Les Médailles d’argile/Le Fuseau

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Les Médailles d’argileSociété du Mercure de France (p. 129-130).

LE FUSEAU


Hélène, ta journée est belle ; le matin
Fait pâlir lentement la lampe qui s’éteint
A ton chevet nocturne où le pavé sonore
Est froid sous tes pieds nus levés avec l’aurore ;
Et le jour qui revient te rapporte avec lui
Des songes de nouveau pour ta nouvelle nuit ;
Et ces roses d’hier à peine sont fanées
Que déjà d’autres fleurs à leur place sont nées.
Descends ; la source abonde au bassin toujours clair ;
L’ombre plus fraîche a fait le vieux laurier plus vert
Qui se penche sur l’eau somnolente et verdie ;
Va, et donne l’obole au passant qui mendie ;
Ta jeunesse charmante et qui rit en chemin
N’a pas encor besoin de garder en sa main
Ce qu’il faut pour payer la barque souterraine
Où le Passeur des Morts prendra l’Ombre d’Hélène
Quel que soit le destin promis à ta beauté,

Vis. La fleur de ta chair embaume son été ;
La maison de Tyndare au soleil toute blanche
S’endort. La serpe craque à l’arbre qu’on ébranche
Là-bas ; ici l’on sarcle et plus loin quelqu’un bêche ;
La chanson d’une faulx siffle dans l’herbe fraîche ;
La vigne est lourde au cep et flexible au pilier.
Visite le lavoir, la grange, le cellier ;
L’odeur du vin embaume à travers l’outre grasse.
Rentre, au mur vois pendus le glaive et la cuirasse ;
Remplis d’huile la lampe et polis le miroir ;
Puis, tranquille et laborieuse jusqu’au soir,
Assieds-toi sur le seuil et, de tes mains habiles,
Enroule à ton fuseau la laine que tu files.
Quelle pourpre, marine ou vivante, la teint ?
Et toi qui vas mêler aux trames des destins,
À la cruelle Mort l’Amour inexorable,
Assise et souriant sur le seuil vénérable,
Sereine et comme sur le marbre d’un tombeau,
Tu regardes s’enfler à ton fatal fuseau,
Entre ses pointes d’or, fil à fil élargie,
La laine deux fois teinte où ta main s’est rougie.