Les Immémoriaux/1/Les Hommes au Nouveau-Parler
LES HOMMES AU NOUVEAU-PARLER
Térii, paisiblement, avait repris ses allées dans la nuit. Et son corps d’homme vivant n’avançait point d’une démarche moins sûre que les pensers de son esprit, qui le conduisaient désormais sans une défaillance, par les sentiers broussailleux du passé. Cependant il désira connaître les ennemis de sa race, et quel avait été contre eux le succès du maléfice.
Or, parmi les pirogues étrangères — issues d’autres firmaments, d’autres mondes, peut-être — qui en grand nombre atterrissaient à l’île, la dernière, plus que toute autre, avait inquiété les gens du rivage Atahuru : elle n’était point chargée de ces jeunes hommes turbulents et irascibles, armés de bâtons luisants qui frappent au loin, avec un grand bruit. Nul de ces guerriers ni de ces chefs n’avait mis, dès l’arrivée, pied à terre. Mais des chants en descendaient, monotones, sur des paroles aigres. On y voyait des femmes à peau blême. Jusque-là certains doutaient qu’il en existât. Ces femmes n’étaient pas très différentes des épouses tahitiennes : seulement plus pâles et maigres. Et les riverains d’Atahuru contaient, là-dessus, d’extravagantes histoires : assurant que les nouveaux-venus, trop attentifs à considérer sans cesse de petits signes tatoués sur des feuilles blanches, ne se livraient jamais ouvertement à l’amour. C’étaient bien ces impies qu’avait désignés Paofaï. Térii se prépara donc à pagayer vers eux.
D’abord, il glissa prudemment toutes ses pirogues de pêche sous des abris de palmes tressées, et, tirant sur le sable sa pirogue de haute mer, l’examina. Il est bon de ne jamais partir sans avoir recousu les bordés, qui feraient eau dès le premier clapotis. On calfate ensuite les petites fissures en y bourrant, à coups de maillets, des fibres gluantes. Il est très bon, encore, d’entremêler ce travail de courtes prières à Tané-i-té Haa, propice aux façonneurs-de-pahi. Puis on assure l’attache du balancier et l’on dresse le mât de bambou, en serrant à peine les haubans, que la pluie ou les embruns raidiront ensuite d’eux-mêmes : le pahi est prêt. Mais surtout, avant de le hasarder sur la mer-extérieure, qu’on n’omette pas l’offrande à Pohu, le dieu-requin. Si le voyage est d’importance minime, l’atua se satisfera d’un cochon de moyenne grosseur.
Térii ne négligeait aucun de ces rites ; — par respect, plutôt que par profit : car il ne devait point abandonner la terre des yeux, mais en suivre seulement le contour, au large du récif. Deux journées lui suffirent à tout apprêter. Au troisième lever du soleil, il emplit le creux de la pirogue de noix de haari, pour la soif, et de fruit de uru, pour la faim. Puis, aidé de quelques fétii et d’une nouvelle épouse, il leva le pahi tout chargé. Tous, ils le portaient à petits pas trébuchants, car la coque était lourde et le corail leur déchirait les pieds. Le pahi flotta. La femme s’accroupit en avant du mât.
— « Vous restez, vous autres ? » dit gaîment Térii, suivant l’usage.
— « Tu t’en vas, toi ? » répondit-on avec politesse, d’une seule voix. Un pied dans la pirogue, Térii prit appui sur le sable et poussa vigoureusement. Puis il pagaya quelque temps dans les calmes eaux claires.
Il franchit le récif par la passe appelée Ava-iti. La pirogue aussitôt tangua sous les premières poussées de la houle, et le souffle du maraámu — le vent inlassable qui pousse vers le soleil tombant — gonfla brusquement la natte pendue au mât dans son cadre de bambou. La coque bondit. Térii la guidait à coups brefs de sa pagaie qui tranchait l’eau tout à l’arrière comme une queue d’atua-requin. Parfois, lorsque la brise, ayant ricoché au flanc des montagnes, accourait du travers, le pahi se couchait sur la gauche et le balancier, ruisselant dans l’air, vacillait, tout prêt à chavirer. Vite, la femme Tétua, cramponnée sur la traverse, pesait à son extrémité. Elle s’agrippait aux agrès, cambrée vers la mer. Ses pieds s’éclaboussaient d’écume.
Térii la considéra. Il dormait près d’elle depuis quatre nuits à peine. Elle ne semblait point égaler la femme Taümi en habiletés de toutes sortes. Il aviserait à son retour. D’ailleurs, les fêtes étaient proches où le haèré-po, montrant son savoir, acquerrait, avec de nouveaux tatu, le droit à choisir librement ses épouses. Et Térii, triomphant par avance, laissa courir son espoir vers les jours à venir qu’il lui semblait allègrement poursuivre sous la poussée du grand vent régulier.
