Les Forces éternelles/Le silence

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Comtesse de Noailles ()
Arthème Fayard & Cie, éditeurs (p. 316-317).

LE SILENCE


Écoute, on n’entend rien. Que le silence est beau !
Il est, ainsi que l’aube et la nuit étoilée,
Sans souffle, sans projets, sans voix et sans écho…
C’est un jour chaud dormant sur une immense allée,
C’est midi terrassant de sommeil les hameaux,
C’est une grotte froide avec de l’eau verdâtre
Qui gît dans le granit comme un miroir brisé ;
C’est un chemin du soir, immobile, apaisé,
Où décroissent les pas des troupeaux et du pâtre.
— Ô Silence ! Balcon sur la mer à minuit !
Pointe hardie, étroite et sableuse des grèves,
Qui s’en va de la terre et prolonge son rêve
Au loin, entre le ciel qui songe et l’eau qui luit !…
— Silence ! Ô majesté, candeur, sainte colombe
Qui couve l’on ne sait quel œuf immense et pur ;

Colonne de douceur, indiscernable trombe
Faite d’àme rêveuse et d’invisible azur !…

. . . . . . . . . . . . . . .


— Et je vous dis cela, cette nuit, mon ami,
Car, lasse de bénir les lourds trésors du monde
Sur votre chère épaule où je dors à demi,
J’écoute le silence, onduleux comme l’onde.
Oui, le silence est frais ainsi que l’eau qu’on boit,
Il est prudent et fier comme un faon dans les bois,
Il paraît s’assoupir et cependant il danse !
Et j’observe, l’esprit tendu comme un chasseur,
— Tandis que je languis d’amour sur votre cœur
Dont j’entends en pleurant les mortelles cadences —
La course illimitée et pure du silence !