Les Hautes Montagnes/76

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(p. 163-166).

76. Gkéka a fait ce qu’il fallait.

Gkéka s’attendait à ce que le mariage d’Aphrodo ait encore lieu le jour suivant. Il avait rongé tant d’os le dimanche !

Il se rendit aux cabanes Valaques le lundi, et le mardi et le mercredi. Il a pu constater qu’on ne faisait pas la noce tous les jours.

Comme il rentra, à la nuit tombée, aux cabanes des enfants, la lune ronde brillait dans le ciel.

Gkéka n’aboya pas après la lune comme à son habitude, parce que ce soir-là il avait le cœur gros. Il était installé à l’extérieur des cabanes, la tête près de sa queue, et réfléchissait.

« L’autre jour mon tonton Mourgos et mon autre tonton Pistos et mon papy Kitsos ont chassé un loup… Et moi qu’est-ce que je fais ici ? Je ne fais que jouer avec les enfants. Et de temps en temps j’aboie.

« Mais maintenant je suis un grand chien. Et un chien qui a grandi ne doit pas manger le pain et les os sans les mériter, comme je le fais.

« Les enfants n’ont pas de troupeau à me faire garder, et ils ne me donnent pas d’autre travail à faire. Je n’ai encore jamais rien fait ! »

Le pauvre Gkéka était très contrarié.

« Il faudrait que je leur dise, réfléchissait-il… Demain je remuerai la queue plusieurs fois devant Andréas, Phanis et Dimitrakis. Certainement qu’ils vont me comprendre ».


À ce moment-là il a entendu quelque chose près des premières cabanes. Il a levé la tête et a vu une ombre pressée qui fuyait.

Gkéka a fait trois bonds. De sa vie il n’avait jamais bondi si loin. Un « krak ! » s’est fait entendre avec un cri de poule étouffé.

C’était le renard ! Il avait attrapé une poule dans sa gueule et il courrait.

Quand le renard a entendu du bruit, il a suspecté la présence d’un chien. Alors il a lâché la poule pour courrir plus vite.

Il fallait un chien bon à la course et qui donne toutes ses forces pour arriver à rattraper un renard, tellement il court vite.

Mais quand le renard a eu fait quelques bonds, il a eu un remord et il est retourné subitement en arrière pour reprendre la poule, parce qu’il la trouvait très grosse.

C’est comme ça que c’est arrivé.

Gkéka l’a rattrapé et l’a saisi par le cou. Il ne le lâchera pas ! Le renard crie, se débat, essaie de mordre.

Gkéka serre les dents sur lui et grogne. Les poules crient dans le poulailler, M. Stéphane accourt avec le fusil. Andréas, Dimos et Costakis se réveillent. Tout le monde se réveille.


« La corde ! Une corde, vite ! » crie M. Stéphane, en voyant à la lumière de la lune qu’il y a un renard ! Il voulait le lier et tenait son fusil prêt, au cas où le renard s’échapperait.

La plupart des enfants demandent sans s’approcher : « Ça mord ? ». C’est la première fois qu’ils voient un animal sauvage vivant.

M. Stéphane a passé la corde autour des pattes arrière du renard, et pendant que le chien le serrait au cou, il a essayé de l’attacher fermement.

Mais Gkéka avait fini le travail. Il avait tellement serré le larynx du renard et il avait tellement enfoncé ses dents profondément qu’il l’avait étouffé.

Le renard ne pouvait pas survivre dans la gueule d’un tel ennemi.


Ainsi, après avoir lutté en vain, il restait allongé, inerte. Les enfants se sont rassemblés autour et l’ont regardé attentivement à la lumière de la lune.

Ils ont observé ses oreilles pointues, son museau pointu, sa grande queue longue comme la moitié de son corps.

C’est donc ça la bête qui mange les lapins, qui

mange les oiseaux dans les nids et les poules dans le poulailler ? Pour lui c’est fini !

— Le malheureux, dit Dimos. S’il avait su qu’il ne retournerait pas dans son terrier.

— Qui lui a dit de nous manger toutes ces belles poules ? dit Costakis.

Gkéka ne s’est pas calmé un seul instant. Il soufflait beaucoup, se penchait pour le sentir, comme s’il ne croyait pas qu’il était crevé.

Il a entendu les vieux chiens dire que le renard fait parfois le mort et ensuite se lève et disparaît.

Si celui-ci en a l’envie, qu’il se lève ! Mais non, ça n’arrivera pas. Gkéka a bien fait le boulot.

« Bravo, bravo Gkéka ! Lui ont-ils tous crié en le caressant.

Il saute devant eux, les regarde dans les yeux et il est plus fier que n’importe quel autre chien.