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Les Industries chimiques au XIXe siècle/01

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LES
INDUSTRIES CHIMIQUES
AU DIX-NEUVIEME SIECLE

LE GAZ D'ECLAIRAGE
HISTOIRE ET PROGRES DE LA FABRICATION. - DEVELOPPEMENT INDUSTRIEL ET CONDITIONS ECONOMIQUES.

Péclet, Traité de l’Éclairage ; — Samuel Clogg’s, Practical and mechanical Treatise on the manufacture of Gas ; — Tréhuchet, Recherches sur l’Éclairage de Paris ; — R. D’Hurecourt, Éclairage au Gaz, etc., 1837-1863.

Il est peu de grandes cités autour desquelles ne s’élèvent aujourd’hui de vastes ateliers consacrés spécialement à la fabrication du gaz d’éclairage. Nul n’a pu contempler avec indifférence ces usines où s’accomplit, avec tant d’ordre et de régularité, toute une série d’opérations délicates au moyen d’appareils aussi variés qu’ingénieux. Et pourtant sait-on bien quels humbles et difficiles débuts ont précédé l’essor d’une industrie aujourd’hui si active et si puissante ? Née de nos jours et presque condamnée en naissant, la fabrication du gaz d’éclairage occupe en 1864 le sixième rang, et vient immédiatement après nos plus productives industries : l’exploitation de la houille, la métallurgie du fer, la construction des machines, la filature et le tissage, les sucreries indigènes et coloniales. Et ce n’est point seulement en France que cette fabrication a pris un développement si considérable ; c’est, à peu d’exceptions près, dans tous les pays de l’Europe, où elle a transformé de la façon la plus heureuse l’aspect nocturne des villes et merveilleusement accru les conditions de bon ordre et de sécurité. Une telle industrie, d’origine française, mérite assurément qu’on s’occupe à la fois de ses progrès et des applications si diversement intéressantes dont elle est devenue en quelques années le point de départ.


I

Tant qu’ils ne sont pas entièrement décomposés et réduits aux seuls élémens minéraux, tous les corps organisés d’origine végétale ou animale, les débris même de ces corps, donnent lieu par la calcination au dégagement de gaz et de vapeurs complexes. Les principes constitutifs, — carbone, hydrogène, oxygène et azote, — en formant alors des combinaisons nouvelles, — acides, alcalines ou neutres, — produisent toujours certains composés gazéiformes de carbone et d’hydrogène, certains gaz carbures qu’on peut regarder comme des sources de lumière artificielle. On les obtient en chauffant jusqu’au rouge, en vases clos, non-seulement les corps organisés, végétaux ou animaux, mais encore les anciens débris de ces corps enfouis au sein de la terre, les tourbes, les lignites, les schistes bitumineux, les différentes houilles dites grasses, flambantes et sèches. Il faut néanmoins faire une exception pour l’anthracite, la plus ancienne des houilles, qui, presque uniquement composé de carbone, ne peut par la calcination dégager en quantité sensible ces gaz carbures[1].

C’est en concentrant sa pensée sur l’observation de ces faits déjà introduits dans le domaine de la science qu’un ingénieur des ponts et chaussées, Philippe Lebon, créa vers la fin du dernier siècle la fabrication économique du gaz d’éclairage, obtenu par la décomposition des bois et des houilles. Cette belle invention produisit une vive impression sur le public, lorsque de 1785 à 1800 on la vit réalisée par l’apparition du thermolampe. Cet appareil d’une assez grande simplicité de construction, sorte de poêle muni de quelques accessoires, développait en effet à la fois, comme l’indique le nom même, la chaleur et la lumière. Un troisième résultat que ne révélait point la dénomination de thermolampe, c’était de produire en même temps soit du charbon de bois, soit de la houille épurée, fournissant un chauffage sans fumée à l’économie domestique. Complète en principe, l’invention fut pratiquée dans des expériences publiques sur plusieurs points de Paris. Lebon avait entrevu tout l’avenir de cette nouvelle industrie et se préparait à l’exploiter en grand. Il avait indiqué la production de l’acide pyroligneux par la distillation du bois, les moyens de purifier le gaz du bois et de la houille, et annoncé la possibilité de le transmettre dans des tubes souterrains jusqu’à de grandes distances, afin d’en disposer pour le chauffage ou pour l’éclairage public et privé. Si l’inventeur a échoué, c’est surtout parce qu’il s’est trop attaché à présenter son appareil comme applicable à la production, dans chaque maison, du gaz éclairant, de la chaleur et du charbon épuré. On a vu depuis lors la même idée fausse se reproduire fréquemment sans plus de succès[2].

Sauf quelques essais de peu d’importance, les choses en étaient restées là, et l’on eût pu croire la question abandonnée, lorsqu’en 1792 une première tentative heureuse fut faite à Londres par Murdoch. Ce ne fut néanmoins que dix ans plus tard, c’est-à-dire vingt-six ans après l’invention primitive, que Murdoch fonda une grande Usine pour l’éclairage au gaz des vastes ateliers de construction des machines à vapeur de Watt et Bolton, à Soho, non loin de Birmingham. Les succès, jusque-là contestés, de l’éclairage au gaz en Angleterre fixèrent dès lors l’attention du public français, et le préfet de la Seine s’en occupa un des premiers. Ancien élève de l’École polytechnique, le comte Chabrol de Volvic aimait à s’entourer de savans : Fourier, Poinsot, Cagniard de Latour, Darcet, étaient ses amis. Cette question de l’éclairage au gaz lui semblait avec raison d’une importance majeure pour les intérêts de la ville de Paris ; il la fit donc étudier à fond. Un appareil destiné à l’éclairage de l’hôpital Saint-Louis fut construit par ses ordres en 1812, et il servit aux nombreuses expériences qui, sous la direction d’une commission spéciale, devaient résoudre les principaux problèmes relatifs à la production, à l’épuration, à la distribution du gaz dans Paris, et surtout à l’économie du nouveau système comparativement à l’ancien mode d’éclairage par les lampes à huile[3].

Cependant vers 1813 Windsor forma une grande compagnie pour l’éclairage par le gaz de la ville de Londres, et bientôt la fabrication prit en Angleterre, si l’on peut s’exprimer ainsi, son aplomb manufacturier. Les choses avaient marché moins vite chez nous, et cette industrie n’offrait que des avantages douteux, lorsqu’en 1820 le gouvernement fit établir, sous la direction de Pauwels, une usine destinée à l’éclairage du palais du Luxembourg, dans une ancienne église dépendante autrefois du séminaire Saint-Louis et située près de la rue d’Enfer, derrière la fontaine de Médicis. Cette usine introduisit l’emploi du gaz dans le théâtre de l’Odéon. Ce fut le premier exemple de ce mode d’éclairage dans un théâtre. L’usine dite du Luxembourg, après avoir fonctionné régulièrement pendant douze ans, fut supprimée en 1833. Peu de temps après, le même ingénieur manufacturier Pauwels, gérant de la Compagnie française, fondait deux grandes usines, l’une à Vaugirard, l’autre faubourg Poissonnière, à Paris ; MM. Manby et Wilson, directeurs de la Compagnie anglaise, en élevaient une à la barrière de Courcelles. Cinq autres établissemens importans furent ensuite formés par autant d’associations sous les noms suivans : Compagnie parisienne, Compagnie royale, Compagnie Lacarrière, Compagnie de l’Ouest, Compagnie Payn. Depuis 1850, toutes ces vastes usines ont été réunies en une seule et puissante administration générale, la Compagnie parisienne. Disposant d’immenses moyens d’action, affranchie d’ailleurs des entraves que rencontraient les établissemens rivaux dans la distribution du gaz sur des périmètres distincts, la Compagnie parisienne a donné à la production un développement rapide en harmonie avec les remarquables progrès du nouveau système d’éclairage dans les divers pays de l’Europe. Bien peu d’industries ont déterminé un pareil mouvement d’inventions[4], et, si l’on passe de l’histoire de nos usines aux travaux qui s’y accomplissent chaque jour, on verra que bien peu d’industries aussi appelaient sous des formes plus diverses et plus délicates le concours de la science.

Un court exposé des lois théoriques qui président aux conditions du développement économique de la lumière artificielle est un préambule indispensable à une étude sur la fabrication du gaz. On doit remarquer tout d’abord qu’au point de vue théorique de la production de la lumière, il n’y a qu’une différence bien légère entre les substances solides (cire, suif, spermacéti, paraffine) et les huiles. En effet, si ces dernières substances sont toujours à l’état fluide dans les lampes, les premières, avant la combustion, se liquéfient à la partie supérieure des bougies ou chandelles allumées. Dans les deux cas, la substance arrive liquide au contact de la mèche. Or, à cet instant, la matière liquéfiée s’infiltre par capillarité entre les fibres textiles, absolument comme la matière oléiforme ; elle s’approche également de la flammé, et dès lors, sous l’influence de la forte chaleur qu’elle éprouve, se transforme en gaz et vapeurs qui, en brûlant, développent la flamme lumineuse.

La démonstration expérimentale de ces phénomènes est à la portée de chacun. En effet, si l’on approche une allumette enflammée de la traînée blanchâtre de vapeur globulaire exhalée d’une bougie qu’on vient d’éteindre à l’instant, cette traînée entre aussitôt en combustion à une distance assez grande de la mèche, et rallume la bougie. On voit donc que, dans tous les modes usuels d’éclairage, la flamme est engendrée soit par les gaz et vapeurs formés dans les appareils des usines, soit par de semblables produits gazéiformes que dégage la haute température aux approches des parties de la mèche où s’opère la combustion. En dernière analyse, ces flammes sont toujours le résultat de la combustion des produits gazéiformes ; mais comment la flamme devient-elle plus ou moins éclairante dans l’acte de la combustion ? À cette question, la réponse est facile, si l’on prend pour base la théorie émise par Humphry Davy, en y ajoutant quelques données plus récemment acquises à la science. Ainsi complétée, cette théorie rend même compte des variations considérables observées entre les quantités de lumière obtenue de la même substance, suivant les circonstances où la combustion a lieu.

Lorsque par exemple ces gaz et vapeurs sont allumés au sortir d’un bec, les parties extérieures de la flamme qu’ils produisent, brûlant au contact de l’air, forment avec l’oxygène atmosphérique des composés gazeux, — la vapeur d’eau et le gaz acide carbonique, — tous deux invisibles, par conséquent dépourvus de pouvoir éclairant ; mais dans l’intérieur de la flamme, où l’air n’a pas accès, les choses se passent tout autrement. L’effet seul de la chaleur suffit pour séparer de l’hydrogène, resté à l’état gazéiforme, le carbone ou charbon à l’état solide, en très fines particules, comme une sorte de poussière. Chacune de ces particules solides, immédiatement portée à une haute température, émet des rayons lumineux à la manière de tous les corps solides fortement chauffés. Il en est ainsi des divers objets en poterie ou porcelaine dure dans les fours au moment de la cuisson au grand feu, et dont les yeux ne sauraient supporter l’éclatante lumière, si l’on n’en affaiblissait l’intensité par l’interposition d’une lame de verre teinte en bleu. Telle se montre encore une barre de fer chauffée au blanc soudant, et dont la très vive lumière blesse les regards au moment où on la retire du feu de la forge ; telles sont enfin les parcelles enflammées étincelantes qui s’échappent de l’acier en combustion dans le gaz oxygène.

