Les Mœurs du jour (Cooper)/Chapitre XXVIII

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Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Perrotin, Pagnerre (Œuvres, tome 30p. 363-377).



CHAPITRE XXVIII.


      C’est maintenant, Marie,
Qu’il te faut rassembler toute ton énergie ;
Jamais en aucun temps tu n’en eus plus besoin.

Addison.



Juge, membres du barreau, jurés, témoins et auditeurs, restèrent stupéfaits. Le procès avait été conduit avec la bonne foi la plus entière ; et pas un être humain, à l’exception de ceux qui sentaient toute la force du témoignage de Mac-Brain, ne mettait en doute la mort de l’individu qui en ce moment apparaissait vivant en pleine Cour. Le lecteur peut s’imaginer mieux que nous ne pouvons le décrire, l’effet d’une résurrection si inattendue !

Quand là confusion naturellement produite par une scène de cette nature se fut apaisée ; quand tous eurent vu, quand quelques-uns même eurent touché l’homme qu’on avait supposé assassiné, l’ordre se rétablit, et la Cour et les membres du barreau commencèrent à réfléchir sur la marche qu’ils avaient à suivre.

— Je suppose, monsieur l’attorney du district, fit observer Son Excellence, qu’il n’y a pas de méprise dans la personne de cet individu ; mais il vaudrait mieux avoir une ou deux dépositions sous serment. Voulez-vous venir près de moi, Monsieur ?

Une longue conférence particulière eut lieu alors entre l’accusateur public et le juge. Chacun d’eux exprima son étonnement du résultat aussi bien que son indignation de la déception pratiquée sur la Cour. Cette indignation fut un peu adoucie par l’impression, maintenant commune tous deux, que Marie Monson n’était pas absolument dans son bon sens. Il y a tant de ruses, néanmoins, mises en usage parmi les personnes accusées de crimes, et qui sont affectées de cette maladie, que des fonctionnaires publics étaient nécessairement très-circonspects dans l’admission de ce prétexte. Le côté le plus fâcheux de toute l’affaire était le discrédit qui retombait sur toute la justice du comté de Dukes. Il n’était pas naturel à ces hommes d’être insensibles à la sorte de défaveur que la réapparition de Pierre Goodwin jetait sur le comté et sur les juges, et ils étaient naturellement très-désireux d’effacer cette tache. La conférence dura jusqu’à ce que les dépositions sur l’identité de Pierre Goodwin fussent prêtes.

— Si ces dépositions avaient été présentées plus tôt, dit Son Excellence, immédiatement après la lecture des papiers, la sentence n’aurait pas été prononcée. Le cas est nouveau, et je demanderai un peu de temps pour réfléchir sur le parti que je dois prendre. Il faut nous débarrasser de la sentence d’une manière ou d’une autre, et je m’en occuperai avec soin. J’espère, confrère Dunscomb, que le conseil pour l’accusée n’a pas participé à cette déception.

— Je suis aussi surpris que peut-être Votre Excellence, répliqua vivement Dunscomb ; je ne soupçonnais pas le moins du monde l’existence de l’homme qu’on prétendait avoir été assassiné ; autrement nous vous eussions épargné toute cette procédure. Quant à la marche à suivre désormais, je serais assez d’avis en tout respect d’examiner le Code. C’est une Collection universelle et il doit contenir quelque article qui nous dira comment nous pourrons défaire tout ce qui a été fait.

— Il vaudrait mieux pour toutes les parties qu’il en fût ainsi. Il y a encore deux actes d’accusation pendants contre Marie Monson : l’un, au sujet de l’incendie ; l’autre touchant le meurtre de Dorothée Goodwin. Monsieur l’attorney du district sent la nécessité de juger ces causes, ou une du moins, pour venger la justice de l’État et du comté ; et je suis porté à croire que, dans tous les cas, ce serait le parti à prendre. J’espère que nous n’aurons plus de surprises, et qu’on fera avancer de suite Dorothée Goodwin, si elle est encore vivante. Le temps est précieux !

— Dorothée Goodwin est morte, dit Marie Monson, d’un ton solennel ; elle a été enlevée tout à coup et en état de péché. Il y a peu à craindre qu’elle revienne ici déjouer votre justice.

