Les Frères Zemganno/46

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G. Charpentier, éditeur (p. 229-231).

XLVI

Gianni, un liseur de livres dans les boîtes des quais, et que l’on voyait, à l’étonnement de ses camarades, souvent arriver au Cirque, un bouquin sous le bras, descendait parfois dans le pavillon de musique un vieux volume : un gros in-quarto, relié en parchemin, aux coins écornés, aux armoiries lacérées pendant la révolution, et où la main et le crayon d’un enfant de nos jours avaient mis des pipes à la bouche des personnages du seizième siècle. De ce livre portant sur son dos : Trois dialogues de l’exercice de sauter et de voltiger par Arcangelo Tuccaro 1599, et apprenant que le Roi Charles IX s’adonnoit à toute espèce de sauts et s’y montroit fort adextre et dispos, Gianni lisait à son frère, en ses vieux caractères, des pages sur les sauteurs pétauristes, tirant leur nom grec du saut à demi-volant que les poules font, en rentrant pour se coucher, dessus la perche de leur gélinier, — sur la saltarine Empuse, qui, au moyen de son agilité magique, semblait prendre toutes les formes et toutes les figures, — sur la gaillarde jeunesse que le noble art saltatoire demande à ses adeptes, — et encore des pages sur les sauts Éphéristique, Orchestique, Cubistique : ce dernier saut, que l’on regarda longtemps comme le résultat d’un marché diabolique.

Puis, tous deux se mettaient à étudier les figures en les lignes géométriques de la volte des corps dans l’air, et Gianni faisait exécuter à Nello, d’après les indications et les cercles concentriques du livre, avec une rigoureuse exactitude, le glicement du demi-col, et le glicement couché, et un tas de trucs archaïques : les deux frères s’amusant à remonter dans leur métier, et à l’exercer une heure, ainsi qu’il se pratiquait il y a plus de deux cents ans.