Le rivage fuyait allègrement lui-même. Les vallées qui pénètrent l’île s’ouvraient tour à tour, bâillaient un instant vers la mer, et se fermaient en reculant. Comme il était prêt de doubler une pointe, Térii, soudain, tourna le museau du pahi droit au large : on ne pouvait, en effet, se mésaventurer près de la terre Mara, dont la montagne avancée, surplombant lourdement les eaux, sépare, ainsi qu’une monstrueuse idole Tii, la noble vallée Papara, des turbulents territoires Atahuru.
La même crête divise les espaces dans le ciel. Car les nuées chargées de pluie, s’épanchent sur ses flancs sans jamais en passer le revers. Les petits enfants n’ignorent pas cela. Voici le parler connu seulement des prêtres : le pied du mont, creusé d’une grotte froide, suintante et sans fond, donne depuis trois lunaisons retraite à Tino, l’homme-inspiré. On le dit incarner des esprits variables, et parfois l’essence même de Oro. À tout hasard, on l’honore, à l’égal de ce dieu. La grotte est sainte ainsi qu’un maraè, et s’enveloppe d’un tapu sévère. Térii savait en plus que la montagne excavée figure : Le trou dans le Tronc ; le creux dans la Colline ; la caverne dans la Base, ainsi qu’il est dit aux chants Premiers.
Et il tint le large avec défiance, jusqu’à voir le redoutable mont s’effacer comme les autres, en découvrant l’île-jumelle. La terre Mooréa dressait dans le firmament clair ses arêtes hargneuses. De grandes pluies, tombées sur la mer-extérieure, avaient blanchi le ciel, et la belliqueuse rivale, ouvrant sur Tahiti la vallée Vaïtahé ainsi qu’une mâchoire menaçante, parut empiéter sur les eaux mitoyennes. « Tout à craindre de ce côté », songea Térii, qui savait combien les îles hautes, flottant sur la mer-abyssale, sont vagabondes et vives quand il plaît aux atua de les traîner en nageant sur les eaux. Il revint serrer le vent pour gagner une route plus sûre… « Quoi donc ! » La femme, à grands gestes craintifs, désignait la mouvante profondeur houlant sous le ventre du pahi. Elle inclinait la face au ras des eaux sombres. Ses yeux cherchaient, dans le bas-fond, par-dessous la mer, avec beaucoup de peur : cet abîme-là, c’était le familier repaire de Ruahatu l’irritable, dont les cheveux sont touffus et la colère prompte. Térii prit garde que pas un hameçon ne pendît à la dérive : on aurait malencontreusement accroché la chevelure divine : on aurait pêché le dieu ! Des désastres s’en étaient suivis, jadis : Ruahatu avait noyé la race des hommes, hormis deux survivants ! — Mais il dormait, sans doute, l’atua plongeur, car la femme n’entrevit point les grandes épaules bleues.
Térii poursuivit sa route, interrogeant de très loin chaque enfoncement des eaux dans la terre. À perte de vue, les eaux étaient libres de navires Piritané. Il longeait Atahuru, puis Faà. Les collines se faisaient rocailleuses et le dévers des croupes arrondies, plus aride. Des plaques rouges dévoraient, ainsi qu’une lèpre, le flanc des versants. Alors, le vent régulier, brisé par les terres avancées, tomba. De petits souffles divers, inégaux et capricieux, ballottaient la pirogue. Tétua serra la natte dont les plis claquaient au hasard : — « Les étrangers sont envolés ! » cria-t-elle. La dernière baie se découvrait vide ainsi que les autres. Néanmoins, comme Oro marquait le milieu chaud du jour, Térii sentit ses membres peser. Il pagaya vers le rivage, contemplant la vallée peu coutumière et le récif incertain qui venaient à lui.
Cette baie était petite, emplie d’air immobile qui n’affraîchissait pas les épaules. Les ruisseaux cheminaient sans abondance, et les hauteurs, trop voisines de la mer, empiétaient sur les plaines habitables. Elles n’avaient point la tombée lente — favorable aux divinations — des montagnes Mataïéa ; ni le ruissellement fécondant de la grande eau Punaáru ; ni la base étendue et fertile de la plaine Taütira. Les sommets, vêtus de brousse maigre, étaient vides d’atua, et le corail frangeant dépourvu même du maraè prescrit. La rade, sous-ventée par les cimes majeures, traversée de souffles inconstants réfléchis sur Faá, ou de brusques risées retournées par l’île-jumelle, apparaissait défavorable aux grosses pirogues étrangères — qui sont dépourvues de pagayeurs. On dénommait cette rive, Papé-été.
