Les Gens de bureau/IX

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Dentu (p. 40-41).
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IX


La fable du loup et du chien ne fit point revenir Caldas sur sa détermination. Il allait porter un collier, c’est vrai, mais le blesserait-il plus que le collier de misère, dont il gardait encore les cicatrices ?

Plein de confiance en l’avenir, il écrivit à son père pour lui annoncer son changement d’existence. Cette lettre, qui devait combler de joie la moitié de la population de Céret (Pyrénées-Orientales), faisait honneur aux bons sentiments de Romain, le post-scriptum surtout, où il demandait quelque argent : un fils respectueux n’écrit jamais à ses parents sans leur demander de l’argent.

Caldas en avait un grand besoin, d’argent. M. Krugenstern, par oubli sans doute, avait négligé de payer le loyer et la pension de son protégé. Une fausse honte avait empêché Romain de lui rappeler ce détail important.

Bachi-bozouk littéraire, Caldas dînait le plus souvent de la razzia de l’imprévu. Il campait au bivouac de l’amitié ou de l’amour, – du crédit quelquefois. Incorporé dans les bataillons réguliers de l’administration, il lui fallait désormais un ordinaire et un casernement assurés.

Voilà pourquoi il avait fait traite sur l’amour paternel.

La civilisation, qui s’intéresse aux nègres, n’a pas encore prohibé la traite des pères.