Les Français dans l’Ouest canadien/06

La bibliothèque libre.
Éditions de la Liberté (p. 26-29).

Chapitre VI


Le Savoyard Pierre Curtaz — L’universitaire Eugène de Margerie, et Louis de Cathelineau, sous la tutelle de Théophile Paré — Lorette et son « Club des Vieux Garçons » — Sainte-Geneviève et Thibaultville — Henri d’Hellencourt, colon amateur, tribun et journaliste — De Chamonix à La Broquerie — Le Normand René Mignot, le dernier des coureurs de bois


Avant même le courant de colonisation vers Saint-Pierre et Saint-Malo, quelques Français isolés étaient apparus au nord et à l’est de cette région. Le premier fut Pierre Curtaz, un Savoyard, qui vécut à Sainte-Anne-des-Chênes pendant plus de quarante ans et y éleva une nombreuse famille. Son arrivée date d’environ 1870, mais il avait d’abord séjourné aux États-Unis.


Le Savoyard Pierre Curtaz

Son histoire ressemble étonnamment à celle de Claude-Nicolas Mouard. Né en 1827 à la Chapelle d’Abondance (Haute-Savoie), le jeune Curtaz était entré dans l’Institut des Frères de la Sainte-Famille, de Belley (Ain). À la demande de l’évêque français de Saint-Paul (Minnesota), quatre membres de cette communauté enseignante furent envoyés dans son diocèse. Curtaz, sous le nom de Frère Timothée, était l’un d’eux. Avec un compagnon il fut assigné à la mission de l’abbé Belcourt à Saint-Joseph de Walhalla, sur la frontière manitobaine. La mort de l’évêque entraîna des difficultés. Le supérieur rappela ses sujets mais deux seulement rentrèrent en France. Curtaz et un autre quittèrent la communauté

En somme, sa fonction auprès de l’abbé Belcourt semble avoir été celle de domestique, et le missionnaire passait pour un homme de caractère plutôt difficile. Le Savoyard accompagnait les chasseurs de bisons à la place du prêtre. Au musée historique de Saint-Boniface on conserve un vieux livre de prières en saulteux qu’il utilisait en ces circonstances.

Le 11 juin 1861, dans la cathédrale de la Rivière-Rouge, Pierre Curtaz contractait mariage avec une jeune Métisse de 16 ans, Caroline Hénault. Les deux époux vécurent une dizaine d’années à Saint-Joseph, où naquirent leurs cinq premiers enfants. Caroline ne s’y plaisait guère, surtout à cause des absences fréquentes de son mari. Elle réussit à l’emmener à Saint-Vital, où habitait sa famille, puis à Sainte-Anne-des-Chênes, pour un établissement définitif.

Dans toute la région, Curtaz est demeuré un personnage quasi-légendaire. Féru de discipline et d’autorité, il s’était vu décerner avec satisfaction le poste de « bailli », ou policier, qu’il remplissait avec une rare conscience. Sacristain de la paroisse, il voyait aussi à l’ordre dans l’église et se montrait d’une sévérité que les Métis trouvaient parfois excessive. Pierre Curtaz a laissé la réputation d’un homme juste, d’une grande ponctualité et d’un zèle constant pour tout ce qui avait trait aux choses de l’église. Excellent charpentier en même temps que cultivateur, il avait construit, entre autres bâtiments, la chapelle de Fort-Alexandre.

Décédé en 1913, à l’âge de 86 ans, l’ancien émigré de la Savoie laissait une large postérité. Ses treize enfants, en majorité des filles, se marièrent à Sainte-Anne et dans les environs.


L’universitaire Eugène de Margerie, et Louis de Cathelineau, sous la tutelle de Théophile Paré

À l’automne de 1885, le comte de Bréda choisit de se fixer autour de Sainte-Anne-des-Chênes. Nous le voyons, accompagné de deux amis, se rendre à la rivière Tête-Ouverte pour y chasser l’orignal. Au printemps, le comte renonce à ses projets de culture et rentre dans son pays.

Un autre jeune Français, Eugène de Margerie, venu dans l’Ouest pour raison de santé, est frappé par la richesse des pâturages de la même région. C’est un intellectuel au physique frêle et délicat. Fils d’Amédée de Margerie, doyen de la faculté des lettres de l’Université catholique de Lille, il a été professeur de littérature à la même faculté et a fait la critique littéraire à L’Univers. Théophile Paré, notable très estimé de l’endroit — ancien instituteur, futur député provincial et futur prêtre après la mort de sa femme — l’invite à passer l’hiver chez lui. Le Français pourra ainsi savoir si le climat lui convient. L’épreuve est satisfaisante et au printemps, Eugène de Margerie fait l’acquisition de la propriété Jean Flamand, qui deviendra la ferme Sainte-Amélie.

