Les Fruits de l’instruction/02

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Traduction par J.-Wladimir Bienstock.
Stock (Œuvres complètes, volume 28p. 285-332).
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ACTE II


La scène représente l’intérieur de la cuisine. Les paysans, qui se sont débarrassés de leurs manteaux, sont assis près de la table et boivent du thé. Féodor Ivanovitch est à l’autre bout de la cuisine et fume un cigare. Sur le poêle est couché le vieux cuisinier qu’on ne voit pas pendant les quatre premières scènes.


Scène PREMIÈRE

LES TROIS PAYSANS, FÉODOR IVANOVITCH

FÉODOR IVANOVITCH

Oui, c’est mon avis, ne t’y oppose pas. Si c’est leur désir, à la grâce de Dieu ! La fille est sage, honnête. Ne fais pas attention à sa coquetterie, c’est l’habitude des villes ; c’est toujours comme ça. Mais la fille est intelligente…

LE DEUXIÈME PAYSAN
Eh ben ! si c’est son désir. C’est lui qui doit vivre avec elle et pas moi. Seulement elle est si élégante ! Comment pourra-t-on la recevoir dans l’izba ? Elle ne se laissera pas même frôler par sa belle-mère !
FÉODOR IVANOVITCH

Ça, mon ami, ça ne dépend pas de la mise, ça dépend du caractère. Puisqu’elle a un bon caractère, elle sera obéissante et docile.

LE DEUXIÈME PAYSAN

Bon ! Je la prendrai si mon garçon y tient tant que cela ! C’est vrai que ce n’est pas agréable de vivre avec une femme qu’on n’aime pas. Je consulterai la vieille, et à la grâce de Dieu !

FÉODOR IVANOVITCH

Alors, tope-là !

LE DEUXIÈME PAYSAN

Oui, on voit déjà que c’est comme ça.

LE PREMIER PAYSAN

T’as de la veine, Zachar ! T’es venu à la ville pour conclure une affaire et voilà quelle belle bru tu as trouvée ! Il n’y a plus qu’à arroser la chose pour que ça soit en règle.

FÉODOR IVANOVITCH

C’est tout à fait inutile. (Silence gêné.) Je connais votre vie de paysans, moi, et je la comprends bien. Moi-même, je vous dirai, je pense acheter un lopin de terre. J’y construirai une maison, je me ferai paysan : chez vous, par exemple.

LE DEUXIÈME PAYSAN

C’est une bonne affaire.

LE PREMIER PAYSAN
Ben sûr, quand on a de l’argent, on peut avoir au village tous les plaisirs.
LE TROISIÈME PAYSAN

Que dire ! Le travail des champs, disons-le, est dans tous les cas plus libre ; ce n’est pas comme en ville.

FÉODOR IVANOVITCH

Eh bien ! m’accepterez-vous dans votre commune, si je me fixe chez vous ?

LE DEUXIÈME PAYSAN

Pourquoi ne pas accepter ? Tu offriras du vin aux vieux : on t’acceptera immédiatement…

LE PREMIER PAYSAN

Ouvrez un cabaret, par exemple, ou une auberge, et votre vie sera un plaisir ! Un roi, pas moins.

FÉODOR IVANOVITCH

On verra ça. Je voudrais seulement vivre tranquillement mes vieux jours. Je ne suis pas mal ici non plus ; j’ai même des regrets de quitter ; c’est que Léonid Féodorovitch est un homme d’une bonté rare !

LE PREMIER PAYSAN

Ben sûr ! Mais notre affaire donc, est-ce qu’elle va décidément en rester là ?

FÉODOR IVANOVITCH

Lui, voudrait bien.

LE DEUXIÈME PAYSAN

On voit qu’il a peur de sa femme.

FÉODOR IVANOVITCH
Non, il n’en a pas peur. — C’est vrai qu’ils ne s’entendent pas bien.
LE TROISIÈME PAYSAN

Tu devrais, père, t’occuper de nous ! Autrement, comment pourrons-nous vivre ? Notre terre est petite…

FÉODOR IVANOVITCH

Allons ! voyons d’abord ce qui résultera des démarches de Tania. Elle s’en est chargée, donc !

LE TROISIÈME PAYSAN, buvant du thé.

Aie pitié de nous, père ! Notre terre est petite : non seulement on n’y peut lâcher le bétail, disons-le, mais y a pas même de place pour une poule !

FÉODOR IVANOVITCH

Ah ! si j’avais l’affaire en mains ! (Au second paysan.) Alors, mon ami, c’est entendu, nous sommes compères ? L’affaire de Tania est conclue !

LE DEUXIÈME PAYSAN

Quand j’ai dit quelque chose, je ne m’en dédis pas, même sans l’avoir arrosé, seulement que notre affaire à nous réussisse…



Scène II

Les Mêmes ; entre LA CUISINIÈRE. Elle passe la tête au-dessus du poêle et fait des signes ; aussitôt elle commence à parler vivement à Féodor Ivanovitch.

LA CUISINIÈRE

Tout à l’heure, de la cuisine des maîtres, on vient d’appeler Sémion au salon ; le maître et l’autre, celui qui évoque avec lui, le chauve, l’ont fait asseoir et lui ont ordonné d’agir à la place de Kaptchitch…

FÉODOR IVANOVITCH

Qu’est-ce que tu racontes là ?

LA CUISINIÈRE

Mais c’est vrai, Iakov vient de le dire à Tania.

FÉODOR IVANOVITCH

C’est étrange.



Scène III

Les Mêmes, LE COCHER

FÉODOR IVANOVITCH

Toi, eh bien ?

le cocher, à Féodor Ivanovitch.

Vous pouvez lui dire que je ne suis pas engagé ici pour vivre avec des chiens ! Qu’un autre vive avec des chiens ! Quant à moi je ne consens pas à vivre avec des chiens !…

FÉODOR IVANOVITCH

Avec quels chiens ?

LE COCHER
De la part de Vassili Léoniditch on a amené trois chiens dans notre chambre. Ils y ont fait des saletés ; ils hurlent et pas moyen de les approcher ! Ils mordent, sont méchants comme des diables ; peu s’en faut qu’ils ne nous dévorent ! J’ai déjà eu envie de leur casser les pattes à coups de trique.
FÉODOR IVANOVITCH

Mais quand ça ?

LE COCHER

Aujourd’hui, on les a amenés de l’Exposition. Ils sont chers, paraît-il ; des lévriers, est-ce que je sais ? Le diable les emporte ! Est-ce que ce sont les chiens qui doivent rester dans le logement des cochers, ou bien les cochers ? Comme ça…

FÉODOR IVANOVITCH

Oui, ça n’est pas bien… Je vais lui en parler.

LE COCHER

On ferait peut-être mieux de les mettre ici, chez Loukéria.

la cuisinière, s’emportant.

Comment ici ? Tout le monde vient manger ici, et tu voudrais y mettre les chiens… Déjà sans cela…

LE COCHER

Et moi, j’ai là des caftans, des tabliers, des harnais… et on me demande encore la propreté !… Ou bien qu’on les mette chez le portier…

FÉODOR IVANOVITCH

Il faut le dire à Vassili Léoniditch.