Quelle que soit donc la substance, solide, liquide ou gazeuse, communément employée pour l’éclairage, la cause de la lumière ainsi produite est la même, et chacune de ces substances se trouve toujours aussi à l’état de gaz au moment où, par la combustion, elle engendre une flamme. Enfin la lumière artificielle est toujours due à la présence des particules charbonneuses précipitées dans l’intérieur de la flamme. La quantité de lumière émise est donc proportionnée à la quantité de ces particules de charbon qui rayonnent simultanément comme autant d’astéroïdes microscopiques suspendus dans le courant ascensionnel de la flamme éclairante.

Des expériences curieuses, faciles à répéter, offrent une élégante démonstration de cette théorie fondamentale. Que l’on insuffle par exemple dans la flamme d’une bougie un mince courant d’air avec le bec du chalumeau en usage dans les laboratoires, au moment même la flamme perd tout son éclat, parce que le carbone, brûlé simultanément avec l’hydrogène, disparaît sans laisser en suspension ses particules solides éclairantes. Cependant alors la température s’est élevée davantage, car si l’on présente au dard horizontal de la flamme, devenue pâle et bleuâtre, un corps solide réfractaire, il s’échauffera promptement au rouge vif, et deviendra lumineux à son tour. C’est ainsi que l’on a pu produire une éclatante lumière à l’aide d’un courant de gaz oxy-hydrogène enflammé projeté sur un globule de chaux. On a même fondé sur cette méthode un éclairage spécial, sans autre matière combustible que le gaz hydrogène obtenu de la décomposition de l’eau par le fer ou le charbon chauffé au rouge. Au-dessus d’un bec alimenté par ce gaz, et dans la flamme isolément dépourvue de pouvoir éclairant, on fixait par un support un léger réseau cylindrique en fil de platine ; presque aussitôt ce petit manchon métallique, s’échauffant au rouge clair, développait une lumière brillante, douce et tranquille, mais moins économique en somme que celle du gaz de la houille[5].

Si l’on élevait au-delà des limites ordinaires la température, en activant la combustion par le tirage que peut produire une haute cheminée en verre posée sur un bec de gaz, la flamme aussitôt deviendrait plus blanche et jetterait un plus vif éclat. La lumière de la flamme peut ainsi être doublée à volume égal ; mais comme le volume réel de cette flamme, par la combustion rapide, se trouve amoindri des quatre cinquièmes, il en résulte une perte nette des deux cinquièmes environ de l’intensité lumineuse totale ou de la quantité primitive de lumière. Par une série d’expériences dont les détails ne sauraient trouver place ici, je suis arrivé à cette conclusion, que le maximum de lumière économiquement réalisable correspond à une combustion tellement bien ménagée à l’aide d’un accès d’air convenable et d’une vitesse modérée, qu’une quantité déterminée de gaz donne le plus grand volume possible de flamme, sans toutefois laisser échapper ni gaz, ni carbone non brûlé. Péclet, le savant et regrettable professeur de physique industrielle à l’École centrale des arts et manufactures, ayant constaté des faits semblables pour l’éclairage avec l’huile brûlée dans des lampes, on a dû considérer comme très générale cette théorie qui peut être encore formulée en ces termes : la quantité de lumière produite par une flamme est proportionnée à la quantité et à la température des particules charbonneuses en suspension dans cette flamme.

Tels sont, pour la production des gaz d’éclairage, les principes indiqués par la science : il faut rechercher encore si, en se conformant à ces principes, on arrive à une production économique. Dans l’état actuel de l’industrie, le moins dispendieux de tous les moyens connus de fabriquer la lumière, c’est en général la distillation de la houille, car on obtient ainsi, outre le gaz, plusieurs produits accessoires longtemps négligés ou au-dessus des besoins de la consommation, mais qui tous aujourd’hui ont un emploi utile, grâce à d’ingénieuses innovations. Il est toutefois des pays où la houille est loin de présenter les mêmes avantages, les contrées par exemple de l’Allemagne et de la Russie où, dans l’état actuel des moyens de transport, les bois résineux fournissent à plus bas prix le charbon, le gaz et le goudron. Il en serait de même sans doute de la Pensylvanie et du Canada, où les sources abondantes d’huile de petroleum[6] offrent une matière éclairante d’un usage très économique, soit employée directement dans des lampes spéciales, soit transformée en gaz.

Les espèces de houille propres au développement des gaz éclairans sont assez variées. Dans les usines, on accorde la préférence, comme présentant le plus d’avantages, aux houilles grasses à longue flamme, par exemple à celles qui sont connues sous les noms de houilles de Mons et de Commentry et au cannel-coal du Lancashire. Quant aux houilles grasses dites maréchales, plus fusibles, qui s’agglomèrent dans la combustion et forment voûte sous le vent du soufflet, elles sont surtout employées par les forgerons.. On en trouve le type en France à Rive-de-Gier et en Angleterre à Newcastle.

Il ne reste plus aujourd’hui le moindre doute sur les conditions à remplir pour extraire des houilles et du cannel-coal le plus grand volume d’un gaz doué du plus fort pouvoir lumineux, ou, en d’autres termes, d’obtenir d’une quantité donnée de houille le maximum de lumière. Il faudrait que dans le vase distillatoire (cornue cylindrique en fonte moulée ou construite en terre à creuset) toutes les parties de la masse de houille fussent simultanément chauffées au rouge cerise clair, correspondant à la température de 1,000 degrés. À cette température, la décomposition, qui s’opère en vase clos, produit le plus grand volume de gaz riches en hydrogène bicarboné et en carbures très volatils ; mais en chauffant, — comme on l’a fait jusqu’à ces derniers temps, — les cornues à ce degré, convenable pour les parties de la houille qui touchent les parois du vase distillatoire, on laissait les portions plus centrales, graduellement atteintes par la chaleur, trop longtemps soumises aux températures inférieures qui font passer à la distillation beaucoup plus de vapeurs huileuses et goudronneuses que de gaz riche en carbone. D’un autre côté, on avait à craindre, si l’on portait plus haut la température, de décomposer les vapeurs et gaz éclairans en les forçant ainsi à déposer leur carbone dans la cornue : on savait effectivement par expérience que lorsque le gaz ordinaire d’éclairage passe lentement dans un tube assez long, chauffé au rouge vif, la plus grande partie du carbone, véritable source de la lumière, se dépose sur les parois de ce tube, et il n’arrive à l’autre extrémité que de l’hydrogène privé de carbone, dépourvu par conséquent de pouvoir lumineux. Toutefois, mettant à profit la propriété bien reconnue qui offrent les cornues en argile, généralement en usage aujourd’hui, de résister mieux à la chaleur que les cylindres en fonte, exclusivement employés naguère, on a essayé dernièrement d’opérer à une température plus élevée (1, 200° environ). La distillation dès lors est devenue plus rapide, et cette rapidité même s’est trouvée suffisante pour éviter un trop long contact avec les parois rougies, en conservant ainsi au gaz presque tout son carbone et son pouvoir éclairant. D’ailleurs une brusque distillation régularise la température, grâce aux courans gazéiformes qui traversent la masse demi-fondue ; elle produit, en somme, un gaz de meilleure qualité et présente en outre cet avantage, que, la durée totale de chaque opération se trouvant amoindrie, on peut pratiquer une ou deux opérations de plus en vingt-quatre heures dans toutes les cornues de chaque fourneau.

À ce moment même de la fabrication, plusieurs problèmes inté ressans restent encore à résoudre. On est, il est vrai, parvenu à rendre l’extraction du coke incandescent, résidu de chaque opération, plus prompte et moins pénible en le faisant tomber directement, au sortir des cornues, dans un sous-sol largement ventilé, où l’on achève de l’éteindre par aspersion au moyen d’un tube flexible terminé par une pomme d’arrosoir. C’est là une amélioration heureuse dans l’intérêt de la santé des ouvriers[7] ; mais il y a encore des inconvéniens à faire disparaître. Après le déchargement des cornues, la haute température qu’elles ont acquise, et qui est utile tout à la fois au succès de l’opération suivante et à l’incinération de la couche interne de charbon, très adhérente aux parois, n’en a pas moins de sérieux inconvéniens lorsqu’il faut procéder à un nouveau chargement. En effet, la longueur des grandes cornues à section elliptique dépasse 4 mètres, et chacune d’elles doit recevoir à la fois par les deux extrémités une charge de 200 kilogrammes de houille. Or, malgré la force et l’adresse des ouvriers, il s’écoule quelques minutes avant que le chargement soit complet et que les obturateurs en tôle fermant les deux ouvertures aient pu être solidement fixés. Pendant cette difficile manœuvre, la décomposition de la houille commence, et il se dégage en pure perte un volume considérable de vapeurs fuligineuses et insalubres. En outre la surabondance du dégagement gazeux, continuant après la fermeture des cornues, entraîne beaucoup de goudron et de poussières charbonneuses. Ainsi se produisent dans les premiers tubes de dégagement des obstructions qui déterminent des fuites par tous les joints. On entrevoit bien les moyens d’améliorer cet état de choses, mais il reste à faire sur ce point de sérieuses et importantes études.

Les doubles cornues dont nous venons de décrire le service sont établies au nombre de sept sous une des voûtes de chaque four : chauffées par un seul foyer, elles produisent en quatre heures environ 350 mètres cubes de gaz, ce qui correspond à une production moyenne de 2,100 mètres cubes en 24 heures. Chaque massif de maçonnerie, renfermant 10 fours semblables, peut donc produire journellement 21,000 mètres cubes de gaz, alimentant (pour une consommation journalière de 625 litres par bec durant 5 heures) 33,600 becs, donnant chacun une quantité de lumière égale à celle d’une lampe carcel qui brûlerait 42 grammes d’huile par heure ou 210 grammes en 5 heures[8].

