Les Flûtes alternées/Les Violettes

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Les Flûtes alternéesA. Lemerre (p. 117-118).
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XIV

LES VIOLETTES


Le vent marin soufflait en cette fin d’hiver
Où seule la nuée était noire, la mer
Étant blanche d’écume et la terre de neige.

Mes dix-huit ans chantaient en mon cœur. Au collège
J’avais traduit Horace et rêvé ; donc j’aimais
Et jurais fièrement que c’était pour jamais.
Une heure, un jour, un mois, c’est toujours à cet âge.
La belle avait pour loi son caprice volage ;
Elle voulait des fleurs et donnait pour raison
Qu’elle disait : — Je veux. — Qu’importaient la saison,
Le temps ? Je veux, cela suffit quand on est belle
Et toujours quelque part on est sûr que Cybèle

Garde en ses bois, ses prés et ses escarpements,
Des grains pour les oiseaux, des fleurs pour les amants.

Or, c’était un agreste et très vieux cimetière
Blotti dans un repli de la falaise altière
Sous la brume en hiver et sous l’herbe en été.
Et dès l’aurore, au bout du sentier déserté,
Pensif, tremblant, ému comme d’un sacrilège,
Je poussais l’humble grille et j’écartais la neige,
Tandis qu’en croassant s’envolaient les corbeaux.
Dans la bordure rare et sombre des tombeaux,
Frileuses sous le givre et ses blanches paillettes,
Vos touffes frissonnaient, ô pâles violettes !
Et j’emportais ces fleurs des tombes sur mon sein
En songeant que les morts absolvaient mon larcin
Et qu’il était pieux peut-être et que les âmes
Près de moi chuchotaient, complices et sans blâmes :
Aime ! Dépouille-nous ! Prends ! Nous te comprenons.
Les fleurs que tu volais, c’est nous qui les donnons.