LE COCHER, fâché.
Qu’il se les pende au cou, ses chiens, et se promène avec ! Par exemple, il aime à monter à cheval. Krasavtchik, il l’a esquinté, un si beau cheval !… Ah ! quelle vie ! (Il sort en tapant la porte.)


Scène IV

Les Mêmes, moins LE COCHER

FÉODOR IVANOVITCH

Oui, ça ne se fait pas, ça ne se fait pas ! (S’adressant aux paysans.) C’est conclu, n’est-ce pas ? Eh bien ! adieu, mes garçons.

LES PAYSANS

Que Dieu te garde ! (Féodor Ivanovitch sort.)



Scène V

Les Mêmes, moins FÉODOR IVANOVITCH. Le vieux cuisinier, sur le poêle, commence à grogner…

LE DEUXIÈME PAYSAN

Est-il rond ! On dirait un général.

la cuisinière

Oui ! Il a une chambre à part, il est blanchi ; le thé, le sucre, tout ça aux frais des maîtres ! Quant à la nourriture, ça lui vient aussi de leur table.

LE VIEUX CUISINIER

Comment ce diable-là ne vivrait-il pas bien ? Il vole assez !…

LE DEUXIÈME PAYSAN

Qu’est-ce donc, là-bas, sur le poêle ?

LA CUISINIÈRE

Ce n’est rien : un homme. (Silence.)

LE PREMIER PAYSAN
J’ai vu, tantôt, ce qu’il y en avait pour le souper chez vous ! On doit avoir une fortune ici !
LA CUISINIÈRE

On ne peut pas se plaindre ; pour ça, la maîtresse n’est pas avare. Du pain blanc tous les dimanches, du poisson les jours maigres, et ceux qui veulent, peuvent manger gras.

LE DEUXIÈME PAYSAN

Comment ? est-ce qu’il y en a qui ne jeûnent pas ?

LA CUISINIÈRE

Eh ! presque tous. Pour faire maigre, il n’y a que le cocher (pas celui qui vient de venir, mais le vieux), puis Sémion et moi et encore la femme de charge, et tous les autres font gras.

LE DEUXIÈME PAYSAN

Eh bien ! et le maître ?

LA CUISINIÈRE

Lui ? Mais il a même oublié ce que c’est que faire maigre !

LE TROISIÈME PAYSAN

Oh ! Dieu !

LE PREMIER PAYSAN

C’est leur affaire, aux maîtres. Ils ont trouvé ça dans des livres. Ça vient de l’instruction…

LE TROISIÈME PAYSAN

Je suis sûr qu’ils mangent tous les jours du pain bis…

LA CUISINIÈRE

Oh ! du pain bis ! Ils ne l’ont peut-être pas vu, ton pain bis ! Si tu voyais seulement leur nourriture !

LE PREMIER PAYSAN

C’est connu que la nourriture des maîtres est légère comme l’air !

LA CUISINIÈRE

Légère, légère, mais ils sont très forts aussi pour bouffer !

LE PREMIER PAYSAN

Ils ont de l’appétit alors ?

LA CUISINIÈRE

C’est qu’ils boivent pour faire descendre. Y en a-t-il de ces vins vieux, des eaux-de-vie, des liqueurs sucrées ! Pour chaque mets il y a un vin à part. Manger et boire par-dessus, et puis manger et encore boire…

LE PREMIER PAYSAN

La boisson fait passer la nourriture.

LA CUISINIÈRE

Ce qu’ils ont de force pour manger est inouï ! C’est pas dans leurs habitudes de s’asseoir, de manger le nécessaire, de se signer et de se lever. Ils mangent toujours…

LE DEUXIÈME PAYSAN

Comme les cochons, alors, qui mettent les pattes dans l’auge ? (Les paysans rient.)

LA CUISINIÈRE

À peine, Dieu me pardonne ! ont-ils l’œil ouvert, qu’il faut le samovar, le thé, le café, le chocolat. Aussitôt qu’ils ont vidé deux samovars, il faut faire chauffer le troisième. Puis c’est le déjeuner ; puis c’est le dîner ; puis encore le café. À peine ont-ils digéré sur le dos qu’il leur faut de suite encore du thé. Puis le goûter, des bonbons, des biscuits, ça n’a pas de fin ! Au lit, ils mangent encore !

LE TROISIÈME PAYSAN

Oh ! là, là ! (Il rit.)

LE PREMIER et LE DEUXIÈME PAYSANS

Qu’as-tu ?

LE TROISIÈME PAYSAN

Si seulement je pouvais passer une journée ainsi !

LE DEUXIÈME PAYSAN

Mais alors, quand font-ils leurs affaires ?

LA CUISINIÈRE

Quelles affaires ? Les cartes, le piano, voilà toutes leurs affaires ! La demoiselle, celle-là, à peine a-t-elle ouvert les yeux, qu’elle a l’habitude de se mettre au piano, et allez ! L’autre, celle qui vit chez eux, l’institutrice, attend que le piano soit libre. À peine l’une a-t-elle fini que l’autre se met à taper. Ou bien encore, on apporte deux pianos : on se met deux à chaque et, à quatre, on tombe dru dessus, si fort, que ça s’entend d’ici.

LE TROISIÈME PAYSAN
Ah ! Dieu !
LA CUISINIÈRE

Eh ben ! voilà toutes leurs affaires ! Le piano ou les cartes. À peine sont-ils réunis qu’aussitôt les cartes, du vin, on se met à fumer et en voilà pour toute la nuit ! On ne se lève que pour manger et on recommence.



Scène VI

Les Mêmes et SÉMION

SÉMION

Bon appétit !

LE PREMIER PAYSAN

Prends place aussi.

SÉMION

Grand merci. (Il s’avance vers la table, le premier paysan lui verse du thé.)

LE DEUXIÈME PAYSAN

Où étais-tu ?

SÉMION

J’étais en haut.

LE DEUXIÈME PAYSAN

Et pourquoi ?

SÉMION

Je n’y comprends rien ; je ne sais comment dire…

LE DEUXIÈME PAYSAN

Qu’est-ce qu’on y fait ?

SÉMION

Je ne saurais même le dire. Ils ont essayé avec moi je ne sais quelle force. Mais moi je n’y comprends rien. Tania m’a dit que ça aiderait à vendre la terre aux paysans.

LE DEUXIÈME PAYSAN

Mais comment s’y prendra-t-elle ?

SÉMION

C’est ce que je ne comprends pas ; elle ne dit rien. Elle a dit seulement : Fais comme je te l’ordonne !

LE DEUXIÈME PAYSAN

Et qu’y a-t-il à faire ?

SÉMION

Rien, pour le moment. Ils m’ont fait asseoir, ils ont éteint les lumières et m’ont ordonné de dormir. Et Tania aussi s’est cachée là-haut ; eux ne l’ont pas vue, mais moi je l’ai vue…

LE DEUXIÈME PAYSAN

Eh bien ! pourquoi faire ?

SÉMION

Dieu le sait ! On ne peut pas comprendre…

LE PREMIER PAYSAN

Pour sûr, c’est pour passer le temps.

LE DEUXIÈME PAYSAN

Ce sont des affaires, je vois, où nous ne comprendrons rien toi et moi. Et voilà, dis donc : as-tu pris beaucoup d’argent sur tes gages ?

