Les Frères Zemganno/13

La bibliothèque libre.
G. Charpentier, éditeur (p. 92-93).

XIII

Certains jours, ainsi qu’une bête emportant son petit, tout grand qu’il était déjà, Stépanida enlevait de terre soudainement son fils contre sa poitrine, courait vers de la solitude, s’enfonçait dans un fourré de bois, et, quand elle se voyait toute entourée de la barrière des branches, de la fermeture des feuilles, elle le déposait sur l’herbe, essoufflée, anhélante. Alors, loin de tous, dans cette cachette de nature, les flancs lui battant encore, elle s’agenouillait près de Nello couché, les deux mains appuyées au sol, le corps amoureusement ramassé dans un accroupissement maternel d’animal, et là l’embrassait d’un regard singulier qui troublait l’enfant cherchant à comprendre et ne comprenant pas. Puis de la bouche de la mère penchée au-dessus du front de son dernier-né, sortait bientôt lentement comme une murmurante litanie :

Pauvre petit adoré !
Pauvre petit chéri !
Pauvre petit cœur !

. . . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . . . . . . .

Et dans la paix et le silence susurrant, les douces appellations continuaient longtemps en une espèce de triste mélopée, où un cœur brisé semblait pleurer. Et sans cesse revenait le mot « pauvre », ce mot que les mères et les amantes de la misérable Bohême, toujours peureuses de l’avenir des créatures aimées par elles, accolent perpétuellement à la caresse des diminutifs.