Un remarquable perfectionnement appliqué, il y a un an à peine, avec succès semble devoir se généraliser et procurer à la Campagnie parisienne une économie d’un tiers du combustible. Le point de départ de cette heureuse innovation est une pensée émise à peu près simultanément par Ebelmen, enlevé récemment à la science, et par M. Laurens, ingénieur de l’École centrale. M. Siemens a su depuis réaliser cette pensée à l’aide de dispositions spéciales pour le chauffage des fours de verrerie et des usinés à gaz : on fait brûler la houille ou le coke avec une quantité d’oxygène inférieure de moitié à celle qu’exigerait la combustion complète. On engage ainsi le charbon dans une combinaison gazeuse, oxyde de carbone, combustible elle-même, et donnant à volonté par un nouvel accès d’air atmosphérique une flamme bleue capable de transmettre quatre fois autant de chaleur que la première quantité produite par la formation de l’oxyde de carbone[9]. Cette flamme volumineuse, dirigée sous chacune des voûtes, supprime le foyer, qu’on remplace par une huitième cornue ; elle donne un chauffage régulier en enveloppant les huit vases distillatoires. Dès lors les ateliers ne sont plus embarrassés par les amas de combustible ni par le service des foyers anciens, car la production du gaz oxyde de carbone destiné au chauffage a lieu dans des fours spéciaux que l’on établit à une distance variable à volonté de l’atelier de distillation. Cette méthode nouvelle permet le facile emploi des houilles ou cokes de qualité inférieure contenant de fortes proportions de matières terreuses. La disposition des appareils, qu’il nous reste à décrire, n’est d’ailleurs pas changée ; les perfectionnemens nouveaux sont indépendans de ce mode particulier de chauffage économique.

Comme autrefois, à chaque extrémité des cornues, un tuyau de fonte vertical, ascendant, puis recourbé en siphon, conduit le gaz vers un barillet commun. C’est un gros tube horizontal, en tôle ou en fonte, d’environ i mètre de diamètre, d’abord à moitié rempli d’eau, qui, bientôt évaporée, se trouve remplacée par le goudron le moins volatil, entraîné par le courant gazeux et condensé au pas-age. La plus importante fonction du barillet, outre le premier refroidissement du gaz, consiste à prévenir, par la couche liquide qu’il force le gaz à traverser, toute communication des cornues entre elles, et à isoler ainsi les fuites de gaz et les explosions partielles que la fracture accidentelle d’une cornue pourrait occasionner. Sortant du barillet, le gaz, très chaud encore et impur, est dirigé vers des appareils réfrigérons et épurateurs. Ce sont d’abord des séries de tubes dressés à l’air libre et refroidis à volonté par un courant d’eau, entre lesquels on distribue le gaz, animé d’une vitesse de 2 à 3 mètres par seconde, qu’une pompe aspirante lui imprime[10]. Dans cette première circulation, le gaz rencontre une surface refroidissante égale à 10 mètres carrés pour 1,000 mètres cubes. La même pompe refoule successivement le gaz dans de vastes colonnes creuses, hautes de 12 à 15 mètres, remplies de coke en fragmens peu volumineux, où le gaz, par l’effet du refroidissement et des lavages, laisse déposer la plus grande partie du goudron et des sels ammoniacaux[11]. Après cette première épuration toute physique, le gaz contient encore des composés ammoniacaux, des hydrocarbures très volatils, du gaz oxyde de carbone et de l’hydrogène sulfuré (acide sulfhydrique, formé de soufre et d’hydrogène et répandant une odeur infecte). Il est alors dirigé par la pression acquise dans deux séries de larges caisses en tôle, munies de trois étages de filtres chargés d’une couche épaisse de sesquioxyde de fer hydraté, au travers desquels il passe successivement.

Durant cette filtration multiple, le gaz sulfhydrique est décomposé : le soufre se dépose à mesure que l’hydrogène s’unit avec une partie de l’oxygène du peroxyde métallique, laissant engagés dans les interstices, outre le soufre éliminé et l’eau produite, inodores tous les deux, des essences sulfurées à odeur nauséabonde, enfin quelques composés qui se prêtent à diverses applications. Le gaz, après cette épuration et à la sortie de la deuxième série des filtres à l’oxyde de fer[12], se trouve débarrassé du principal composé infect. On s’en assure en dirigeant pendant quelques minutes un mince filet de ce gaz sur un papier blanc imprégné d’acétate de plomb. Si le gaz est suffisamment pur, le papier reste blanc ; lorsque au contraire l’épuration est imparfaite, le papier devient brun, car le soufre de l’hydrogène sulfuré, s’unissant au plomb de l’acétate, forme un sulfure de plomb noir, opaque[13]. Dans ce cas, on doit diriger le gaz vers un dernier filtre épurateur contenant de l’oxyde neuf ou revivifié. Après toutes ces épurations, le gaz, retenant encore des hydrocarbures à odeur forte, est envoyé aux gazomètres, qui continuellement l’emmagasinent pour le répartir jour et nuit dans les tubes de distribution et les becs des ateliers, laboratoires, théâtres, voies publiques et habitations, où il sert, soit au chauffage soit à l’éclairage. Avant d’indiquer divers perfectionnemens dans la construction des gazomètres, des appareils régulateurs, des compteurs de gaz et des becs usuels, il est une particularité de l’épuration économique du gaz sur laquelle on nous permettra d’entrer dans quelques détails, car elle a un haut intérêt pour les populations agglomérées dans le voisinage des usines. Avec le développement qu’a pris la production du gaz, il y a là une question de salubrité publique d’une véritable gravité.

On vient de voir comment le gaz s’épure en traversant le peroxyde de fer hydraté, mais on comprend sans peine que celui-ci perd graduellement sa propriété désinfectante à mesure qu’il cède de l’oxygène et se réduit à l’état de protoxyde de fer, composé inerte à l’égard de l’hydrogène sulfuré. On parvient dans les usines à lui rendre sensiblement son énergie première en l’exposant pendant quelques heures à l’air atmosphérique, sur les dalles d’un vaste hangar, en couches peu épaisses et dont on renouvelle de temps à autre les surfaces. Dans ces conditions, l’oxygène de l’air, assez promptement absorbé, transforme le protoxyde de fer humide en peroxyde hydraté, prêt à servir de nouveau à l’épuration du gaz, Cette sorte de revivification naturelle est évidemment fort avantageuse pour l’industrie du gaz, mais elle a de graves inconvéniens pour le voisinage : cette matière poreuse, au moment où elle est extraite des caisses d’épuration, se trouve sursaturée d’hydrogène sulfuré et surtout d’huiles empyreumatiques très volatiles, à odeur forte très désagréable ; les courans d’air utiles à la revivification ou pour mieux dire à la réoxydation, emportant la plus grande partie de ces produits infects, volatils ou gazeux, répandent aux alentours, dans la direction des vents, une odeur nauséabonde qui s’ajoute aux émanations des vapeurs pyrogénées sortant des cornues à chaque enfournement successif.

Ces inconvéniens, dès longtemps signalés à la sollicitude de l’autorité administrative, ont fait décider en 1855 la translation hors de Paris des quatre usines à gaz existant alors dans son enceinte ; mais à peine étaient-elles reconstruites sur une plus vaste échelle, dans les conditions qui leur étaient assignées, qu’une autre mesure, ajournée jusqu’alors, a reculé les limites de la capitale jusqu’aux fortifications. Dès lors quatre des six usines à gaz, renfermées dans l’enceinte ainsi agrandie de la ville, ont vu surgir autour d’elles une foule de constructions, dont le nombre augmentera nécessairement de jour en jour avec le développement de la population. D’un autre côté, cette situation, s’aggravera encore par l’extension immense de la production. En effet, tandis que dans un intervalle de quatorze années, de 1848 à 1862, la population de Paris, en y comprenant celle du territoire annexé, ne s’était guère accrue que de moitié, la consommation du gaz se trouvait quintuplée[14]. En présence d’une semblable progression, il est temps d’aviser, car on peut prévoir que, dans un avenir peu éloigné il n’y aurait pas un seul arrondissement de Paris absolument à l’abri des émanations de ces usines.

Il n’y a que deux moyens pour résoudre complètement cette question : ou transporter les usines à gaz en dehors de la ligne des fortifications et même de la nouvelle banlieue, ou bien détruire dans le sein de chaque usine la cause principale des émanations infectes.

Un exemple qui nous est fourni par l’Angleterre semble indiquer la voie à suivre pour arriver à une solution favorable. On a vu comment la réoxydation à l’air libre des oxydes de fer était actuellement la principale cause des émanations. C’était là également le sujet des plaintes des habitans domiciliés autour d’une grande usine établie presque au centre de la Cité de Londres. En de pareilles occasions, chez nos voisins, on ne s’adresse guère à l’autorité administrative, qui laisse volontiers les parties s’entendre entre elles, et d’ordinaire celles-ci s’arrangent en effet, au moins devant les tribunaux. C’est qu’aussi les Anglais ont généralement l’habitude, assez commode d’ailleurs, d’évaluer en argent les préjudices de toute nature. Telle fut en effet la première solution du litige entre les voisins de l’usine à gaz de la Cité de Londres et la compagnie d’éclairage ; mais bientôt les indemnités, en se multipliant, menaçaient d’absorber tous les bénéfices. Devenus plus industrieux sous le coup d’une nécessité suprême, les directeurs de l’usine trouvèrent un procédé simple d’affranchir leur entourage des émanations nuisibles tout en se libérant des lourdes indemnités que dans le principe ils avaient dû subir.

Après avoir recueilli ces premiers renseignemens en 1850, dans le cours d’une mission en Angleterre, je m’empressai d’aller examiner dans l’usine de la Cité de Londres les dispositions nouvelles qui avaient amené un si heureux résultat. Elles étaient des plus simples. Au lieu de laisser les oxydes ferrugineux exhaler spontanément les gaz et vapeurs à l’air libre, on maintenait ces résidus en vases clos, et l’on faisait succéder à la filtration du gaz, dont l’arrivée était momentanément interrompue, une filtration forcée d’air atmosphérique : celui-ci, en opérant la réoxydation utile, entraînait avec lui les gaz et vapeurs au travers d’un large foyer chargé de coke incandescent. Ces produits infects et combustibles, hydrocarbures et acide sulfhydrique, brûlés à cette haute température par l’excès d’oxygène de l’air qui les avait entraînés, se trouvaient aussitôt transformés en eau, acide carbonique, etc., et aucune odeur sensible ne s’en dégageait. Dès lors le préjudice causé au voisinage disparaissait, et avec lui les lourdes indemnités imposées à la compagnie. Si l’on adoptait chez nous cette méthode, on parviendrait probablement à en rendre l’application plus économique. Il suffirait d’utiliser la chaleur développée dans le foyer désinfectant pour le chauffage des générateurs. On pourrait, après quelques études expérimentales, organiser un système de canalisation amenant à volonté, par des valves faciles à manœuvrer, les courans d’air chargés des produits gazeux et volatils de cette épuration aux divers foyers de l’usine.


II

Le gaz d’éclairage, une fois produit, commence une autre série de travail : il s’agit de le faire circuler dans les villes et de le distribuer.

Une disposition spéciale, généralement appliquée en France et en Angleterre, est l’installation dans un pavillon isolé d’un double compteur de gaz, interposé entre les derniers épurateurs et les gazomètres. En jetant un coup d’œil sur les indications transmises, à l’aide de roues d’engrenage, par l’arbre horizontal du compteur aux aiguilles de plusieurs cadrans, on connaît à chaque instant le volume du gaz envoyé en douze ou vingt-quatre heures au gazomètre. Il suffit de comparer ensuite ce volume avec les quantités de houille soumises à la distillation pour s’assurer du rendement normal ou constater les déperditions et y remédier.