SÉMION
Je n’ai rien pris ; tout m’est dû ; il reste vingt-huit roubles à toucher.
LE DEUXIÈME PAYSAN

C’est très bien ! Mais tu sais, si Dieu le permet et que nous nous arrangions pour la terre, je te prends, Sémion, à la maison.

SÉMION

Je veux bien…

LE DEUXIÈME PAYSAN

Tu as dû ben te gâter, je pense. Tu ne pourras labourer…

SÉMION

Labourer ! veux-tu essayer tout de suite ? Faucher, labourer, tu verras que je n’ai pas perdu la main !

LE PREMIER PAYSAN

Mais, pourtant, après la vie à la ville, ça ne te paraîtra pas amusant.

SÉMION

Ça ne fait rien, on vit aussi bien à la campagne.

LE PREMIER PAYSAN

Et voilà l’oncle Dmitri qui aimerait bien essayer ici de cette vie délicate.

SÉMION

Oh ! oncle Dmitri, ça finirait par t’embêter. Ça paraît facile d’abord ; mais il faut beaucoup courir. La tête te tournerait.

LA CUISINIÈRE
Ce que tu devrais voir, oncle Dmitri, c’est un bal chez eux ! Voilà qui t’étonnerait !
LE TROISIÈME PAYSAN

Est-ce qu’on y mange aussi tout le temps ?

LA CUISINIÈRE

Ce n’est pas ça ; faut voir ce que c’est. Féodor Ivanovitch m’a laissé voir. J’ai regardé. Des femmes, c’est extraordinaire. Habillées…, tu sais, comme tu n’en as jamais vu ! Et nues, jusque-là. Et les bras nus aussi.

LE TROISIÈME PAYSAN

Seigneur !

LE DEUXIÈME PAYSAN

Quelle abomination !

LE PREMIER PAYSAN

Ben, c’est que le climat leur permet.

LA CUISINIÈRE

Quand j’ai vu ça, je me suis dit : Qu’est-ce que c’est ? Toutes nues ! Le croirais-tu ? les vieilles — qui ont peut-être des petits enfants — aussi toutes nues !

LE TROISIÈME PAYSAN

Oh ! Dieu !

LA CUISINIÈRE

Mais, c’est encore rien. Aussitôt que la musique commence, alors les messieurs s’avancent chacun vers une dame ; il l’enlace et se met à tourner.

LE DEUXIÈME PAYSAN

Les vieilles aussi ?

LA CUISINIÈRE
Les vieilles aussi.
SÉMION

Non, les vieilles restent assises.

LA CUISINIÈRE

Qu’est-ce que tu dis ? Je l’ai vu moi-même !

SÉMION

Mais non !

le vieux cuisinier, montrant sa tête et d’une voix enrouée.

C’est la polka-mazurka ; l’imbécile, elle ne sait pas ça ! On danse ainsi…

la cuisinière

Toi, danseur, tu feras bien de te taire ! hein ! Voilà quelqu’un qui vient. (Le vieux cuisinier se cache hâtivement.)



Scène VII

Les Mêmes, et GRIGORI

grigori, à la cuisinière.

Apporte la choucroute.

la cuisinière

Je viens de remonter de la cave, et voilà qu’il faut encore y descendre ! Pour qui est-ce ?

grigori

Les jeunes demoiselles veulent en manger. Vite ! Fais-la porter par Sémion, moi je n’ai pas le temps.

LA CUISINIÈRE

Voilà, elles se gavent de plats sucrés, jusqu’à ce que ça ne passe plus, alors elles veulent de la choucroute !

LE PREMIER PAYSAN

C’est pour se purger, c’est-à-dire…

LA CUISINIÈRE

Oui, ils feront de la place, et recommenceront de nouveau. (Elle prend un bol et sort.)



Scène VIII

Les Mêmes, moins LA CUISINIÈRE

grigori, aux paysans.

Vous voilà, attablés ! Prenez garde ! Si madame l’apprend, elle vous secouera comme ce matin ! (Il rit et sort.)



Scène IX

LES TROIS PAYSANS, SÉMION, LE VIEUX CUISINIER, sur le poêle.

LE PREMIER PAYSAN

Ben sûr qu’elle a tempêté tantôt ; c’était terrible !

LE DEUXIÈME PAYSAN

M’est avis que monsieur voulait nous défendre ; mais quand il a vu qu’elle enlevait le toit de la maison, il a claqué la porte, comme s’il avait voulu dire : que le diable l’emporte !

le troisième paysan, faisant un geste de la main.

C’est toujours la même chose. Eh bien, ma vieille, disons, parfois elle s’échauffe que c’est terrible ! J’m’en vais de la maison. Vaut mieux la laisser ! Autrement, disons, elle m’assommerait avec le tisonnier. Oh ! Dieu !



Scène X

Les Mêmes et IAKOV

iakov accourt avec une ordonnance de médecin.

Sémion, cours à la pharmacie, vite ; tiens ! va chercher des poudres pour madame.

SÉMION

Mais on m’a ordonné de ne pas sortir.

IAKOV

Tu auras le temps ; on ne s’occupera de toi qu’après le thé. Bon appétit !

LE PREMIER PAYSAN

Asseyez vous avec nous. (Sémion sort.)



Scène XI

Les Mêmes, moins SÉMION

IAKOV

Je n’ai pas le temps ; mais versez-moi tout de même une tasse pour vous tenir compagnie.

LE PREMIER PAYSAN

Mais voilà, on causait de votre maîtresse ; qu’elle s’est conduite bien fièrement.

IAKOV
Oh ! celle-là, elle s’emballe que c’est terrible ; elle s’échauffe ainsi qu’elle en perd la tête ! Parfois elle en pleure…
LE PREMIER PAYSAN

Voilà ! À propos, je voulais demander : Que parlait-elle tantôt de macrotes ? Des macrotes, disait-elle, des macrotes que vous apportez ici ! À quoi que ça s’applique ces macrotes-là ?

IAKOV

Ah ! ce sont des macrobes. Ils disent que ce sont de petits insectes, qui, voyez-vous, sont cause de toutes les maladies. Alors, voilà, par exemple, qu’ils sont sur vous. Ce qu’ils ont lavé, lavé derrière vous ; ce qu’ils ont aspergé, aspergé, là où vous étiez restés ! Il y a un remède spécial qui les fait crever, ces insectes.

LE DEUXIÈME PAYSAN

Mais où qu’y a sur nous de ces insectes ?

iakov, buvant son thé.

Ben, ils disent qu’ils sont si petits qu’on ne les voit même pas avec des lunettes.

LE DEUXIÈME PAYSAN

Et comment sait-elle qu’il y en a sur moi ? Peut-être qu’y en a plus, de ces saletés, sur elle que sur moi ?

iakov

Oui, mais demande-lui !

LE DEUXIÈME PAYSAN

Moi je pense que ce sont des bêtises.

IAKOV

Ben sûr, des bêtises ! Mais il faut bien que les médecins inventent quelque chose ; autrement, à quoi bon leur donner de l’argent ? Voilà, y en a un qui vient là tous les jours : il vient, il cause un peu, et il a pour ça dix roubles.

