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Les Français dans l’Ouest canadien/23

La bibliothèque libre.
Éditions de la Liberté (p. 122-126).

Chapitre XXIII


L’abbé Bourdel fonde Howell (Prud’homme) — Les origines de Saint-Denis — La famille Denis — Un chef national : Raymond Denis — Une lignée remarquable — Une colonie de peine et de misère : Saint-Front — Prince-Albert et les environs — Dans le nord-ouest de la Saskatchewan — La petite patrie d’un docteur ès lettres


L’abbé Bourdel fonde Howell (Prud’homme)

Au sud de Saint-Brieux, dans la direction de Saskatoon, on trouve d’autres centres composés de Canadiens français parmi lesquels se sont glissés des colons et des prêtres de France.

L’abbé Constant Bourdel, né à Saint-Mars-la-Jaille (Loire-Atlantique), était dans la quarantaine lorsqu’il décida d’aller faire du ministère dans l’Ouest. L’idée lui en était venue soudain en s’occupant d’y diriger quelqu’un de sa famille. Il arriva donc en 1904 avec un neveu, Joseph Poilièvre, et sa femme, là où devait naître la paroisse de Howell, dont le nom fut plus tard changé en celui de Prud’homme. Le nouveau curé célébra la messe le dimanche, dans la demeure du plus ancien catholique de l’endroit, pour cinq familles et deux célibataires des environs. Dans son petit presbytère bâti de peine et de misère, il commença à donner des leçons de catéchisme à une demi-douzaine d’enfants. L’année suivante, la première construction à s’élever sur l’emplacement du village actuel fut un couvent-église, où deux Filles de la Providence distribuèrent l’enseignement. Le futur centre, placé à 400 mètres de la voie ferrée, sur une colline dominant la plaine au nord et au sud, attirait tout de suite l’attention du voyageur.

Cette même année, Mlle Hélène Dejoie quittait sa famille, à Nantes, pour venir s’installer dans la paroisse naissante, qu’elle devait beaucoup aider dans ses débuts. Elle fournit les fonds nécessaires à la construction du couvent et du presbytère. Cette femme généreuse et dévouée mourut en 1918 de la grippe espagnole, contractée au chevet des malades.

Prud’homme abrite aujourd’hui la maison-mère et le noviciat des Filles de la Providence de Saint-Brieuc, qui ont des établissements dans les diocèses de Prince-Albert, Saskatoon, Regina et Edmonton.

Le curé fondateur, l’abbé Bourdel, vécut quarante-sept années dans sa paroisse, en dépit d’une santé plutôt délicate. Retiré du ministère actif en 1931, sa vie se prolongea jusqu’en 1951. Il mourut dans sa quatre-vingt-dixième année. Mgr Bourdel, fait prélat domestique en 1924, avait été pendant dix ans vicaire général du diocèse de Saskatoon.

Prud’homme compte aussi quelques colons belges, notamment la famille Baudoux, venue de La Vouvière (Hénaut) en 1910. Un fils, l’abbé Maurice Baudoux, après avoir été vicaire de Mgr Bourdel, lui succéda comme curé. Nommé plus tard évêque de Saint-Paul (Alberta), Mgr Baudoux est aujourd’hui archevêque de Saint-Boniface.

Ludovic Normand, né à Arras, commerçant et maître de poste, fut pendant dix-sept ans maire de Prud’homme. Venu parmi les premiers colons de Sainte-Rose-du-Lac, il avait aussi habité Grande-Clairière. Lorsqu’il mourut en 1954, à quatre-vingt-treize ans, ce vieux pionnier laissait douze enfants vivants, avec un grand nombre de petits-enfants et d’arrière-petits-enfants.


Les origines de Saint-Denis

C’est en 1905 que les premiers colons — Clotaire Denis, 18 ans, de la Charente-Maritime, Jacques Chevalier et Y. Mével, deux Bretons — s’installèrent dans une assez vaste plaine, à douze milles au sud de Vonda. Quelques semaines plus tard, ils furent rejoints par Jean-Marie, Laurent et Pierre Le Naour. Puis ce furent les Haunyet, d’origine belge, Pierre, François, Joseph et Henri. Au printemps de l’année suivante, vinrent la famille Haudegard, du Nord, composée du père et de ses deux enfants, Jules et Justa, et la famille Henri Hubert, de la Charente-Maritime, avec le père, la mère et deux enfants, Marcel et Jeanne. À citer encore la famille Dellezay, des Deux-Sèvres, dont l’un des fils, Fernand, est toujours là.

