Les Liaisons dangereuses/Lettre 59

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Lettre LIX.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Apprenez-moi, si vous le savez, ce que signifie ce radotage de Danceny. Qu’est-il donc arrivé, & qu’est-ce qu’il a perdu ? Sa belle s’est peut-être fâchée de son respect éternel. Il faut être juste, on se fâcherait à moins. Que lui dirai-je ce soir, au rendez-vous qu’il me demande, & que je lui ai donné à tout hasard ? Assurément je ne perdrai pas mon temps à écouter ses doléances, si cela ne doit nous servir à rien. Les complaintes amoureuses ne sont bonnes à entendre qu’en récitatif obligé ou en grandes ariettes. Instruisez-moi donc de ce qui est & de ce que je dois faire ; ou bien je déserte, pour éviter l’ennui que je prévois. Pourrai-je causer avec vous ce matin ? Si vous êtes occupée, au moins écrivez-moi un mot, & donnez-moi les réclames de mon rôle.

Où étiez-vous donc hier ? Je ne parviens plus à vous voir. En vérité, ce n’était pas la peine de me retenir à Paris au mois de septembre. Décidez-vous pourtant, car je viens de recevoir une invitation fort pressante de la comtesse de B… pour aller la voir à la campagne ; et, comme elle me le mande assez plaisamment, « son mari a le plus beau bois du monde, qu’il conserve soigneusement pour les plaisirs de ses amis ». Or, vous savez que j’ai bien quelques droits sur ce bois-là ; & j’irai le revoir si je ne vous suis pas utile. Adieu ; songez que Danceny sera chez moi sur les quatre heures.

De … ce 8 septembre 17…