Les Martyrs/Remarques sur le livre XIII
LIVRE TREIZIÈME.
Le temple de Junon Lacinienne, etc.
C’est Plutarque qui raconte cette fable dans ses Morales. Ce temple étoit d’ailleurs très-célèbre, et bâti sur le promontoire appelé Lacinius, au fond du golfe de Tarente en Italie. Tite-Live et Cicéron ont parlé de ce temple.
Le mont Chélydorée.
Montagne d’Arcadie, particulièrement consacrée à Mercure. Ce dieu trouva sur cette montagne la tortue dont l’écaille lui servit à faire une lyre. (Pausan., in Arcad., cap. xvii.)
Eudore, comme un de ces songes brillants, etc.
Sunt geminæ somni portæ, quarum altera fertur
Cornea, qua veris facilis datur exitus umbris ;
Altera candenti perfecta nitens elephanto.
(Æneid., VI.)
Eudore, pressé par l’ange des saintes amours.
J’ai retranché ici une comparaison qui m’a paru commune et superflue.
Et comme épouse de leur frère.
Encore une phrase inutile retranchée.
Un temple qu’Oreste avoit consacré aux Grâces et aux Furies.
Oreste, revenu de sa frénésie, sacrifia aux Furies blanches. Les Arcadiens élevèrent un temple à l’endroit où s’étoit accompli le sacrifice, et ils le dédièrent aux Furies et aux Grâces. Pausanias place ce temple près de Mégalopolis, sur le chemin de la Messénie. Je n’ai pas suivi son texte. (Pausan., in Arcad., cap. xxxiv.)
Par un des descendants d’Ictinus.
Ictinus avoit bâti le Panthéon à Athènes.
Les Zéphyrs agitent doucement la lumière du flambeau.
Après cette phrase, il y avoit une comparaison, je l’ai retranchée ; elle surchargeoit le tableau.
Dansent avec des chaînes de fleurs autour du démon de la volupté.
Ce tableau est justifié par une grande autorité, celle du Tasse. Ces effets de magie se retrouvent dans le palais d’Armide, où l’on voit des démons nager dans les fontaines sous la forme de nymphes ; des oiseaux chanter dans un langage humain, la puissance de la volupté, etc. Un rossignol, qui ne fait que soupirer, est bien loin de l’oiseau des jardins d’Armide. J’ai donc suivi aussi les traditions poétiques : si j’ai tort, j’ai tort avec le Tasse et même avec Voltaire, qui dans un sujet tout à fait chrétien n’a pas laissé que de décrire une Idalie et un temple de l’Amour.
Et quand ta mère te donna le jour au milieu des lauriers et des bandelettes.
On couvroit le lit des femmes nouvellement accouchées, de fleurs, de lauriers, de bandelettes et de divers présents.
Ne pourroit-elle devenir ton épouse sans embrasser la foi, etc.
Idée fort naturelle dans Démodocus. La réponse d’Eudore est d’un vrai chrétien : il s’est montré foible pour la vie de Cymodocée, l’héroïsme chrétien reparoît ici ; car Eudore, qui pas la force d’exposer les jours d’une femme aimée, a la force, beaucoup plus grande, de renoncer à l’amour de cette femme. Ce morceau suffisoit seul pour mettre hors de doute l’effet religieux de l’ouvrage et les principes qui l’ont dicté.
Il jure, par le lit de fer des Euménides, que ta fille passera dans sa couche.
Voilà tout le nœud des Martyrs, et ce que les critiques éclairés auroient autrefois cherché pour applaudir à l’ouvrage ou pour le blâmer, sans se perdre dans des lieux communs sur l’épopée en prose, sur le merveilleux chrétien.
Ce passage et l’exposition du premier livre détruisent absolument la critique de ceux qui s’attendrissent sur le compte de Démodocus et de Cymodocée pour jeter de l’odieux sur les chrétiens. Ce ne sont point les chrétiens qui ont fait le malheur de cette famille païenne ; le prêtre d’Homère et sa fille auroient été beaucoup plus malheureux par Hiéroclès qu’ils ne le sont par Eudore ; et observez bien que leur malheur étoit commencé avant qu’ils eussent connu le fils de Lasthénès. Qu’on se figure Cymodocée enlevée par le préfet d’Achaïe ; Démodocus repoussé, jeté dans les cachots ou tué même par les ordres d’un homme puissant et pervers ; Cymodocée forcée à se donner la mort ou à traîner des jours dans l’opprobre et dans les larmes : voilà quel eût été le sort de ces infortunés s’ils n’avoient pas rencontré les chrétiens. Il faut remarquer que je raisonne humainement ; car, après tout, dans mon sujet et dans mon opinion, Cymodocée et Démodocus ne pouvoient jamais acheter trop cher le bonheur d’embrasser la vraie religion.
La vierge que vous me confiez.
Il y avoit dans les éditions précédentes : « Que vous confiez à Jésus-Christ ; » ce qui étoit très-naturel, car les chrétiens devoient parler de Jésus-Christ aux païens comme les païens leur parloient de Jupiter. Mais enfin, puisqu’on s’est plu à obscurcir une chose aussi claire, j’ai effacé le nom de Jésus-Christ ; ensuite j’ai retranché les deux lignes où il étoit question de la montagne de Nébo, bien que dans ce moment Eudore s’adressât à Lasthénès ; ce que ne disoit pas la critique, d’ailleurs pleine de bonne foi et de candeur.
Où jadis les bergers d’Évandre.
On sait qu’Évandre régna sur l’Arcadie. (Voyez le commencement du ive livre.)
Mais bientôt il craint la faveur dont le fils de Lasthénès, etc.
Il n’étoit donc pas inutile de faire voir Eudore dans son triomphe ; le récit étoit donc obligé. Sans tous ces honneurs, sans ce crédit acquis par de glorieux services, l’ouvrage n’existoit plus ; car Eudore eût alors été trop facile à opprimer, et sa lutte contre Hiéroclès devenoit aussi folle qu’invraisemblable.
On l’eût pris pour Tirésias ou pour le divin Amphiaraūs, prêt à descendre vivant aux enfers avec ses armes blanches, etc.
Ipse habitu niveus : nivei dant colla jugales :
Concolor est albis et cassis et infula cristis.
(Stat., Theb., VI.)
.....Ecce alte præceps humus ore profundo
Dissilit, inque vicem timuerunt sidera et umbræ.
Illum ingens haurit specus, et transire parantes
Mergit equos.
(Id., Theb., VII.)