LE DEUXIÈME PAYSAN

C’est pas vrai ?

IAKOV

Ou bien, c’est un autre encore qui touche, celui-là, un billet de cent.

LE PREMIER PAYSAN

Oh ! un billet de cent !

IAKOV

Un billet de cent ? Tu parles d’un billet ? Il en prend de mille quand il faut sortir de la ville ! Donne, qu’il dit, un billet de mille, ou, si tu ne le donnes pas, crève !…

LE TROISIÈME PAYSAN

Oh ! Dieu !

LE DEUXIÈME PAYSAN

Qu’est-ce qu’il est donc ? Sait-il une parole magique ?

IAKOV

Sans doute qu’il sait. J’étais chez un général, près de Moscou. C’était un homme colère, très fier, ce général. Et bien ! voilà que sa fille tombe malade. On a envoyé chercher celui-là. Donnez mille roubles et j’y vais. Bon ! on s’est arrangé ; il vient. Mais voilà que quelque chose lui a déplu. Comme il s’est mis à crier après le général ! oh ! mes petits frères ! Oh ! qu’il a dit, c’est comme ça que tu me traites ! Comme ça ! Eh bien ! J’veux pas la soigner ! Alors, ce général, il a vite perdu son orgueil ; il l’a flatté de mille façons : Petit père, tout ce que tu voudras, mais ne l’abandonne pas !

LE PREMIER PAYSAN

Et le billet de mille, on lui a payé ?

IAKOV

Tu dis… autrement ?

LE DEUXIÈME PAYSAN

Voilà du bon argent ! C’qu’un paysan aurait pu faire avec cet argent-là !…

LE TROISIÈME PAYSAN

Je crois que tout ça, c’est des bêtises. Y a quelque temps, j’avais un pied qui suintait ; je le soignais, je le soignais ! J’ai peut-être dépensé, disons-le, cinq roubles. Quand j’l’ai plus soigné, il a guéri tout seul. (Le vieux cuisinier tousse sur le poêle.)

IAKOV

Le voilà encore, ce malheureux !

LE PREMIER PAYSAN

Quel est cet homme ?

IAKOV

Il a été cuisinier de notre maître ; il vient ici chez Loukéria.

LE PREMIER PAYSAN
Cuisinier, c’est-à-dire ; mais vit-il ici ?
IAKOV

Non, ici on ne permet pas ; un jour ici, là-bas une nuit. Quand il a trois kopeks il va dans un asile ; et quand il a tout bu il vient ici.

LE DEUXIÈME PAYSAN

Mais comment en est-il là ?

IAKOV

Comme ça. Il s’est relâché. Et cependant quel homme c’était !… On aurait dit un seigneur. Il portait une montre d’or, il touchait quarante roubles par mois, et maintenant, sans Loukéria, y a longtemps qu’il serait mort de faim.



Scène XII

Les Mêmes, plus LA CUISINIÈRE apportant la choucroute.

iakov, à Loukéria.

Je vois que Pavel Petrovitch est encore ici ?

la cuisinière

Où veux-tu qu’il aille ? Mourir de froid, hein ?

LE TROISIÈME PAYSAN

Voilà ce que fait le vin ! Le vin, disons… (Il claque de la langue avec commisération et secoue la tête.)

LE DEUXIÈME PAYSAN
Certes, quand un homme devient fort, il est bientôt plus fort que la pierre ; mais quand il faiblit, il est plus faible que l’eau !
le vieux cuisinier descend du poêle ; ses mains et ses jambes tremblent.

Loukéria, je te dis, donne-moi un petit verre !

la cuisinière

Où vas-tu ? Je vais t’en donner, un petit verre !

le vieux cuisinier

Crains-tu le bon Dieu ? Je me meurs ! Mes bons amis donnez-moi une pièce de cinq kopeks !

la cuisinière

J’te dis de grimper sur le poêle !

le vieux cuisinier

Cuisinière, la moitié d’un petit verre, je t’en prie, pour l’amour du Christ ! Je te dis, comprends-tu, je le demande au nom du Christ…

la cuisinière

Va va… Tiens, voilà du thé !

le vieux cuisinier

Qu’est-ce que c’est du thé ? Qu’est-ce que c’est du thé ? C’est une boisson qui ne vaut rien, elle n’a pas de force… Je voudrais du vin…, rien qu’une gorgée… Loukéria !…

le troisième paysan

Ah ! le malheureux, comme il souffre !

le deuxième paysan

Mais donne-lui donc quelque chose.

la cuisinière prend dans une armoire une bouteille et lui verse un petit verre.
Tiens, voilà ! Je ne t’en donnerai plus !
le vieux cuisinier saisit vivement le verre et boit en tremblant.

Loukeria !… Je boirai… et toi… tu comprends… ..

la cuisinière

Assez, assez parlé ! Monte sur le poêle, et qu’on n’entende plus ton souffle. (Le vieux cuisinier monte docilement et sans cesse marmonne quelque chose.)

LE DEUXIÈME PAYSAN

Ce que c’est quand un homme devient faible !

LE PREMIER PAYSAN

Ben sûr… la faiblesse humaine.

LE TROISIÈME PAYSAN

Oui, il n’y a pas à dire. (Le vieux cuisinier se couche. Tout le temps il murmure. Silence.)

LE DEUXIÈME PAYSAN

Eh bien, voilà, je voulais te demander : Cette jeune fille de notre pays qui vit chez vous, la fille d’Axcinia, comment se conduit-elle ? Je veux dire : est-elle honnête ?

IAKOV

Une bonne fille, il n’y a rien à en dire…

LA CUISINIÈRE
Je vais te dire, oncle, la pure vérité, parce que je connais bien les mœurs de par ici : si tu veux Tatiana pour ton fils, prends-la le plus tôt possible, avant qu’elle ne se pervertisse. Autrement, elle n’y échappera pas…
IAKOV

Oui, ça, c’est vrai. Voilà, l’été passé, y’avait chez nous une jeune fille, Nathalie, quelle bonne fille c’était ! et bien elle s’est perdue pour rien, comme celui-là… (Il montre le vieux cuisinier.)

LA CUISINIÈRE

C’qui s’en perd ici, de notre sexe ! On pourrait en faire une digue. Chacun veut un travail facile, une nourriture sucrée, puis, en un clin d’œil, grâce à cette nourriture sucrée, on tourne mal, et dès qu’on a mal tourné, n’en faut plus, immédiatement on vous met à la porte, et on en prend une plus fraîche à la place. C’est ainsi que la malheureuse Nathalie a fait un faux pas, et aussitôt on l’a mise à la porte. Elle a accouché, elle est tombée malade, et, au printemps dernier, elle est morte à l’hôpital. Et cependant quelle fille c’était !

LE TROISIÈME PAYSAN

Oh ! Seigneur ! Ce sont des gens faibles, faut les prendre en pitié !

LE VIEUX CUISINIER

Ah ! oui ! ils vous prennent en pitié, ces diables-là ! (Il laisse tomber ses jambes du poêle.) Je me suis rôti trente ans auprès du fourneau, et voilà, lorsque je suis devenu inutile : Crève comme un chien ! Oui, ils en ont de la pitié !