Tels furent les véritables fondateurs de ce qui allait être la paroisse de Saint-Denis. Comme nulle part ailleurs peut-être, de nombreux mariages entre les enfants de ces pionniers en feront un centre remarquablement homogène. En 1908, l’abbé Bérubé, missionnaire colonisateur, amena un fort contingent de Canadiens de sa province qui vinrent fortifier le petit groupe français des vieux pays.

D’autres familles s’ajoutèrent petit à petit au premier noyau d’outre-mer. Entre autres, les Hamoline et les Dutilleux, Belges d’origine, mais qui firent toujours généreusement leur part au point de vue français ; les Chauvet, de Savenay (Loire-Atlantique), dont un fils, André, sera tué à la guerre ; les Phalempin, du Nord, dont Henri et Romain se signaleront sur les champs de bataille.

Les débuts furent, comme dans toute colonie naissante, très difficiles. La première année, pas de machine à battre. Les Denis, qui avaient ensemencé une centaine d’acres, durent battre au fléau pendant l’hiver plus de mille minots de grain, et les vanner ensuite quand le vent le permettait. Il fallait charroyer le blé aux élévateurs à douze ou quinze milles, sans chemins, et par des froids qui pouvaient atteindre 60 degrés au-dessous de zéro. Sans argent pour acheter du charbon, on devait parcourir à peu près la même distance pour trouver du bois de chauffage et des billots pour la construction. Pas de médecin, pas d’hôpital, pas d’église ; la plus proche était celle de Prud’homme, à une quinzaine de milles. Ces premiers colons ne se rendaient pas moins souvent à la messe, dans des « wagons » tirés par des bœufs ou des chevaux.

Les conditions s’améliorèrent assez rapidement. Quatre ans après son installation, Léon Denis, le père, fut gratifié d’une récolte de blé estimée à $6,000 et refusait pour ses propriétés une somme de $25,000.

En 1907, le groupe obtint un bureau de poste. À l’unanimité on choisit de l’appeler Saint-Denis, et le nom passa à la paroisse.


La famille Denis

Parmi les Français, la famille Denis a toujours tenu la vedette. Clotaire fut rejoint par son père, Léon, à l’automne de 1905. Celui-ci amenait avec lui sa femme, son plus jeune fils, Clodomir, et deux fillettes, Marie et Maria, 12 et 10 ans.

Un autre fils de Léon Denis, Raymond, était déjà au Canada depuis 1904. Il avait eu un premier apprentissage de la vie agricole de l’Ouest en faisant les moissons et les battages à Saint-Léon (Manitoba). C’est lui qui décida son frère, Clotaire, à s’engager dans la même voie.

La famille Denis fut la première à posséder une machine à battre, qui rendit de grands services aux cultivateurs de Saint-Denis et de Prud’homme. Clotaire passa toujours pour le chef incontesté de la paroisse. Durant la crise de 1925-1936, alors qu’un bon nombre de colons de langue française quittaient Saint-Denis, où les récoltes avaient manqué pendant plusieurs années consécutives, Clotaire achetait les terres délaissées, dans l’intention d’y installer plus tard ses fils, mais surtout pour tenir en échec certains éléments et empêcher un recul de l’influence française dans ce coin de territoire. Il a siégé pendant trente ans au conseil de la municipalité. Il est encore marguillier et commissaire d’école. Les Franco-Canadiens de la province l’élurent à plusieurs reprises directeur de leur Association des Commissaires d’écoles. Il est aussi président de Radio-Prairies-Nord. Bref, quoique septuagénaire, il prend toujours une part active à tous les mouvements qui peuvent servir la cause française.


Un chef national : Raymond Denis

Mais le grand homme de la famille est son frère aîné, Raymond Denis, dont le nom a depuis longtemps franchi les limites provinciales.

