Les Martyrs/Remarques sur le livre VI
LIVRE SIXIÈME.
La France est une contrée sauvage.
La France d’autrefois, ou le pays des Francs, n’étoit point la France d’aujourd’hui : ce que nous nommons France à présent est proprement la Gaule des anciens. J’ai cité pour autorité, dans la préface, la Carte de Peutinger, et saint Jérôme dans la Vie de saint Hilarion. La Table-carte de Peutinger est une espèce de livre de poste des anciens, composé vraisemblablement dans le ive siècle. Retrouvé par un ami de Peutinger, jurisconsulte d’Augsbourg, il fut publié à Venise, en 1591. Ce sont de longues bandes de papier sur lesquelles on a tracé les chemins de l’empire romain, avec les noms des pays, des villes, des mansions ou relais de poste ; le tout sans division, sans méridien, sans longitude et sans latitude. Le mot Francia se trouve écrit de l’autre côté du Rhin, à l’endroit que je désigne.
Voici les paroles de saint Jérôme : « Entre les Saxons et les Germains, on trouve une nation peu nombreuse, mais très-brave. Les historiens appellent le pays qu’habite cette nation Germanie, mais on lui donne aujourd’hui le nom de France. » (In Vit. S. Hilar.)
« La nation des Celtes, dit Libanius, habite au-dessus du Rhin le long de l’Océan. Ces barbares se nomment Francs, parce qu’ils supportent bien les fatigues de la guerre. » (In Basil.)
Les peuples qui habitent ce désert sont les plus féroces des barbares.
« Les Francs, dit Nazaire, surpassent tous les peuples barbares en férocité. » Selon l’auteur anonyme d’un panégyrique prononcé devant Constantin, « il n’étoit pas aisé de vaincre les Francs, peuple qui se nourrissoit de la chair des bêtes féroces. »
Ils regardent la paix comme la servitude la plus dure dont on puisse leur imposer le joug.
« La paix est pour les Francs une horrible calamité. » (Liban., Orat. ad. Constantin.)
Les vents, la neige, les frimas, font leurs délices ; ils bravent la mer, etc.
« Les Francs sont au milieu de la mer et des tempêtes aussi tranquilles que s’ils étoient sur la terre : ils préfèrent les glaces du Nord à la douceur des plus agréables climats. » (Liban., loc. cit.) Cette phrase qu’on lit dans le texte : On diroit qu’ils ont vu le fond de l’Océan à découvert, etc., est appuyée sur un passage de Sidoine Apollinaire. (lib. viii, Epist. ad Namm.)
Ce fut sous le règne de Gordien le Pieux qu’elle se montra pour la première fois.
Depuis l’an 241 jusqu’à l’an 247. Voy. Flav. Vopisc., cap. VII.
Les deux Décius périrent dans une expédition contre elle.
Voyez la préface, et Chron. Paschal.
Probus… en prit le titre glorieux de Francique.
Vid. Flav. Vopisc., in Vit. Prob.
Elle a paru à la fois si noble et si redoutable, etc.
Fait très-curieux, rapporté dans un ouvrage de l’empereur Constantin Porphyrogénète. Il dit que Constantin le Grand fut l’auteur de la loi qui permettoit aux empereurs romains de s’allier au sang des Francs. (De Admin. imp.)
Enfin ces terribles Francs venoient de s’emparer de l’île de Batavie.
Fait historique. Voyez Panég. prononcé devant Max. Herc. et Const. Chl., chap. IV.
Nous entrâmes sur le sol marécageux des Bataves.
« Terra non est… Aquis subjacentibus innatat et suspensa late vacillat. » (Eum., Paneg. Const. Cæs.)
Le trompettes… venoient à sonner l’air de Diane.
La Diane est restée à nos armées. On sonnoit de la trompe à tous les changements de garde, le jour et la nuit.
Le centurion qui se promenoit… en balançant son cep de vigne.
La marque du grade de centurion étoit un bâton de sarment de vigne qui lui servoit à ranger ou à frapper les soldats. Le centurion commanda d’abord cent hommes, quand la légion étoit de trois mille hommes ; il n’eut plus sous ses ordres que cinquante hommes quand la légion fut portée à quatre mille hommes : il y avoit deux compagnies chacune de soixante hommes dans chaque manipule. Le premier centurion de l’armée siégeoit au conseil de guerre et ne recevoit d’ordre que du général ou des tribuns.
La sentinelle… tenoit un doigt levé dans l’attitude du silence.
