Les Hautes Montagnes/60

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(p. 130-132).

60. Le torrent.

L’ingénieur en chef vint le jour suivant. Cinq enfants restèrent pour garder les cabanes et tous les autres se mirent en route avec lui vers l’endroit où se trouvait une scierie hydraulique.

Pour y aller ils traversèrent des lieux dénudés et arides. À chaque pas ils faisaient dévaler des cailloux. Le vent était froid et rugissait. Le soleil ne réchauffait pas.

Un vautour apparut au-dessus d’eux, il fendait l’air lentement.

Tous levèrent la tête pour voir le grand oiseau qui voyageait à la recherche de nourriture.

Un instant le vautour coupa son élan, resta en équilibre sur ses ailes, ensuite il battit de nouveau l’air de ses ailes et disparut derrière les Trois-Pics.

« Ici en haut tout est sauvage et superbe », dit l’ingénieur en chef.

C’est vrai qu’ils virent combien la montagne est immense, elle qui paraît n’être qu’une ombre bleue depuis la ville.

Qu’est-ce qu’elle a de rochers, de gorges, de crêtes, de pierres et d’endroits ravagés !


Maintenant, dit l’ingénieur en chef, vous allez voir le plus grand monstre qui peut sortir de la montagne. Le voilà ! »

Les enfants s’arrêtèrent pour regarder, dubitatifs. Tout ce qu’ils voyaient, c’est la rivière asséchée qu'on leur montrait, descendant la pente, remplie de galets secs.

« C’est le torrent, leur dit-il. Les loups, les ours, les lions, ne sont rien à côté du torrent. Ils provoquent de très petits dommages et ne font jamais grand chose contre les hommes.

« Mais le torrent chasse l’homme et le détruit, lui et sa descendance.

« Quand il se charge d’eau et déverse dans les champs toute cette caillasse que vous voyez, il étouffe les hommes, les vignes, les animaux et les villages entiers.

« Les hommes construisent des murailles et élèvent des barrages pour l’arrêter, mais c’est peine perdue. Un seul peut lutter contre un tel monstre. C’est l’arbre. »

— L’arbre ! firent les enfants incrédules.

— Connaissez-vous la force d’un arbre ? Avec ses racines il retient fermement le sol et les cailloux pour que les pluies n’emportent pas tout dans le torrent.

« L’arbre n’est pas seul à avoir cette force, il y a aussi les petits buissons, les ronces, l’yeuse, l’arbousier, et même le thym.

« C’est pour ça que les endroits couverts de végétation protègent les hommes des inondations.

« Par contre si nous brûlons et déracinons les arbres, alors sur les coteaux mis à nu le sol et les cailloux sont emportés dans le torrent.

« Celui-ci gonfle avec les pluies et déverse, avec une force terrible, terre, cailloux et eau, détruisant les maisons, les cultures et les hommes.

« Tous ceux qui vont couper des arbres doivent réfléchir à cela ».


Mathieu, comme à l’école, leva la main pour demander :

— Alors, pourquoi ne pas empêcher aussi les bûcherons de couper le bois ?

— Tu as bien fait de poser la question mon enfant, dit l’ingénieur en chef. Les bûcherons ne coupent que les arbres que nous leur disons de couper.

« Ces arbres ont quarante, cinquante, même soixante-dix ans chacun. Ils ont donc vieilli et l’heure est venue pour eux de nous donner du bois, pour laisser pousser à leur place d’autres petits arbres, qui à leur tour vont grandir.

« Près de celui qui a été coupé, nous aidons un autre arbre à grandir, et s’il ne pousse pas de lui-même, nous le plantons.

« De cette façon, la forêt reconstitue ce qu’elle nous donne.

« Si par contre nous laissions n’importe qui tomber sur les arbres et couper ce qu’il veut, la forêt disparaîtrait.

« Et si jamais elle manquait, nous les hommes, nous mourrions de soif. »