Nous avons dit qu’il fut le premier à venir au Canada et y attira la famille. Alors âgé de dix-huit ans, le jeune Raymond semble avoir été d’humeur assez aventureuse. Il se rendit jusqu’en Alberta sans découvrir de terre à son goût. À l’été 1906, on le retrouve à Montréal travaillant, le jour, à la construction, et le soir, au déchargement des navires qui apportent le blé de l’Ouest. Désireux de s’offrir un mois de vacances, il va voir sa famille à Saint-Denis. Il y rencontre Jeanne Hubert, une jeunesse de seize ans qu’il avait connue petite fille au pays natal. Tous ses plans d’avenir sont du coup modifiés ; les deux jeunes gens se marient et s’installent sur une ferme.

Simple cultivateur, Raymond Denis se passionna de bonne heure pour le problème national et scolaire. La province souffrant de pénurie d’institutrices bilingues, de recrutement difficile sur place, l’entreprenant jeune homme, à peine âgé de 30 ans, isolé à la campagne, prit l’initiative hardie de fonder l’Association Interprovinciale, qui se chargea d’en faire venir du Québec et de les préparer à l’enseignement dans l’Ouest. Non seulement l’entreprise réussit et donna les fruits espérés, mais son animateur tint dès lors un rôle de premier plan dans la lutte pour le français en Saskatchewan. Pendant une quinzaine d’années il fut l’âme du mouvement franco-canadien, à la tête de l’A.C.F.C. et de l’A.I. Connu partout, même dans les coins les plus reculés, il se rendit extrêmement populaire par son éloquence entraînante et sa connaissance approfondie de tous les problèmes intéressant la classe agricole.

Comme il menait de front la culture et les affaires d’assurance, ses succès dans ce dernier domaine lui valurent d’être appelé à Montréal pour y devenir le chef d’un important service à l’administration de la Sauvegarde. Ce n’est pas sans un vif regret que Raymond Denis s’éloigna d’un pays où il s’était tant dépensé pour ses compatriotes et où il comptait tant d’amis. Mais il n’a jamais rompu le contact intime avec sa chère Saskatchewan. En dépit d’une santé amoindrie par l’âge, il n’a pas hésité à venir prêter main-forte à ses anciens camarades, quand le besoin l’exigeait, et à s’imposer de harassantes tournées de conférences à travers les campagnes. Il a joué un grand rôle, notamment, dans la mise sur pied des postes radiophoniques de Gravelbourg et de Saskatoon,

Dans la province de Québec, où il vit depuis près de trente ans, Raymond Denis jouît d’une très haute estime dans tous les milieux et participe activement à l’œuvre du Conseil de la Vie française, qui accorde sa sollicitude et son appui financier à tous les groupes français d’Amérique. La France officielle a depuis longtemps reconnu l’excellent travail de l’un de ses fils au Canada en lui décernant la croix de la Légion d’honneur.


Une lignée remarquable

La famille Denis ne comprenait que sept membres adultes en 1904. Elle compte aujourd’hui environ deux cent cinquante descendants. Le plus jeune des fils, Clodomir, épousa Justa Haudegand, du Nord, et décéda en 1911, laissant deux enfants, Clodomir et Rose. La veuve se remaria, quelques années plus tard, avec le frère de Clodomir, Clotaire, dont elle eut cinq fils et quatre filles. Tous sont mariés, excellents fermiers et sincères patriotes. Deux d’entre eux, faute de terrain à Saint-Denis, sont allés s’installer l’un à Vonda et l’autre à Domrémy.

Trois des fils de Clotaire ont épousé trois sœurs Haunyet et l’une de ses filles est mariée avec un fils Haunyet.

Les époux Clotaire Denis ont actuellement soixante-quatorze petits-enfants et six arrière-petits-enfants, en attendant les autres…

Raymond Denis a eu, de son mariage avec Jeanne Hubert, dix enfants dont huit sont vivants. Il est maintenant le grand-père de vingt-trois petits-enfants. Là aussi, la liste n’est pas close.

L’une de ses sœurs, Marie Denis, mariée avec Jules Haudegand, le frère de Justa, a eu huit enfants, quatre fils et quatre filles. L’une est religieuse ; six des autres sont mariés et le nombre des petits-enfants est à la hauteur de la tradition familiale

La plus jeune des sœurs, Maria, a épousé un Canadien français des Cantons de l’Est, devenu l’un des très bons cultivateurs de sa région.