Montfaucon, dans les Antiquités romaines, explique ainsi la pose de quelques soldats.
Le victimaire qui puisoit l’eau du sacrifice.
Le victimaire préparoit les couteaux, l’eau, les gâteaux du sacrifice ; il étoit à demi nu et portoit une couronne de laurier. Il y avoit dans chaque camp romain un autel auprès du tribunal de gazon où siégeoit le général. Les tentes étoient de peau : de là l’expression sub pellibus habitare. Elles étoient disposées parallèlement, formant des rues régulières et se croisant à angle droit. Les camps romains étoient de forme carrée ; les Grecs, et surtout les Lacédémoniens, faisoient les leurs de forme ronde.
… redisoient autrefois les vers d’Euripide.
Après la défaite et la mort de Nicias devant Syracuse, plusieurs Athéniens, devenus esclaves, obtinrent la liberté pour prix des vers d’Euripide qu’ils répétoient à leurs maîtres : la réputation de ce grand tragique commençoit à percer en Sicile.
La légion de Fer et la Foudroyante.
La légion romaine fut successivement de trois, quatre, cinq et six mille hommes, y compris les différentes espèces de soldats armés, comme je le marque ici : les Hastati, les Princes et les Triarii ; les Vexillaires n’étoient que les porte-étendards. L’ordre de ces soldats dans la ligne ne fut pas toujours le même : la légion se divisoit en deux cohortes, chaque cohorte en trois manipules, et chaque manipule en deux centuries. Outre le numéro de son rang, la légion portoit encore un nom tiré de ses divinités, de son pays ou de ses exploits. (Polyb., lib. vi, Veg., lib. ii)
Les signes militaires des cohortes… étoient parfumés.
Les aigles distinguoient la légion ; les signes particuliers marquoient les cohortes ; on les ornoit de verdure le jour du combat, et quelquefois on les parfumoit : c’est ce qui a fourni à Pline une belle déclamation : « Aquilæ certe ac signa, pulverulenta illa, et custodibus horrida, inunguntur festis diebus : utinamque dicere possemus quis primus instituisset ! Ita est, nimirum hac mercede corruptæ terrarum orbem devicere aquilæ. Ista patrocinia quærimus vitiis, ut per hoc jus sumantur sub casside unguenta. » (Plin., Hist. Nat., lib. XIII, cap. IV, 3.)
Les Hastati.
Voyez, pour ces soldats, la note XVIe.
… étoient remplis par des machines de guerre.
La catapulte, la baliste, la grue, les béliers, les tours roulantes, et sur les vaisseaux les corbeaux, les becs d’airain, les ongles de fer. On ne se servoit guère dans les batailles que des catapultes et des balistes ; les autres machines étoient pour les siéges.
À l’aile gauche de ces légions, la cavalerie des alliés déployoit son rideau mobile.
L’ordre, le nombre, l’armure de la cavalerie, varièrent chez les Romains selon les temps. Tantôt jointe à la légion, tantôt formant un corps à part, la cavalerie vers la fin de la république prit le nom général d’ala ou d’aile, parce qu’elle servoit sur les flancs. La plus nombreuse cavalerie des Romains étoit celle des alliés, et elle différoit nécessairement d’armes offensives et défensives, selon le peuple à qui elle appartenoit : c’est ce qu’on a exprimé ici avec le plus d’exactitude possible.
Sur des coursiers tachetés comme des tigres et prompts comme des aigles, etc.
Selon Strabon, les chevaux des Celtibères (les Espagnols) égaloient la vitesse des chevaux des Parthes : ils étoient généralement d’un poil gris cu tigré (Strab., lib. iii). Diodore vante également la cavalerie des Espagnols (lib. v). Au rapport de ces deux auteurs, les Celtibères étoient presque tous vêtus d’un savon ou d’un manteau de laine noire (id., ibid.). Ils portoient un casque ou une espèce de chapeau tissu de nerf et surmonté de trois aigrettes, d’après Strabon (loc. cit.). Diodore veut que ces aigrettes fussent teintes en pourpre (loc. cit.). Strabon donne aux Celtibères de courts javelots. L’épée ibérienne étoit fameuse par sa trempe ; il n’y avoit, d’après le témoignage de Strabon, ni casque ni bouclier qui fût à l’épreuve du tranchant d’une pareille épée.
Des Germains d’une taille gigantesque.