De son côté, Louis de Cathelineau, depuis quelque temps à Fannystelle, achète la terre de Flamand jeune à Giroux : mais il n’en tirera guère profit, se contentant de travailler sur la ferme de Jean-Baptiste Desautels, un pionnier dont l’occupation principale est le transport du courrier. À l’opposé d’Eugène de Margerie, c’est au physique un colosse, dont le moral néanmoins est parfois chancelant. Mme de Cathelineau, mère, et sa sœur, Mlle de Servigny, viendront passer deux mois avec lui, pour l’affermir dans sa vocation agricole.

Après avoir construit une jolie maison, le propriétaire de la ferme Sainte-Amélie épouse Bélona Généreux, fille d’Alfred Généreux. Il engloutit $20,000 dans une bergerie qui a les apparences d’un château.

Les deux jeunes Français, placés sous la tutelle du sage Théophile Paré, lui causèrent bien des tracas. Ils avaient trop de ressources liquides disponibles, sans l’expérience voulue pour en disposer de manière profitable. Leur protecteur dut recommander aux familles de cesser tout envoi de fonds. Eugène de Margerie, avant tout lettré et profondément religieux, mais d’esprit peu pratique, ne se trouvait guère à sa place à la tête d’une exploitation agricole. Sa femme, qui n’avait fréquenté que la petite école locale, était une maîtresse de maison accomplie, très habile en cuisine et en couture. Les Margerie ont fait souche dans l’Ouest. Leurs trois filles se sont mariées au Manitoba. Leur fils, Antonio de Margerie, suivant la tradition familiale, s’est voué à l’enseignement et jouit d’une haute estime comme l’un des chefs du groupe franco-canadien de la Saskatchewan.

Quant à Louis de Cathelineau, bel homme et très intelligent, il ne rappelait que de loin son ancêtre, le « saint d’Anjou ». Selon le mot de Sœur Saint-Théophile, des Sœurs Grises de Saint-Boniface, fille de M. Paré, il était « presque indésirable ». Au cours d’une discussion d’affaires, parlant de Mlle de Servigny, il laissa échapper une expression malheureuse « la peau de ma vieille tante », qui fit bondir d’indignation M. Paré. « Vous êtes un cynique, prononça-t-il dignement. La porte, mon ami !… »

Le gentilhomme angevin resta peu de temps au Manitoba et fit un séjour aux États-Unis avant de rentrer en France.

Malgré ces quelques ennuis, M. Paré avouait aimer tous les Français sans exception… même avec leurs défauts. — « Et je suis de même ! » d’ajouter sa fille religieuse, qui se plaît à évoquer, au fil de ses souvenirs, d’autres figures de Français de cette époque.

Le capitaine Étienne Beudant, un rouquin de 30 ans à peine, avait servi dans la cavalerie et connaissait bien l’Afrique du Nord. Il adorait les chevaux : des photos de coursiers sautant des obstacles tapissaient les murs de son modeste logis. Croyant sincère, homme énergique et terrible batailleur, Beudant, pour un rien, faisait des colères tapageuses qui rendaient sa face aussi rouge que sa chevelure. « C’est horripilant !… » tel était le mot qu’il avait sans cesse à la bouche. Au demeurant le meilleur garçon du monde. Ce Français original disparut au bout de deux ans. Jean Equilbrez et Mossé, qui avaient épousé des filles Curtaz, en firent autant.


Lorette et son « Club des Vieux Garçons »

À quelques milles au nord de Sainte-Anne, la paroisse de Lorette eut comme deuxième curé l’abbé J.-G. Comminges, venu de France, qui décéda en 1884. Il fut le premier curé séculier à mourir dans l’Ouest.