— Vous feriez bien, monsieur Dunscomb, de tenir en garde votre cliente contre des paroles piquantes et inconsidérées. Que l’accusée soit assignée, et un jury constitué. Quelle accusation préférez-vous suivre, monsieur l’attorney du district ?

Dunscomb vit que Son Excellence était blessée, et très-pressée d’agir. Il était blessé lui-même et à moitié disposé à se décharger de son ministère, mais il fut touché de la position d’une jeune femme sans défense. Ses doutes sur le bon sens de sa cliente commencèrent à prendre alors un caractère de certitude, et il vit combien il serait odieux d’abandonner un être frappé de ce malheur. Il fit entendre son soupçon à la Cour ; mais on lui répondit que dans tous les cas, le fait regardait expressément le jury. Après réflexion, l’avocat résolut de ne pas renoncer à sa mission.

Nous passerons sur toutes les formalités préliminaires. On constitua un jury sans beaucoup de difficulté, aucune récusation n’ayant eu lieu. Il était composé, en partie, de ceux qui avaient été nommés pour le premier jugement, en partie, d’hommes nouveaux. Ils avaient tous un air empressé et affairé qui déplut à Timms ; mais il était trop tard pour faire des récusations. À dire vrai, l’avocat principal se souciait bien moins du résultat que précédemment, très-convaincu que sa réclamation à Albany serait prise en grande considération.

Tous les faits majeurs exposés dans la première épreuve furent reproduits dans celle-ci. Quand les médecins de campagne furent appelés à donner leur opinion touchant le résultat du coup, il leur fallut nécessairement subir le contre-interrogatoire de Dunscomb, qui ne les épargna guère.

— Avez-vous été interrogé, Monsieur, dans le dernier jugement de Marie Monson, au sujet du meurtre de Pierre Goodwin ? demanda le conseil de la prisonnière au premier de ces modernes Galien qui comparut à la barre ?

— Oui, Monsieur.

— Que dîtes-vous en cette occasion (et il regarda ses notes du précédent jugement), touchant le sexe des personnes dont ces squelettes étaient les prétendus restes ?

— J’ai dit que je croyais, non pas que je savais, mais que je croyais que c’étaient les restes de Pierre et de Dorothée Goodwin.

— N’employâtes-vous pas des termes plus énergiques ?

— Je ne me le rappelle pas ; je puis l’avoir fait, mais je ne me le rappelle pas.

— N’avez-vous pas dit que vous ne doutiez pas que ce ne fussent les restes de Pierre et de Dorothée Goodwin ?

— Je puis avoir été jusque là. Maintenant que vous mentionnez les mots, je présume les avoir dits.

— Est-ce votre opinion maintenant ?

— Non, assurément. Je ne puis avoir cette opinion, après ce que j’ai vu.

— Connaissez-vous Pierre Goodwin, personnellement ?

— Très-bien. J’ai exercé plusieurs années dans ce voisinage.

— Quel est alors, selon vous, ce malheureux ici présent, que nous voyons en vie, quoique idiot ? Qui est-il réellement ?

— Pierre Goodwin, celui qu’on croyait assassiné. Nous sommes tous sujets aux méprises.

— Vous avez attesté dans votre premier interrogatoire qu’à votre avis, les deux personnes dont nous avons les restes ici devant nous, ont été étourdies, au moins, sinon complétement tuées par le coup qui, selon vous, fractura les deux crânes. Maintenant je vous demande si vous croyez la prisonnière, ici à la barre, douée de la force physique nécessaire pour frapper un tel coup ?

— Cela dépendrait de l’instrument dont on s’est servi. Un crâne humain peut assez facilement être entamé par un coup modéré donné avec un instrument pesant.

— Quelle espèce d’instrument, par exemple ?

Un sabre, une barre de fer, ou tout autre ustensile qui a du poids et de la force.

— Croyez-vous que ces fractures aient été faites par le même coup ?

— Oui, par un seul et même coup.

— Pensez-vous que Marie Monson ait la force nécessaire pour faire ces deux fractures d’un simple coup ?

Le témoin n’avait pas d’opinion à ce sujet.

— Les fractures sont-elles profondes ?

— Certainement ; elles doivent être le résultat d’un coup violent.

