Les Flûtes alternées/Vendanges

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Les Flûtes alternéesA. Lemerre (p. 111-112).


XI

VENDANGES


Nisa, viens célébrer la fête de septembre.
Voici les raisins noirs, voici les raisins d’ambre,
Voici les grands paniers sur les chars voyageurs.
Le frais matin sourit dans la brume automnale.
Veux-tu, nouant ta robe et liant ta sandale,
Vers les coteaux prochains guider les vendangeurs ?

Avec les chœurs joyeux veux-tu suivre les sentes,
Nisa ! te couronnant de feuilles rougissantes,
Mêler les pampres roux à l’or de tes cheveux,
Et de ciseaux armée et rieuse et vermeille,
Pour être la plus prompte à remplir ta corbeille
De tes doigts diligents meurtrir les ceps nerveux ?

 
Avec le clair soleil l’ivresse antique monte.
Vois ; le baiser voltige autour des fronts sans honte ;
Un ardent rayon luit dans les yeux ingénus ;
L’inutile tunique à ton sein se dénoue ;
La pourpre de ton cœur, Nisa ! rougit ta joue
Et le sang de la vigne empourpre tes bras nus.

Viens ! Avant qu’en mourant l’automne ait sur les pentes
Allongé des pruniers les ombres plus rampantes,
Avant que le corbeau tache le ciel du soir,
Alors qu’un Dieu s’éveille et nous enivre encore
Et qu’on entend là-bas, sous le porche sonore
Rouler les chariots et gémir le pressoir,

Viens ! Songe au temps rapide, au temps qui nous échappe.
Aimons ! Cueillons le jour comme on cueille une grappe ;
Égrenons les baisers sur nos lèvres en feu.
Nisa ! l’amour ne fait qu’une fois sa vendange.
La joie imite, enfant dont l’âme hésite et change,
La grive qui s’envole en jetant son adieu.