Ou du moins, ses nouveaux maîtres la désignaient ainsi. C’étaient deux chefs de petite origine. Tunui et son père Vaïraatoa s’apparentaient, peut-être, par les femmes, à la race d’Amo à l’œil-clignotant. Mais on les savait plus proches des manants Paümotu que des Arii de la noble terre Papara. Néanmoins leur puissance croissait d’une lunaison à une autre lunaison. Vaïraatoa, qui gouvernait péniblement jadis la vallée Piraè, détenait maintenant les terres voisines, Atahuru, Faá, Matavaï et Papénoo. Il devait ses conquêtes à la persistante faveur de Oro dont on le disait serviteur habile : le dieu le privilégiait en conduisant vers ses rivages la plupart des étrangers aux armes bruyantes qui secondaient ses querelles et prêtaient main-forte à ses expéditions. Suivant les coutumes, il avait transmis ses pouvoirs à son fils adolescent, l’ayant déclaré grand-chef de l’île, et Arii-rahi des îles Huahiné, Tupuaï-manu et Raïateá, qui sont des terres flottant par-delà le ciel visible. Pour affirmer sa conquête dans la vallée Piraè, il en avait aboli tous les noms jadis en usage.
Car on sait qu’aux changements des êtres, afin que cela soit irrévocable, doit s’ajouter l’extermination des mots, et que les mots périssent en entraînant ceux qui les ont créés. Le vocable ancien de la baie, Vaï-été, frappé d’interdit, était donc mort à la foule. — Les prêtres seuls le formulaient encore, dont le noble parler, obscur, imposant et nombreux, se nourrit de tous les verbes oubliés.
Et Vaïraatoa lui-même n’était plus Vaïraatoa, mais Po-Maré, qui « tousse dans la nuit ». — Ainsi l’avait interpellé un chef de Taïarapu, par moquerie que l’autre eût rempli toute la « Nuit » du bruit de sa « Toux ». Le nom fut agréable aux oreilles de Vaïraatoa. Il le haussa à cette dignité de désigner un chef, puis en revêtit son fils…
« Niaiseries ! et la vantardise même ! » conclut Térii, que les maîtres de Papara prévenaient contre l’abus des plus nobles coutumes — surtout contre l’usage inopportun du Tapu-des-mots. « Po-Maré » n’était qu’un surnom de fille malade ! — Soudain, la pagaie racla le fond. La coque toucha.
— « Saute ! » cria Térii. Tétua prit pied sur le corail affleurant. La pirogue, allégée, courut jusqu’à la plage. Ils l’amarrèrent à de fortes racines, puis, au hasard, s’approchèrent d’un faré où l’on préparait le repas du milieu du jour. Un homme les aperçut et cria : — « Venez ici, vous deux, manger avec nous ! »
La bouche pleine, Térii questionnait très hâtivement son hôte : — « Où donc ? les hommes au nouveau-parler ? »
L’hôte se prit à rire, largement : vrai ! le voyageur ressemblait à tous les fétii, qui, depuis l’arrivée des étrangers, ne se tenaient pas plus tranquilles que les thons aux crochets des hameçons, et couraient de rive en rive, à la suite des nouveaux venus, les entouraient, les imitaient, s’efforçaient à parler comme eux : « Comme cela… en sifflant ! » L’homme rit plus fort et se tordit la bouche. Térii hasarda :
— « Tu as vu les étrangers, toi ? »
S’il les avait vus ! Des premiers, sur le rivage Atahuru ; — dont les gens sont pourtant fort empressés. On accoste sa pirogue au navire ; on saute à bord pour la bienvenue aux arrivants ; — aussi dans l’espoir de quelque échange… Des premiers ? Non. Le grand-prêtre de cette vallée avait usage de précéder toujours ses compagnons. Il tenait d’ailleurs son pahi tout équipé pour de telles aventures. Il l’ornait de feuillage, le chargeait de fruits, de nattes, de cochons et de femmes, et offrait généreusement toute sa cargaison. Le plus souvent, les étrangers le comblaient en retour… Son nom ? Haamanihi ; et son titre : du maraè-Uturoa. Mais le voyageur — que l’on reconnaissait aisément, au cercle tatoué sur la cheville, pour un haérè-po — n’ignorait pas un si grand personnage ?
Térii déclara, non sans quelque dédain, qu’il ignorait tous les prêtres de la rive Atahuru.
— « Hiè ! l’orgueil même ! » affirma plaisamment le conteur, qui reprit l’éloge de Haamanihi. C’était un vieil homme, éraillé d’ulcères et desséché par le jus enivrant du áva. Ses jambes se boursouflaient ; ses yeux blanchissaient ; il se prétendait aveugle. Cependant, il demeurait violent, robuste en ses désirs et ses haines, ingénieux, lucide et beau parleur. Les yeux malades restaient pénétrants et les pieds gonflés n’altéraient point la démarche qui dénonçait un arii. — Car jadis, il avait possédé la terre haute Raïatéa, d’où, chassé par les jaloux et les querelleurs, il s’était réfugié…
Le haérè-po sifflait avec mépris. Les jolis serviteurs que ces évadés de tous les récifs ! Le maraè Atahuru les accueillait sans dignité, et n’avait point d’autres desservants… La honte même !
