Les Marchands de Voluptés/06

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Édition Prima (p. 37-42).

VI

Amande se défend


Tandis que surprise et éberluée Amande ne savait plus, durant un court moment, que dire et que faire, le danseur de la Sangsue sautait, derrière elle, hors de l’auto et la prenait par le bras.

Sa voix était soudain devenue un peu rauque, et la douceur qu’il étalait peu auparavant se trouvait disparue d’un coup.

Il dit âprement :

— Venez là !

La jeune fille se reprit immédiatement :

— Je ne vais nulle part, dit-elle crânement, en se dégageant de la prise.

L’homme eut un ricanement :

— Mais si ! vous allez venir sur l’herbe, là, et nous nous amuserons un petit quart d’heure…

Amande sentit un rouge invisible, mais chaud, qui lui montait aux joues. On la prenait visiblement pour une fille galante qui veut se faire passer pour naïve.

Sa voix rageuse s’étrangla :

— Nous ne nous amuserons pas, je vous le dis. Ayez l’obligeance de me reconduire chez moi !

L’individu eut de nouveau son rire insolent :

— Vous croyez commander ici, ma petite. Détrompez-vous donc. Vous êtes à moi. Pucelle ou pas, mais je ne vous crois pas telle, si habile qu’ait été votre conduite au dancing, vos m’appartiendrez, et où nous voici ! N’appelez pas, car je vous bâillonnerais.

— Nous serions deux, dit Amande en s’efforçant de garder la maîtrise de volonté dont elle aurait besoin sans doute avant peu. Un silence régna durant moins d’une minute. Le personnage pensait que le sentiment de la solitude, du danger, de la ténèbre ambiante et de la décision catégorique, chez l’ennemi qui lui faisait face, dussent vaincre vite cette grande jeune fille, peu habituée certainement à combattre dans des circonstances semblables. Il était sûr de lui.

Mais Amande, toujours droite, et sans flancher, répéta :

— Reconduisez-moi, plutôt que de faire de vaines menaces. Je vous l’ai dit il n’y a pas longtemps, je ne suis pas de celles qui s’épouvantent vite et qui capitulent. Vous ne m’aurez pas.

— Je vous aurai ! répliqua l’homme en la prenant par les deux mains. Ils se faisaient face et le diapason des voix s’élevait un rien. Visiblement le personnage ne s’était pas attendu à cette résistance. Elle eut un rire strident.

Alors il la tira, à lui comme font les lutteurs, avec un croc en jambes fort habile qui devait la précipiter à terre.

Amande, évidemment inaccoutumée à ces façons, chancela et fut aussitôt emprisonnée à plein corps.

Elle sentit que ce genre de combat lui serait fatal et attendit, pour s’en dégager, un relâchement de l’étreinte dangereuse. Cela ne tarda pas. L’homme, se croyant vainqueur, voulut plus fortement l’immobiliser, et pour la saisir mieux il la lâcha une demi-seconde. C’en fut assez pour que la jeune fille parvint presque à se libérer. Elle n’était plus tenue que par un poignet. Mais on le serrait si fort qu’elle crut défaillir.

— Coquine ! fit l’agresseur furieux.

Et il essaya cette fois de ceinturer Amande par derrière.

En même temps il proférait de sales injures à voix basse, tant cette audacieuse lutte l’agaçait.

Amande, soudain, lui échappa. Elle avait profité d’un de ces moments légers, où un ennemi atténue toujours sa prise pour la rendre plus complète ensuite.

Elle recula vite :

— Brute ! fit-elle furieusement.

Alors, se lançant sur elle comme un fauve, l’autre la prit par les jambes et la culbuta.

Amande roula sur le sol avec un cri puis se sentit dominée par un corps robuste, qui tentait en même temps, de la garder immobile, de lui interdire l’emploi des mains, de lever la jupe et de lui disjoindre les jambes. C’était toutefois trop compliqué. De fait, ce labeur complexe ne se fit pas aussi facilement que l’homme pensait d’abord…

Mais ce qui vainc les femmes agressées, c’est toujours moins la vigueur du violeur que le désordre et l’exténuement provoqué dans leur esprit et dans leurs muscles par une lutte excessive et la tension nerveuse qui en résulte. Il vient généralement un instant où la femme qui se débat succombe donc par lassitude et incapacité de se crisper plus longtemps. Sa défense est moins centrée et moins tendue vers un but exclusif que l’attaque et son désir. D’où le fléchissement, qui est une réaction.

Se tordant en tous sens comme un serpent pris par la tête, s’efforçant de crier ensemble et de garder ses cuisses en contact, secouant ses bras et soubresautant du torse, Amande comprit enfin que de si violents efforts allaient tôt la livrer pantelante, et aussi épuisée qu’un athlète qui vient de courir quatre cents mètres en moins de cinquante secondes.

Elle se ressaisit.

Fermant la bouche en pensant que toute aide était sans doute vaine à espérer, elle s’immobilisa brusquement, comme si elle se donnait.

L’autre eut un rire de triomphe…

— Ah ! garce, fit-il sauvagement, tu me fais attraper chaud.

Et, se croyant vainqueur, il écoutait avec une joie sourde la respiration haletante d’Amande. Puis il lui abandonna les bras pour porter ses efforts plus loin.

Mais, ainsi qu’un petit fauve, la jeune fille s’arc-bouta sur le sol, se secoua violemment, et fit rouler sur le dos, avec un juron furieux, l’homme qui se croyait définitivement maître d’elle. Il touchait justement la chair désirée. Ce fut rapide, car, d’un bond de carpe, Amande délivrée se mit debout et s’élança devant elle. Trente mètres plus loin, elle se retourna, en entrant dans une sorte de buisson qui lui griffait les jambes.

Les phares en veilleuse de l’auto brillaient légèrement. À côté, l’adversaire relevé faisait une grande ombre incurvée. Il hésitait à poursuivre sa victime.

En même temps il grognait des outrages empruntés à la langue verte, et qui prétendaient reconnaître à Amande tous les vices ensemble de Sodome et de Gomorrhe.

Il se lança pourtant vers Amande, mais elle le vit venir et s’enfonça vite dans un fourré. Il la frôla, s’écarta, furieux et d’autant plus déraisonnable. À la fin, calmé, il prit une lampe électrique pour la chercher méthodiquement. Mais Amande fuyait follement, sans savoir où.