Léon Denis, le père, s’était remarié en deuxièmes noces avant de quitter la France. Il eut ainsi au Canada cinq fils et deux filles. L’un des premiers, Léon, installé à Saint-Denis, possède plus de 2,000 acres de terre ; un autre s’est acheté une ferme à Vonda où il se distingue parmi les meilleurs de ses confrères ; les deux derniers, Louis et Roger, habitent Léoville, dans le nord de la province.

Pas le moindre danger d’anglicisation avec les Denis ! Chez tous, la langue apportée de France est en honneur dans les foyers. La famille a versé près de $6,000 pour l’érection du poste de radio français à Saskatoon. L’exemple fait tache d’huile : Saint-Denis et Vonda sont les centres les plus généreux de tout le nord de la Saskatchewan aux souscriptions nationales.

C’est l’abbé Bourdel, curé de Prud’homme, qui assura le service religieux à la petite mission de Saint-Denis avant que celle-ci ne fût érigée en paroisse. Plus tard, l’abbé Clovis Mollier, de Vinezac (Ardèche), la dirigea pendant de longues années.

Lorsque Raymond Denis quitta Vonda, lieu de sa résidence, pour Montréal, on crut bon d’y laisser les secrétariats de l’A.C.F.C. et de l’A.I. qui s’y trouvaient installés. Le titulaire en est depuis très longtemps Antonio de Margerie, fils de l’universitaire lillois émigré au Manitoba au siècle dernier. Ses enfants se sont signalés par de brillants succès scolaires. Une autre famille qui fait le plus grand honneur à son pays d’origine.

Ne quittons pas la région sans mentionner la famille Julé, venue en 1905 de Malguénac (Morbihan), dont le chef, Louis Julé, âgé de quatre-vingt-quinze ans, vit à Paterson, entouré de nombreux descendants.


Une colonie de peine et de misère : Saint-Front

Au nord des deux lacs La Plume (Quill Lakes), à 117 milles à l’est de Saskatoon, Périgord et Saint-Front, deux centres franco-canadiens, ont des origines qui se confondent et se ressemblent par plus d’un côté. Le terrain, légèrement accidenté et parsemé de petits lacs, était peu accessible il y a quarante ans, par des chemins que l’on pouvait qualifier de casse-cou.

Saint-Front doit son nom à celui qui en fut le chef virtuel, Florian Montés, né à Saint-Front (Haute-Loire) en 1856. Ce fils d’Auvergne était cousin d’Augustin Bosc, fixé à Notre-Dame-de-Lourdes, qui l’avait attiré au Canada. Il s’était essayé d’abord à Saint-Claude, puis à Haywood, avant d’arrêter son choix définitif sur Saint-Front. Le premier à y prendre pied, en 1910, fut un Belge, Émile Gillard, de Howell (Prud’homme), gendre de Montés. Celui-ci vint l’année suivante avec son fils, Jean, et un autre gendre, François Dubreuil. Saint-Claude et Haywood fournirent encore Jean-Pierre Picton, Louis Noël, Ludovic Le Strat, Joseph Basset, puis le Parisien Eugène Hurion. Le Breton Le Strat, au Canada depuis 1907, avait travaillé comme terrassier à la voie ferrée et comme ouvrier de ferme à Notre-Dame-de-Lourdes. C’était un homme dans toute la force de l’âge, père de sept enfants. Il vint avec le « vieux Basset » et se réserva 640 acres de terre.

En 1912, une bourrasque épouvantable dévasta la région, ne laissant debout que les chênes solidement enracinés. Suivirent des pluies diluviennes qui détrempèrent le sol si profondément qu’il ne put s’assécher qu’au bout d’une année. Plusieurs colons, découragés, firent demi-tour jusqu’à Saint-Claude ou ailleurs. Tout est pour ainsi dire à recommencer ; mais la jeune colonie semble devoir se redresser en raison même des obstacles accumulés. À ce moment critique, Montés réussit à bâtir une modeste chapelle en troncs d’arbres où la première messe est célébrée en 1913.