Jules César et Tacite ne parlent point du bonnet et de la massue que je donne ici aux cavaliers germains (Cæs., de Bell. Gall., lib. vi ; Tacit., de Mor. Germ.). Je ne puis retrouver l’autorité originale où j’ai pris ces détails ; mais dans l’Histoire de France avant Clovis, par Mézeray, on trouvera, page 37 (1692, in-12), la circonstance de la massue. Mézeray donne à cette massue le nom de cateies.
Auprès d’eux, quelques cavaliers numides.
Une foule de pierres gravées et les monnoies anciennes de l’Afrique, soit puniques, soit romaines, représentent ainsi le cavalier numide.
Sous leurs selles ornées d’ivoire.
Il ne faut pas entendre ce mot de selles comme nous l’entendons aujourd’hui. La selle proprement dite étoit inconnue aux Romains au ive siècle : ils n’avoient qu’un petit siége retenu sur le dos du cheval par un poitrail et par une croupière. Ces selles n’avoient point d’étriers. Quoiqu’il soit question de mors ou de frein dans Virgile, il est douteux que la bride fût en usage dans la cavalerie romaine. Quant aux gants ou gantelets, ils remontent à la plus haute antiquité : Homère en donne à Laerte, dans l’Odyssée ; les Perses en portoient, comme nous, pour la propreté.
L’instinct de la guerre est si naturel chez ces derniers (les Gaulois), etc.
Ces Gaulois ressembloient beaucoup aux François d’aujourd’hui.
Tous ces barbares avoient la tête élevée, les couleurs vives.
Consultez César, lib. i, IV et vi ; Diodore, lib. v, Strabon, iv et vii.
Les yeux bleus, le regard farouche et menaçant.
« Luminum torvitate terribiles, » dit Ammien Marcellin. (Voyez aussi Diodore, loc. cit.)
Ils portoient de larges brayes, et leur tunique étoit chamarrée.
La Gaule Narbonnoise s’appela d’abord Braccata, du nom de ce vêtement gaulois. « Les Gaulois, dit Diodore, portent des habits très-singuliers : ce sont des tuniques peintes de toutes sortes de couleurs ; ils mettent dessus la tunique un sayon rayé et divisé par bandes. » (Diodore, lib. v. Voyez aussi Strabon, lib. ii.) Le nom de saye ou sayon vient de sagum, un sac. Le sarrau de nos paysans est le véritable sagum des Gaulois.
L’épée du Gaulois ne le quitte jamais, etc.
L’épée étoit l’arme distinctive des Gaulois, comme la francisque, ou la hache à deux tranchants, étoit l’arme particulière du Franc. Les Gaulois portoient l’épée sur la cuisse droite, suspendue par une chaîne de fer, ou pressée par un ceinturon. (Voyez Diod., lib. v ; Strab., lib. IV.) On juroit sur son épée ; on la plantoit au milieu du mallus ou du conseil ; on ne pouvoit pas prendre en gage l’épée d’un guerrier ; enfin, c’étoit la coutume, chez les Gaulois et chez les Germains, de brûler les armes du mort sur son bûcher funèbre. (Voyez César, lib. VI ; Tacite, de Mor. Germ., et Leg. Longob., lib. ii.) Selon César, on brûloit aussi aux funérailles les personnes que le mort avoit chéries, quos dilectos esse constabat, et quelquefois son épouse.
Une légion chrétienne.
Voilà les chrétiens ramenés sur la scène. Il paroît pour cette fois qu’on ne les y a pas trouvés déplacés. Ils sont commandés pour ainsi dire par un François. Nous avons des droits à la gloire de saint Victor martyr. Il étoit de Marseille, et après avoir été battu de verges, suspendu à une croix pour la religion de Jésus-Christ, il fut broyé sous la roue d’un moulin, ainsi qu’un pur froment, disent les actes de son martyre.
Nous Crétois… nous prenions nos rangs au son de la lyre.
Ceci n’est point un tour poétique, c’est la pure vérité : les Crétois régloient la marche de leurs guerriers au son d’une lyre.
Parés de la dépouille des ours.
Ce n’étoit pas l’habillement des Francs, mais c’étoit leur parure. Tous les barbares de la Germanie, et même avant eux les Gaulois, se couvroient de peaux de bêtes, ainsi que le racontent César, de Bell. Gall., lib. VI ; Tacite, de Mor. Germ., 6, 7, etc. L’uroch dont il est ici question, et que les auteurs latins appellent urus, étoit une espèce de bœuf sauvage ; on en parlera ailleurs.
Une tunique courte et serrée, etc., jusqu’à l’alinéa.
