Les Flûtes alternées/Leuconoé

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Les Flûtes alternéesA. Lemerre (p. 146-148).
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II

LEUCONOÉ


Leuconoé, le soir effleure
Le front pourpré des monts sabins ;
Le soleil décline ; c’est l’heure
Où, fuyant les cirques urbains,

La rue obscène, étroite et chaude,
Et le forum et l’air impur,
L’amour léger s’empresse et rôde
Sur la route allant vers Tibur.

Leuconoé, dans ta litière
Tu passes, plus charmante encor
Que Vénus, encor plus altière
Que Junon. Tes longs cheveux d’or,

 
Frisés par une main savante,
S’étagent sur les bleus coussins.
Un éventail de plume évente
Les rondeurs blanches de tes seins.

Sous la laine neigeuse et fine,
Sous le voile à peine écarté,
Le désir éperdu devine
Ta glorieuse nudité.

Mais, parmi les mourantes roses
S’inclinant au bord des chemins,
Tu passes, les paupières closes,
Et sous ton col croisant tes mains.

Lasse des voluptés vulgaires,
Sans entendre et sans même voir,
Le sénateur qui dit : Naguères !
Le chevalier qui dit : Ce soir !

Tu jalouses la brune fille,
La fille aux regards ingénus
Qui jette en riant sa faucille
Et court dans l’herbe, les pieds nus,

 
Pour porter en la hutte agreste,
Quand Vesper endort les forêts,
À quelque pâtre de Præneste
Un cœur libre et des baisers frais.