En dépit de tout, les défricheurs auront le dessus, car la terre est excellente et facile à travailler. Les hautes herbes, les pois sauvages et le « jargeau » poussent en abondance. On trouve l’eau à dix ou douze pieds et une nappe souterraine à peu de profondeur. Jules Sauvageot, de Belfort, quitte Wauchope pour venir s’y fixer. Au printemps 1915, Saint-Front compte de cinquante à soixante Français, dont une dizaine sous les drapeaux. Toute sa population — française, canadienne-française et belge — est exclusivement francophone, Allemands, Anglais et autres se trouvant établis un peu plus loin. Ce coin de l’Ouest inconnu et isolé jouit d’une oreille sympathique à Ottawa. Lorsqu’il fait la demande d’un bureau de poste, il en obtient deux : l’un à Saint-Front et l’autre à Périgord. En 1917, six nouvelles terres sont prises par des Canadiens français de la province de Québec. Les voies d’accès ne se sont pas améliorées. Selon l’expression de ces braves gens, pour franchir certains passages difficiles, « on ne voyait plus que les oreilles des chevaux ». Plusieurs rebroussent chemin. En général les Français — Auvergnats, Bretons, Savoyards — tiennent bon.

Mme Florian Montès, décédée en 1919, partira trop tôt pour voir aboutir ces longs efforts méritoires. L’année suivante, Saint-Front aura pourtant son école, dont le premier instituteur sera Alphonse Picton, fils de Maurice, un embryon de village, avec un groupement total de quarante-sept familles, plus quelques célibataires. Puis il aura une église convenable et sera érigé en paroisse.

En 1943, Saint-Front perdait un octogénaire dont les déplacements et les recommencements marquaient une vie qui fut le lot de plusieurs. Alexandre Prévost, né près de Parthenay (Deux-Sèvres), était venu dans l’Ouest avec sa famille en 1894. Il demeura seize ans à Notre-Dame-de-Lourdes, quatre ans à Haywood et vingt-neuf ans à Saint-Front. Quant à Joseph Basset — celui qu’on appelait déjà le « vieux Basset » au début de la colonie, quarante-cinq ans plus tôt — il mourut en 1956, dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année. Lui aussi avait connu, dans sa lutte pour la vie, plusieurs champs d’action. Né à Corveissiat (Ain) et venu au Canada en 1893, cet infatigable travailleur avait défriché le sol à Notre-Dame-de-Lourdes, à Saint-Claude, à Dana, avant de se fixer définitivement à Saint-Front. Ses nombreux descendants n’ont pas quitté la région.

En remontant plus au nord, dans le district tributaire de la voie ferrée reliant Winnipeg à Prince-Albert, on relève sur la carte les noms de Star City, Tisdale, Zénon-Park, Arborfield, Carrot-River, Pré-Sainte-Marie, Clemenceau, Veillardville. L’abbé Émile Dubois et un prêtre suisse, l’abbé Pierre-Joseph Nicolet, furent les premiers desservants de cette région. Les Français y représentent surtout des rameaux détachés de groupements plus anciens de l’Ouest. On y trouve des Bretons, comme les familles Riou, dont le chef est mort octogénaire ; Jean Bothorel et Joseph Mercier, venues du Finistère via Saint-Laurent du Manitoba ; des méridionaux comme les Relland, des Basses-Alpes, dont l’ancêtre s’était d’abord fixé à Duck-Lake. Veillardville doit son nom à un ancien colon de Saint-Claude, Louis Veillard, qui, au retour de la première Grande Guerre, vint s’installer là. Toute cette région est maintenant desservie par les Pères de Tinchebray.


Prince-Albert et les environs

À quelques milles au nord de Prince-Albert, White Star peut se rattacher à Saint-Brieux en ce sens que le premier noyau en fut formé du même contingent d’émigrants partis de Bretagne en 1904. Il porta d’abord le nom d’Edwardfield et le mérite de la fondation en revient au Frère Édouard Courbis, O.M.I., un Aveyronnais, alors directeur de l’orphelinat catholique de Prince-Albert. Parmi les premiers à s’y établir, citons : Paul Legodin, Ernest Clavier, Jean et Henri Delhommeau, Jean et Joseph Guédo, Henri Barque, Gabriel Leroux, Laurent Lemoal, Victor Colvez, Jean Macé, Georges Lempereur, presque tous des Bretons. Le premier prêtre à desservir la chapelle de l’endroit fut cet abbé Noël Perquis, que nous avons vu présider aux débuts de la jeune paroisse plus renommée de Fannystelle. Le chemin de fer arriva à White Star en 1917.