— « Donc » poursuivait l’hôte, « Haamanihi songeait sans cesse — ayant épuisé la série des offrandes — aux moyens seulement humains de recouvrer son île. Les étrangers, — qui parlent des langages aussi divers que les couleurs des étoffes peintes pendues à leurs mâts, — les étrangers lui semblaient tous également favorables. Même les derniers venus, les hommes au nouveau-parler, qui, cependant… — Enfin il se hâta de monter sur leur pirogue, et il réclama le chef-du-pahi. Il ne lui flaira point le visage, en signe de bienvenue : mais, sachant le mode de salut habituel à ces hommes, il tendit la main droite, ouverte, en attestant sa grande affection : « Tu es mon parent, mon frère, mon fétii ! Tous les grands chefs venus ici ont été mes fétii ! Voici les marques de leurs promesses… » Il montrait une lame de fer, incrustée de signes comme une peau de prêtre. Il assurait que Tuti lui-même la lui avait confiée…
— « Hiè ! » fit Térii, « petite fierté ! » Dans la terre Papara, chacun possédait quelque dépouille étrangère, acquise sans peine. « Et le vieux en voulut d’autres, aussitôt ?
— Non ! il présenta quatre cochons forts.
— La ruse même ! Qu’est-ce qu’il reçut en retour ?
— Eha ! pas un clou. Le chef des étrangers repoussa les offrandes, en disant : « Ce jour est le jour « du seigneur ». On ne doit pas le profaner par l’échange de présents. »
— Quel est celui-là, le « seigneur ? »
— Un atua nouveau. Un atua de plus ! Haamanihi, non déconcerté, demanda « s’ils honoraient de la même sorte leurs autres esprits, durant les autres jours de la lune » ? L’étranger ne répondit pas quelque chose de croyable ; — ou peut-être, il ne pouvait pas répondre : ce langage piritané est misérable : il ne parle jamais que d’un seul dieu. On comprit cependant que ce jour consacré au « seigneur » se nommait « sabbat ». Haamanihi approuva avec adresse. « Bien ! bien ! le sabbat est tapu. Il est bon aux prêtres de lancer des tapu nombreux. Il est bon d’en surveiller la tenue. Tu es donc prêtre, toi ? » Non. Le chef étranger n’était pas un prêtre, ni aucun de ses compagnons ; seulement un envoyé du seigneur, lequel, affirma-t-il, ne réclamait point de prêtres.
Térii n’eût rien imaginé de pareil.
— « Ensuite, Haamanihi s’efforça d’obtenir un mousquet. Le chef blême refusa, bien que l’autre promît : « Je te protégerai contre tes ennemis sur le rivage. Je tuerai tous ceux qui ne serviront pas les dieux que tu as apportés. » Puis : « As-tu des femmes ? Il savait que plusieurs des étrangers possédaient une épouse ; mais une seule. Il cria sur ses pirogues. Six filles, toutes rieuses et nues, l’entourèrent. « Choisis ! » Le chef hésitait. « Prends-les toutes. Il est juste qu’un chef possède au moins six épouses. »
» L’étranger ne s’empressait point d’accepter. On le voyait interdit comme ces mâles auxquels un vénéfice a rendu l’enlacement inutile. Les femmes présentées s’enfuirent, devant l’insulte, avec beaucoup de rancœur. Elles entourèrent des gens de moindre importance qui les négligeaient aussi. L’une, enfin, s’irrita contre ces hommes indifférents aux belles coutumes. Elle se dépouilla et dansa le ori moqueur : Alué ! le tané est sourd…
» Un petit homme roux qui semblait inspiré par quelque mauvais esprit inférieur, proféra vers la femme des menaces — que nul ne put comprendre — et la déconcerta. Elle disparut derrière ses compagnes. L’autre ne se montra point satisfait, et il pourchassa les épouses d’offrandes. Puis il revint tout tremblant et tout bégayant.
» — Celui-là est véritablement un prêtre », s’affirmait Haamanihi, malgré que le chef blême eût déclaré non. On sait que la garde des tapu rend nécessaires, parfois, un vif courroux sacré, et des gestes qui seraient gestes d’enfant s’ils n’étaient point rituels, et par là, majestueux. « Sans nul doute, le corps des étrangers — ou certaine partie du corps — est interdit pour les femmes ? » Eh bien, l’on accueillerait cette autre coutume, — surprenante un peu — et l’on ne forcerait point à l’amour ces tané récalcitrants. D’ailleurs, Haamanihi ne restait pas à court dans sa générosité :
» — Si les filles te déplaisent, je t’abandonnerai quelques mauvais hommes que nous mettrons à mort, et que nous porterons au maraè. Car je bâtirai un autel de bienvenue à tes dieux. Nous ferons la cérémonie de l’Œil-offert… Donne-moi un mousquet ? »
» L’étranger ne parut pas entendre. Haamanihi se servait avec maladresse, du langage piritané. Il répéta sa demande, la portant de l’un à l’autre. On n’y prit garde ; car tous les habitants du navire, même les femmes étrangères, sortant de ses profondeurs, venaient se ranger sur le pont, en cercle…
— Pour danser, peut-être ? » interrompit Térii, qui jugeait bien morfondus ces hommes au nouveau-parler.