Les anciens citent les noms de plusieurs Français, pour la plupart des oiseaux de passage et des célibataires : Henri Berger, Mignonnet, Faveret, Fugier, qui avait un talent de chanteur, les deux frères Georges et Victor Lecland. Georges épousa Zélie Bernier, qui lui donna un garçon et six filles. Comme d’autres du voisinage, il contracta la fièvre de l’or et alla mourir au Klondyke. Victor, demeuré célibataire, était un bohème habile à fabriquer des meubles et des ornements en rustique qu’il offrait le plus souvent en cadeau. Aussi ne mourut-il pas millionnaire. Un autre Français, Édouard Guillemin, quitta la ferme au bout de quelques années pour les grands magasins Eaton,

Un enfant de Lorette, Raphaël Arpin, garde le souvenir d’un personnage de légende : un certain Henri Leblond, ancien zouave, chef cuisinier d’une équipe de travailleurs à la construction du Grand Tronc Pacifique. C’était un homme d’environ 60 ans, à la large poitrine. Sa longue barbe blanche et sa figure de pâleur cireuse lui avaient mérité le surnom de Ice Christ.

N’est-ce pas Henri Berger qui lança ce fameux « Club des Vieux Garçons » de Lorette ? Il faut dire qu’en dépit des objurgations répétées du pasteur, le célibat y était très en honneur. Ses adeptes représentaient une force que l’on crut devoir mettre au service du bien-être social de la communauté. L’activité principale du club consistait dans l’organisation d’un pique-nique annuel qui attirait beaucoup de monde ; mais il avait aussi à son actif de nombreuses charités et valait mieux, en somme, que sa réputation. Sans rancune pour ses membres qui succombaient à la tentation du mariage, il offrait un joli cadeau à la nouvelle épousée. Ce club historique fut dissous il y a une quinzaine d’années, sans doute à cause du recrutement devenu difficile. Les fonds demeurés en caisse servirent à la construction d’une salle paroissiale dont le coût dépassait l’avoir des vieux garçons, et le détenteur de l’hypothèque en est aujourd’hui le propriétaire.

Au nombre des colons les plus sérieux, il convient de citer le Normand René Mignot, que nous allons retrouver un peu plus loin, et le Vendéen Raymond Raynaud. Celui-ci était garçon de café en France. Après avoir épousé une compatriote, fille du célèbre « Père Cazes », il s’est mis courageusement à la culture du sol et a élevé une nombreuse famille. Sa mère, qui avait quitté la Tremblade (Charente-Maritime) pour venir le rejoindre, quelque temps avant 1914, sut se faire de bons amis dans son entourage.


Sainte-Geneviève et Thibaultville

Au tout début du siècle, la future paroisse de Sainte-Geneviève, à onze milles de Sainte-Anne, était encore une petite forêt vierge. Les premiers colons à s’y établir furent des Français : Viéville, Norbert Saltel, dont le nom demeure attaché au bureau de poste ; Auguste Legal, un intellectuel breton ; Socquet, Joseph Baron, Henri Richard, Sabot, Jean Barras, Rozière, Ledet, Favreau, Modéré Bruneteau. Est-ce la présence de ces pionniers français qui fit que Mgr Langevin plaça la paroisse sous le vocable de la patronne de Paris ? Ou voulut-il simplement honorer le zèle du fondateur l’abbé Giroux, né à Sainte-Geneviève de Berthierville ? Les deux motifs ne s’excluent pas et entrèrent sans doute dans le dessein du prélat. Auguste Legal épousa Hermine Baron et presque tous les enfants de cette nombreuse famille se marièrent avec des Canadiens français.

Les origines de Thibaultville se confondent un peu avec celles de Sainte-Geneviève. Le Breton Jean-Marie Judé, n’ayant pu s’y acclimater, plia bagage et partit avec sa famille pour la Californie. Le Lorrain Constantin Tauffenbach, habile peintre décorateur, vint s’y établir vers 1882. Nous trouvons aussi aux débuts de Thibaultville la famille Aurieux, de même que Bourgoin, des chantiers maritimes de Nantes, qui construisit deux bateaux pour la navigation sur la rivière Rouge.

Thibaultville eut son curé français : l’abbé Désiré Claveloux, à la carrière mouvementée. Né à Montbrisson (Loire) et ordonné à Montréal, il fut d’abord vicaire à Wauchope, paroisse de l’abbé Gaire, d’où il desservit le centre de Dumas. On avait alors besoin de prêtres disposés à embrasser le rite ruthène, pour s’occuper des immigrants venus de Galicie. L’abbé Claveloux passa deux ans dans leur pays, pour s’initier à la langue et à la liturgie, ce qui lui permit d’exercer le ministère parmi cette population négligée. La guerre le ramena en France où il servit comme aumônier militaire. De retour au Manitoba, il fut durant vingt ans curé de la paroisse de Thibaultville. Revenu en France en 1939 et surpris par la seconde Grande Guerre, il se rendit utile dans le diocèse de Lyon et décéda retiré à Vernaison (Rhône) en 1951.