Tout ce paragraphe est tiré de Sidoine Apollinaire, dans son Panégyrique de Majorien ; c’est le plus ancien document que nous ayons touchant les costumes de nos pères : je l’ai traduit presque littéralement dans le texte. Peloutier demande où Mézeray a pris que les Francs avoient les yeux verts ; il cite un mot grec qui veut dire bleu, et que Mézeray, dit-il, a mal interprété. Peloutier se trompe ; Mézeray n’a traduit ici ni Strabon ni Diodore, qui n’ont pu parler des Francs, ni Agathias, ni Anne Comnène ; il avoit sans doute en vue le passage de Sidoine dont je me suis servi. J’ai donc pu dire poétiquement, des yeux couleur d’une mer orageuse, autorisé d’un côté par les vers de Sidoine, qui donnent aux Francs des yeux verdâtres, et de l’autre par le témoignage de toute l’antiquité, qui parle du regard terrible des barbares. Remarquons que les perruques à la Louis XIV, dont on ramenoit les cheveux en devant sur les épaules, ressembloient parfaitement à la chevelure des Francs. Je parlerai plus bas du javelot appelé angon : ce mot est d’ailleurs dans le Dictionnaire de l’Académie. Anne Comnène nous a laissé la description d’un Franc ou François, assez curieuse pour être rapportée ; on y voit la physionomie d’un barbare à travers l’imagination d’une Grecque. « La présence de Boémond éblouissoit autant les yeux que sa réputation étonnoit l’esprit. Sa taille étoit si avantageuse, qu’il surpassoit d’une coudée les plus grands. Il étoit menu par le ventre et par les côtés, et gros par le dos et par l’estomac ; il avoit les bras forts et robustes. Il n’étoit ni maigre ni gras, mais dans une juste température, et telle que Polyclète l’exprimoit ordinairement dans ses ouvrages, qui étoient une imitation fidèle de la perfection de la nature. Il avoit les mains grandes et pleines, les pieds fermes et solides. Il étoit un peu courbé, non par aucun défaut de l’épine du dos, mais par une accoutumance de jeunesse, qui étoit une marque de modestie. Il étoit blanc par tout le corps ; mais il avoit sur le visage un juste tempérament et un agréable mélange de blanc et de rouge. Il avoit des cheveux blonds, qui lui couvroient les oreilles, sans lui battre sur les épaules à la façon des barbares. Je ne sais si sa barbe étoit rousse ou d’une autre couleur, parce qu’il étoit rasé fort près. Ses yeux étoient bleus et paroissoient pleins de colère et de fierté. Son nez étoit fort ouvert, car, comme il avoit l’estomac large, il falloit que son poumon attirât une grande quantité d’air pour en modérer la chaleur. Sa bonne mine avoit quelque chose de doux et de charmant ; mais la grandeur de sa taille et la fierté de ses regards avoient quelque chose de farouche et de terrible. Son ris n’exprimoit pas moins la terreur que la colère des autres en exprime. » (Ann. Comn., liv. xiii, chap. vi, trad. du prés. Cousin.)
Ces barbares… s’étoient formés en coin.
« Acies per cuneos componitur. » (Tacit., de Mor. Germ., VI.)
À la pointe de ce triangle étoient placés des braves qui, etc.
« Et aliis Germanorum populis usurpatum rara et privata cujusque audentia apud Cattos in consensum vertit, ut primum adoleverint, crinem barbamque summittere, nec, nisi hoste cæso, exuere votivum obligatumque virtute oris habitum… Fortissimus quisque ferreum insuper annulum (ignominiosum id genti) velut vinculum gestat, donec se cæde hostis absolvat. » (Tacit., de Mor. Germ., XXXI.)
Chaque chef, dans ce vaste corps, étoit environné des guerriers de sa famille.
« Quodque præcipuum fortitudinis incitamentum est, non casus, nec fortuita conglobatio turmam aut cuneum facit, sed familiæ et propinquitates : et in proximo pignora, unde feminarum ululatus audiri, unde vagitus infantium. » (Tacit., de Mor. Germ., VII.)
Chaque tribu se rallioit sous un symbole.
« Effigiesque et signa quædam detracta lucis in prælium ferunt. » (Id.) Je place ici l’origine des armes de la monarchie.
Le vieux roi des Sicambres.