— « Eha ! pour danser ? » L’hôte se moqua :
— « Elles avaient des pieds de chèvres enveloppés de peaux d’animaux ; et le corps sans grâce et sans ampleur, serré dans des étoffes dures. Non ! pas une ne dansa. Les étrangers entonnèrent un péhé déplaisant, le chant monotone entendu déjà du rivage. Et comme nul ne répondait aux avances du grand-prêtre, Haamanihi regagna sa pirogue ; fort dépité de s’en aller avec des mains vides, après avoir tout offert. »
Le conteur s’arrêta. Ses yeux se fermaient. Avant de se laisser appesantir par le sommeil des heures chaudes, il demanda au voyageur :
— « Ton appétit est satisfait ?
— Je suis empli », répondit aimablement Térii. Et il éructa deux fois pour convaincre son hôte. Puis tous deux s’endormirent.
Mais, dès son réveil, le haérè-po s’impatienta :
— « Où sont-ils, enfin, ces étrangers ?
— Pas loin d’ici. Leur grande pirogue est amarrée dans la baie Matavaï, pour longtemps !
— Matavaï ! »
Térii connaissait, par les récits des Maîtres, la large baie hospitalière et libre, ouverte, sans récif, vers la mer extérieure, pour accueillir au hasard des vents tous les hommes blêmes aux labeurs mystérieux. C’est à Matavaï que le chef étranger Tuti, campé sur la rive, considérait les étoiles à travers un gros bambou jaune et luisant. Un jour il le dressa vers le soleil et dit au grand-prêtre Tupaïa, son fétii, que « l’étoile Taürua s’apprêtait à traverser la Face de Lumière ». Il ajouta que ce coup d’œil, sans plus, avait déterminé sa venue dans l’île ; que les savants Piritané, au moyen de nombres figurés par des signes et combinés entre eux, en concluraient combien de pas distancent du soleil la terre Tahiti : Tupaïa ne l’avait pas cru. Tupaïa savait pourtant ce qu’ignorent le reste des hommes, fussent-ils prêtres de rang premier. Mais c’était une idée grossière, une injure aux atua supérieurs : Taürua, petit astre vagabond, bien que la plus lumineuse des étoiles, ne franchit point la lumière de Oro. Un astre seul peut s’y perdre, qui renaît ensuite : et c’est Hina-du-ciel, la femme lunaire, l’impérissable femelle dans les cieux, qui parfois, s’approchant du Fécondateur, l’étreint, le mord, et l’obscurcit. Puis, songeait encore Térii, comment figurer un chemin que nul n’a jamais couru, sauf peut-être Hiro, placé depuis au rang des dieux ! Or, avant de toucher à la Baie de lumière, — qui est le séjour de Tané — Hiro avait dû franchir, par neuf fois, les voûtes du ciel, et traverser les neuf firmaments. Tout cela, Tuti n’aurait pu, même à travers le gros bambou jaune, l’entrevoir. Car son œil ne perçait point le premier ciel. Il n’est pas bon d’étendre aux espaces supérieurs les petites mesures des hommes qui piétinent les sentiers terrestres !
Térii, se frottant le visage, s’étira. Ayant confié sa pirogue à la femme Tétua, il se mit en route vers Matavaï.
Le sentier longeait d’abord le rivage, tournait vers les terres, ceinturait le flanc d’une colline en cheminant au travers des brousses. Soudain le regard du voyageur surplomba la mer houleuse qui battait le sable : Matavaï s’ouvrit. Un grand navire de couleur sombre, sans balancier, tanguait en tiraillant ses câbles. Des pirogues l’entouraient, serrées comme les poissons dans un banc ; et des gens affairés, en grande multitude, allaient et venaient sans cesse de la rive au bateau. Térii, déconcerté à la vue de ces inquiétantes manœuvres nouvelles, descendit vers la plage, et, défiant, se perdit parmi la foule.
Plus loin que le grand arc de la baie, au lieu même où Tuti, jadis, contemplait les astres, s’élevait un faré construit depuis une centaine de lunaisons, par d’autres étrangers. On le nommait déjà le faré Piritané. Un coup de vent l’avait décoiffé de sa toiture de feuilles ; mais les pieux énormes, consolidés à leur base de blocs de corail, avaient tenu ferme autant que des poteaux d’offrandes, et les palissades de planches habilement ajustées demeuraient impénétrables. Pomaré le fils en avait laissé l’usage aux nouveaux arrivants.