Ce fut tout ce qu’on put tirer des témoins sur ce point important. Quant à Mac-Brain, il fut ensuite interrogé sur les mêmes faits. Dunscomb tira bon parti de ce témoin, qui commandait alors le respect de tous les assistants. En premier lieu, il fut adroitement présenté au jury comme l’habile praticien qui, tout d’abord, avait exprimé l’opinion que les squelettes étaient ceux de deux femmes, et cela à la face de tous les savants réunis du comté de Dukes ; opinion si probable maintenant qu’elle équivalait presque à une certitude. Dunscomb croyait fermement que ces restes étaient ceux de Dorothée Goodwin et de l’Allemande qui avait disparu.

— Avez-vous examiné ces squelettes, docteur Mac-Brain ? demanda Dunscomb.

— Oui, Monsieur, et avec grand soin depuis le précédent jugement.

— De quelle manière, selon vous, les personnes dont nous voyons les squelettes vinrent-elles à mourir ?

— Je trouve des fractures sur les deux crânes. S’ils sont étendus dans la position qu’ils avaient quand on découvrit les restes (fait attesté par plusieurs témoins), je suis d’avis qu’un simple coup les a frappés en même temps ; il est possible que ce coup ne fût pas suffisant pour produire la mort ; mais il doit avoir produit la stupeur ou l’insensibilité, qui aurait empêché les victimes de chercher un refuge contre les effets des flammes.

— Le savant témoin est-il venu ici pour résumer la cause ? demanda Williams avec un de ces sourires diaboliques qui, parfois, lui faisaient gagner un verdict. Je désire le savoir, afin de pouvoir prendre des notes sur la suite de ses arguments.

Mac-Brain se retira, blessé de ce sarcasme. Il avait une défiance naturelle en toute chose, si ce n’est pour ce qui regardait les femmes, comme son ami en convenait d’ordinaire. Le juge n’aima pas ce sourire de Williams, et cela d’autant moins que, comme tous les assistants, il était pénétré d’un grand respect pour le savoir du témoin. Il avait très-peur de l’avocat, il est vrai, et redoutait son influence aux votes ; mais il avait réellement trop de conscience pour se soumettre aveuglément à tous ses caprices. Un juge peut encore avoir une conscience, si le Code veut bien le lui permettre.

— Ceci est très-irrégulier, monsieur Williams, pour ne pas dire inconvenant, fit observer Son Excellence avec douceur. Le témoin n’a rien dit de plus qu’il n’en a le droit, et la Cour doit le protéger. Continuez d’exposer votre témoignage. Monsieur.

— J’ai peu de chose à ajouter, s’il plaît à la Cour, reprit Mac-Brain, trop froissé pour reprendre tout de suite son empire sur lui-même.

Comme c’était tout ce que voulait Williams, il le laissa poursuivre ; et tout ce que le docteur avait à dire fut bientôt raconté au jury. Le conseil, pour l’accusation, eut le tort de ne pas faire subir à ce témoin un contre-interrogatoire. Mais le point important de ce jugement, ce furent les preuves concernant la pièce d’or. Comme l’existence de l’entaille était maintenant généralement connue, il fut assez facile de reconnaître la pièce qu’on avait trouvée dans la bourse de Marie Monson ; cette circonstance privait l’accusée d’un des moyens les plus simples et les meilleurs de démontrer l’ignorance des témoins. L’entaille, néanmoins, était le grand signe de mistress Burton, ce qui donnait à son témoignage, cette fois comme la précédente, une grande importance.

Dunscomb était sur le point de commencer le contre-interrogatoire, quand la voix claire et mélodieuse de Marie Monson elle-même se fit entendre pour la première fois depuis le commencement du jugement.

— M’est-il permis à moi de poser des questions à ce témoin ? demanda la prisonnière.

— Certainement, répondit le juge ; c’est le droit de quiconque est assigné, par le pays. Posez toutes les questions qu’il vous plaira.

— C’était là une décision quelque peu libérale quant au droit du contre-interrogatoire, et l’accusée s’en servit aussi largement qu’il lui avait été accordé. Quant au témoin, il était évident qu’elle avait peu de goût pour l’examen minutieux qu’elle prévoyait devoir subir ; sa contenance, son attitude, ses manières, tout trahissait la répugnance qu’elle avait pour toute la procédure.

— Mistress Burton, dit Marie Monson, je désire que vous disiez à la Cour et au jury quand vous avez vu pour la première fois la pièce d’or entaillée ?