LE PREMIER PAYSAN
Oui, ben sûr, c’est une situation connue…
LE DEUXIÈME PAYSAN

Pendant qu’on buvait et mangeait, on t’appelait beau garçon ; quand on a fini de boire et de manger : adieu galeux !

LE TROISIÈME PAYSAN

Oh ! Dieu !

LE VIEUX CUISINIER

Tu en comprends des choses ! Sais-tu ce que c’est qu’un sauté à la Beaumont, ce que c’est qu’un bavasaré… Ah ! ce que je savais faire ! Pensez un peu !… L’empereur mangeait mon ouvrage, et, maintenant, je ne suis bon que pour l’enfer ! Mais je ne céderai pas, moi !

LA CUISINIÈRE

Ah ! ah ! Voilà qu’il se met à causer ! Veux-tu te taire !… Fourre-toi dans le coin, pour qu’on ne te voie pas ! Autrement, si Féodor Ivanovitch entre, ou un autre, on me chassera avec toi. (Silence.)

IAKOV

Eh bien ! connaissez-vous mon pays Vosnesenskoïé ?

LE DEUXIÈME PAYSAN

Comment ne pas connaître ! C’est à dix-sept verstes de chez nous, pas plus ; et si on y va par le gué, c’est moins loin encore. Toi as-tu de la terre ?

IAKOV
Mon père en a, et moi je lui envoie de l’argent. Car, bien que je vive ici, je meurs d’ennui de la maison.
LE PREMIER PAYSAN

Ben sûr.

LE DEUXIÈME PAYSAN

Ton frère, alors, c’est Anicim ?

IAKOV

Ah oui ! c’est mon frère… Au bout du village.

LE DEUXIÈME PAYSAN

Eh oui ! Comment ne pas savoir, la troisième maison.



Scène XIII

Les Mêmes et TANIA, accourant.

TANIA

Iakov Ivanitch, qu’est-ce que vous bêtifiez ici ? Elle vous appelle.

IAKOV

Tout de suite ! Qu’y a-t-il ?

TANIA

Fifka aboie ; elle a faim, et madame se fâche après vous… Comme il est méchant ! dit-elle ; il n’a aucune pitié, il y a longtemps longtemps que Fifi doit dîner et il ne lui apporte rien. (Tania rit.)

iakov, s’apprêtant à sortir.

Elle est fâchée ? Ça ira mal.

la cuisinière, à Iakov.

Prenez donc la choucroute.

IAKOV
Donne, donne. (Il prend la choucroute et sort.)


Scène PREMIÈRE

Les Mêmes, moins IAKOV

LE PREMIER PAYSAN

À qui donc est le tour de dîner maintenant ?

TANIA

Au chien ; c’est un chien à elle. (Elle s’assied et prend la théière.) Y a-t-il du thé ? N’importe, j’en ai apporté d’autre. (Elle jette le thé dans la théière.)

LE DEUXIÈME PAYSAN

Un dîner, pour un chien ?

TANIA

Certainement, on lui cuit une côtelette exprès pour lui, afin qu’il n’engraisse pas trop. Je lave même du linge pour lui, pour le chien…

LE TROISIÈME PAYSAN

Oh ! Seigneur !

TANIA

C’est comme un autre monsieur qui a fait un enterrement à son chien.

LE DEUXIÈME PAYSAN

Comment ça ?

TANIA

Mais, comme cela ! Un homme m’a raconté qu’une fois un chien a crevé chez lui, chez ce monsieur, et le voilà qui sort en voiture, l’hiver, pour l’enterrer. L’enterrement fini, le voilà qui retourne en pleurant, le monsieur. Il gelait très fort, le cocher avait le nez qui lui coulait, il s’essuyait… Permettez que je verse. (Elle verse le thé.) Le nez coule et il s’essuie toujours. Le monsieur s’en aperçoit : « Pourquoi, dit-il, pleures-tu ? » Et le cocher de dire : « Comment, monsieur, ne pas pleurer ! Quel chien c’était ! » (Elle rit.)

LE DEUXIÈME PAYSAN

Et je crois ben que lui-même pensait à part lui : « Même si tu crevais, toi, je ne te pleurerais pas ! » (Il rit.)

le vieux cuisinier, de dessus le poêle.

C’est juste !… c’est vrai !

TANIA

Bon ! le monsieur rentre à la maison. Aussitôt, il va chez madame ; « Comme notre cocher, dit-il, est bon ! il a pleuré tout le long de la route, tellement il regrettait Ami. » Qu’on le fasse venir. Tiens ! bois un coup, et voilà un rouble pour te récompenser. La patronne est pareille. Iakov ne plaint pas son chien. (Les paysans rient.)

LE PREMIER PAYSAN

Voilà du joli !

LE DEUXIÈME PAYSAN

Voilà, c’est comme ça.

le troisième paysan, en riant.

Ah ! ma fille, ce que tu m’as fait rire !

tania, elle verse du thé.

Prenez-en encore. Oui, ça semble seulement que la vie est bonne ici. Mais parfois c’est dégoûtant de nettoyer les salétés qu’on fait ! Au village on est mieux. (Les paysans retournent leurs tasses.)

tania, versant encore du thé.

Prenez-en. À votre santé Ephim Antonitch ! Je vous en verse, Dmitri Vlassiévitch ?

LE TROISIÈME PAYSAN

Bon ! verses-en, verses-en !

LE PREMIER PAYSAN

Eh bien, et notre affaire ? Est-elle en train ?

TANIA

Pas mal, ça marche.

LE PREMIER PAYSAN

Sémion nous a dit…

tania, vivement.

Il vous a dit ?…

LE DEUXIÈME PAYSAN

On n’a pu rien comprendre…

TANIA

Je ne peux pas vous le dire maintenant, mais je fais tout mon possible. Voici votre papier. (Elle montre le contrat sous son tablier.) Pourvu qu’une chose réussisse ! Ah ! que ce serait bien !

LE DEUXIÈME PAYSAN

Prends garde ! ne perds pas le papier, on a payé de l’argent pour ça !

TANIA
Soyez tranquilles, il faut seulement qu’il signe, n’est-ce pas ?
LE TROISIÈME PAYSAN

Que veux-tu de plus ? Si c’est signé c’est fini… (Il renverse sa tasse.) Ah ! assez.

tania, se parlant à elle-même.

Il signera, vous verrez qu’il signera ! Prenez encore. (Elle verse du thé.)

LE PREMIER PAYSAN

Arrange seulement l’affaire de la vente de ces terres ; fais cela, et c’est la commune elle-même qui te mariera. (Il refuse du thé.)

tania verse et donne le thé.

Prenez, s’il vous plaît.

LE TROISIÈME PAYSAN

Parviens-y et nous te marierons, et je viendrai, disons-le, danser à ta noce. Quoique je n’aie jamais dansé, je danserai cette fois.

tania, riant.

Alors, j’ai bon espoir. (Silence.)

le deuxième paysan, examinant Tania.

Bien, bien ! mais tu n’es pas bonne pour le travail des champs.

TANIA

Moi ? Croyez-vous que je n’aie pas de forces ? Si vous voyiez seulement comme je serre madame ! Un paysan ne pourrait pas mieux la serrer.