Les hommes blêmes s’empressaient autour de cette bâtisse. Ils descendaient en grand nombre du navire, débarquant des outils de fer brillant qui façonnent le bois comme une mâchoire écorce le uru ; ces haches effilées dont le tranchant vient à bout des plus gros arbres ; ces clous jaunes qui unissent, mieux que des tresses napé, les bordages de pahi. Térii s’étonnait que l’on confiât à des serviteurs d’aussi précieux instruments. Mais il s’indignait à voir ces serviteurs charger des fardeaux sur leurs têtes — et la tête est sacrée ! Quel mépris de soi-même nourrissaient-ils, ces hommes bas, pour s’infliger une aussi grave insulte !
Incessamment, les petites pirogues rondes et creuses, par où les étrangers atterrissent, retournaient au navire et s’emplissaient encore. Sans bruit ni confusion, avec des gestes adroits, chacun venait prendre, aux flancs du grand faré, sa part de travail : et chacun travaillait ! Autour d’eux, les serrant de près, les riverains considéraient avec étonnement ces gens blêmes, qui, depuis douze journées, persistaient dans leur œuvre.
— « Douze journées ! » Térii, incrédule, regarda l’interlocuteur. C’était un possesseur de terres, de corpulence noble, digne de foi. Sans perdre de l’œil les amusantes allées des hommes singuliers, il renseignait complaisamment le haèré-po :
— Tout d’abord, on leur avait offert main-forte, à ces étrangers agités. Les hommes robustes, ceux qui vont récolter les régimes de féï, roulaient, à leur intention, des troncs d’arbres. Les plus habiles façonneurs-de-coques, fiers de leur emploi, équarrissaient avec ardeur. Des manants tressaient les fibres du haari pour assembler la toiture, et des pêcheurs, courant sur le rivage, aidaient au déchargement des bateaux.
Ainsi le temps de deux journées. Vers la troisième nuit, on s’étonna que l’ouvrage ne fût point terminé. Puis on attendit des présents d’amitiés de ces gens-là qu’on avait traités en amis. Ils distribuèrent des grains brillants, des étoffes et des clous, mais réclamaient avec âpreté deux haches disparues. Haamanihi les rapporta : il les avait choisies, assura-t-il, pour les semer dans la terre, en offrande à Hiro : le Dieu les aurait fait germer. — Au cinquième jour, l’œuvre n’avançait plus. Les assistants défaillaient, et surtout l’enthousiasme. Puis les étrangers proposèrent deux pièces d’étoffes à chaque fétii. Personne n’en voulut. Mais eux-mêmes se démenaient davantage : « comme ils font toujours… », conclut le possesseur-de-terres.
Cependant, les riverains de Matavaï devisaient par petits groupes, mangeaient, regardaient, riaient, devisaient encore. — Térii se promit de les imiter durant une lunaison, pour surveiller à loisir les manœuvres hostiles. Mais tous ces entretiens laissaient fort indécis les pensers de ses entrailles.
Le soir tombait. Les étrangers, emportant leurs précieux outils, regagnaient la grande pirogue noire. Alors, à la fraîcheur de la brise terrestre, les interminables parlers nocturnes passèrent librement de lèvres en lèvres. On s’égayait des nouveaux-venus ; on marquait leurs gestes étroits et la rudesse de leur langage. Peu à peu les gens se coulaient au pied de la bâtisse, déroulaient des nattes et s’étendaient, non sans avoir palpé les recoins où découvrir peut-être quelque débris de métal dur, oublié. Des torches de bambous s’allumaient, dont les lueurs fumeuses allaient, dans le sombre alentour, jaillir sur la muraille blanche. Des femmes, accroupies sur les talons, les paupières basses, la gorge tendue, commencèrent à chanter. L’une, dont la voix perçait les autres voix, improvisait, sur les immuables mélodies, une parole neuve reprise avec entrain par ses compagnes. De robustes chœurs d’hommes épaulaient ces cris, marquaient la marche du chant, et prolongeaient sourdement, dans l’ombre, la caresse aux oreilles épanchée par les bouches harmonieuses : on célébrait les étrangers blêmes sur un mode pompeux à la fois et plaisant.
Dans un silence, Haamanihi harangua la foule. Il invitait à servir les hommes au nouveau-parler : — « Il serait bon de leur offrir de grands présents. Que les porteurs de féï devancent le jour, et montent recueillir des fruits ; qu’ils amarrent des cochons-d’offrande. En dépit d’autres dons les accepteront-ils, ces étrangers qui refusent des femmes ! Voici : dix hommes de la terre Papénoo marcheront à la montagne et rapporteront vingt régimes de féï. Dix autres hommes de la terre Arué pécheront avec des torches dans la baie. Quand les Piritané auront achevé leur faré-de-prières, et qu’ils sacrifieront à leurs atua, eh bien ! on redoublera les présents ! » Le chef de Papénoo se leva : — « Il est bon que dix hommes de la vallée courent avant le jour dans la montagne… » Un prêtre de Piraè haranguait ses compagnons. Dans la foule, des gens empressés criaient aussi : — « Il est bon de récolter du féï pour les étrangers… » Puis, un à un, les chants s’éteignirent. La nuit étendue, plus froide, coulant un alanguissement sur les visages, assourdit bientôt les parlers des vivants.
