Les Forces éternelles/Ainsi, lorsque j’étais une enfant…

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Comtesse de Noailles ()
Arthème Fayard & Cie, éditeurs (p. 314-315).

AINSI, LORSQUE J’ÉTAIS UNE ENFANT.



Ainsi, lorsque j’étais une enfant qui rêvait,
Par l’azur éblouie et que l’azur étonne,
Lorsque je regardais, grave, petite et bonne.
Le frelon mol et creux flotter sur le duvet
Des chauds géraniums dont le parfum grésille ;
Quand j’étais cette franche, humble petite fille.
Qui donne tout son bien aux pauvres, et qui croit
Qu’un mendiant est Dieu descendu de sa croix,
Et que je saluais lentement, jusqu’à terre,
Ce pauvre ; quand j’étais une enfant solitaire
Qui regardait monter, le cœur plein de sanglots,
La fumée amicale aux toits bruns des hameaux,
Et que, l’âme toujours liée à la nature.
Ayant le doux bonheur d’errer au bord d’un lac.
Je voyais les flots clairs, sémillante froidure,
Se bercer sur la rive ainsi qu’un bleu hamac,

Tu dépensais déjà tes lascives caresses,
Homme voluptueux, sur de vaines maîtresses,
Qui, ne comprenant rien à ton esprit hautain,
S’étonnaient que tes yeux clierchassent au lointain
La passion unie à de nobles décences !
Et moi, je m’en venais, du fond de mon enfance,
Vers toi ; j’enrichissais mon cœur, fait pour t’échoir.
Des secrets dévoilés que nous livre le soir,
Quand la molle atmosphère, où les parfums s’enlisent,
À l’ample gravité rêveuse des églises.
— Et je songe aujourd’hui, avec un doux effroi.
Que ce jardin plus clair que de fraîches faïences.
Cette pudique odeur de la nuit dans les bois.
Cette ivre charité, cette sainte innocence,
Ces poétiques dons du sort tendre et courtois,
Homme passionné, me conduisaient vers toi !