LE DEUXIEME PAYSAN
Mais où la serres-tu donc ?
TANIA

Mais elle a comme ça, avec des ressorts, une espèce de camisole qui vient jusqu’ici. Alors, on la serre avec des lacets, comme lorsqu’on attelle un cheval, vous savez, quand on crache dans ses mains.

LE DEUXIÈME PAYSAN

Tu la harnaches donc ?

TANIA

Ben oui, je la harnache, et on ne peut appuyer le pied sur elle. (Elle rit.)

LE DEUXIÈME PAYSAN

Et pourquoi la serres-tu ?

TANIA

Mais pour…

LE DEUXIÈME PAYSAN

A-t-elle fait un vœu ?

TANIA

Non, c’est pour la beauté.

LE PREMIER PAYSAN

Tu lui fais donc rentrer le ventre, pour que ce soit une belle forme ?

TAMA

Je la boucle si fort, que les yeux lui sortent de la tête, et elle dit : Encore !… Les mains en brûlent. Et vous dites que je n’ai pas de forces. (Les paysans rient et hochent la tête.) Mais je perds mon temps ! (Elle sort en riant.)

LE TROISIÈME PAYSAN
En voilà une fille ! Ce qu’elle m’a fait rire !
LE PREMIER PAYSAN

Oui, elle est bien mise.

LE DEUXIÈME PAYSAN

Oui, pas mal.



Scène XIV

LES TROIS PAYSANS, LA CUISINIÈRE, LE VIEUX CUISINIER sur le poêle. Entrent SAKHATOV et VASSILI LÉONIDITCH. Sakhatov tient à la main une cuiller à thé.

VASSILI LÉONIDITCH

Pas précisément un dîner, mais un déjeuner dînatoire, et je vous dirai une chose, il était excellent, ce déjeuner. Un jambon épatant, Roulier fait très bien. Je viens de rentrer à l’instant. (Apercevant les paysans.) Ah ! les paysans sont encore ici ?

SAKHATOV

Oui, oui, tout cela est très bien, mais nous sommes venus pour cacher l’objet. Où faut-il donc le cacher ?

VASSILI LÉONIDITCH

Pardon, je suis à vous (À la cuisinière.) Et les chiens, où sont-ils ?

LA CUISINIÈRE

Ils sont dans la chambre des cochers, les chiens. Est-ce qu’on peut les mettre à l’office ?

VASSILI LÉONIDITCH
Ah ! chez les cochers ! Eh bien ?
SAKHATOV

J’attends.

VASSILI LÉONIDITCH

Pardon, pardon. Eh quoi ! cacher, où ?… Sergueï Ivanovitch, voici ce que je vous dirai… Mettez-le dans la poche de l’un de ces paysans. Voilà, peut-être à celui-ci. Dis donc, eh ! Où est ta poche ?

LE TROISIÈME PAYSAN

Et pourquoi as-tu besoin de ma poche ? Voilà ma poche. J’ai de l’argent dans ma poche…

SAKHATOV

Eh bien ! où est ta bourse ?

LE TROISIÈME PAYSAN

Est-ce que ça te regarde ?

LA CUISINIÈRE

Qu’est-ce que tu dis ! C’est le jeune maître.

vassili léoniditch, riant.

Savez-vous pourquoi il a si peur ? Je vais vous le dire. Il a énormément d’argent. Eh quoi ?

SAKHATOV

Oui, oui, je comprends. Alors voilà : occupez-les un instant, et moi, pendant ce temps, je la cacherai dans ce sac, de façon qu’ils ne sachent pas où elle est et ne puissent d’aucune façon le lui indiquer. Parlez avec eux.

vassili léoniditch
Tout de suite, tout de suite. Eh bien, mes enfants achetez-vous la terre ? Eh quoi ?
LE PREMIER PAYSAN

Pour nous, nous en avons l’intention de tout notre cœur, mais voilà, l’affaire ne marche pas…

VASSILI LÉONIDITCH

Mais vous, ne soyez pas avares. La terre est une chose très importante. Je vous l’ai dit. De la menthe ou bien encore du tabac…

LE PREMIER PAYSAN

Ben sûr on peut y faire croître toutes sortes de produits…

LE TROISIÈME PAYSAN

Et toi, monsieur, parles-en à ton papa pour nous. Impossible de vivre ! notre terre est petite, il n’y a pas même de place pour y lâcher une poule !

sakhatov, ayant caché la cuiller dans le sac du troisième paysan.
C’est fait. Allons.
VASSILI LÉONIDITCH

Et vous ne soyez pas avares. Eh bien ! Au revoir. (Ils sortent.)



Scène XVI

LES TROIS PAYSANS, LA CUISINIÈRE, LE VIEUX CUISINIER sur le poêle.

LE TROISIÈME PAYSAN

J’avais bien dit d’aller à l’auberge. Disons que nous aurions dépensé une pièce de dix kopeks par tête, disons, au moins on serait tranquille ! Mais ici que Dieu nous garde ! L’argent donne, dit-il. Pourquoi ça ?

LE DEUXIÈME PAYSAN

Probablement qu’il a bu. (Les paysans retournent leurs tasses, se lèvent et se signent.)

PREMIER PAYSAN

Et toi, tu te rappelles. Et quelle idée de nous proposer de planter de la menthe ; aussi il faut comprendre…

LE DEUXIÈME PAYSAN

Oui, planter de la menthe, vois-tu ! Va donc, essaie de peiner avec ta bosse ! Tu en demanderais de la menthe, alors ! Eh ben, grand’mère ! Alors, ma belle, où pouvons-nous coucher ici ?

LA CUISINIÈRE

Que l’un se couche sur le poêle, et les autres sur des bancs.

LE TROISIÈME PAYSAN

Que le Christ te sauve ! (Il prie.)

LE PREMIER PAYSAN, se couchant.

Si Dieu pouvait permettre que l’affaire soit conclue. Demain, après-midi, nous pourrions prendre encore le train, mardi nous serions de retour.

LE DEUXIÈME PAYSAN

Allez-vous éteindre les lumières ?

LA CUISINIÈRE

Pourquoi éteindre. C’est un va-et-vient continuel. Tantôt on demande une chose, tantôt l’autre… Mais couchez-vous… Je vais baisser la lumière.

LE DEUXIÈME PAYSAN

Est-ce qu’il y a moyen de vivre quand on n’a pas assez de terre ! J’ai commencé cette année à acheter du blé dès la Noël ; et la paille d’avoine est à sa fin. Si j’avais de la terre, j’aurais ensemencé quatre déciatines. J’aurais pris Sémion à la maison…

LE PREMIER PAYSAN

Tu as de la famille, toi ; tu peux moissonner sans difficulté, pourvu qu’il y ait de quoi. Si seulement l’affaire se faisait.

LE TROISIÈME PAYSAN

Il faut implorer la Reine des cieux, peut-être s’apitoiera-t-elle.