Des couples unis avaient trouvé refuge dans l’enceinte étrangère. Comme ils s’enlaçaient, leurs halètements de joie, frappant les sèches murailles, s’épanouirent dans l’ombre qui leur répondait. L’air immobile et sonore, enclos dans le grand faré vide, s’emplissait de murmures, de souffles, de sanglots et de râles qui sont les diverses petites voix de la volupté. Tout cela plaît à l’oreille des dieux, à l’égal des plus admirables discours. Car tout homme, quand surgit le désir de son corps, et quand il le nourrit, se hausse à la stature des dieux immenses ; et ses cris de plaisir consacrent autant que des cris de victimes : ce qu’ils imprègnent devient impérissable. Ainsi, selon les rites, on consacrait la demeure des dieux survenus.
Lorsque le jour parut, tout dormait, et toutes les promesses. Mais déjà s’éveillaient les étrangers et leur incessant labeur. Avant une demi-lunaison, le faré piritané s’ornerait peut-être de feuillages, de mâchoires et de plumes. Les étrangers le dédieraient à nouveau pour quelque esprit, avec des cérémonies qu’on ne peut imaginer… Térii se dressa parmi les premiers, car il redoutait de prolonger ses rêves au milieu de ceux-là qu’il avait maléficiés. Il tentait même à se dissimuler, quand, au sommet de la colline en surplomb, des messagers se dressèrent, agitant des palmes frémissantes : ils précédaient la venue de l’Arii. Le voyageur se retint pour épier tout ce qui s’en allait suivre.
Pomaré le jeune parut, porté sur les épaules de robustes serviteurs, qui, se relayant sous le noble fardeau, couraient sans trêve. Son épouse avançait de même, et comme le sentier dévalait très vite sous les pas des porteurs, on la voyait étreindre des genoux la nuque du manant, afin de ne pas vaciller en arrière. La foule s’écarta. Les messagers étalèrent des nattes. L’Arii prit pied, de la sorte, sans toucher la terre indigne.
Alors il dévisagea les hommes blêmes, qui lui rendirent tous ses regards. Ils s’étonnaient sans doute qu’un chef se montrât si différent des autres chefs, avec cette peau noirâtre, ces lèvres grosses, ce nez écrasé, et sans rien de la majesté d’allure coutumière aux vrais Arii de Papara ! — Nul ne parlait. On s’observait ainsi que des guerriers avant le premier coup de fronde. Pomaré considérait à la dérobée le navire. Haamanihi surprit sa curiosité, et tout aussitôt cria par noblesse, en langage tahiti :
— « Le grand Arii veut quitter ses demeures semblables aux Nuages, et voler, sur l’Arc-en-ciel, jusqu’à la pirogue étrangère. Ainsi l’ordonne le Tonnerre de sa voix. »
Puis il avoua — avec une moindre dignité :
— « Celui-là veut aller sur votre pirogue… »
— « Bien », dit le chef des étrangers, « qu’il nous accompagne là… » Il montrait un bateau creux et rond, fort petit.
— « Non ! » Les pieds sacrés ne pouvaient effleurer que la pirogue sacrée, l’Arc-en-ciel. Elle reposait au fond de la baie sous des abris frappés de tapu. À tout hasard, des pêcheurs en lancèrent une autre : il suffisait de la consacrer sous le même nom pour lui donner les mêmes prérogatives. Pomaré consentit à y prendre place. La femme suivit. Haamanihi ne quittait point ses amis. La foule nageait. Térii, comme les autres, filait sur l’eau.
Chemin faisant, l’un des étrangers questionnait assez naïvement le grand-prêtre. Il s’étonnait des vocables pompeux dont on use envers un chef.
Haamanihi le regarda longuement, non sans un mépris : — « Et toi, parles-tu vers tes maîtres avec la même voix que tu prodigues à tous les autres ? Homme ignorant, malgré que tu me paraisses grandement ingénieux ! — Mais tout ce qui regarde la majesté de l’Arii, ses membres, ses oreilles, la lumière de ses yeux, les moindres parties de son corps, ses vêtements, son nombril, sa démarche, ses actions, et les paroles de ses entrailles, et toute sa personne… mais cela exige des mots réservés à Lui seul ! Si tu le salues, ne dis pas « Aroha ! « comme au simple prêtre, mais « Maéva ! » Si tu fais sa louange, si tu le supplies, si tu le nommes heureux à la guerre et puissant auprès des femmes, même si tu le déclares menteur et lâche, tu dois employer le mot noble.