De semblables compteurs (également accompagnés d’indication de pression), interposés entre les gazomètres et les larges conduites qui livrent passage au gaz expédié aux consommateurs, permettent de comparer le volume du gaz emmagasiné dans les gazomètres avec celui qu’indiquent les compteurs de sortie, et de s’assurer ainsi qu’aucune déperdition anormale n’a eu lieu, soit à la surface de la cloche du gazomètre, soit par les joints ou fissures des conduites intermédiaires.

Enfin, entre les compteurs de sortie et les divers points d’arrivée du gaz, les fuites se trouvent signalées dès que le volume expédié aux consommateurs dépasse notablement les quantités nécessaires. C’est alors dans le parcours des conduites principales, des embranchemens et des tubes de distribution qu’il faut rechercher les fuites. On les trouve en interceptant par des valves, de proche en proche, la communication, jusqu’à ce que l’on ait rencontré l’intervalle où se manifeste la déperdition.

Quant aux gazomètres eux-mêmes[15], les améliorations principales consistent dans une ingénieuse disposition inventée en France par Pauwels, puis généralement adoptée en Angleterre. Cette modification consiste à maintenir l’immense cloche en tôle par deux longs tubes articulés, l’un introduisant, l’autre évacuant à volonté le gaz, et se prêtant tous deux, comme d’énormes bras flexibles, aux mouvemens tantôt ascendans, tantôt descendans, de ces vastes réservoirs mobiles, à mesure qu’ils s’emplissent ou qu’ils se vident. Les gazomètres ainsi disposés ont été d’année en année construits sur de plus grandes dimensions. Ils ont atteint chez nous un diamètre de 37 mètres et une hauteur de 15 mètres environ ; ils contiennent à peu près 15,000 mètres cubes. En Angleterre, ces dimensions se trouvent encore dépassées : j’en ai vu plusieurs ayant 50 mètres de diamètre, 24 mètres de hauteur, chacun d’eux offrant une contenance de 28,000 mètres cubes. En tout cas, les cloches des gazomètres construites d’après ce système ne sont plus équilibrées sur des contre-poids : soulevées naturellement par le gaz, qui pèse, moitié moins que l’air atmosphérique, on les surcharge une fois pour toutes d’un poids tel que le gaz en reçoive la pression, — variable suivant les différences de niveaux entre l’usine et les points d’arrivée, — suffisante en tous cas pour vaincre les résistances de frottement dans les tubes et les quelques centimètres d’eau que le gaz traverse dans les nombreux compteurs indiquant les volumes dépensés par chaque consommateur. Profitant d’ailleurs de l’excès de pression dont on dispose maintenant à volonté dans toutes les usines depuis l’installation des pompes aspirantes et foulantes Mlles par des machines à vapeur, on a partout aussi supprimé les contrepoids naguère adaptés aux cloches des gazomètres, et l’on a fait disparaître du même coup les chances d’irrégularité dont les chaînes de suspension et les poulies de renvoi étaient fréquemment la cause.

Nous ne saurions quitter ce sujet sans dire un mot des graves embarras qu’occasionnent parfois aux entreprises d’éclairage au gaz et aux propriétaires du voisinage les citernes des gazomètres. On construit en général ces immenses réservoirs en maçonnerie épaisse, douée d’une résistance proportionnée aux pressions inégalement contre-balancées qu’elles reçoivent de l’eau intérieure, et à l’extérieur de la poussée des terres. Toutefois il arrive souvent que, sous le fond de la citerne, le sol, trop peu résistant sur quelque point, cède à l’énorme charge, et, pour peu qu’il fléchisse, détermine dans la maçonnerie des fissures par lesquelles l’eau s’infiltre dans les terres environnantes. Dès lors se trouve de plus en plus compromise la solidité de la massive construction, qui bientôt exige des réparations difficiles et coûteuses. Parfois, avant que l’on ait pu reconnaître les fuites et procéder aux réparations, le liquide s’échappe de la citerne, gagne les parties déclives des terrains environnans, et s’introduit dans les puits, dont il rend l’eau impropre aux usages ordinaires. En effet, les produits sulfurés, ammoniacaux, et les parties solubles du goudron que ces liquides contiennent toujours, communiquent à l’eau une odeur désagréable et des propriétés dangereuses pour les hommes, les animaux, les plantes, et nuisibles dans les opérations de teinture ou de blanchiment.

Pour échapper à ces graves inconvéniens, MM. Manby et Wilson, en établissant leur première usine près de la barrière de Courcelles, avaient construit, à l’imitation des ingénieurs de Londres, des cuves en fonte destinées à contenir l’eau de leurs gazomètres. Ces cuves, formées de plaques boulonnées et reposant sur des piliers, étaient accessibles de toutes parts ; les fuites, très rares, étaient immédiatement reconnues et facilement réparées ; mais à cette époque, les dimensions des gazomètres, bien moindres qu’aujourd’hui, permettaient l’emploi de la fonte, ce qui maintenant serait trop dispendieux malgré la réduction considérable qu’ont subie les prix.

Des inconvéniens du même genre, d’autres même plus graves encore, accompagnent l’établissement des conduites souterraines où circule le gaz sous les voies publiques, ainsi que l’installation à demeure des tubes de distribution dans les maisons habitées. Il faut les signaler, avant de décrire les procédés ingénieux employés dans ces dernières années pour s’en garantir presque complètement. À l’époque du premier établissement des conduites à gaz dans Paris, les tuyaux en fonte alors en usage, moulés dans des conditions peu favorables, présentaient souvent quelques fissures inaperçues ou des parois amincies par l’interposition de bulles gazeuses au moment de la coulée. Ces regrettables, exposés dans le sol humide des rues à une oxydation extérieure, rongés intérieurement par quelques produits volatils acides condensés dans le parcours du gaz, ne tardaient guère à laisser fuir les gaz et liquides en telle quantité qu’entre le point de départ des usines et l’arrivée aux tubes de distribution chez les habitans et dans les lanternes de l’éclairage public, la déperdition totale s’élevait par degrés à 15 et jusqu’à 25 pour 100. C’était là non-seulement une cause d’amoindrissement considérable des bénéfices pour les compagnies, mais encore une source continuelle d’accidens regrettables. Le gaz échappé des conduites, pénétrant à une assez grande distance, déposait dans les interstices du sol des hydrocarbures volatils, des produits sulfurés et ammoniacaux communiquant aux masses des terres environnantes l’odeur fétide et la teinte brune que tout le monde a pu remarquer chaque fois qu’on ouvre des tranchées dans les rues de Paris. De là encore le dépérissement des arbres exposés à l’action délétère du gaz, qui semblait devoir par degrés atteindre toutes les plantations publiques de la capitale. Plusieurs perfectionnemens nouveaux ont été appliqués avec succès pour mettre un terme à ces déperditions et aux fâcheux résultats qu’elles produisent. Les plus larges conduites en fonte ayant un diamètre d’environ 90 centimètres, plus soigneusement moulées, ont été en outre soumises, avant la réception, à un examen attentif et à des épreuves rigoureuses, qui garantissent une complète imperméabilité sur tous les points. Les joints ont été rendus étanches à l’aide de colliers en fer sous lesquels une couche de plomb a été coulée et fortement refoulée. Puis est venue l’invention remarquable de M. Chameroy, qui a permis de substituer aux anciens tuyaux en fonte, et jusqu’aux dimensions de 80 centimètres de diamètre, des tubes en tôle de fer étamée au plomb sur ses deux faces, rendus extérieurement inoxydables par une couche épaisse de mastic bitumineux incrusté de sable. La longueur de ces conduites, deux ou trois fois plus grande que celle des tuyaux de fonte, a diminué de moitié ou des deux tiers le nombre des joints ; ceux-ci sont d’ailleurs hermétiquement clos à l’aide d’une vis moulée en alliage solide, terminant un des bouts de chaque tube et s’adaptant à l’écrou qui termine le tube suivant, ce qui permet de comprimer entre eux une torsade de chanvre ainsi rendue imperméable[16]. Dès ce moment, les déperditions de gaz ont été réduites des neuf dixièmes, et tous les fâcheux effets de ces fuites ont diminué dans les mêmes proportions. Pour les annuler complètement, on a disposé les conduites principales dans les nouveaux égouts à large section et ventilés, évitant ainsi les infiltrations des gaz et vapeurs dans les terrains sous le sol des voies publiques, tout en ménageant un accès facile près de ces conduites, afin de rechercher les fuites et de les réparer aussitôt qu’elles sont reconnues. Une mesure plus récente promet de mieux garantir encore les racines des arbres contre les infiltrations délétères, en faisant passer les petits tubes de distribution dans des manchons en poterie dont on cimente les joints, et qui, débouchant sous les colonnes supportant les lanternes, font écouler à l’air les produits gazeux des fuites accidentelles. Ces moyens d’assainissement de la terre végétale ont été complétés par un drainage spécial, qui égoutte dans des tubes d’argile les eaux pluviales et entretient sous le sol un renouvellement de l’air très favorable à la respiration des radicelles.

Les déperditions de gaz sous le sol occasionnent quelquefois de graves accidens. Pour reconnaître les fuites, on recourt volontiers au moyen le plus commode, désigné sous le nom de flambage, on promène une mèche allumée en contact avec le tube qui amène le gaz aux becs d’éclairage. La moindre fissure suffit pour donner lieu au passage d’un filet gazeux qui s’allume et décèle la fuite. L’ouvrier s’empresse d’éteindre avec un tampon les petits jets de flamme et procède à la réparation. Cette manœuvre facile et rapide n’offrirait aucun danger en plein air, si la fuite était peu considérable, ni même dans les habitations, si par l’ouverture des issues l’air avait pu se renouveler en totalité. Comme il en est le plus souvent ainsi, les ouvriers s’abandonnent d’ordinaire à une fausse sécurité. Malheureusement les choses se passent quelquefois dans d’autres conditions. C’est tantôt la fuite qui, plus abondante qu’on ne le croyait, ou se développant avec une rapidité inattendue au moment de l’inflammation d’essai, fait fondre la soudure du tube, élargit la fissure, et produit une longue flamme qui allume et propage rapidement l’incendie. D’autres fois la pièce, incomplètement ventilée, contient un mélange détonant ou bien une certaine quantité de gaz (un volume de gaz pour une quantité d’air de sept jusqu’à quatorze volumes). Dans ces conditions, la bougie allumée détermine une inflammation subite dans tout l’espace, et l’énorme volume de vapeur d’eau et de gaz acide carbonique engendrés instantanément à une haute température par la combustion de l’hydrogène carboné fait voler en éclats les vitres et renverse les cloisons. Malgré les avis des conseils d’hygiène publique et les sages prescriptions de l’autorité administrative, on a encore quelquefois à déplorer des explosions de ce genre.