Henri d’Hellencourt, colon amateur, tribun et journaliste

Henri Lefebvre d’Hellencourt, ancien officier de cavalerie né en Champagne, apparut au Manitoba dès 1891 et y vécut une quinzaine d’années. La période la plus dure fut celle qu’il passa quelque part dans la région de Sainte-Anne, s’essayant à la culture. Cet homme jeune et vigoureux, de stature impressionnante, était peu doué pour le travail de colon. Dans la belle saison, le visiteur pouvait contempler devant sa porte un magnifique parterre de lis rouges, plante indigène, il est vrai, mais qui contrastait singulièrement avec la modestie de la demeure et l’aspect sauvage de la forêt environnante. Il charriait de temps en temps à Winnipeg dans un traîneau tiré par deux cayouses, une charge d’épinettes rouges en longueur, pour vendre comme bois de chauffage. En passant à Lorette, il faisait halte chez son ami, Médéric Gendron, un ardent libéral comme lui.

— Je porte mon Red Fyfe en ville !… lançait-il avec un clin d’œil.

La petite Constance Gendron fut longtemps intriguée par cette phrase mystérieuse, avant de découvrir qu’il s’agissait d’une marque célébre de blé et qu’on avait pris l’habitude d’appeler l’épinette rouge le Red Fyfe des pauvres gens. D’autres fois, il était à cheval sur un bronco. Et la même fillette admirait avec quelle grâce et quelle légèreté ce parfait cavalier enfourchait sa monture et en descendait. D’Hellencourt prit homestead à l’endroit où se trouve aujourd’hui l’église de Marchand, plus au sud, et on le vit moins fréquemment sur la route.

Ce colon amateur devait finir par trouver sa voie dans la politique et le journalisme. Le souvenir qu’en ont gardé ceux de sa génération est celui de l’ardent polémiste et de la part qu’il prit aux campagnes électorales. Il donna du fil à retordre à Alphonse Larivière, pourtant rompu à toutes les ruses du métier « Je vais prendre le taureau par les cornes ! » annonçait-il en guise d’entrée en matière. Et il fonçait sur l’adversaire avec une bordée d’arguments et un déluge verbal sous lesquels le vétéran de la politique se trouvait submergé.

Un jour, c’est au cours de sa harangue que d’Hellencourt lança son mot de guerre fameux : « Maintenant, je vais prendre le taureau par les cornes !… »

— Est-ce à moi que vous lancez ce défi ? demanda Larivière qui avait la corpulence de l’animal en question.

— Non, pas à vous-même, cette fois, mais au taureau dont vous venez de tortiller affreusement la queue…

Le Champenois avait pour lui les rieurs et les nombreux amateurs de débats spectaculaires. C’était le beau temps des joutes oratoires dont le public se passionnait. Mais le tribun ne connut pas le même succès comme journaliste, avec son Écho du Manitoba. Les Canadiens de ce temps-là aimaient moins à lire qu’à écouter de bons orateurs.


De Chamonix à La Broquerie

Entre Sainte-Anne et Marchand, le centre important de La Broquerie eut aussi ses colons français. Le premier semble avoir été, vers 1885, Charles Franchon, de Lille, beau-frère du musicien Paul Salé. Sa mère vint lui tenir compagnie. Au bout de deux ans, ils éprouvèrent le besoin d’aller passer en France la période des gros froids, et ils ne revinrent pas. Cependant, Mme Franchon envoya J. Malet, de Cambrai (Nord), pour prendre soin de la ferme.

Plus tard, la chronique signale la présence d’autres Français : Henri de Pourq, Bigot, Fiola, Benjamin Vielfaure et sa femme, née Rosalie Vincent, ont fait souche à La Broquerie et aussi Alfred Choiselat, venu du Pas-de-Calais, qui fut pendant nombre d’années instituteur.