Il y aura ici anachronisme, si l’on veut, ou l’on dira que c’est un Pharamond, un Mérovée, un Clodion, ancêtre des princes de ce nom que nous voyons dans l’histoire. On sait d’ailleurs qu’il y a eu plusieurs Pharamond, et peut-être ce nom n’étoit-il que celui de la dignité (Montfaucon, Antiq.). Je ne puis m’empêcher de remarquer la justice et la bonne foi de la critique. On a tout approuvé dans ce livre, jusqu’aux anachronismes, qu’on n’a point relevés, et l’on m’a chicané sur le nom de Velléda, qui n’est point la Velléda de Tacite.
À leurs casques en forme de gueules ouvertes ombragées, etc.
« Tous les cavaliers cimbres avoient des casques en forme de gueules ouvertes et de mufles de toutes sortes de bêtes étranges et épouvantables ; et les rehaussant par des panaches faits comme des ailes et d’une hauteur prodigieuse, ils paroissoient encore plus grands. Ils étoient armés de cuirasses de fer très-brillantes et couverts de boucliers tout blancs. » (Plutarque, in Vit. Mar.) J’attribue aux Francs ce que Plutarque raconte des Cimbres ; mais les Cimbres avoient habité les bords de l’Océan septentrional, comme les Francs, et tous les barbares qui envahirent l’empire romain avoient, les Huns exceptés, une foule de coutumes semblables.
Il étoit… retranché avec des bateaux de cuir et des chariots attelés de grands bœufs.
Tacite parle des légers bateaux à deux proues d’une nation germanique qui habitoit les bords de l’Océan. Sidoine Apollinaire, dans le Panégyrique d’Avitus, dit que les bâtiments des Saxons étoient recouverts de peaux. Quant aux chariots, une autorité suffira : Sidoine raconte que Majorien ayant vaincu les Francs, on trouva dans des chariots tous les préparatifs d’une noce : le repas, les ornements et des vases couronnés de fleurs. On s’empara de ces chariots et de la nouvelle épouse : c’étoit vraisemblablement une reine des Francs, à en juger par cette magnificence.
Que les camps étoient retranchés avec des chariots, on va le voir : « Omnemque aciem suam (Germanorum) circum rhedis et carris circumdederunt… eo mulieres imposuerunt. » (Cæs.)
Trois sorcières en lambeaux faisoient sortir de jeunes poulains d’un bois sacré.
Il y a ici une réunion de plusieurs choses. Selon Tacite, les Germains accordoient l’esprit de divination aux femmes ; les Gaulois, comme nous le verrons par la suite, avoient leurs druidesses : ces druidesses se changèrent ensuite en fées (fatidicæ), en sorcières, etc. : de là les sorcières de Macbeth. Quant aux augures tirés de la course des chevaux, Tacite est mon garant : « Proprium gentis equorum quoque præsagia ac monitus experiri. Publice aluntur iisdem nemoribus ac lucis candidi, et nullo mortali opere contacti, quos pressos sacro curru sacerdos ac rex vel princeps civitatis comitantur, hinnitusque ac fremitus observant. » (Tacit., de Mor. Germ., x.) Pour le dieu Tuiston, c’est encore Tacite. « Celebrant carminibus antiquis Tuistonem deum. » (Id., ii.)
Quand nous aurons vaincu mille guerriers francs.
Mille Francos, mille Sarmatas semel occidimus ;
Mille, mille, mille, mille, mille Persas quærimus.
(Flav. Vopisc., in Vit. Aurel. 7.)
Les Grecs répètent en cœur le Pœan.
Le Pœan, chez les Grecs, étoit à proprement parler un chant ou un hymne quelconque. Il est pris ici pour le chant du combat ; on le trouve comme tel dans la Retraite des Dix Mille et ailleurs.
L’hymne des druides.
C’est le chant des bardes. Tout ce qu’on a dit sur les bardes de notre temps est un roman qu’une phrase de Strabon, copiée par Ammien Marcellin, et deux ou trois phrases de Diodore, ont produit. « Bardi qui de laudationibus rebusque poeticis student. » (Strab., lib. IV.)
Ils serrent leurs boucliers contre leur bouche.
« Nec tam voces illæ quam virtutis concentus videntur. Affectatur præcipue asperitas soni, et fractum murmur, objectis ad os scutis, quo planior et gravior vox repercussu intumescat. » (Tacit., de Mor. Germ., iii.)
Ils entonnent le bardit.
« Sunt illis hæc quoque carmina, quorum relatu, quem barditum vocant, accendunt animos, futuræque pugnæ fortunam ipso cantu augurantur. Terrent enim trepidantve, prout sonuit acies. » (Tacit., de Mor. Germ., III.)