Plus au nord, on trouve encore : Jean-Baptiste Albert, qui s’était acquis une réputation de maître boxeur : Adolphe Soulié et Alfred Costeraste, du Lot : Alphonse et Joseph Frémont, de la Loire-Atlantique : Bompais, de Bretagne, et Gagné, de Normandie.

À Prince-Albert même, Bénard représenta la maison de fourrures Révillon frères et fit de longues excursions dans le Grand Nord. Stéphane Jaspar, né à Lille, après un séjour à Red Deer (Alberta), fut longtemps à la tête d’une importante épicerie que dirige maintenant son fils, Michel. Il est décédé en 1957 : sa femme, née Alice Mangin, l’année suivante, laissant quatre fils et deux filles.

Nombre de Français sont établis dans la région qu’il serait difficile d’énumérer. Notons en passant que la famille Gauthier, de Merléac, en Bretagne, se fixait au début du siècle à Marcelin. Cinquante-cinq années plus tard, le fils Auguste réalisait avec sa femme le désir toujours gardé de revoir son pays natal, quitté à l’âge de neuf ans. Le couple est aujourd’hui retiré à Prince-Albert.

Le lieutenant-colonel R.-C.-J. de Satge, né à Dinan, émigra dans l’Ouest peu avant 1914. Il quitta sa ferme de Rich Valley, près de Shellbrook, pour servir dans l’armée canadienne, lors des deux Grandes Guerres. Durant les premières années de la seconde, il commanda le bataillon des Prince Albert Volunteers. À la fin des hostilités, revenu au pays, l’officier se retira en Colombie-Britannique où il décédait en 1957.


Dans le nord-ouest de la Saskatchewan


Dans la partie nord-ouest de la Saskatchewan, ce sont aussi de petits groupes de Français d’origine mêlés à d’autres francophones. Et les prêtres venus de France ne manquent pas là non plus. Le même abbé Dubois que nous venons de voir à Arborfield a construit église et presbytère à Rosetown. Après lui, l’abbé J.-M. Drapeau y sera curé pendant plus de trente ans. À Biggar, l’abbé G. Simon, du diocèse de Nancy, mourra subitement en 1912, après moins de deux ans au pays.

Biggar se trouve à mi-chemin entre Saskatoon et la frontière albertaine. En 1908, Hilaire et Louis de Moissac, de Saint-Claude (Manitoba), épousaient les deux sœurs Marie et Antoinette de Bussac. La même année, se lançant un peu à l’aventure, ils allèrent s’établir à cet endroit, en pleine prairie, où ils furent parmi les premiers Français de la région. Charles et Jean de Moissac vinrent les y rejoindre. La génération nouvelle des Moissac et des Bussac a fourni des pilotes à l’aviation canadienne dans la seconde Grande Guerre. Les deux familles sont aujourd’hui représentées non seulement au Manitoba et en Saskatchewan, mais aussi en Alberta et en Colombie-Britannique.

Le village de Radisson, à mi-chemin entre Saskatoon et Battleford, n’a de français que le souvenir qu’il évoque du célèbre coureur de bois du XVIIe siècle. Plus au nordm Delmas doit son nom au P. Henri Delmas, qui dirigea l’école indienne du lieu, avant de passer à celle plus importante de Duck-Lake. Le village occupe l’emplacement d’un ancien camp de Cris dont le chef s’appelait L’Enfant-du-Tonnerre. Parmi les pionniers, Paul Pouzache, né à Joyeuse (Ardèche), et sa femme, Marie-Jane Lanigan. Le curé actuel est encore un Oblat français, le P. Jules Bidault, de Neuville-sur-Sarthe (Sarthe). Ce vieux missionnaire laissera le renom d’un grand bâtisseur. On l’a envoyé à Delmas avec mission spéciale de reconstruire l’église détruite par un incendie. C’était sa dix-neuvième entreprise du genre.