— Quand je l’ai vue pour la première fois ? Je la vis pour la première fois, quand la tante Dorothée me la montra pour la première fois, répondit le témoin.

Bien des personnes auraient été mécontentes de cette réponse, et auraient probablement répété la question sous une autre forme ; mais Marie Monson parut satisfaite, et continua son interrogatoire, absolument comme si elle avait obtenu des réponses en harmonie avec ses vues.

— L’avez-vous bien examinée ?

— Aussi bien que je le désirais. Rien ne m’empêchait de le faire.

— L’avez-vous reconnue immédiatement en la voyant dans ma bourse ?

— Assurément, dès que je vis l’entaille.

— Mistress Goodwin vous fit-elle remarquer l’entaille, ou la lui fîtes-vous remarquer ?

— Ce fut elle qui me la fit remarquer ; elle craignait que l’entaille ne diminuât la valeur de la pièce.

— J’ai entendu tout cela précédemment ; mais je vous le demande maintenant, au nom de l’Être dont l’œil est partout, n’avez-vous pas mis vous-même cette pièce d’or dans ma bourse quand elle passa de main en main, après en avoir enlevé celle où il n’y avait pas d’entaille ? Répondez-moi, par le salut de votre âme !

Une semblable question était tout à fait hors des règles, et s’éloignait de l’interrogatoire habituel des témoins, puisqu’une réponse affirmative incriminait sur-le-champ celui qui la ferait, mais la manière animée, le ton solennel, et nous pouvons ajouter la physionomie inspirée de Marie Monson, firent tant d’impression sur le témoin qu’elle perdit ses droits tout à fait de vue, si jamais elle les avait connus. Ce qu’il y eut de plus remarquable, c’est qu’aucun des conseils pour l’accusation n’éleva une objection. L’attorney du district voulait que la justice eût son cours, et Williams commença à croire qu’il serait prudent de manifester moins d’acharnement que par le passé dans une cause où la partie assassinée était ressuscitée.

— Je crois avoir autant de souci du salut de mon âme qu’aucun des voisins en a du sien, répondit mistress Burton d’un ton de mauvaise humeur.

— Que votre réponse nous l’apprenne. Avez-vous ou n’avez-vous pas changé la pièce d’or ?

— Peut-être l’ai-je fait ; c’est dur à dire quand on a tant dit et tant fait.

— Comment vîntes-vous à posséder l’autre pièce, avec laquelle vous avez fait l’échange ? Répondez, Sarah Burton, au nom de la crainte de Dieu.

Le témoin trembla comme la feuille du peuplier. La scène était si imposante, que nul ne songea à intervenir ; mais le juge, les membres du barreau et le jury parurent d’accord pour abandonner les deux femmes à elles-mêmes ; c’était selon eux, le moyen le plus efficace d’obtenir la vérité. Les couleurs de Marie Monson devinrent plus vives ; son maintien et sa physionomie semblaient s’inspirer du moment, tandis que le visage de Sarah Burton devint de plus en plus pâle, à mesure que chaque question était posée et qu’on pressait la réplique.

— Je puis avoir de l’argent, j’espère, aussi bien que d’autres, répondit le témoin.

— Ceci n’est pas une réponse. Comment vîntes-vous en possession de la pièce d’or entaillée, pour pouvoir l’échanger avec celle qui ne l’était pas, et qui fut la seule qu’on trouva réellement dans ma bourse ? Répondez-moi à cela, Sarah Burton, ici où nous sommes placées toutes deux en présence de notre grand Créateur.

— Vous n’avez pas besoin de presser le monde d’une manière si terrible ; je ne crois pas que ce soit légal.

— Je répète la question, ou j’y répondrai pour vous. Quand vous mîtes le feu à la maison…

La femme poussa un cri, et leva les mains pour manifester son horreur.

— Je n’ai jamais mis le feu à la maison, s’écria-t-elle ; il prit au tuyau du poële dans le grenier, où il avait pris déjà deux fois précédemment.

— Qu’en savez-vous, à moins de l’avoir vu ? Comment le voir, à moins d’être présente ?

— Je n’y étais pas, et je ne l’ai pas vu ; mais je sais que le grenier a pris feu deux fois au tuyau du poële. La tante Dorothée avait le tort d’être très-négligente sur ce point.