Saxo Grammaticus, l’historien de la Suède, Olaüs Wormius, dans sa Litteratura runica, nous ont conservé plusieurs fragments de ces chants des peuples du Nord, dont Charlemagne avoit fait faire un recueil. J’ai imité ici le chant de Lodbrog, en y ajoutant un refrain et quelques détails sur les armes, appropriés à mon sujet :
Pugnavimus ensibus…, etc., etc.
Virgo deploravit matutinam lanienam,
Multa præda dabatur feris.
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Quid est viro forti morte certius ? etc.
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Vitæ elapsæ sunt horæ ;
Ridens moriar…
Il y a bien loin de ces vers à ceux d’Homère et de Virgile, rappelés dans Les Martyrs.
Victoire à l’empereur !
Le cri du soldat romain en commençant la bataille s’appeloit barritus ; il étoit soumis à de certaines règles, et il y avoit des maîtres pour l’enseigner, comme parmi nous des maîtres d’armes.
Le roi chevelu.
Grégoire de Tours parle à tout moment de la chevelure des rois de la première race. Saint-Foix ayant rassemblé les autorités, je les donne ici sous son nom.
« Les Francs, dit l’auteur des Gestes de nos Rois, élurent un roi chevelu, Pharamond, fils de Marcomir. » — « Les Francs, dit Grégoire de Tours, ayant passé le Rhin, s’établirent d’abord dans la Tongrie, où ils créèrent par cantons et par cités des rois chevelus. Il raconte dans un autre endroit que le jeune Clovis, fils de Chilpéric, ayant été poignardé et jeté dans la Marne par l’ordre de Frédégonde, sa belle-mère, son corps s’arrêta dans les filets d’un pêcheur, qui ne put pas douter, à sa longue chevelure, que ce ne fut le fils du roi. Agathias, historien contemporain, rapporte que Clodomir, fils de Clovis, ayant été tué dans une bataille contre les Bourguignons, ils reconnurent ce prince parmi les morts à sa longue chevelure ; car c’est un usage constant parmi les rois des Francs, ajoute-t-il, de laisser croître leurs cheveux dès l’enfance et de ne jamais les couper… Il n’est pas permis à leurs sujets de porter la chevelure longue et flottante : c’est une prérogative attribuée à la famille royale. »
Elle était de la race de Rinfax.
Consultez les Edda, l’Introduction à l’Histoire du Danemarck, et Saxo Grammaticus, sur la mythologie des Scandinaves.
Sur un char d’écorce sans essieu.
C’est le traîneau.
Le souffle épais des chevaux.
Ceci est ajouté depuis les deux premières éditions, et explique mieux l’effet singulier dont je parle, et qu’on a pu observer sur un champ de bataille.
Ses douze pairs… Une enseigne guerrière surnommée l’oriflamme.
Institution françoise, mœurs et coutumes de nos aïeux, dont on aimera peut-être à trouver ici l’origine.
Dulces reminiscitur Argos.
Le fruit merveilleux… de l’épouse de Clodion et d’un monstre marin.
« Clodion demeurant pendant l’été sur le rivage de la mer, sa femme voulut se baigner. Un monstre sortit de l’eau sous la forme d’un Minotaure, et conçut de l’amour pour la reine… Elle devint grosse, et elle accoucha d’un fils. Ce fils, nommé Mérovée, donna son nom à la première race de nos rois. » (Epit. Hist. franc., cap. ix, in D. Bouq.)
À la quenouille d’une reine des barbares.
Quant on ouvrit à Saint-Denis le tombeau de Jeanne de Bourbon, épouse de Charles V, on y trouva un reste de couronne, un anneau d’or, des débris de bracelets ou chaînons, un fuseau ou quenouille de bois doré à demi pourri, des souliers de forme très-pointue, en partie consumés, brodés en or et en argent.
Comme les Gaulois suspendent des reliques aux rameaux du plus beau rejeton d’un bois sacré.
Les anciens non-seulement suspendoient des offrandes aux arbres, mais ils y attachoient des colliers, comme fit Xerxès, qui mit un collier d’or à un beau platane. Florus raconte qu’Arioviste le Gaulois promit à Mars un collier fait de la dépouille des Romains. Peloutier observe très-ingénieusement que Mars étoit le même que le Jupiter gaulois, dont le simulacre étoit un grand chêne, selon Maxime de Tyr. (Peloutier, livre IV, chap. II, page 213, et livre iii, chap. IV, page 22.)
