Les Gaietés du Conservatoire/23

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Libr. Ch. Delagrave (p. 106-109).
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— « …

— Enfin ! l’exécutera-t-on, oui ou non ?

— Qui ça ?

— Eh, bien ! ce malheureux Clavier, l’auteur du drame…

— Octave Clavier ? mais on l’a exécuté hier !

— Ah bah ! je ne savais pas ça ; comment ça s’est-il passé ?

— Peuh ! comme toujours en pareil cas ; toutes ces exécutions se ressemblent : beaucoup de journalistes, toujours le même public spécial, des femmes, d’abord la toilette…

— Et lui, comment s’est-il comporté ?

— Assez crânement, dit-on, mais il était pâle comme un mort. En attendant l’heure fixée, il s’est entretenu assez longuement avec M. Lascoux, juge d’instruction, qui s’était beaucoup occupé de l’affaire, et qui est d’avis que c’est seulement maintenant qu’il a été exécuté qu’on pourra se permettre de le juger. Personne ne s’attendait à ce que ce soit pour si tôt, mais il paraît que de hautes influences ont été mises en jeu, et que le Président de la République y a absolument tenu. Il voulait même y venir, mais on lui a fait comprendre que ce serait excessif.

— Enfin ! à présent il va nous laisser tranquilles ; il est malheureusement sûr qu’il aura une bonne presse, il y en a déjà long comme ça dans le Figaro, mais dans huit jours on n’en parlera plus.

— Moi, je l’ai toujours considéré comme un fou, un braque, un déséquilibré…

— Et noceur avec cela ! il est sûr que s’il n’avait pas été prix de Rome, il n’en serait pas arrivé là, le pauvre garçon… »

Telle est la conversation que surprit un beau matin, sous le porche, entre Massenet, Lenepveu et Paladilhe, la brave mère Lizière.

Bondir à la salle d’attente, y rencontrer la mère Caspienne et les autres boîtes à potins fut l’affaire d’une seconde.

— « Savez-vous, ma chère, ce que je viens d’apprendre ?

— ? …

— Eh ! bien, ce pauvre M. Clavier, accompagnateur de la classe d’opéra-comique…

— Quoi ? que lui est-il arrivé ?

— Il lui est arrivé tout simplement qu’on l’a guillotiné hier matin.

— !!!

— Oui, ma chère, c’est comme je vous le dis. Ces messieurs sont en train de se raconter les détails de l’exécution, c’était atroce.

— Comment ! M. Clavier !… mais qu’est-ce qu’il avait fait ?

— Je n’en sais rien, mais il paraît que c’est un drame épouvantable ; il s’était grisé, il avait bu du rhum, d’autres disent qu’il était fou, on a nommé un juge d’instruction, le Président n’a pas voulu le gracier, preuve que c’était sérieux, et enfin, ce qui est sûr, c’est qu’il a été exécuté hier. Tenez, regardez, voilà encore M. Massenet qui lève les bras au ciel ; ils en parlent toujours, ils ne peuvent parler d’autre chose.

— C’est donc ça que depuis plus de deux mois on ne le voyait plus ici !

— Bien sûr, ma chère, il était à Mazas, ou à la Conciergerie…

— Mais comment ça se fait-il, moi qui lis tous les jours le Petit Journal, que je n’aie rien vu ?

— Ça aura été jugé à huis clos…

— C’est peut-être une affaire de mœurs !

— Oh ! C’est impossible, un jeune homme si doux, si bien induqué, si séductif, si complètement comme il faut ; tenez, ma chère, quand il venait tous les matins, l’année dernière, faire répéter à Euphémie son morceau de concours, je disais toujours au papa : Voilà peut-être le seul jeune homme avec lequel je ne laisserais pas la petite seule pendant plus d’une demi-heure ! Qui aurait pu dire qu’il finirait si mal ! Voilà encore M. Massenet qui lève les bras au ciel ! (Cri strident.) Ahhh !!!! »

Et la mère Lizière tombe à la renverse, en proie à une attaque de nerfs.

Elle venait d’apercevoir Octave Clavier traversant allègrement la cour pour recevoir les félicitations de ses Maîtres !…