Les Frères de la Bonne Trogne (De Coster)/07

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Imprimerie de F. Parent (p. 7-8).
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VII.


Adoncques, il fut résolu entre elles de sauver la commune, et pour y bien pourvoir ; elles, cependant que leurs maris buvaient chez Pieter Gans, s’assemblèrent en la maison de la dame Syske laquelle était grande, grasse, parlait haut assez, avait du poil au menton et était veuve de cinq maris ou sept, je n’en oserais affyer le nombre par crainte de menterie.

Là, par mépris de leurs maris ivrognes, elles s’abreuvèrent de belle eau claire.

Étant bien assemblées, jeunes de ci, vieilles de là ; laides emmi les vieilles, la dame Syske ouvrit le propos en disant qu’il fallait aller incontinent, en la Trompe, et là si bien battre tous ces buveurs qu’ils en fussent pour huit jours ésrénés et meurtris.

Les vieilles et laides applaudirent des pieds, des mains, de la bouche et du nez le propos. — Ce fut beau tapage, vous m’en pouvez croire.

Mais les jeunes et belles se tinrent mutes comme poissons, sauf une, bien gente, bien frisque et bien mignonne, ayant nom Wantje, laquelle dit avec grande modestie et rougeur qu’il n’était point utile battre ainsi ces bons hommes, mais qu’il fallait les amener à bien par douceur et par ris.

Ce à quoi répondit la dame Syske : « Petite, tu ne t’entends point ès hommes, » car tu es pucelle, je crois. — Quant à moi, je sais bien comme j’ai mené mes divers maris, et ce n’était par douceur ni par ris, je l’affye. Ils sont très passés, les braves hommes, que Dieu ait leur âme, mais je me souviens d’eux clairement et sais bien qu’à la moindre faute je leur faisais danser la danse des bâtons sus le pré d’obéissance. Nul n’eût osé manger ne boire, éternuer ne baîler que je ne lui en eusse davent octroyé bonne permission. Le petit Job Syske, mon dernier, était coquassier en ma place au logis. Il me fit bonne cuisine, le pauvre bonhommet. Mais je le dus bien battre pour l’amener à ce. Et ainsi des autres. Doncques, petite, quittons tous ces ris et douceurs. Ils valent peu, je l’affye. Mais plutôt allons incontinent cueillir bons bâtons de bois vert commodes à trouver, puisque sommes en printemps, et nous déportant en la Trompe, faisons y pleuvoir bonne rosée de coups sus ces infidèles maris. »

Voici vieilles et laides de uller et tempêter derechef horrifiquement, s’écriant : Sus, sus aux ivrongnes, il les faut dauber, il les faut pendre.

— Nenni, dit Wanlje avecques les jeunes et belles, nous aimons mieux être nous-mêmes battues.

— Voyez-ci ces sottes, ullèrent les vieilles, ces sottes niaises. Elles n’ont point, en tout leur corps, fierté pour une once. Laissez-vous mal mener, brebis douces. Nous vengerons en votre lieu la féminine dignité par ces ivrongnes conspuée. »

— Point ne le ferez, dirent les jeunes, tant que nous serons là.

— Nous le ferons, ullèrent les vieilles.

Subitement une jeune et joyeuse commère s’éclaffant de rire :

— Comprenez-vous point, dit-elle, d’où vient à ces sorcières cette ire tant grande et celluy désir de vengeance ? C’est pure vantardise et pour nous faire accroire que leurs esrénés maris leur ont encore quelques nouvelles à conter. »

À ce propos, le camp des vieilles gaupes fut en tel émoi qu’il en fut qui moururent là de rage subitement. Autres ayant brisé leurs selles en voulurent occire les jeunes qui riaient d’elles (et c’était jolie musique toutes ces frisques et folliantes voix), mais la dame Syske les en empêcha, disant qu’il fallait chez elle se consulter et non s’occire.

Le propos continuant, elles devisèrent, jacassèrent, tempêtèrent ainsi jusques à l’heure du couvre-feu, où elles se séparèrent sans avoir pris résolution, par faute d’avoir eu temps pour parler assez.

Et furent dites en cette assemblée féminine plus de 577849002 paroles inutiles, folles et pleines de sens commun comme grenouillère de vin vieux.