— Tu m’enseigneras donc les mots nobles, » répondit l’étranger avec douceur. Haamanihi réfléchit, le temps de pagayer trois ou quatre fois ; puis, sentant éveillé le bon vouloir de l’autre, il songeait à lui glisser une habile requête, à propos de ce mousquet… Mais on accostait le navire. Le chef étranger monta rapidement. La pirogue Arc-en-ciel louvoyait avec méfiance à quelques longueurs. On lui fit signe, elle vint ranger le flanc élevé : le grand Arii s’apprêtait à bondir vers le ciel, quand un bruit étonnant l’étourdit. Il retomba sur le balancier, stupéfait comme le manant frappé d’un coup de massue. Il se tenait tout prêt à sauter à l’eau, à fuir. La personne sacrée soufflait de peur.
Haamanihi le rassura, en criant que c’était là salut de bienvenue des étrangers vers le grand Arii : — « Ils disent que dans leurs îles on s’adresse de la sorte aux grands chefs, par la voix des gros mousquets.
— Bien ! Bien ! » reprit Pomaré. La crainte envolée, il s’enorgueillit d’être traité, par les arrivants, comme un maître en leur pays. Néanmoins il observa qu’un salut de ce genre — un seul — lui serait satisfaisant. Puis il monta pesamment à bord.
La troupe curieuse se répandit partout. On admira vivement que les profondeurs du navire pussent contenir tant de choses et tant d’hommes. — Mais, où donc se cachaient les femmes étrangères ? Elles n’apparurent que de loin, se distinguant aisément de leurs tané par les vêtements d’abord, leurs chevelures et leur maigreur. Immobile et grave, Pomaré considérait tous ces gens avec indifférence. Le chef étranger lui offrit de descendre dans le creux du bateau. L’Arii ne parut point y mettre de hâte. Il se refusait, sans doute, à courber la tête sous des planches assemblées… Mais son épouse, par un autre passage, l’avait précédé. Il entendait ses rires et ses paroles satisfaites, et se résolut à la rejoindre.
Pour fêter la présence de Pomaré, les étrangers répandaient avec largesse cette boisson qui brûle et rend joyeux. Eux-mêmes prétendaient s’abstenir. Peut-être en réservaient-ils l’usage à leurs rites solennels et secrets. Haamanihi n’ignorait point les merveilleux effets qu’on pouvait attendre de ce áva, plus rude et plus acre que tous les áva maori ; et il supplia pour en obtenir encore :
— « J’ai besoin de courage ! » affirmait-il, « de beaucoup de courage : j’ai deux hommes à tuer pour le sacrifice de cette nuit. »
Les étrangers frémirent en manifestant une stupide horreur. Mais Pomaré, gaîment, s’était emparé du vase allongé contenant la précieuse boisson :
— « Donnez-moi votre áva piritané… Nous sommes fétii, maintenant ! » On répondit :
— « Cette boisson-là n’est pas bonne pour les chefs ; elle rend malade ; elle trouble la vue et la démarche…
— Pas bonne pour les chefs ? Pas bonne pour les autres ? Je la boirai donc à moi tout seul, comme ceci. » Et Pomaré s’en emplit la bouche. Ses yeux roulaient et larmoyaient. Il toussa beaucoup, et soudain, frappa violemment de sa tête — semblable au faîte d’un mont — les poutres du navire ! Or, ses gens le considérant avec scandale, s’apprêtaient à calmer sa digne violence… le chef riait au contraire ! Puis il reprit une grande majesté, et gravit les degrés de bois — taillés pour un enfant — qui menaient au toit du bateau. Alors il désira danser un peu et commença le ori dans lequel on chante : Aué ! la femme est… mais Haamanihi l’arrêta :
— « Les Piliers de ton corps ne te porteraient pas ! Tu as bu le áva des étrangers. Prends garde ! Et dirige bien, où tu marches, les Éclairs de tes yeux ! Eha ! l’Arc-en-ciel ! » Déjà le chef avait sauté au hasard dans un pahi de manant, et il réclamait à voix forte :
— « Le salut ! Le salut ! comme aux Arii Piritané ! »
Il attendit avec défiance et fierté que la voix du gros mousquet tonnât de nouveau. Alors il s’étendit, comme ensommeillé, dans le creux de la pirogue. Son épouse pleurait de dépit : elle voulait dormir avec un prêtre étranger. Haamanihi, seul, qui n’avait pas bu selon la soif de son gosier, implorait encore, en s’en allant, « la boisson qui donne le courage… »
Puis, l’Arc-en-ciel, poussé par les pagayeurs du chef, gagna rapidement la terre. Le grand-prêtre, pour la seconde fois, s’irritait de ce navire mystérieux, inquiétant et paisible, où l’on n’obtenait même pas le áva brûlant ; il s’étonnait de ces prêtres à qui suffisait une épouse, et des atua inconnus dont ils se disaient les annonciateurs. Il les jugea néanmoins d’une puissance neuve, et capables de l’aider en la reconquête de ses biens : il résolut de les servir.