Les Flûtes alternées/À Celle qui est triste

La bibliothèque libre.


X

À CELLE QUI EST TRISTE


I


Hier vous étiez belle et sereine et fêtée.
Déesse aux cheveux blonds, qui n’avait point d’athée,
Vous alliez rayonnante et le sourire aux yeux.
Le poète, à l’écart, murmurait, soucieux :
— Vénus était moins belle et Minerve moins sage. —
On entendait, le soir, croître à votre passage
Le bruit léger que font les ailes des Amours.
Watteau seul, à Cythère, eût rêvé vos atours
De soie et de linon, d’aurore, de nuée,
Lorsque vous paraissiez candide et saluée
Par les fronts les plus hauts et les cœurs les plus fiers.
Les musiques chantaient pour vous ; les voix, les vers

Soupiraient ; vous viviez en des apothéoses
De parfums, de clartés, d’étoiles et de roses,
Sur un terrestre Olympe amoureux et charmant.
Et le poète alors, grave et secret amant,
Disait tout bas : — Destin, sois sûr et sois propice !
Sa vie est une fleur au bord d’un précipice ;
De cette tige frêle, ô vents, éloignez-vous !
Que le ciel toujours bleu, l’air, toujours calme et doux,
L’enivrent ! Diamants que la flamme environne,
Étincelez ! Rubis, saignez à sa couronne !
Ô temps, sois immobile autour de sa beauté !
Que le chagrin, vautour par l’amour écarté,
Ignore en son vol noir son foyer et son âme !
Corolles de la fleur qu’un dieu nomma la femme,
Fleurissez, ô vertus, comme le lys des eaux !
Et vous, souffles des cieux, zéphyrs, et vous, oiseaux,
Unissez vos concerts aux chants de sa pensée !


II


Le poète est fidèle à votre âme blessée
Et vous dit : — Nos destins sont des gouffres profonds.
Tout ment et nous trahit ; lorsque nous triomphons

L’esclave à notre char jette l’insulte infâme.
Vous qui fûtes joyeuse et radieuse, ô femme !
Les larmes en vos yeux ont le scintillement
Des étoiles d’hiver dans le froid firmament.
Vous souffrez ; et ma main sent votre main qui tremble.
Le fil de votre vie, hélas ! s’allonge et semble
Dans l’ombre qui descend toucher aux ciseaux noirs.
Et je vois tour à tour tomber tous vos espoirs
Comme des fruits trop mûrs dans les vergers d’automne.
Et vous voici, suivant le chemin monotone
De celles qui s’en vont en jetant un par un
Les morceaux dédaignés des urnes sans parfum.
Car vous espériez trop de nos instants funèbres :
Entendre votre nom parmi les noms célèbres
Vibrer comme une lyre au milieu des roseaux
Qu’un souffle harmonieux fait chanter près des eaux ;
Sentir à vos côtés, à vos pieds, dans votre ombre,
Une pensée active, étincelante ou sombre,
Poursuivre son sillon, semer le grain futur
Dont la gloire eût été l’épi splendide et pur ;
Éterniser l’amour dans un cœur éphémère ;
C’était vous cramponner aux crins de la Chimère,
Amie ! et vous enfuir vers de trop hauts sommets
Pour n’en point retomber pâle et triste à jamais.


III


Ô veuve de l’amour, veuve d’un noble rêve,
Le poète à genoux jusqu’à votre âme élève
Ainsi qu’un encensoir son cœur mystérieux.
Restez ! Ne parlez pas, afin d’entendre mieux
Le murmure adouci des choses éternelles.
Restez, noyant vos yeux pensifs en ses prunelles,
Afin d’y voir monter, crépuscule ou matin,
Une lueur de songe insondable et lointain,
Et poindre, encor voilé de silence et de brume,
Aux clartés de votre âme un astre qui s’allume.