— Et les coups sur la tête ! Qui frappa ces coups, Sarah Burton ?

— Comment puis-je vous le dire ? Je n’y étais pas ; il n’y a qu’un fou capable de croire que vous ayez eu, vous, la force de le faire.

— Comment alors cela arriva-t-il ? Parlez. Je lis dans votre pensée.

— J’ai vu le soc de la charrue étendu sur les têtes des squelettes et je vis Mores Steen le jeter de côté, dans sa précipitation à déblayer les décombres. Mores se le rappellera probablement, si on l’envoie chercher et qu’on le questionne.

Ce fait de la plus haute importance fut dévoilé sous l’impulsion d’une justification personnelle ; une expression de surprise y répondit dans l’auditoire et se trahit par un murmure. L’œil de Marie Monson brilla d’un air de triomphe, et elle continua avec des forces nouvelles et un plus grand pouvoir sur la volonté et la conscience du témoin.

— C’est bien, Sarah Burton ; c’est là une réponse droite et telle que vous deviez la faire. Vous pensez que le feu fut accidentel, et que la fracture des crânes provint de la chute du soc de charrue ?

— Oui, je sais que ce soc se trouvait au grenier, absolument au-dessus du lit, et que le tuyau du poële était tout près. Il y avait un coude à ce tuyau, et le danger provint de ce coude.

— C’est bien ; et l’œil d’en haut vous regarde plus favorablement, Sarah Burton.

Après que Marie Monson eut prononcé ces paroles, le témoin leva timidement ses regards vers le ciel, comme pour s’assurer du fait.

— Dites la sainte vérité, et il ne tardera pas à devenir pour vous bienveillant et miséricordieux. Dites-moi maintenant comment vous vîntes en possession du bas et de son contenu ?

— Le bas ! dit le témoin en tressaillant, et devenant aussi pâle qu’un linge. Qui dit que j’ai pris le bas ?

— Moi. Je le sais, grâce à cette secrète intelligence qui m’a été donnée de découvrir la vérité. — Parlez donc, Sarah, et dites à la Cour et au jury la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

— Personne ne m’a vue le prendre, et personne ne peut dire que je l’aie pris.

— Ici vous êtes dans l’erreur. On vous vit le prendre. Je vous vis, moi d’abord ; mais il y en eut un autre qui vous vit de son œil pénétrant, toujours attaché sur nous. Parlez donc, Sarah, et ne cachez rien.

— Ce ne fut pas dans une mauvaise intention, si je le pris. Il y avait tant de gens çà et là, j’avais peur que quelque étranger ne mît la main dessus. Voilà tout.

— On vous a vue ouvrir les tiroirs, pendant que vous vous teniez près du bureau, au milieu de la confusion et de l’émoi occasionné par la découverte des squelettes. Vous le fîtes à la dérobée, Sarah Burton.

— J’avais peur qu’on n’enlevât le bas. J’ai toujours eu l’intention de le remettre, sitôt que la loi en aurait déclaré le propriétaire. Davis le demande, mais je ne suis pas sûre qu’il lui appartienne.

— De quelle clef fîtes-vous usage ? Ne dissimulez rien.

— D’une clef à moi. Mes clefs ouvraient beaucoup de tiroirs de la tante Dorothée. Elle le savait, et ne le trouva jamais mauvais. Pourquoi eu eût-elle été formalisée ? ses clefs ouvraient les miens.

— Un autre mot : Où est ce bas ? où en est le contenu ?

— L’un et l’autre sont en sûreté dans le troisième tiroir de mon propre bureau, dont voici la clef, dit-elle en en tirant une de son sein. Je les mis là pour raison de sécurité, et personne n’ouvre ce tiroir que moi.

Timms prit la clef de la main de la femme, qui ne fit pas de résistance, et suivi de Williams, de Davis, et d’un ou deux autres, il quitta la salle d’audience. À ce moment Sarah Burton s’évanouit. Au milieu de la confusion causée pour la transporter dans une autre pièce, Marie Monson alla reprendre son siège.

— Monsieur l’attorney du district, vous n’avez guère l’intention de pousser plus loin cet acte d’accusation ? fit observer le juge en s’essuyant les yeux, et ravi du résultat inattendu de l’affaire.