Une autre source de nombreux accidens tenait aux dispositions des tubes de distribution que l’on avait la fâcheuse habitude de faire passer, pour les dissimuler, dans des cavités closes, sous les planchers, à l’intérieur des plafonds ou dans les comptoirs des magasins. Le gaz introduit par quelque fuite dans l’air de ces espaces clos y pouvait former des mélanges détonans que la moindre fissure dans le voisinage d’un bec allumé suffisait à enflammer. Ces chances redoutables n’existent plus depuis que par mesure de sécurité générale on a imposé aux appareilleurs[17] l’obligation de poser tous les tubes de distribution apparens, c’est-à-dire à la surface des murs et des plafonds, même dans les plus somptueuses demeures ; cette utile prescription ne nuit en rien à l’élégance des appartemens ou des divers établissemens publics, car nos architectes-décorateurs ont su y trouver des motifs d’ornementation en répétant les formes saillantes des tubes à l’aide de tringles pleines, peintes ou dorées, symétriquement disposées de la même manière.

En plusieurs occasions, on est parvenu à découvrir l’origine singulière de larges fuites qui ont déterminé des explosions accidentelles à l’intérieur des habitations. Le premier exemple de ce genre a été observé à Paris après une explosion de gaz qui avait renversé toute la devanture vitrée d’une des étroites boutiques installées provisoirement rue Vivienne contre une muraille remplacée aujourd’hui par les constructions neuves et l’une des grilles de la Bibliothèque impériale. En retirant sous les décombres et les débris du parquet le tube en plomb distributeur de gaz, on reconnut, non sans quelque étonnement, qu’une ouverture latérale, large d’un centimètre environ, y était pratiquée. Dès lors l’explication de l’accident était toute simple, car le passage du gaz par ce trou avait dû, un instant avant l’arrivée de l’allumeur, produire le mélange explosif qui avait renversé tout le vitrage, mais la cause de l’ouverture du tube n’était pas aussi facile à trouver. La première pensée fut que ce large trou avait été fait à dessein dans une intention criminelle, et sans doute, disait-on, à l’aide d’une forte râpe en acier comme les plombiers en emploient, car on apercevait distinctement des rayures serrées analogues à celles que produisent ces sortes d’outils. Toutefois, après un examen plus attentif, on reconnut que les rayures sur les deux bords du trou n’étaient ni parallèles entre elles ni dans les mêmes plans, qu’enfin elles n’avaient pu être pratiquées que par la dent d’un petit animal rongeur. C’était un rat qui seul avait produit tout le dommage.

On parviendrait facilement à prévenir de pareils accidens, si l’on substituait chez nous, comme cela souvent a lieu en Angleterre, dans la fabrication des tubes, au plomb, relativement mou, l’étain exempt d’alliage, métal bien moins lourd, mais beaucoup plus dur. On éviterait ainsi une autre cause de fuites accidentelles qui s’est révélée lorsqu’un ouvrier, croyant enfoncer un clou dans la maçonnerie ou dans une tringle en bois, avait percé un de ces tubes en plomb. C’est peut-être là une des raisons du moindre nombre d’explosions observées dans les maisons de Londres, mais ce n’est point la plus importante. La cause principale de ce fait remarquable doit être attribuée aux habitudes, très générales en Angleterre, d’une ventilation constante qui prévient, par un continuel renouvellement de l’air dans tous les locaux habités, l’accumulation du gaz et la formation des mélanges détonans. Toutes les dispositions usuelles des constructions urbaines dans les trois royaumes concourent à ce résultat : ce sont les fenêtres à coulisses, qui jamais ne peuvent être hermétiquement closes, les cheminées d’un grand tirage, opérant un énergique appel de l’air extérieur, les ustensiles tournans à petites ailes de moulins qu’on remarque dans les vitres d’un grand nombre de maisons de commerce, de larges persiennes en verre moulé au milieu des glaces extérieures de quelques hôtels publics, enfin les châssis tendus de fines toiles métalliques, tamisant l’air et servant toute la journée de fenêtres à la devanture des tavernes et d’un grand nombre de magasins. Ces dispositions très hygiéniques existaient dans les maisons anglaises avant l’introduction du gaz ; elles avaient été adoptées pour obvier autant que possible aux inconvéniens des émanations fuligineuses de la houille et du dégagement de l’acide sulfureux du coke pendant l’allumage et l’entretien des feux de cheminée. On nous permettra d’ajouter à ce propos que les nouvelles méthodes de ventilation récemment mises en pratique dans plusieurs de nos grands établissemens publics, et dont on trouve les plus parfaits modèles disposés avec succès par le général Morin dans les amphithéâtres des cours du Conservatoire des arts et métiers, offrent toutes les garanties désirables contre l’accumulation du gaz d’éclairage[18].

Divers procédés et appareils imaginés dans ces derniers temps pour déceler les fuites de gaz ont utilement complété les mesures de sécurité antérieurement prises par l’administration, et que l’on vient de rappeler. Un des moyens les plus simples de constater les déperditions du gaz, à la portée de tous les consommateurs qui disposent d’un compteur mécanique, ressemble à celui que les compagnies elles-mêmes emploient pour trouver les points des conduites où les fuites se déclarent. Dans ce cas, laissant la communication établie entre le gazomètre, le compteur et la conduite à vérifier, on intercepte successivement le passage du gaz dans celle-ci à l’aide de valves spéciales, en s’éloignant par degrés du compteur jusqu’à ce que l’on arrive à l’une de ces valves, qui, quoique hermétiquement fermée, n’empêche pas le gaz de s’écouler dans une certaine mesure que détermine le compteur de l’usine : c’est précisément le volume ainsi écoulé et mesuré qui représente la quantité perdue par la fuite. Or cette déperdition ne peut avoir lieu dans la conduite qu’entre la valve précédente et celle que l’on vient de fermer. Dès lors la recherche devient facile, puisqu’elle est ainsi restreinte à un espace peu étendu. Quant aux fuites qui se manifestent à l’intérieur des habitations, on les peut constater de même, après avoir fermé les petits robinets de tous les becs, en donnant accès au gaz dans les tubes de distribution. S’il n’existe aucune déperdition, le compteur ne sera pas mis en mouvement ; dans le cas contraire, le gaz qui s’introduit dans ces tubes, à mesure que les quantités perdues lui font place, imprime au compteur un mouvement de rotation que les aiguilles traduisent en mesures apparentes, à l’extérieur, sur les cadrans.

Un ingénieux appareil inventé par M. Maccaud sert à découvrir à la fois les fuites et les points du parcours où elles ont lieu sans qu’il soit nécessaire d’avoir recours au compteur : il suffit d’adapter près de l’origine du tube distributeur un petit ajustage qu’on maintient habituellement clos par un obturateur à vis. Lorsqu’on veut faire une vérification, le gros robinet extérieur qui amène le gaz étant d’abord fermé, on substitue à l’obturateur une petite pompe foulante à l’aide de laquelle on comprime de l’air simultanément dans le tube distributeur et dans toutes ses ramifications. Alors le manomè tre annexé à la pompe indique une pression constante, s’il ne survient aucune déperdition ; dans le cas contraire, la colonne manométrique baissant dès que le mouvement de la pompe cesse, on continue de faire agir celle-ci pendant qu’un ouvrier appareilleur, suivant avec attention le parcours des tubes, reconnaît sans peine le petit sifflement que fait entendre l’air comprimé en s’échappant par les fissures. L’ouvrier répare celles-ci successivement, et l’on constate enfin que toutes les soudures utiles sont terminées lorsque le manomètre indique que la pression se maintient invariable dans les tubes.

On doit à M. Perrin un appareil plus simple encore et donnant des indications exactes ; il se compose d’une sphère creuse en cuivre que l’on adapte à volonté sur l’ajustage à vis du tube de distribution : on échauffe quelques instans avec une petite lampe cette sphère, l’air qu’elle contient se dilate, et la pression ainsi transmise dans les tubes distributeurs manifeste son action sur le manomètre annexe et se maintient, s’il n’y a pas de fuites. En laissant alors refroidir la sphère, la colonne manométrique s’abaisse au-dessous de la pression extérieure, et confirme ainsi la première indication : ces mouvemens alternatifs en effet n’auraient pas lieu, si la moindre issue existait sur quelque point du parcours des tubes.

En général on est tout d’abord averti des fuites de gaz par l’odeur qui se répand dans les locaux habités, quoique tous les robinets correspondans aux becs soient fermés : à ce point de vue, on peut dire que l’odeur désagréable du gaz d’éclairage a bien son utilité ; ce serait à tort néanmoins que l’on craindrait de la voir disparaître par suite d’une épuration plus parfaite éliminant en totalité l’hydrogène sulfuré et les produits ammoniacaux, car il reste toujours dans le gaz des hydrocarbures ou huiles volatiles dont l’odeur forte suffit pour dévoiler les fuites. En tout cas, ces vapeurs, composées de carbone, d’hydrogène et de traces de soufre, lorsqu’elles arrivent aux becs allumés, se brûlent complètement, et se trouvent transformées en acide carbonique, acide sulfureux et vapeur d’eau, trois produits gazéiformes exempts de toute odeur infecte. Si même il restait dans le gaz des traces d’hydrogène sulfuré, l’odeur nauséabonde disparaîtrait dans la combustion, et la flamme ne laisserait échapper qu’une trace de vapeur d’eau inodore et de gaz acide sulfureux doué d’une odeur piquante rappelant celle qui s’exhale d’une allumette soufrée au moment de la combustion.

On a exposé plus haut sur quels principes se fonde la production économique de la lumière. Depuis longtemps, j’avais reconnu par des expériences comparatives et signalé les conditions qui permettent d’accroître le volume de la flamme du gaz et sa puissance lumineuse en élargissant les sections de passage et diminuant la vitesse du courant gazeux. Le bec inventé par M. Parisot, qui substitue aux petits trous isolés une ouverture circulaire continue, satisfait à ces conditions, et l’on vient d’adopter, pour l’éclairage public de la ville de Paris, des dispositions fondées sur le même principe. On a augmenté ainsi d’un tiers environ le pouvoir éclairant du gaz à volume égal[19]. Plusieurs inventeurs, et le premier de tous, M. Chaussenot, avaient réalisé de différentes manières un des principes de l’augmentation de l’intensité lumineuse en échauffant l’air atmosphérique avant qu’il eût accès vers la flamme ; mais l’emploi gênant d’une double enveloppe en verre a fait abandonner ce système malgré quelques perfectionnemens introduits par l’ancien directeur du conservatoire et du musée de l’industrie à Bruxelles.

En se reportant à ce que nous avons dit de la production de la chaleur par la combustion du gaz, on comprendra que la réalisation économique en soit toute différente de celle qui correspond au développement du maximum de lumière, et qu’en vue de brûler simultanément le carbone et l’hydrogène on doive diviser les jets de flamme et en diminuer le volume, sauf à les multiplier. Si l’on veut produire un jet lumineux, la disposition favorable généralement adoptée en effet consiste à introduire dans l’axe, et suivant la direction de la flamme, un tube amenant un courant d’air suffisant pour faire brûler à la fois les deux élémens du gaz et produire une flamme bleuâtre. On accélère encore cette combustion en insufflant avec force le jet d’air, et l’on produit ainsi les flammes plus ou moins volumineuses des chalumeaux à gaz, appliquées dans l’industrie à souder ou fondre les métaux. Ce fut en substituant à l’air atmosphérique l’oxygène pur dans ces sortes de chalumeaux et en projetant les flammes rapides à l’intérieur d’une cavité creusée dans une masse de chaux vive, que M. Henri Sainte-Claire Deville réussit à mettre en fusion le platine, naguère encore considéré comme étant infusible industriellement, et produisit un lingot de ce métal du poids de 100 kilogr., que l’on admirait l’année dernière à l’exposition universelle de Londres.