Scène XVII

Un silence, des soupirs ; puis on entend un bruit de pas et de voix, et la porte s’ouvre toute grande devant les personnes qui se précipitent. GROSSMANN, les yeux bandés, tenant la main de SAKHATOV, LE PROFESSEUR, LE DOCTEUR, LA GROSSE DAME et LÉONID FÉODOROVITCH, BETSY, PÉTRISTCHEV, VASSILI LÉONIDITCH et MARIA CONSTANTINOVNA, MADAME LA BARONNE, FÉODOR IVANITCH, TANIA, LES TROIS PAYSANS, LA CUISINIÈRE et LE VIEUX CUISINIER, invisible.
Grossmann entre à grands pas, puis s’arrête tout d’un coup.
LA GROSSE DAME
Ne craignez rien ! Je l’observe. Je m’en suis chargée et je remplis strictement mon devoir. Sergueï Ivanitch, vous ne le conduisez pas ?
SAKHATOV

Mais, non, voyons !

LA GROSSE DAME

Il ne faut pas le conduire, mais il ne faut pas non plus lui résister. (À Léonid Féodorovitch.) Je connais ces expériences, j’en ai fait moi-même. Il m’arrivait de sentir un fluide, et aussitôt…

LÉONID FÉODOROVITCH

Permettez-moi de vous prier de garder le silence.

LA GROSSE DAME

Oh ! je comprends bien, je l’ai éprouvé par moi-même. Aussitôt que l’attention se distrait je ne puis déjà plus…

LÉONID FÉODOROVITCH

Chut ! (Ils marchent, vont vers les deux premiers paysans, puis s’avancent vers le troisième. Grossmann se bute au banc.)

LA BARONNE

Mais dites-moi, on le paye ?

MADAME

Je ne saurais vous dire.

LA BARONNE

Mais, c’est un monsieur ?

MADAME

Oh ! oui.

LA BARONNE
Ça tient du miraculeux, n’est-ce pas ? Comment est-ce qu’il trouve ?
MADAME

Je ne saurais vous le dire, mon mari vous l’expliquera. (Apercevant les paysans, se retourne et voit la cuisinière.) Pardon ! Qu’est-ce ? Pardon ! (La baronne s’approche du groupe.) Qui a laissé entrer ici les paysans ?

LA CUISINIÈRE

C’est Iakov qui les a introduits.

MADAME

Qui l’a ordonné à Iakov ?

LA CUISINIÈRE

Je ne peux pas le savoir. Féodor Ivanovitch les a vus ici.

MADAME

Léonid ! (Léonid Féodorovitch n’entend pas, tout aux recherches de Grossmann.) Féodor Ivanovitch, qu’est-ce que cela veut dire ? N’avez-vous pas vu que j’ai désinfecté toute l’antichambre, et maintenant vous m’avez infecté toute la cuisine, le pain noir et le kvass.

FÉODOR IVANOVITCH

Je pensais que ce n’était pas dangereux. Ces hommes sont venus pour une affaire ; ils sont venus de loin, de la campagne…

MADAME

Mais précisément, ils sont venus du village de la province de Koursk, où les gens meurent comme mouches de la diphtérie ! Et j’ai donné des ordres pour qu’on ne les garde pas à la maison. L’ai-je dit, oui ou non ? (Elle avance vers le groupe qui s’est formé autour des paysans.) Prenez garde, ne les touchez pas, ils sont tous infestés de la diphtérie ! (Personne ne l’écoute ; elle s’éloigne avec dignité et attend immobile.)

pétristchev, flairant.

Je ne sais pas si c’est la contagion de la diphtérie, mais il y a dans l’air une contagion. Vous sentez ?

BETSY

N’inventez pas ! Vovo, dans quel sac ?

VASSILI LÉONIDITCH

Dans l’autre, dans l’autre ! Il s’en approche, il s’en approche…

PÉTRISTCHEV

D’où vient cette odeur ? D’un esprit ?

BETSY

Voilà le moment où vos cigarettes viennent à propos. Fumez, fumez plus près de moi. (Pétristchev se penche et s’enfume.)

VASSILI LÉONIDITCH

Il approche, je vous dis qu’il approche ! Eh quoi ?

GROSSMann, tâtant avec inquiétude aux environs du troisième paysan.

C’est ici, c’est ici ! Je sens que c’est ici !

LA GROSSE DAME
Ressentez vous le fluide. (Grossmann se penche et trouve la cuiller ; enthousiasme général.)
TOUS ENSEMBLE

Bravo !

VASSILI LÉONIDITCH

Ah ! voilà donc où était notre cuiller ! (Au paysan) Ah ! voilà comment tu es toi ?

LE TROISIÈME PAYSAN

Quoi ? qu’est-ce que tu dis ? Je n’ai pas pris ta cuiller ! qu’est-ce qu’il invente ! Je ne l’ai pas touchée ! je ne l’ai pas touchée ! Vraiment je ne sais rien ! qu’il dise ce qu’il voudra ! J’ai bien vu qu’il n’était pas venu ici dans une bonne intention. « Donne-moi, ta bourse » qu’il a dit ! Quant à moi je ne l’ai pas prise ; Christ est témoin que je ne l’ai pas prise ! (Les jeunes gens l’entourent et rient.)

léonid féodorovitch, d’un air fâché à son fils.

Toujours des bêtises ! (Au troisième paysan.) Ne t’inquiète pas, mon ami. Nous savons bien que tu ne l’as pas prise. C’était une expérience.

grossmann ôte le bandeau de ses yeux et fait semblant de se réveiller.

De l’eau s’il vous plaît. (Tous s’empressent autour de lui.)

VASSILI LÉONIDITCH

Allons à la chambre des cochers, je vous montrerai le beau lévrier mâle que j’ai. Épatant ? hein ? quoi ?

BETSY
Quel vilain mot ! Ne peux-tu pas dire simplement un chien ?
VASSILI LÉONIDITCH

Non, ainsi on ne peut dire de toi ? Quel homme épatant que ce Betsy ! Il faut dire : Quelle jeune fille ! C’est la même chose ici, pourquoi ? N’est-ce pas, Maria Constantinovna, c’est bien ? (Il rit.)

MARIA CONSTANTINOVNA

Eh bien, allons. (Maria Constantinovna, Betsy, Pétristchev, Vassili Léoniditch sortent.)



Scène XVIII

Les Mêmes, moins MARIE CONSTANTINOVNA, BETSY, PÉTRISTCHEV et VASSILI LÉONIDITCH

la grosse dame, à Grossmann.

Quoi ! Êtes-vous reposé ? (Grossmann ne répond pas. À Sakhatov). Avez-vous senti le fluide, Sergueï Ivanovitch ?

SAKHATOV

Je n’ai rien senti du tout ; mais c’est parfait, parfait, tout à fait réussi !

LA BARONNE

Admirable ! Ça ne le fait pas souffrir ?

LÉONID FÉODOROVITCH

Pas le moins du monde.

le professeur, à Grossmann.

Permettez, s’il vous plaît. (Il lui présente un thermomètre.) Au commencement de l’expérience vous aviez 37° 2. (Au docteur.) C’est ça, n’est-ce pas ? Ayez l’obligeance de lui tâter le pouls, je vous en prie. La perte de force est inévitable.

LE DOCTEUR

Eh bien, monsieur, vérifions, vérifions. (À Grossmann.) Donnez-moi votre pouls. (Il sort la montre et lui tient la main.)

la grosse dame, à Grossmann.

