Les Historiettes/Tome 1/53

La bibliothèque libre.
Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 1p. 308-309).


VANITÉ DES NATIONS.


Un Espagnol, voyant le feu roi Louis XIII ôter son chapeau à plusieurs personnes qui étoient dans la cour du Louvre, dit à l’archevêque de Rouen, avec qui il étoit : « Hé quoi ! votre roi ôte son chapeau à ses sujets ? — Oui, dit l’archevêque, il est fort civil. — Oh ! le Roi mon maître tient bien mieux son rang ; il n’ôte son chapeau qu’au Saint-Sacrement ; y de muy mala gana.[1] »

Dans la suite des ambassadeurs que le feu roi de Portugal envoya au feu roi d’Angleterre, il y avoit un homme qui trouvoit le prince de Galles, aujourd’hui le roi d’Angleterre en titre, fort à son goût. « Eh bien ! que vous en semble ? lui dit quelqu’un. — Por Dios, répondit-il, que parece un Portughez. »

Les Italiens croient qu’il n’y a qu’eux de sages, et pour dire les gens de deçà les monts, ils disent : delle bestie oltramontane. Un Italien regardoit une fois dîner le roi Jacques d’Angleterre, et voyant que ce Roi avoit Buckingham, beau garçon, auprès de sa chaise et lui faisoit force caresses, il va dire d’un ton sérieux à un autre Italien : « Signor mio, sta gente non e mica barbara. »

Les Béarnois, pour venir à quelque chose de moins général, se ressentent un peu du voisinage des Espagnols, et ils ont plusieurs proverbes qui font assez voir la bonne opinion qu’ils ont d’eux-mêmes. En voici quelques-uns :

Lous Biarnez sount su l’autre gent
Comme l’or el su l’argent.

 Qui a bist Pau
 N’a maj bist un tau.
 Qui a bist Oleron
 A bist tout lou mond[2].
   Ortez
  Grand cose es.
 Qui a bist Morlas
 Po ben dire hélas !

Feu Galant le père, avocat fameux, soutenoit à feu M. de Châteauneuf que tous les Béarnois étoient fous. En ce temps-là, un M. de Lescun fut député à la cour par les églises de Béarn ; cet homme avoit beaucoup de vivacité et parloit facilement ; le conseil en fut charmé. « Ah ! dit M. de Châteauneuf à Galant, vous ne sauriez que dire cette fois-là. — Attendez, monsieur, attendez, » répondit Galant. Or, s’en allant en poste, ce Lescun se battit avec son postillon ; Galant le sut, et alla trouver M. de Châteauneuf. « Eh bien ! monsieur, n’avois-je pas raison de dire : attendez ? »

  1. Et même mal volontiers. (T.)
  2. Notez que ce sont toutes bicoques. (T.)