Les Imposteurs démasqués et les Usurpateurs punis/Le faux Moyse

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LE FAUX MOYSE, vers l’an 432.


Lisle de Crete étoit peuplée de Juifs au commencement du cinquieme siecle. Un d’entr’eux fut assez impudent pour publier qu’il était Moyse, que c’étoit lui qui avoit autrefois traversé la mer Rouge à la tête des tribus d’Israël, & que Dieu l’envoyoit de nouveau pour conduire son peuple au travers de la mer, dans la terre de Promission. Il parcourut en une année, toutes les villes de Crete, semant par-tout son imposture. Les Juifs animés par ses magnifiques promesses, le suivoient en foule avec leurs femmes & leurs enfans, & abandonnoient leurs possessions. À mesure qu’il avançoit, le nombre de ses sectateurs grossissoit toujours, & l’illusion acquérait un plus grand crédit sur l’esprit de ces insensés.

Le jour fixé pour le départ, il les conduit à la pointe d’un promontoire, & leur ordonne de se précipiter avec une pleine confiance, que les abîmes vont s’ouvrir, & leur laisser un chemin sec entre les eaux. On s’empresse, les plus dispos & les plus crédules franchissent le saut les premiers, & périssent les uns brisés par les rochers, & les autres engloutis dans les flots. C’en étoit fait de tout ce peuple, s’il ne se fût trouvé en ce lieu des pêcheurs, & des marchands chrétiens, qui retirerent des eaux quelques-uns de ces misérables, & chasserent les autres du rivage. Ceux qu’on avoit sauvés, étant enfin détrompés, désabuserent leurs camarades. On chercha l’imposteur qui ne se trouva point, & par une imagination moins dangereuse que la premiere, on se persuada que c’étoit un démon qui avoit pris la figure humaine. Un grand nombre de ces Juifs quitterent avec cette erreur celle de leur religion, & se convertirent au christianisme.

Les loix qu’on avoit faites contre eux contribuerent sans doute à cette conversion. Théodose fut celui qui porta les édits les plus séveres contre cette nation. Il commença par abolir une fête sacrilege, instituée chez les Juifs. Tous les ans, le 14 & le 15 du douzieme mois de l’année judaïque, nommée le second Adar, qui répond aux mois de Février & de Mars, les Juifs renouvelloient la mémoire du supplice d’Aman. Sous ce prétexte ils brûloient une croix pour insulter à la religion chrétienne. Cette profanation fut interdite sous des peines rigoureuses, & l’on menaça les Juifs de révoquer toutes les permissions qu’on leur avoit accordées, s’il osoient entreprendre au delà de ce qu’il leur étoit permis.

Théodose dans la suite fut obligé de faire plusieurs loix pour contenir ce peuple, toujours envenimé contre les chrétiens. Il voulut à la vérité qu’ils fussent à couvert de cette insulte, il défendit aux chrétiens de brûler, ou d’usurper leurs synagogues ; & comme on en avoit converti plusieurs à l’église, il fit donner des emplacemens pour les rebâtir.

Mais en même tems, il défendit aux Juifs d’en bâtir de nouvelles, de rien commettre contre le respect dû au christianisme, de faire des proselytes, d’acquérir par achat ou par donation aucun esclave chrétien. Il les déclara exclus de tout office soit militaire soit civil. Il abolit la dignité de patriarche qui avoit jusqu’alors résidé en Orient. Le patriarchat étoit héréditaire, le dernier qui le posseda, fut Gamaliel. Théodose appliqua au fisc le tribut que les sinagogues payoient chaque année à ce chef du Judaïsme, à la place duquel on établit un primat dans chaque province.

Les reproches de Saint Siméon Stylite obligerent dans la suite Théodose à révoquer la loi qui ordonnoit la restitution des synagogues usurpées sur les Juifs. Les chrétiens d’Antioche s’étant emparés d’une synagogue, & ayant reçu l’ordre de la rendre, le saint solitaire écrivit à l’empereur avec tant de force, que la loi fut annullée. On ajoute même que le préfet qui l’avoit rédigée fut déposé : ce devoit être Ascle Piodote, qui fut préfet d’Orient depuis l’an 423, jusqu’en 425. Ç’auroit été sans doute punir bien rigoureusement un conseil que la politique pouvoit justifier.

Ce détail qui n’est point étranger à cet article, prouve dans quel excès de mépris étoit tombée la nation Juive : elle le sentoit elle-même, & voilà pourquoi elle adoptoit les fausses idées, que de faux messies, & d’autres imposteurs pouvoient lui donner d’une délivrance prochaine.