Édouard Charlet était boulanger à Chamonix (Haute-Savoie) lorsqu’il vint au Canada avec sa famille en 1894. Après un séjour à Saint-Charles et à Saint-Boniface, il prit une terre à La Broquerie. Mme Charlet faisait l’office de sage-femme dans la région, alors que son mari, outre le travail de la ferme, remplissait les fonctions de sacristain et de chantre à l’église. À l’abbé Giroux, le curé d’alors, qui proposait d’augmenter son salaire ($15 par mois), il répondit tout bonnement qu’il était satisfait et ne demandait pas davantage. Leurs deux filles devinrent institutrices. La cadette, Marguerite, mourut à 21 ans. Nous retrouverons plus loin l’aînée, devenue Mme Alphonse Houde. Édouard Charlet décéda à Saint-Boniface en 1952 ; sa femme était morte à La Broquerie, près de vingt ans plus tôt.


Le Normond René Mignot, le dernier des coureurs de bois

Un autre Français bien vivant, à La Broquerie, est René Mignot. On pourrait s’étonner de le découvrir dans ce milieu paisible, se livrant aux occupations de cultivateur, car ses goûts ont d’abord été nomades et les voyages ont tenu une grande place dans sa vie. Ce jeune sexagénaire, plutôt court de taille, mais d’une vigueur et d’une souplesse admirables, naquit au Sap, canton de Vimoutiers (Orne). Il y possède encore, conjointement avec un frère, une ferme de 26 hectares et une bonne maison au bourg d’Echauffour. Il foula le sol du Canada pour la première fois à l’âge de 19 ans. Son frère, André, qui venait tout juste de le rejoindre, en 1912, se noya dans une excursion de chasse, à l’extrémité orientale du Petit Lac des Esclaves. Pendant qu’on recherchait son corps, un missionnaire oblat, prévenu par moccasin telegraph, fit 80 milles à pied pour venir donner une sépulture chrétienne à un compatriote. C’était le P. Petour, du diocèse de Nancy, qui séjournait à Swan River, dans le nord-ouest du Manitoba.

René continua à faire de la prospection en Colombie-Britannique et dans la partie occidentale de la Rivière-à-la-Paix. Des aventures il en eut à souhait, mais elles ne peuvent trouver place ici. Durant l’été 1914, Mignot se trouvait à douze milles en aval de Hudson Hope, sur la rivière de la Paix. Le 12 août, le navire de la Compagnie de la Baie d’Hudson venait approvisionner le poste. Un matelot, les mains en porte-voix, lança de la proue à l’adresse du prospecteur et de son compagnon : « La guerre est déclarée entre l’Angleterre et l’Allemagne !… » Mignot achète un canot indien et part seul pour la première étape du long voyage qui va le conduire au port d’embarquement. Il arrive en France vers le 1er octobre, peu après la victoire de la Marne.

La guerre terminée, René Mignot, qui a pris le temps de se marier, réapparaît au nord d’Edmonton. Puis, retour au pays natal, où il passera trois ans à cultiver la ferme ancestrale C’est au sud de Prince-Albert (Saskatchewan) qu’on le retrouve ensuite. Son titre d’ancien combattant lui donne droit à une concession de terre. Il choisit de s’établir sur une demi-section à Hudson Bay Junction, point de départ de la ligne de chemin de fer qui relie l’Ouest canadien à Churchill, sur la baie d’Hudson. Notre homme y restera sept ans. Aurait-il autour de la quarantaine, tendance à contracter des habitudes sédentaires ? Après un nouveau stage sur la ferme du Sap, Mignot va se fixer à Lorette pour une durée de quinze ans. Il fait l’acquisition en même temps de deux autres sections à Petersfield, non loin du lac Winnipeg.

Chaque fois qu’il retourne en France, sa joie est douce de retrouver la vieille maison d’Echauffour, avec le mobilier et la vaisselle du temps de son enfance. Plusieurs fois occupée par les Allemands, elle n’a subi que de faibles dégâts. Ce Français chez qui revit l’âme des anciens coureurs de bois a gardé le culte du passé et de la patrie lointaine. Ce Normand a fait mentir le proverbe discréditant la pierre qui roule. Ce friand d’aventures et de courses périlleuses est doublé d’un homme d’affaires qui ne perd pas de vue ses intérêts. Mais il n’admettra jamais que l’ère des voyages et des découvertes est achevée pour lui.[1]

  1. La notice sur Pierre Curtaz nous a été fournie par l’abbé Antoine d’Eschambault. Nous sommes aussi redevable, pour la documentation de ce chapitre, aux personnes suivantes : Rév. Sœur Saint-Théophile. Mme Pauline Boutal. Mlles Constance et Yolande Gendron, Mgr J.-A. Beaudry, P.D. MM. Camille Teillet, Raphaël Arpin et Pierre Chabalier.