Le fonctionnaire interpellé fut assez aise d’être débarrassé de son pénible ministère, et signifia sur-le-champ son désir de proposer un « nolle prosequi » pour le cas d’incendie, et d’accepter un acquittement s’il n’y avait pas d’opposition. Après un court résumé fait par le juge, le jury donna un verdict d’acquittement séance tenante, et cette décision venait d’être rendue quand Timms et ses compagnons revinrent apportant avec eux le bas dont on avait tant parlé.

Il fallut bien des mots pour éclaircir toute cette affaire ; mais le lecteur est déjà au fait, et il nous suffira d’exposer sommairement les circonstances nouvelles qui vinrent à être successivement connues.

Le feu avait été accidentel ; Goodwin avait quitté sa femme la nuit qui précéda l’incendie, et elle avait partagé son lit avec l’Allemande. Le plancher du grenier au-dessus des deux femmes ayant été consumé, la charrue tomba, et le soc asséna le coup qui fut cause de leur mort. Cette partie de la maison fut consumée la première, et les squelettes furent trouvés côte à côte. Dans la confusion qui suivit, Sarah Burton n’eut guère de peine à ouvrir le tiroir et à soustraire le bas. Elle s’imaginait n’avoir pas été vue ; mais Marie Monson observait ses mouvements, quoiqu’elle n’en pas idée de ce qui avait été dérobé. L’infortunée délinquante maintint que son intention dans le moment fut innocente, ou que son seul objet fut de mettre l’or en sûreté mais elle fut obligée d’avouer que la possession du trésor excita peu à peu sa cupidité, jusqu’à ce qu’elle commençât à espérer que le magot pourrait éventuellement devenir son bien. Après avoir regardé dans le bas, elle vit la pièce entaillée et la mit dans sa poche. Quand la bourse de Marie Monson fut examinée, Sarah Burton, profitant de l’émoi, échangea la pièce entaillée contre celle qui était sans imperfection, ne se croyant pas observée, comme nous l’avons dit ; mais l’œil vigilant de Marie Monson était sur elle. La première fois qu’elle l’avait regardée, c’était par pur hasard ; mais le soupçon une fois soulevé, il était assez naturel de ne pas perdre de vue la femme sujette à caution. L’accusée vit la fraude, et au moment qu’elle jugea convenable, la circonstance fut produite à la barre lors du jugement. Sarah Burton affirma que d’abord elle n’avait songé qu’à un simple échange, et que plus tard elle avait juré le contraire, sans trop se préoccuper des conséquences.

Grand fut l’étonnement, innombrables furent les articles de journaux que fit naître l’issue inattendue des « grands meurtres de Biberry. » Le nom de Marie Monson passa d’un bout de l’Union à l’autre, et mille personnes entendirent parler de cette femme singulière, et lurent son histoire sans se douter le moins du monde de son caractère réel et de sa position sociale. Combien il y eut peu de gens qui réfléchirent aux défauts du système qui la condamnait à être pendue sur d’insuffisants témoignages ou qui, par des préjugés contraires, l’auraient acquittée quand même elle aurait été coupable !

Il y eut à Biberry une sorte d’effervescence populaire qui voulait forcer Marie Monson à se donner en spectacle public. Le droit de faire cette ovation, ainsi que tout autre abus de ce genre, paraît dériver « de la simplicité républicaine » qui semble gouverner le pays avec une verge de fer. Malheureusement pour ce sentiment, l’objet de cette sympathie momentanée n’était pas disposé à autoriser une semblable licence. Parce qu’elle avait été victime des faits les plus outrageants, elle ne se crut pas tenue de se soumettre à tous les caprices qu’une sotte vulgarité jugerait convenable de lui infliger ; elle chercha la protection de la bonne mistress Gott et de sa prison, quelques formalités étant encore nécessaires avant qu’on pût légalement annuler la sentence de mort. En vain les fenêtres de la prison furent de nouveau encombrées par la foule avec le vertueux désir de voir la physionomie de Marie Monson alors qu’elle était acquittée, absolument comme elle s’était précédemment rassemblée, afin de juger de sa physionomie lorsqu’elle courait le danger d’être condamnée à être pendue. Ce qu’il y eut de plus extraordinaire dans cette affaire, c’est que la harpe devint populaire. La foule ramassée autour des fenêtres de la prison quelques heures après l’acquittement, mourait d’envie d’entendre jouer et chanter la prisonnière, et elle aurait volontiers toléré la harpe « et une langue étrangère » pour jouir de ce plaisir.