D’Hercule le Gaulois.
Les premières éditions portent Mars : j’ai mis Hercule, comme plus caractéristique du culte des Gaulois. (Voy. Lucien, in Hercul. gallic.)
Jeune brave, tu mérites d’emporter, etc.
Teutatès étoit un dieu des Gaulois. Les blessures étoient une marque de gloire. Quant à la dernière partie de la phrase, il paroîtroit par les Edda, par un passage de Procope sur les Goths, par le témoignage de Solin, que les barbares du Nord se tuoient ou se faisoient tuer lorsqu’ils étoient arrivés à la vieillesse ; mais on n’a pas là-dessus d’assez bonnes autorités. Il est certain que César, Tacite, Strabon, Diodore, gardent le silence à ce sujet : ainsi je suis plutôt une tradition qu’un fait historique.
Je ne crains qu’une chose, etc.
C’est la réponse des députes gaulois à Alexandre. (Arrien, lib. i, cap. i.)
La terre que je te céderai.
C’est la réponse de Marius aux Cimbres. (Plut., in Vit. Mar.)
… qui, par ses deux fers recourbés…
« Ils se servent principalement de haches, qui coupent des deux côtés, et de javelots qui, n’étant ni fort grands ni aussi trop petits, mais médiocres, sont propres et à jeter de loin dans le besoin, et à combattre de près. Ils sont tous garnis de lames de fer, de sorte qu’on n’en voit pas le bois. Au-dessous de la pointe, il y a des crochets fort aigus et recourbés en bas en forme d’hameçon. Quand le François est dans une bataille, il jette ce javelot… Si le javelot ne perce que le bouclier, il y demeure attaché, et traîne à terre par le bout d’en bas. Il est impossible à celui qui en est frappé de l’arracher, à cause des crochets qui le retiennent ; il ne peut non plus le couper, à cause des lames qui le couvrent. Quand le François voit cela, il met le pied sur le bout du javelot, et pèse de toute sa force sur le bouclier, tellement que le bras de celui qui le soutient venant à se lasser, il découvre la tête et l’estomac ainsi, il est aisé au François de le tuer, en lui fendant la tête avec sa hache, ou le perçant d’un autre javelot. » (Agath., lib. ii, cap. II ; traduction du président Cousin.)
… étoit dernier descendant de ce Vercingétorix, etc.
Vercingétorix étoit d’Auvergne et fils de Celtillus. Il fit révolter toutes les Gaules contre César, et le força d’abandonner le siége de Clermont. Après avoir défendu longtemps Alise, il se remit enfin entre les bras du vainqueur. César ne nous dit pas s’il fut généreux envers le héros gaulois.
L’élèvent sur un bouclier.
« Sitôt qu’ils (les rois ou ducs des François) étoient élus, ils les élevoient sur un pavois ou large bouclier, et les portoient sur leurs épaules, les faisant doucement sauter pour les montrer au peuple. » (Mézeray, av. Clovis, p. 55.)
Une croix entourée de ces mots…
Cet anachronisme, qui n’est que de quelques années, est là pour rappeler la fameuse inscription du Labarum.
Ils ont conté qu’ils voyoient… une colonne de feu… et un cavalier vêtu de blanc.
On retrouve ce miracle dans les Machabées, dans les Actes des Martyrs, dans les historiens de cette époque, et jusque dans ceux des Croisades. L’original de ce miracle est dans les Machabées.
Là un soldat chrétien meurt isolé, etc.
Ceci est fondé sur un fait connu de l’auteur.
Conservoient dans la mort un air si farouche, etc.
C’est Sidoine Apollinaire qui le dit dans le Panégyrique de Majorien.
… s’étoient attachés ensemble par une chaîne de fer.
Circonstance empruntée de la bataille des Cimbres contre Marius. Plutarque raconte que tous les soldats de la première ligne de ces barbares étoient attachés ensemble par une corde, afin qu’ils ne pussent rompre leurs rangs.
Les barbares jetoient des cris.
« Tous ceux qui étoient échappés de la défaite des Ambrons s’étant mêlés avec eux, ils jetoient toute la nuit des cris affreux, qui ne ressemblent point à des clameurs et à des gémissements d’hommes, mais qui étoient comme des hurlements et des mugissements de bêtes féroces, mêlés de menaces et de lamentations, et qui, poussés en même temps par cette quantité innombrable de barbares, faisoient retentir les montagnes des environs et de tout le canai du fleuve. Toute la plaine mugissoit de ce bruit épouvantable ; le cœur des Romains étoit saisi de crainte, et Marius lui-même frappé d’étonnement. (Plutarque, in Vit. Mar.)