III

On a vu comment se produisait le gaz et comment on arrivait à le distribuer en se conformant aux règles fixées par la science. Il reste à parler de cette industrie au point de vue économique, en recherchant quelles circonstances peuvent agir sur son développement.

J’ai donné plus haut le chiffre de la consommation actuelle du gaz dans Paris. Chacun peut s’expliquer les variations qui y sont apportées par les différentes saisons. On compte, toute compensation faite, sur une consommation dont la durée moyenne serait de cinq heures par jour pendant chaque mois de l’année ; mais il se présente des circonstances où la dépense de gaz s’accroît dans les plus vastes proportions, à l’occasion des fêtes publiques et des illuminations générales. Il faut doubler alors la production dans les usines. S’il était nécessaire de recourir à des fours et appareils supplémentaires qui ne serviraient qu’à de si rares intervalles, les frais généraux seraient accrus dans une proportion qui réagirait défavorablement sur le prix de revient du gaz. On en était pourtant là, il y a quelques années. Maintenant cette augmentation exceptionnelle dans la consommation du gaz, lors même, comme cela est arrivé, qu’elle est annoncée à peine quelques heures à l’avance, n’impose plus aux compagnies d’accroissement notable dans les frais généraux. C’est plutôt une source de bénéfices additionnels, car les recettes augmentent alors dans la même mesure que les livraisons de gaz.

A première vue, la solution du problème semble bien difficile ; rien n’est plus simple cependant. Tout le secret consiste dans l’emploi d’une matière première dont on s’approvisionne pour d’autres circonstances accidentelles encore, et qui, dans un espace de temps « gai relativement à la même capacité des cornues, peut subvenir à une production de lumière douze fois plus grande : c’est le schiste bitumineux d’Ecosse, désigné sous le nom de bog-head. Il contient plus des trois quarts de son poids (77 centièmes) d’une substance bitumineuse particulière, car elle est presque entièrement insoluble dans les liquides dissolvans ordinaires des bitumes (le sulfure de carbone, l’essence de térébenthine et la benzine).

La substance bitumineuse du bog-head peut être obtenue, partiellement décomposée, à l’aide d’une distillation ménagée, sans « lever la température au-delà de 350 à 400 degrés. On recueille ainsi de 35 à 40 centièmes d’une huile goudronneuse qui, rectifiée par l’acide sulfurique, par des lavages et des distillations, donne des hydrocarbures très volatils, propres à l’éclairage dans les lampes à schiste. Les hydrocarbures plus lourds s’emploient pour extraire la quinine des quinquinas ; on brûle les autres pour recueillir du noir de fumée : il reste des goudrons épais, d’où l’on peut extraire de la paraffine applicable à la préparation des bougies demi-translucides. Depuis quelque temps, on obtient plus économiquement ces divers produits en traitant les huiles de petroleum de Pensylvanie.

La principale application actuelle du bog-head se fonde sur la grande quantité de gaz éclairant qu’il peut fournir lorsqu’on le chauffe brusquement dans des cornues en argile portées à la température du rouge clair ou de 900 à 1,000 degrés. Ce gaz, facile à épurer, représente, pour une égale contenance du vase distillatoire et dans le même temps écoulé, douze fois plus de lumière que le gaz provenant de la houille, puisque la distillation du bog-head est trois fois plus rapide, et qu’à volume égal le gaz qu’on en retire développe, en brûlant, une intensité lumineuse quatre fois plus grande. On est récemment parvenu à obtenir des résultats qui approchent de ceux-ci en substituant au bog-head du cannel coal, espèce particulière de lignite dont il a déjà été question, qui se distille plus vite que les houilles proprement dites, donne un plus grand volume d’un gaz de meilleure qualité, et présente, comparativement avec le bog-head, l’avantage de laisser après la distillation un coke applicable au chauffage domestique, tandis que le résidu d’argile charbonneuse que l’on obtient du bog-head est à peu près sans valeur.

A la fabrication du gaz se rattachent d’ailleurs, comme autant d’annexés productives, les applications nouvelles des produits accessoires suivans : le coke, substance charbonneuse fixe restée dans la cornue ; — les eaux ammoniacales engendrées par la décomposition des substances azotées renfermées dans la houille ; — le goudron, qui recèle un grand nombre d’hydrocarbures provenant de la partie bitumineuse partiellement volatilisée après des transformations diverses. Le plus important de ces produits, le coke, représente environ les trois quarts du poids de la houille distillée. Exempt de fumée, il développe, en brûlant sur des grilles bien construites, plus de chaleur rayonnante utile dans les appartemens que tout autre combustible ; mais il est trop léger pour convenir aux opérations métallurgiques et servir au chauffage des locomotives. On employait à la vérité, pour chaufferies cornues, un tiers de la quantité de coke journellement produite ; mais le chauffage domestique ne consommait pas le surplus, le coke s’accumulait en tas énormes dans les usines, subissant des déperditions journalières et représentant un capital mort considérable. On en était venu depuis quelques années à distiller une partie de la houille dans de grands fours recevant chacun à la fois une charge de 6,000 kilogrammes afin d’obtenir un coke compacte et lourd vendable aux manufacturiers métallurgistes et aux entrepreneurs de la traction sur les chemins de fer ; mais les usines recueillaient ainsi du gaz moins dense, moins riche en carbone et moins é clairant. Ce fut au milieu de ces difficultés qu’on s’avisa d’un moyen bien simple, mais qui suffit à développer rapidement la consommation. Jusque-là le coke des usines, seulement débarrassé à la claie des plus menus morceaux, contenait, en très grand nombre, des fragmens trop volumineux pour être facilement braies dans les foyers de petite et de moyenne dimension. Il n’y avait pas une grande difficulté à vaincre cet obstacle, il suffisait de procéder à la façon de Christophe Colomb faisant tenir un œuf debout ; mais personne n’y avait encore songé. Qui en eut l’idée première ? Je l’ignore. Quoi qu’il en soit, à dater de l’époque où, à très peu de frais, le coke, concassé dans un moulin, puis spontanément trié dans sa chute au travers de blutoirs gradués, fut approprié aux dimensions de toutes les grilles, et l’usage s’en répandit si promptement dans le chauffage domestique, que le commerce spécial organisé à cette occasion eut bientôt enlevé les tas amoncelés dans les cours des usines.

Quant à ce qui concerne les eaux ammoniacales provenant de la condensation des vapeurs aqueuses du gaz traitées par la chaux éteinte (hydratée), elles dégagent de l’ammoniaque directement épurée dans l’appareil et donnent, à la volonté de l’opérateur, soit de l’alcali volatil (eau saturée d’ammoniaque), soit des sels ammoniacaux revenant à plus bas prix que les produits similaires obtenus par la distillation des matières animales (débris d’os, de laine, de soie, de cornes, sang desséché, etc.), en sorte que cette dernière industrie fondée à Grenelle, en 1792, par mon père, et qui fit durant cinquante années une concurrence victorieuse à l’antique industrie égyptienne de la province d’Ammonie[20], est à son tour supplantée par l’extraction moins dispendieuse encore de l’ammoniaque des eaux du gaz. Les produits ammoniacaux sont devenus d’année en année plus abondans, et le cours commercial s’en est abaissé à mesure que la fabrication du gaz a pris une extension plus grande. Dès lors il est devenu possible de les appliquer à la nutrition des plantes, car ils recèlent un des élémens utiles, autrefois méconnu, du développement de la vie végétale. En Angleterre, où le prix des sels ammoniacaux est très bas, cet engrais sert à des applications plus fréquentes et plus étendues que chez nous.

Autrefois dans les usines le goudron était plus embarrassant que le coke : ne sachant comment s’y prendre pour l’emmagasiner sans des frais trop considérables, on essaya d’abord de le brûler pour chauffer les cornues. Le succès fut douteux ; des difficultés presque insurmontables firent abandonner cette application dans plusieurs usines, et en attendant que des procédés nouveaux permissent d’en tirer parti, le goudron le plus épais fut enfoui dans des terrains isolés où l’humidité l’empêchait de s’infiltrer. Plus tard, des débouchés nouveaux avaient été ouverts au goudron, et l’on ne songeait plus à ces anciens dépôts, lorsqu’une circonstance bizarre vint en rappeler le souvenir. On était alors lancé dans un mouvement de spéculations effrénées où toutes sortes d’entreprises industrielles servaient de prétexte à des sociétés par actions. Un jour parut une annonce signalant la découverte d’un nouveau gisement de bitume, dont l’exploitation devait être d’autant plus profitable que la mine se trouvait située aux environs de Paris. Les affleuremens avaient été reconnus dans le département de la Seine. Ceux-ci, on le devine, n’étaient autre chose que les bords d’une grande fosse remplie depuis dix ans de goudron de gaz, et toutes les espérances fondées sur une concession de cette mine imaginaire s’évanouirent aussitôt.

La situation est aujourd’hui bien changée. Plusieurs grandes et sérieuses industries récemment créées utilisent toutes les quantités de goudron qui sortent des usines d’éclairage en Angleterre, en France, en Belgique, et leurs produits viennent en aide à d’autres fabrications. Quelques résultats montreront l’importance de ces créations nouvelles.

On employa dans l’origine une assez grande quantité de ces goudrons pour préparer les huiles distillées applicables soit à l’éclairage des ateliers, soit à des peintures grossières dans les campagnes ; les résidus épais, dits brais gras, servirent à imprégner des briques et autres matériaux de construction, à fabriquer par le mélange avec la craie sèche des mastics fusibles à chaud, propres à garantir des infiltrations de l’eau, les constructions sous le sol et à assainir les rez-de-chaussée humides. On en fit des enduits imperméables ; malheureusement ils résistaient moins aux changemens de température que les mastics bitumineux de Seyssel et de Lobsann. L’excès des résidus goudronneux encombrait toujours les usines, et l’on s’en débarrassait sans profit, comme on l’a vu plus haut. Cependant, depuis plus de quinze ans, on avait réussi à tirer un meilleur parti des goudrons des usines en les soumettant à une distillation partielle dans de grands alambics en tôle[21] : on en tirait le quart de leur poids de produits très fluides destinés à être injectés dans le bois, qu’ils garantissent contre la pourriture et les attaques des insectes ou des végétations cryptogamiques, d’après la méthode de Bréant, réalisée en grand par Bethel. Ces produits, désignés sous la dénomination inexacte de créosote, furent dès lors et sont aujourd’hui même appliqués avec un succès incontesté à la préparation des traverses en bois de hêtre et de sapin, dont ils triplent la durée, et qui servent à soutenir les rails des chemins de fer. Peu de temps après, on parvint en France à séparer des mêmes produits de la distillation les parties les plus volatiles, qui, successivement épurées par l’acide sulfurique, les solutions alcalines et l’eau, puis deux fois rectifiées à l’alambic, donnèrent les hydrocarbures très liquides, blancs, diaphanes, volatils à l’air sans résidu, généralement connus sous le nom peu justifié de benzine et appliqués avec succès soit à rendre plus siccatives les peintures à l’huile, soit à donner plus de clarté au gaz ou à dégraisser les étoffes.

