Les Hautes Montagnes/33

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(p. 68-71).

33. Et puis soudain…

En partant de chez les enfants, le vieil Athanase s’est rendu chez les bûcherons. Le soir, comme il revenait de là-bas, il est repassé par les cabanes des enfants.

Il resta debout, alluma son amadou puis son cigare, et gronda le chien qui l’avait laissé partir, sur le ton de la plaisanterie. Parce que sérieusement, il avait dit aux enfants qu’il leur offrait Gkéka : « un chien c’est toujours utile ».


Vers neuf heures du soir ils ont entendu des pas.

Un homme s’est approché et a dit bonsoir. Mais il semblait faible.

Quand il est entré dans la lumière, ils l’ont vu ensanglanté. Du sang avait coulé de sa tête jusque sa poitrine découverte, sur ses vêtements, et il en coulait encore.

Le vieil Athanase a bondi vers lui :

— C’est bien toi, Costas ? cria-t-il.

— C’est moi, dit-il faiblement. Mettez-moi un bout de tissu. Et il se tourna pour s’appuyer sur l’arbre.

— Pas ici, dit le vieil Athanase, entre dans la cabane. Et il demanda vite de l’eau et du tissu.

Les enfants flanchaient, beaucoup étaient devenus blêmes ; ils n’avaient encore jamais vu un blessé. Toute la joie de la journée s’est évanouie d’un coup.

Cependant Andréas n’a pas perdu de temps. En pareil instant on s’active tout de suite. Il a attrapé la lanterne et a éclairé le vieil Athanase et le blessé pour qu’ils entrent dans la cabane.

Il a commandé aux autres de courir à la source prendre de l’eau. Puis il a pris une seconde lanterne allumée, a couru à la cabane garde-manger, a déchiré un paquet et en a sorti plusieurs choses.

C’étaient des pansements, du coton et de l’antiseptique, les premières choses qu’il faut avoir si on part vivre dans la nature. Avec tout ça il est retourné à la cabane du malade.

Andréas et Dimitrakis avaient appris à faire les pansements. Le vieil Athanase en connaissait la technique, mais antiseptique il ne savait pas.

À eux trois, s’aidant l’un l’autre, ils ont pansé la tête du blessé comme il faut. Le vieil Athanase lui a donné un peu d’eau à boire et l’a allongé sur le matelas.


C’est alors qu’ils ont compris de qui il s’agissait. C’est celui qui tourne en ville pour vendre de l’origan, des câpres, des herbes et du goudron de pin. Soit à cause de leur trouble, soit à cause du peu de lumière, les enfants n’avaient pas reconnu tout de suite le pauvre Costas, le cueilleur des montagnes !

— Qu’est-ce qui se passe, Costas, qui t’a fait ça ?

— Ce sont ces monstres d’Yeusois. Il y en avait à nouveau deux, et ils frappaient à la hache un pin immense.

« Pourquoi, compatriote ? je lui dis. Qu’est-ce qu’il t’a fait ce pin ?

« Toi, occupe-toi de tes herbes, il m’a répondu.

« Mais enfin, je lui dis, vous détruisez une chose divine qu’il faut cinquante ans à remplacer. Vous les dé-boiseurs vous ravagez la forêt. Pourquoi vous ne respectez pas au moins le règlement ?

« Le règlement, il répond, c’est ce qui nous arrange. Tire-toi de là, toi et ton règlement.

« En disant ça l’un d’eux me menaçait avec sa hache. L’autre a ramassé par terre un morceau de bois et m’a frappé.

« Quand je suis revenu à moi j’ai regardé autour de moi, les deux s’étaient envolés. Ça devait finir par m’arriver.

— Les monstres, cria le vieil Athanase ; jusque-là ils cognaient les arbres, maintenant ils vont s’en prendre aux hommes.