Les Francs pendant la nuit avoient coupé les têtes des cadavres romains.
On voit un exemple remarquable de cette coutume des barbares dans la description du camp de Varus, par Tacite. Salvien (de Gubernatione Dei), Idace (dans sa Chronique in Biblioth. Patr., vol. vi, page 1233), Isidore de Séville, Victor (de Persecutione africana), etc., font tous des descriptions horribles de la cruauté des peuples qui renversèrent l’empire romain. Ils allèrent jusqu’à égorger des prisonniers autour d’une ville assiégée, afin de répandre la peste dans la ville par la corruption des cadavres. (Victor, loc. cit.)
Un énorme bûcher, composé de selles de chevaux.
Ceci rappelle vaguement la résolution d’Attila après la perte de la bataille de Châlons. (Jornandès, de Reb. Goth.)
Les femmes des barbares, vêtues de robes noires.
« Stabat pro littore diversa acies, densa armis virisque, intercursantibus feminis, in modum furiarum, quæ veste ferali, crinibus dejectis, faces præferebant. Druidæque circum, preces diras sublatis ad cœlum manibus fundentes, novitate aspectus, perculere milites. » (Tacit., Ann., xiv, 30.) Les femmes venant contre eux avec des épées et des haches, grinçant les dents de rage et de douleur, et jetant des cris horribles, frappent également sur ceux qui fuient et sur ceux qui poursuivent ; sur les premiers comme traîtres, et sur les autres, comme ennemis : se jettent dans la mêlée, saisissent avec les mains nues les épées des Romains, leur arrachent leurs boucliers, reçoivent des blessures, se voient mettre en pièces sans se rebuter, et témoignent jusqu’à la mort un courage véritablement invincible. (Plutarque, in Vit. Mar.) Là on vit les choses du monde les plus tragiques et les plus épouvantables. Les femmes, vêtues de robes noires, étoient sur les chariots, et tuant les fuyards : les unes leurs maris, les autres leurs frères, celles-là leurs pères, celles-ci leurs fils ; et prenant leurs petits enfants, elles les étouffoient de leurs propres mains, et les jetoient sous les roues des chariots et sous les pieds des chevaux, et se tuoient ensuite elles-mêmes ; on dit qu’il y en eut une qui se pendit au bout de son timon après avoir attaché par le cou à ses deux talons deux de ses enfants, l’un deçà, l’autre delà. Les hommes, faute d’arbres pour se pendre, se mettoient au cou un nœud coulant qu’ils attachoient aux cornes ou aux jambes des bœufs, et piquant ces bêtes pour les faire marcher, ils périssoient misérablement ou étranglés ou foulés aux pieds. (Plutarque, in Vit. Mar.)
Mérovée s’étoit fait une nacelle d’un large bouclier d’osier.
Les boucliers des barbares servoient quelquefois à cet usage ; on en voit un exemple remarquable dans Grégoire de Tours. Attale, Gaulois d’une naissance illustre, se trouvant esclave chez un barbare, dans le pays de Trèves, se sauva de chez son maître en traversant la Moselle sur un bouclier. (Greg. Turon., lib. iii.)
Dans une espèce de souterrain où les barbares ont coutume de cacher leur blé.
« Solent et subterraneos specus aperire, eosque multo insuper fimo onerant, suffugium hiemi et receptaculum frugibus. » (Tacit., de Mor. Germ., XVI.)
Le lecteur peut se rendre compte maintenant du plaisir que peut lui avoir fait ce combat des Francs et des Romains. Ceux qui parcourent en quelques heures un ouvrage en apparence de pure imagination, ne se doutent pas du temps et de la peine qu’il a coûté à l’auteur, quand il est fait comme il doit l’être, c’est-à-dire en conscience. Virgile employa un grand nombre d’années à rassembler les matériaux de l’Énéide, et il trouvoit encore qu’il n’avoit pas assez lu. (Voyez Macrobe.) Aujourd’hui on écrit lorsqu’on sait à peine sa langue et qu’on ignore presque tout. Je me serois bien gardé de montrer le fond de mon travail, si je n’y avois été forcé par la dérision de la critique. Dans ce combat des Francs, où l’on n’a vu qu’une description brillante, on saura maintenant qu’il n’y a pas un seul mot qu’on ne puisse retenir comme un fait historique.