Quant au résidu goudronneux de la distillation, bien que l’emploi en fût graduellement développé dans la confection des mastics bitumineux, on n’en consommait encore qu’une quantité insuffisante. Il n’en est plus de même depuis l’extension rapide d’une industrie spéciale fondée par M. Marsais, mais qui, perfectionnée à l’aide du lavage mécanique des houilles menues, suivant les systèmes de MM. Bérard et Evrard, et des machines à mouler de MM. Middleton et Mazeline, modifiées en dernier lieu par M. Dehaynin, a pris sous l’impulsion énergique de cet habile manufacturier de telles proportions que les résidus goudronneux recueillis en France sont devenus insuffisans, et qu’on en importe maintenant d’Angleterre et de Belgique.

Voici dans quelles conditions fonctionne, sous la même direction en Belgique et en France, l’industrie remarquable qui a produit une si heureuse transformation. On obtient, par voie de distillation et de rectification, de chaque tonne (pesant 1,000 kilogr.) de goudron de houille, d’abord 30 kilogr. d’huiles légères qui, à l’aide de plusieurs réactions chimiques, nous donnent les couleurs magnifiques appliquées aux teintures sur soie en violet, en rouge et en bleu, les plus brillantes que l’on connaisse aujourd’hui[22]. Un deuxième produit, pesant 160 kilogr., qui passe à la distillation, ce sont des huiles lourdes qu’on laisse déposer ; la plus grande partie qui surnage est décantée ; elle sert à imprégner les traverses de chemins de fer[23]. Le dépôt, contenant beaucoup de naphtaline cristallisée, est réservé pour obtenir, par la combustion dans des appareils spéciaux, un très beau noir de fumée, applicable aux impressions typographiques et lithographiques, à la peinture, etc. Il reste enfin dans la chaudière de l’alambic 750 kilogrammes de goudron épaissi, désigné sous le nom de brai gras. Cette sorte de résidu, naguère produit en excès, constitue aujourd’hui, surtout en raison des masses considérables de houilles menues auxquelles il donne un emploi utile, la partie la plus intéressante de la grande exploitation nouvelle[24].

Les houilles menues en général ont une si faible valeur, soit à cause des substances étrangères terreuses, des schistes et pyrites qu’elles contiennent, soit par la difficulté de les faire brûler, que la plus grande partie reste invendable aux alentours des puits de mine. Il s’en trouve en ce moment plus de 800,000 tonnes (800 millions de kilogrammes) qui encombrent l’exploitation de Charleroi. Or ces menus, débarrassés par une lévigation mécanique des substances étrangères, ont la même puissance calorifique que l’excellente houille de cette exploitation. Après les avoir ainsi purifiés, on leur donne les formes et les dimensions les plus favorables à la combustion sur les grilles des locomotives en les agglomérant avec 8 de brai gras pour 92 de menus épurés. Le mélange, porté à la température de 300 à 350 degrés par la vapeur surchauffée, devient pâteux ; on le refoule mécaniquement, sous une forte pression, dans des moules cylindriques ou rectangulaires, et l’on obtient après le refroidissement, soit des cylindres solides compactes mesurant 13 centimètres de diamètre et 5e, 5 de hauteur, pesant 8k, 950g, soit des blocs prismatiques (parallélipipèdes rectangles) dont la base a sur un côté 14e, 75, sur l’autre 18e, 5 et 29e de hauteur ; chacun de ces blocs pèse 10k. On voit, en adoptant ces dimensions pour base de calcul, que la densité de ces menus fragmens agglomérés est à très peu près de 1,300, c’est-à-dire égale à la densité réelle de la houille.

Tels sont les morceaux volumineux et denses que l’on désigne sous le nom d’agglomérés. On les charge très facilement sur les grilles des foyers de locomotives ; ils s’enflamment aussitôt au contact du charbon incandescent ; le goudron interposé, tout en brûlant, s’agglutine aux menus fragmens tuméfiés eux-mêmes, puis se transforme partiellement en un coke qui se soude avec le coke simultanément produit par la houille menue : il en résulté que la combustion s’achève sans que les gros fragmens soient désagrégés, et sans qu’ils puissent mettre obstacle à l’accès de l’air entre les barreaux de la grille. Ce nouveau combustible, vendu sous la garantie d’un maximum de cendres de 6 pour 100, est maintenant très recherché par les compagnies de chemins de fer. Il représente en effet une puissance calorifique un peu plus grande sous le même poids que la houille en gaillettes ou en gros fragmens de première qualité. Ce fait est facile à expliquer, si l’on se rappelle que les substances étrangères à la houille, inertes comme combustible, ont été d’abord en grande partie éliminées, et que d’un autre côté l’on a introduit dans le mélange, fait à chaud, 8 pour 100 d’un goudron épais, dont le pouvoir calorifique est moitié plus grand, en raison de l’hydrogène qu’il contient, que celui du carbone pur.

Cette ingénieuse méthode, ainsi perfectionnée et mise en pratique sur une grande échelle, donnant un combustible plus énergique à un prix moindre que la houille ordinaire, a trouvé de larges débouchés. Déjà les usines de M. Dehaynin jeune et d’une compagnie rivale peuvent livrer annuellement 255,000 tonnes de 1,000 kilogrammes ou 255 millions de kilogrammes de ces houilles agglomérées. Le résultat définitif, doublement utile au point de vue de l’intérêt général, c’est de supprimer l’encombrement sur le carreau de la mine, tout en produisant avec des débris autrefois négligés une houille de première qualité sous des formes régulières bien appropriées au chauffage des chaudières à vapeur. Une conséquence directe de cette transformation des débris des mines de houille en un combustible puissant, livré à 13 ou 14 francs la tonne, c’est de réduire les frais de traction sur les chemins.de fer. Il est inutile de faire ressortir l’importance d’un pareil résultat. En résumé, l’examen de cette industrie, où un résidu provenant du goudron, en s’ajoutant aux menus débris des mines de houille, compose un combustible plus puissant et plus économique à la fois que la houille elle-même, conduit à cette proposition, absurde en apparence et néanmoins exacte, que tout fabricant de gaz d’éclairage est en définitive un producteur de combustible[25].

Parmi les industries annexes qui se sont formées autour de la grande industrie du gaz, il faut encore compter celle qui s’est attachée spécialement à la rendre transportable. Le problème était d’emmagasiner le plus grand volume possible dans des vases hermétiquement clos. Les inventeurs qui s’en occupaient ne pouvaient atteindre leur but que par une forte compression. On évitait ainsi les frais considérables et les chances de fuite des longs parcours dans des conduites souterraines, les altérations du sol et des plantations sur les voies publiques ; mais il fallait trouver les moyens de contenir le gaz sous cette énorme pression dans des enveloppes solides sans que le poids en fût trop considérable : Arago et Dulong étudièrent la question à ce point de vue et parvinrent à la résoudre provisoirement en limitant le diamètre des vases cylindriques, sauf à multiplier le nombre de ces récipiens.

Il restait à trouver une autre disposition qui permît de faire à volonté sortir le gaz, au moment de l’allumage, sous la pression faible et constante qui convient au développement d’une flamme lumineuse exempte d’oscillations. Plusieurs mécaniciens habiles, à l’aide d’ingénieuses combinaisons de robinets dont la pression elle-même réglait l’ouverture très minutieusement graduée, atteignirent le but ; mais en somme la construction de tous ces récipiens et appareils était trop dispendieuse, le pouvoir éclairant du gaz trop limité pour que l’industrie dans ces conditions devînt profitable. Déjà quelques établissemens fondés sur ces principes avaient succombé lorsque deux inventions remarquables, dues à Houzeau-Muiron, ingénieur-manufacturier à Reims, changèrent la situation. Mettant à profit une invention antérieure de Taylor, qui donnait, par la décomposition ignée des huiles, un gaz trois ou quatre fois plus éclairant, à volume égal, que le gaz de la houille, Houzeau-Muiron rendit cette préparation économique en extrayant la matière grasse des eaux savonneuses, rejetées d’ordinaire après le lavage des laines ; d’un autre côté, le même inventeur parvint à transporter le gaz nouveau, sans compression, dans d’immenses sacs cylindriques en toile imperméable (d’une contenance de 25,000 litres) qui, flexibles comme des soufflets entre deux disques en bois, étaient facilement transvidés dans des gazomètres ordinaires chez les consommateurs, car il suffisait de rapprocher, à l’aide d’un simple mécanisme, les deux fonds solides pour faire sortir la presque totalité du gaz, après avoir établi une communication avec le gazomètre par des tubes flexibles.

Dans ces conditions nouvelles, l’industrie du gaz portatif, fondée en 1836 à Paris, eut d’abord quelque succès. Cependant les faibles bénéfices que réalisait l’entreprise, les embarras qu’occasionnait la circulation de ces énormes voitures dans les rues de la capitale firent chercher une autre solution ; on y arriva par une double modification dans la production du gaz et dans les dispositions relatives à l’emmagasinement, au transport et à la distribution à domicile. Les inventions nombreuses qui s’étaient succédé de 1818 à 1845 avec le concours de MM. Déodore et Baradère, Manby, Wilson et Henry, Piquet, Hanchett et Smith, Houzeau-Muiron et Rohaut de Fleury, avaient avancé l’étude de ce difficile problème, dont la solution définitive était réservée à MM. d’Hurcourt et Hugon. Ce n’est qu’à dater de l’époque où ces savans ingénieux, appliquant les notions chimiques primitives de Selligue sur la distillation des schistes, les données fournies par Jeanneney sur le gaz riche du bog-head d’Ecosse, imaginèrent eux-mêmes et améliorèrent par degrés tout un système d’emmagasinement du gaz sous une pression bmitée à 10 ou 12 atmosphères (au lieu de 30 à 40 anciennement essayée) et ajoutèrent enfin de nouveaux moyens de distribution régulière, ce n’est qu’alors seulement que l’industrie du gaz portatif devint prospère, et se propagea sous la direction de la même compagnie dans plusieurs villes de France et de l’étranger[26].

Tels ont été les progrès scientifiques ou économiques de la fabrication du gaz d’éclairage, telles ont-été les inventions auxquelles cette industrie de date si récente a donné l’essor, et l’on ne peut mieux terminer cette étude qu’en rappelant à quelle cause sont dus de si importans résultats. Cette cause, qui agira de plus en plus, il faut l’espérer, au sein des sociétés modernes, c’est le bienfaisant accord de la science, et des arts utiles.


