Les Historiettes/Tome 1/37

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Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 1p. 253-255).


M. LE DUC DE LUYNES[1].


M. le duc de Luynes ne ressemble à sa mère en aucune chose. Il a furieusement dégénéré. Il fut marié de bonne heure avec la fille d’un Seguier[2], qui portoit le nom de Soret, d’une terre auprès d’Anet, et madame de Rambouillet disoit, voyant la fille unique de cet homme épouser le duc de Luynes : « Faut-il que le connétable de Luynes n’ait fait tout ce qu’il a fait que pour la fille de Soret[3] ? »

J’ai vu un roman de la façon de cette femme. Madame de Luynes ne vécut guère : elle mourut en couches (en 1651). Elle et son mari étoient également dévots. Ils donnoient beaucoup aux pauvres. Les Jansénistes faisoient tout chez eux. Il y a eu un Père Magneux, à Luynes-Maillé, auprès de Tours, qui faisoit enrager tout le monde. Madame de Luynes envoya un jour ordre aux officiers de faire vider de la duché toutes les femmes de mauvaise vie. Les officiers lui mandèrent que pour eux, ils ne les discernoient point d’avec les autres, et que, si elle savoit quelque marque pour les connoître, qu’elle prît la peine de le leur mander. Il a couru le bruit qu’il se faisoit des miracles à son tombeau ; que son mari et elle se levoient la nuit pour prier Dieu. Depuis la mort de sa femme, M. de Luynes a mis ses enfants entre les mains d’une mademoiselle Richer, grande Janséniste, et à pris le mari, avocat au parlement, pour son intendant. Lui est comme hors du monde, et a acheté une maison proche de Port-Royal-des-Champs, où il est presque toujours[4].

  1. Louis-Charles d’Albert, duc de Luynes, né le 25 décembre 1620, mort le 10 octobre 1690. On a de lui beaucoup d’ouvrages ascétiques, dont on trouve l’indication dans le Dictionnaire des ouvrages anonymes de Barbier, tom. 4, tables, pag. 379 ; Paris, 1827.
  2. Louise-Marie Seguier, marquise d’O, fille unique de Pierre Seguier, maître des requêtes, marquis de Soret.
  3. Elle avoit raison de parler ainsi, car cet homme étoit le plus indigne de vivre qui fut jamais. Il avoit été conseiller au parlement. Son père étoit mort président à mortier ; mais il quitta la robe et prit l’épée, lui qui n’étoit qu’un poltron. Il épousa la fille du procureur-général de La Guesle, de cet homme qui pensa mourir de regret d’avoir introduit, quoique innocemment, le moine qui tua Henri III (*). Or, M. de La Guesle étoit gentilhomme et avoit un frère qui parvint à commander le régiment de Champagne. C’étoit beaucoup en ce temps-là. Cet homme fit quelque fortune et acheta le marquisat d’O. Il n’avoit point d’enfants. Madame de Soret étoit une de ses héritières, car elle avoit une sœur. Soret, d’impatience d’avoir le bien de cet homme, le chicana en toutes choses, et enfin lui fit tirer un coup d’arquebuse, comme il revenoit de Saint-André, dont un gentilhomme qui étoit avec lui fut tué. On avéra que Soret avoit fait le coup. Mais l’oncle de sa femme ne le voulut pas perdre, et même, Soret étant mort, il fit madame de Soret son héritière, et la terre d’O lui vint. Depuis on l’appela la marquise d’O. (T.)

    (*) Voyez la Lettre d’un des premiers officiers de la cour du Parlement, écrite à un de ses amis sur le sujet de la mort du Roi, dans le Recueil de pièces servant à l’histoire de Henri III ; Cologne, P. du Marteau, 1663, page 141. On regrette de ne point trouver cette lettre à la suite du Journal de Henri III dans la Collection des Mémoires relatifs à l’Histoire de France.

  4. Le duc de Luynes, sans doute après que Tallemant eut écrit cet article, convola en secondes noces avec Anne de Rohan, dont il eut, comme de sa première femme, un très-grand nombre d’enfants ; et après la mort de celle-ci, il épousa en troisièmes noces Marguerite d’Aligre.