Les Flûtes alternées/Églogue

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Les Flûtes alternéesA. Lemerre (p. 115-116).


XIII

ÉGLOGUE


Alors qu’elle eut gravi le sentier le plus haut,
L’heure étant lourde encore et le jour étant chaud,
Elle ferma les yeux. Sur la roche et les mousses
Le soleil de Juillet dardait ses flèches rousses,
Et parmi les rameaux des gouttes d’or pleuvaient.
Tout se taisait ; les bois émerveillés rêvaient
Qu’une Nymphe était là, sommeillant sous leurs ombres.
Et lasse et choisissant un lit de verts décombres,
Sous la sérénité des branchages flottants
Elle ferma les yeux. Elle dormit longtemps
Ayant pour oreiller une roche et pour couche
La mousse où la cigale agreste s’effarouche.
L’abeille bourdonnait et les papillons bleus
Caressaient de leur vol ses cheveux onduleux ;

La fleur d’un églantier de sa lèvre était proche.
Elle dormit longtemps sur la mousse et la roche.

Et l’enfant aux yeux clairs sourit dès son réveil
Et dit : — J’ai soif. — C’était l’heure où le ciel vermeil
S’irise à l’horizon d’une clarté plus tendre
Tandis que l’occident pourpré semble suspendre
Au bord du firmament un globe d’or qui fond.
Elle avait dit : J’ai soif. Le bois était profond ;
Nul ruisseau près de nous ne chantait sous les chênes.
Nulle onde ne filtrait des fissures prochaines
Quand apparut, au bout du sentier incertain,
Une femme portant un grand vase d’étain.
Et l’enfant souleva le vase et but à même,
Joyeuse et malhabile et pressée, et la crème
Écuma sur sa lèvre et blanchit son menton.
Et ce fut simple, calme et beau, comme, dit-on,
Était la vie antique aux vallons de Sicile,
Comme un groupe sculpté dans un marbre docile,
Comme une chaste églogue où Moschos eût rêvé
D’une jeune déesse au bras souple et levé,
Épuisant, souriante et penchée en arrière,
La coupe de lait pur qu’offre une chevrière.