Mais Marie Monson était à l’abri des intrus sous les verrous de la joyeuse mistress Gott. Cette excellente personne couvrit la prisonnière de baisers quand elle la fit pénétrer dans la galerie, puis elle sortit un instant, et fut heureuse de répéter à plusieurs personnes des plus respectables dans la foule combien tout d’abord elle avait été persuadée de l’innocence de son amie.

— C’est le plus absurde procès qui ait eu lieu dans le comté de Dukes, dit la bonne femme du shériff, bien qu’on m’assure que d’absurdes procès ne sont que trop communs. Cela me donna une fière peur, j’en conviens. Lorsque Gott fut élu shériff, j’espérais qu’il échapperait à toutes les exécutions, si ce n’est aux exécutions pour dettes ; de celles-là, plus il en a, mieux cela vaut. Il est bien assez triste d’escorter des voleurs à Sing-Sing, mais pendre est un pauvre métier pour un homme qui se respecte un peu, et puis pour première exécution avoir celle de Marie Monson, qui est autant au-dessus de ce châtiment que la vertu est au-dessus du vice ! Quand j’entendis ces terribles mots, je crus sentir la corde autour de mon cou. Mais j’eus foi en elle jusqu’au bout ; Marie m’a toujours dit qu’elle serait acquittée, et sa prédiction s’est réalisée.

— Savez-vous, mistress Gott, lui dit une de ses amies, que cette femme, ou cette dame, car c’est le nom qu’on doit lui donner maintenant, je suppose, avait l’habitude, à ce qu’on rapporte, de quitter la prison chaque fois qu’elle le jugeait à propos ?

— Chut ! voisin Brookes, il est inutile d’alarmer le comté. Je crois que vous avez raison, quoique tout se passât à mon insu, autrement je ne l’aurais jamais permis ; cela prouve seulement la puissance de l’or. Les serrures sont aussi bonnes que pas une dans l’État, et pourtant Marie trouva moyen de les ouvrir ; on ne peut appeler cela briser ses fers, puisqu’elle revenait chaque fois ! J’eus une fière peur la première fois que je l’appris, mais l’habitude nous réconcilie à tout. Je ne mis jamais Gott dans le secret, quoiqu’il soit, selon son expression, responsable de tous ses prisonniers.

— Allons, quand une affaire tourne bien, cela ne vaut rien de toujours en causer.

Mistress Gott fit un signe d’assentiment, et dans ce cas comme dans cent autres, la fin justifia les moyens. Mais Marie Monson formait une exception à toutes les règles, et l’on ne se sentait nullement disposé à éplucher davantage ses actions. Son innocence avait été établie d’une manière si triomphante, que chacun regardait avec indulgence ses folies et son étrange conduite.

Au moment même où mistress Gott haranguait ses voisins à la porte de la prison, Dunscomb était enfermé à l’auberge avec Michel Millington, le jeune homme n’étant revenu en toute hâte qu’après l’audience. Il avait réussi, malgré son premier désappointement, et avait pris les renseignements les plus certains sur tout ce qui concernait la mystérieuse habitante de la prison de Biberry. Marie Monson était, comme le soupçonnait Dunscomb, Mildred Millington de naissance, madame de Larocheforte par mariage ; elle était la petite-fille de la femme à qui, dans sa jeunesse, il avait été fiancé. Sa folie n’était pas nettement reconnue, ne pouvait jamais être légalement établie peut-être, bien qu’un grand nombre de ceux qui la connaissaient intimement l’en soupçonnassent fortement, et que ce fût une source de grandes contrariétés pour tous ceux qui portaient intérêt à son bien-être. Son mariage avait été malheureux, et l’on supposait qu’elle s’était logée dans le cottage des Goodwin pour se soustraire à son mari. Sa grande fortune lui donnait le pouvoir d’agir à sa fantaisie, et quoique le souffle de la calomnie n’eût pas encore flétri son nom, elle était répréhensible sur bien des points qui sont des devoirs aussi sérieux que celui d’être chaste. Les lois vinrent en aide à ses folies et à ses caprices, en lui permettant l’usage désordonné de ses richesses, et en autorisant sa révolte contre le pouvoir conjugal.