantages du gouvernement constitutionnel et des inconvéniens du pouvoir absolu. C’est l’empereur Nicolas qui s’est chargé de donner cette leçon au monde.

On a souvent discuté, au point de vue spéculatif, la valeur des diverses formes de gouvernement. Les voilà mises à la plus rude et à la plus décisive des épreuves. Quelle est celle qui, dans les temps difficiles, donne la plus grande somme de forces à une nation et à son gouvernement en face de l’ennemi extérieur ? Évidemment ce n’est pas le despotisme. Voici le pouvoir le plus absolu qui ait jamais, environné de la double autorité du ciel et de la terre, pape et roi, disposant sans contrôle et sans bornes de la vie ainsi que de la fortune de ses sujets, ne se contentant pas de l’obéissance et commandant l’adhésion. Il traîne tout cela au combat comme autant de forces, et il est trouvé trop faible dès le premier choc.

C’est qu’il n’y a pas de gouvernement plus vulnérable que le despotisme. Son tempérament rend les fautes inévitables ; son caractère ne lui permet pas de les avouer ni de les réparer. Toutes les forces dont il dispose, on peut les détacher de lui ; qu’il éprouve un revers, et la désertion va bientôt convertir cet échec en déroute. Quant aux forces dont il ne dispose pas, ce sont celles que rien ne remplace, l’opinion et le crédit. Le despotisme ne peut pas appeler l’opinion à son secours, l’opinion qui commande pourtant les sacrifices, l’opinion qui fait jaillir les écus et les hommes du sol, l’opinion qui gagne les batailles, car l’opinion est son ennemi. Les sources du crédit se ferment devant lui dès que le besoin le presse. Quelle sûreté en effet peut-il offrir aux prêteurs ? Y a-t-il une autre loi que sa volonté dans l’empire ? Si le despote est de bonne foi, il tiendra ses engagemens ; s’il a moins de scrupules que de caprices, qui le rappellera au respect des contrats ? Les gouvernemens sans contrôle deviennent tôt ou tard des gouvernemens sans frein. Le crédit public naît des institutions ; il ne s’attache pas aux personnes.

Dans les termes de comparaison que cette guerre met sous nos yeux, à mesure que l’on s’éloigne du pouvoir absolu, on voit grandir la force et la richesse des gouvernemens. La Russie est au bas de cette échelle, et, je regrette pour mon pays d’avoir à en faire l’aveu, l’Angleterre est incontestablement au sommet.


LEON FAUCHER.

Saint-Sauveur, 16 août 1854.

  1. Voyez la livraison du 15 août, pour les Finances de la Russie.
  2. le produit des taxes supprimées ou réduites depuis l’année 1842 jusques et y compris l’année 1850 s’élevait à 10,763,000 liv. sterl. (269,075,000 fr.).
  3. Voici les évaluations du 7 mars qui ont servi de base à celles du 9 mai :
    REVENU. DÉPENSES.
    Douanes 20,175,000 l. st. Dette fondée 27,000,000 l. st.
    Excise (impôts indirects) 14,595,000 Dette flottante 546,000
    Timbre (stamp) 7,090,000 Dépenses civiles imputables sur le fonds consolidé (justice, administration, etc.) 2,460,000
    Taxes assises 3,015,000 Armée 6,857,000
    Impôt sur le revenu (income tax) 6,275,000 Marine 7,488,000
    Taxe des lettres 1,200,000 Artillerie et génie [ordonance) 3,846,000
    Terres de la couronne 259,000 Commissariat 645,000
    Articles divers 740,000 Approvisionnemens (miscellaneous supplies) 4,775,000
    Total 53,349,000 Milice 530,000
    A quoi il faut ajouter le produit de l’ïncome tax doublé pendant six mois 3,307,000 Expédition en Orient 1,250,000
    Service des paquebots 792,000
    Total général 56,656,000 l. st. Total 56,189,000 l. st.
  4. Plus exactement 5 88/100es pour 100.
  5. Le produit de l’impôt foncier, principal et centimes additionnels, a été évolué, pour l’année 1854, à 264,345,193 fr., et le produit de l’impôt personnel et mobilier à 63,782,941 : total des deux taxes, 328,128,134 fr.
  6. Plus exactement 4 74/100es pour le 3 et 5 1/100e pour le 4 ½.
  7. Voici le budget de 1855 tel qu’il figure dans le rapport de la commission du corps législatif :
    RECETTES DEPENSES
    Contributions directes 421,120,048 fr. Ministère d’état 6,596,400 fr.
    Produit des domaines, des forêts et pêche 43,912,857 « de la justice 27,443,380
    Impôts et revenus indirects 891,756,050 « des affaires étrangères 9,621,600
    Divers revenus 57,058,101 « des finances 726,372,552
    Produits divers du budget 27,005,000 « de l’intérieur 130,991,220
    Produit de la réserve de l’amortissement 87,258,232 « de la guerre 315,597,791
    Ressources extraordinaires, versemens des compagnies de chemins de fer 37,901,925 « de la marine 127,602,402
    « de l’instruction publique et des cultes 65,619,722
    « de l’agriculture, du commerce et des travaux publics 76,502,242
    Travaux extraordinaires 78,375,999
    Total général des recettes 1,566,012,213 fr. Total général des dépenses 1,562,030,308 fr.