PAYEN, de l’Institut.

  1. Tous ces combustibles doivent Être considérés comme les débris plus ou moins complètement désorganisés des végétaux et des animaux des anciens âges, depuis les tourbes, qui se forment encore sous nos yeux, jusqu’aux lignites et aux houilles proprement dites. On sait qu’en étudiant les empreintes, parfois très nettes, des plantes intercalées dans les schistes limitant les couches de houille et dans les filets schisteux interposés, les botanistes ont pu reconnaître les familles végétales auxquelles ces plantes appartiennent et reconstituer ainsi une partie de la Houe des époques antédiluviennes.
  2. Par la difficulté à peu près insurmontable de surveiller convenablement, à peu de frais, une opération aussi délicate, on serait sans cesse exposé à des explosions ou à des incendies. Il a fallu cependant que, sur l’avis des conseils d’hygiène, l’autorité intervint plus d’une fois dans l’intérêt de la sécurité générale pour empêcher l’installation de ces petits appareils dans l’intérieur des habitations, partout en un mot où le fourneau, les appareils épurateurs et le gazomètre, ne pouvant être suffisamment isolés, deviendraient un danger.
  3. Ce fut à cette occasion que Cagniard de Latour, depuis membre de l’Institut, inventa l’ingénieuse machine à laquelle son nom a été donné. La cagniardelle est une transformation de la vis d’Archimède. Le mouvement de rotation s’accomplissant en sens inverse, elle refoule les gaz, au lieu d’élever l’eau. Elle peut servir encore à mesurer le gaz écoulé, lorsque, recevant du gaz lui-même le mouvement de rotation, elle transmet par des roues d’engrenage l’indication précise du volume qui la traverse à des aiguilles tournant sur des cadrans gradués : la cagniardelle devient alors un compteur de gaz.
  4. Depuis 1820, plus de huit cents brevets ont introduit autant de modifications, les unes importantes, les autres éphémères, se succédant à de courts intervalles, dans la construction des fours et des cylindres distillatoires, dans la disposition des appareils et des machines à extraire, conduire, épurer, compter et distribuer le gaz, et dans les moyens d’en accroître la puissance lumineuse.
  5. Rion en définitive n’est plus facile que de constater la présence des particules charbonneuses dans une flamme éclairante ordinaire, celle du gaz ou d’une bougie : il suffit de placer un instant au milieu de cette flamme un corps froid, tel par exemple qu’une soucoupe de porcelaine blanche, pour produire aussitôt une large tache noire duc au carbone déposé, et dont le corps froid a fait cesser l’incandescence en arrêtant la combustion aux points de contact.
  6. L’exploitation des huiles minérales provenant des sources de Pensylvanie s’est considérablement développée depuis qu’il en a été question ici même. Elle représente actuellement un commerce annuel d’environ 2 milliards de kilogrammes.
  7. Il y a quelques années encore, j’ai pu voir à l’usine royale de la rue Rochechouart les ouvriers des fours, après avoir été exposés à la chaleur rayonnante intense du coke incandescent qu’ils retiraient des cornues, courir, aussitôt leur rude tâche accomplie, encore demi-nus et tout ruisselans de sueur, se courber au-dessus de baquets disposés à cet effet, où un de leurs camarades versait immédiatement sur leur dos un seau d’eau froide. Chose remarquable, la réaction produite par l’extrême chaleur qu’ils venaient d’endurer était telle que l’abondante et froide aspersion ne produisait pas en eux un abaissement de température nuisible à leur santé. Toutefois ce n’est jamais sans quelque danger que l’homme se trouve journellement soumis à de pareilles épreuves, et il est fort heureux que cette manœuvre si pénible soit amenée aujourd’hui à des conditions bien plus supportables.
  8. Ainsi donc quatre massifs de ces fours fournissent une quantité de gaz qui alimente 134,000 becs ; ceux-ci, dans le cours d’une année, c’est-à-dire pour une moyenne de 5 heures pendant 365 jours, consomment 30,600,000 mètres cubes de gaz.
  9. Telle est aussi la cause de la production des flammes légères, bleuâtres, que chacun a pu remarquer au-dessus du coke incandescent amoncelé sur les grilles des foyers d’appartement.
  10. Cette aspiration est tellement bien réglée à l’aide d’un régulateur, que les cornues ne supportent aucune pression sensible à l’intérieur, et l’on évite ainsi les fuites par les joints entre les vases distillatoires et les premiers réfrigérans.
  11. On a depuis peu de temps substitué dans plusieurs usines aux colonnes pleines de coke des colonnes semblables vides munies à l’intérieur de lames de tôle ou chicanes entre lesquelles le gaz circule en montant, tandis que l’eau versée en arrosage facilite le dépôt des vapeurs globulaires.
  12. 4 mettes carrés de ces surfaces filtrantes sont nécessaires pour épurer au passage 1,000 mètres cubes du gaz de la houille.
  13. Tel est aussi l’effet qui se produit lorsque des fuites de gaz mal épuré brunissent dans les appartemens les peintures a la céruse (carbonate de plomb) ou donnent à l’argenterie une teinte irisée, brune ou noirâtre, en formant alors un sulfure d’argent, noir comme le sulfure de plomb.
  14. En 1848, le nombre total des becs alimentés par les usines qui distribuent le gaz à l’aide de conduites souterraines, en y ajoutant les becs qu’alimente le gaz portatif (transporté dans des cylindres en tôle et réduit au dixième de son volume sous la pression de 10 atmosphères) ne s’élevait encore qu’au chiffre de 87,055. Ce nombre est plus que quintuplé aujourd’hui, et la progression est loin de s’arrêter : on peut s’en convaincre par la comparaison entre deux années consécutives dans Paris, communes annexées comprises.
    Années Nbre de mètres cubes Nbre des becs de la ville Nbre des becs des particuliers
    1861 84,250,676 20,807 462,875
    1860 75,518,922 17,538 396,004
    Augmentation 8,731,754 3,209 66,871

    On voit que, de 1860 à 1861, l’augmentation du volume consommé dépassait un dixième, et que, la progression continuant ainsi, la fabrication serait doublée avant dix ans.

  15. Ce nom indiquerait, à proprement parler, un appareil mesureur du gaz, tandis que la principale fonction des gazomètres (bien que chacun d’eux porte un simple indicateur du volume renfermé) est de contenir ou d’emmagasiner le gaz. Aussi la dénomination adoptée en Angleterre semble-t-elle préférable, puisque le mot composé gaz-holder signifie récipient ou réservoir de gaz.
  16. Depuis quelque temps, la jonction hermétique a été rendue plus économique et plus facile en préparant une rainure circulaire à l’un des bouts, où s’engage une corde en bourre de chanvre enduite de suif et de plombagine. On introduit cette extrémité dans le renflement du tube suivant, et on la fait pénétrer a coups de maillet frappant sur un mandrin en bois.
  17. Nom donné aux entrepreneurs qui se chargent d’établir les appareils de distribution du gaz dans les habitations.
  18. Grâce à l’appel d’une puissante cheminée d’aérage, l’air nouveau, porté à une température douce et régulière, arrive en telle abondance dans le liant de ces salles, qu’il représente pour chaque personne un volume de 60 mètres cubes ou 30,000 mitres pour 500 auditeurs.
  19. On a en outre mis à la disposition du public une plus grande quantité de lumière en abaissant d’un mètre la hauteur des colonnes portant les lanternes à gaz. Il est facile de se rendre compte de l’efficacité de ce moyen si simple en se rappelant que l’intensité lumineuse est en raison inverse du carré de la distance entre la flamme et les objets à éclairer. Un réflecteur au-dessus de la flamme, renvoyant vers le sol les rayons lumineux qui naguère étaient perdus dans l’espace, a complété les dispositions économiques récemment adoptées.
  20. On sait qu’en Égypte la fabrication du sel ammoniac est basée sur l’emploi des excrémens des chameaux. Ces déjections solides desséchées, puis employées comme combustible, laissent dégager des sels ammoniacaux volatils qu’on recueille dans les cheminées traînantes, et que l’on épure en les faisant sublimer dans des pots en terre à col étroit.
  21. L’industrie, qui transforme les poussiers de charbon de bois en charbon moulé sous forme cylindrique et aggloméré par l’interposition du goudron qui se carbonise, cette industrie, fondée par M. Popelin-Ducarre, emploie une certaine quantité de goudron de houille.
  22. Ces couleurs à la vérité sont moins durables, surtout exposées simultanément à la lumière vive et à l’air humide, que celles que l’on obtient avec les anciennes matières tinctoriales.
  23. Cette huile, en ce moment plus complètement épurée d’après les procédés de M. Lemire, brûle facilement dans les lampes Carcel et donne une très belle et très économique lumière ; dans quelque temps, il n’en restera plus pour imprégner les bois. Déjà l’on peut y suppléer en employant du sulfate de cuivre, suivant le système perfectionné de MM. Legé et Fleusy-Pironnet.
  24. La différence de 60 kilogr. entre le poids total des trois produits principaux obtenus et le poids initial des 1,000 kilogr. de goudron brut employé représente la déperdition éprouvée dans cette opération distillatoire.
  25. Voici la simple démonstration de ce fait. 100 kilos de houille distillée produisent en France 6 kilos, en Angleterre 7 kilos de goudron ; la moyenne proportionnelle est au minimum de 6k, 5, dont on obtient, après extraction des huiles volatiles, 4k, 875 de brai gras suffisant à la fabrication nouvelle de 60k, 93 de houille agglomérée. Si l’on y ajoute 50 kilos de coke disponible dans les usines comme en excès sur la quantité utile au chauffage des cornues, il est évident que pour 100 de houille distillée on obtient directement et indirectement 110 de combustible minéral livrable à la consommation pour les usages domestiques et le chauffage des générateurs. Cette production totale, ou, si l’on veut, la reconstitution d’un combustible rendu usuel, s’élèverait à 135 kilos pour 100 kilos de houille distillée, si l’on employait pour le chauffage des cornues, par 1& procédé de l’oxyde de carbone que nous avons décrit ; des houilles menues ou terreuses impropres à d’autres usages. Ainsi donc la fabrication du gaz, considérée jusqu’ici comme la cause d’une effrayante consommation de houille, devient une source de reproduction du combustible minéral.
  26. L’usine centrale de la rue de Charonne produit journellement 1,000 mètres cubes du gaz en question, équivalant à près de 4, 800 mètres cubes du gaz ordinaire de la houille. Sans doute la distillation du bog-head, ne laissant qu’un résidu charbonneux et argileux à peu près sans valeur, ne peut produire le gaz aussi économiquement que le traitement de la houille, car celle-ci donne en outre plusieurs produits accessoires, dont la valeur diminue le prix coûtant du produit principal ; mais les bénéfices sont encore assez rémunérateurs pour que l’industrie spéciale ait sa raison d’être et vienne combler une importante lacune.