L’abbé Jean-Baptiste-Ferdinand Jullion, originaire du diocèse du Puy, exerça une fructueuse activité dans la région. Arrivé quelques mois après son ordination, en 1905, il fonda aussitôt la paroisse de Saint-Hippolyte, composée surtout de Canadiens français auxquels se joignirent quelques Français, et sut lui donner une vigoureuse impulsion. La guerre le retint quatre années outre-mer, après quoi il vint reprendre son poste qu’il garda jusqu’à sa mort.

Alphonse Jullion, de Sembadel (Haute-Loire), frère du curé fondateur, est mort en 1956, laissant sa femme et onze enfants, presque tous établis dans le district. Jean-Victor et Emmanuel Malhomme sont venus de la même localité.

Mgr Clovis Mollier, P.D., qui avait fait ses débuts plus au nord « dans la brousse », avant d’aller à Saint-Denis, fut plus tard curé de Saint-Hippolyte. Après quarante ans passés en Saskatchewan, il est rentré en France depuis quelques années et y dessert la paroisse de Casteljau (Ardèche).

Le nom de Cochin rappelle un autre missionnaire qui prit part à l’apaisement des tribus sauvages de la région de Battleford et fut prisonnier des rebelles, lors des troubles de 1885. Le P. Louis Cochin, de la Marne, fonda le centre de Jack-Fish, dont le premier curé séculier devait être l’abbé Jean-Pierre Esquirol.

À Edam, on remarque parmi les pionniers Germain Bec, né aux Quioc (Aveyron), dont les trois fils et les cinq filles demeurent sur des fermes de la même paroisse ; Georges Bellanger, de la Sarthe ; les frères de Montarnal, les frères Bru, Élie Esquirol, etc.

À Celtic. on retrouve des Bretons et des Savoyards, qui eurent longtemps pour pasteur le P. Joseph Portier, du diocèse de Nantes, lequel fit aussi la guerre de 1914.


La petite patrie d’un docteur ès lettres

À la Butte Saint-Pierre (Paradise Hill), non loin de la frontière albertaine, on trouve un petit groupe de Français implanté là peu avant 1914. Des gens du Sud-Ouest ; Tuèche, Lard, Roch. Des Bretons : Legrand, Marchadour, Bonnet, Roussel, Nédelec et autres. Dans une petite école des premiers temps, tous les élèves étaient des enfants de colons français. L’un de ces jeunes écoliers particulièrement doué a poussé très loin ses études. Albert Legrand, dont les parents venaient de Quimper, a fait son cours classique au Collège des Jésuites à Edmonton et passé son doctorat ès lettres à l’Université de Montréal. Entre temps, il a enseigné au Collège de Saint-Boniface, puis dirigé le service de l’information au poste de radio de cette ville. Aujourd’hui professeur au Collège militaire de Kingston (Ontario), Albert Legrand est en voie de se créer un nom comme critique averti des lettres canadiennes sous leur double forme d’expression. Il a donné des cours très remarqués aux Universités de la Colombie-Britannique et de Montréal.

Dans la région de Battleford, les souvenirs du temps des Indiens demeurent toujours vivaces. L’écrivain-voyageur Victor Forbin, très friand de ce genre de couleur locale, y recueillait le trait suivant, entre les deux guerres :

Un Français, Georges Perrissin, au pays depuis 1906, remplit très longtemps les fonctions de juge de paix. L’une des causes les plus mémorables dont il eut à s’occuper fut celle du vieux chef Le-Fils-de-la-Rivière, âgé de quatre-vingt-quinze ans. Parti pour la chasse avec sa bande et trouvant, au retour, son lieu de campement occupé par un colon anglais, il avait saccagé furieusement la clôture de l’intrus. Le juge lui demanda :

— Qui t’a donné le droit d’habiter ici (hors d’une réserve) ?

— C’est Dieu, répondit-il, un bras solennellement levé vers le ciel.

Aux yeux de la loi, le Blanc avait raison contre le Rouge. Celui-ci fut condamné au minimum de la peine — un dollar — et l’Anglais paya les frais.[1]

  1. A.-G. Morice. O.M.I., Saint-Front (Le Canada français), janvier 1929.

    Victor Forbin, 17,000 kilom. de film au Canada, Paris, 1928.