Permettez, mais l’état dans lequel vous vous trouvez ne peut s’appeler le sommeil ?

grossmann, fatigué.

C’est quand même l’hypnose…

SAKHATOV

Alors, il faut comprendre que vous vous êtes hypnotisé vous-même ?

GROSSMANN

Et pourquoi pas ? L’hypnose peut se produire non seulement par association ou au son des tams-tams, comme chez Charcot par exemple, mais par la seule entrée dans la zone hypogène.

SAKHATOV

C’est ça, par exemple. Mais cependant il est désirable de définir plus exactement ce que c’est que l’hypnose.

LE PROFESSEUR

L’hypnose est un phénomène de transformation d’une énergie en une autre.

grossmann
Charcot ne la définit pas ainsi.
SAKHATOV

Permettez, permettez c’est votre avis… mais Libeau m’a dit à moi-même…

le docteur, laissant retomber la main de Grossmann.

Bien, mais maintenant il faut prendre la température.

la grosse dame se mêlant à la conversation.

Ah ! non ! permettez !… Je suis d’accord avec Alexis Vladimirovitch. Et tenez ! voilà la meilleure des preuves ! Lorsque, après ma maladie, je me trouvais sans connaissance, je sentais tout à coup le besoin de parler. Je suis généralement silencieuse ; mais à ce moment j’avais le besoin de parler, de parler ! Et on m’a dit que je parlais tellement que tout le monde s’en étonnait. (À Sakhatov.) D’ailleurs, je vous ai interrompu, je crois.

sakhatov, avec dignité.

Nullement. S’il vous plaît.

le docteur

Le pouls est de 82 ; la température est montée de 3 dixièmes.

LE PROFESSEUR
Eh bien ! Voilà des preuves ; c’est ce qui devait être. (Il prend son carnet et note.) 82, c’est cela, et 37 et cinq… Aussitôt que l’hypnose est obtenue, il y a toujours accélération des battements du cœur.
LE DOCTEUR

Comme médecin je puis témoigner que votre prédiction est totalement confirmée.

le professeur, à Sakhatov.

Alors vous disiez ?

SAKHATOV

Je voulais dire que Libeau m’a dit lui-même que l’hypnose n’est autre chose qu’un état psychique ordinaire, exagéré par une attention anormale. Donc…

LE PROFESSEUR

C’est ça, mais pourtant c’est surtout la loi de l’équivalence…

GROSSMANN

En outre, Libeau est loin d’être une autorité. Mais Charcot a étudié la question sous tous ses aspects, et il a démontré que l’hypnose produite par un coup…

sakhatov, parlant en même temps que les autres.

Certes, je ne nie pas l’œuvre de Charcot, je la connais aussi. Je répète seulement ce que Libeau m’a dit.

grossmann, s’échauffant.

Il y a à la Salpêtrière 3.000 malades et j’ai suivi les cours complets…

LE PROFESSEUR

Permettez… monsieur, il ne s’agit pas de cela.

la GROSSE dame, se mêlant à la conversation.

Je vais vous l’expliquer en deux mots. Quand mon mari était malade, et que tous les médecins l’eurent abandonné…

LÉONID FÉODOROVITCH

Allons, rentrons au salon ! Baronne, s’il vous plaît. (La grosse dame, Grossmann, le professeur, le docteur, la baronne et Sakhatov sortent en parlant et s’interrompant.)



Scène XIX

LES TROIS PAYSANS, LA CUISINIÈRE, FÉODOR IVANOVITCH, TANIA, LE VIEUX CUISINIER (sur le poêle), LÉONID FÉODOROVITCH et MADAME.

madame, tirant Léonid Féodorovitch par la manche.

Que de fois vous ai-je prié de ne pas donner d’ordres dans la maison ! Occupez-vous de vos bêtises, et laissez-moi la maison ! Vous allez donner la contagion à tout le monde.

LÉONID FÉODOROVITCH

Qui ? Quoi ? Je ne comprends rien du tout.

madame

Comment ! Voilà des gens malades, qui ont la diphtérie, et ils couchent à la cuisine où ils se trouvent en contact perpétuel avec tous nos domestiques !

LÉONID FÉODOROVITCH

Mais je…

MADAME

Quoi, je ?…

LÉONID FÉODOROVITCH
Mais je ne sais rien…
MADAME

Quand on est père de famille, il faut savoir ; on ne peut faire cela !

LÉONID FÉODOROVITCH

Mais je ne pensais pas, je pensais que…

MADAME

C’est révoltant de vous entendre ! (Léonid Féodorovitch se tait.)

madame, à Féodor Ivanovitch.

Tout de suite à la porte ! Qu’ils ne restent pas dans ma cuisine ! C’est terrible ! Personne ne vous écoute ! On le fait exprès ! J’ai beau les chasser, on les fait rentrer. (Elle s’excite de plus en plus et commence à pleurer.) On le fait exprès pour me contrarier ! Et moi qui suis si malade ! Docteur ! Docteur ! Piotr Petrovitch ! Lui aussi est parti ! (Elle pleurniche et sort. Léonid Féodorovitch la suit.)



Scène XX

LES TROIS PAYSANS, TANIA, FÉODOR IVANOVITCH, LA CUISINIÈRE, LE VIEUX CUISINIER sur le poêle.
Tableau. Tous demeurent silencieux quelque temps
.

LE TROISIÈME PAYSAN

Que Dieu les garde ! Ces gens-là vous feraient saisir par la police ! Et moi, qui, de toute ma vie, n’a pas eu de procès ! Allons à l’auberge, mes enfants !

féodor ivanovitch, à Tania.
Que faire maintenant ?
TANIA

Mais rien, Féodor Ivanovitch ! Mettons-les dans la chambre des cochers.

FÉODOR IVANOVITCH

Comment cela ? Le cocher s’est déjà plaint d’avoir sa chambre pleine de chiens !

TANIA

Eh bien ! alors, chez le portier.

FÉODOR IVANOVITCH

Et si on l’apprend ?

TANIA

On n’en saura rien. Soyez tranquille, Féodor Ivanovitch. Peut-on les mettre à la porte, la nuit ? Ils ne trouveront rien.

FÉODOR IVANOVITCH

Eh bien ! fais comme tu voudras, pourvu qu’ils ne restent pas ici ! (Il sort.)



Scène XXI

LES TROIS PAYSANS, TANIA, LA CUISINIÈRE, LE VIEUX CUISINIER. Les paysans attachent leurs sacs.

LE VIEUX CUISINIER

Oh ! les sacrés diables ! Ils enragent dans leur graisse, ces diables !

LA CUISINIÈRE
Tais-toi, toi ! C’est encore heureux qu’on ne t’aie pas vu !
TANIA

Allons, mes oncles, chez le portier.

LE PREMIER PAYSAN

Et notre affaire, alors ? Qu’en sera t-il de la signature du contrat ? Faut-il conserver quelque espoir ?

TANIA

Dans une heure, nous saurons tout.

LE DEUXIÈME PAYSAN

Seras-tu assez maligne ?

tania, riant.

À la volonté de Dieu !


FIN DU DEUXIÈME ACTE