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Les Martyrs/Remarques sur le livre XXIII

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Garnier frères (Œuvres complètes de Chateaubriand, tome 4p. 542-546).

LIVRE VINGT-TROISIÈME.


1re Remarquepage 305.

À ces mots, le prince des ténèbres disparoît du milieu de la foule.

Rien n’est plus commun dans les poëtes que cette machine d’une divinité qui prend la forme d’un personnage connu pour produire ou diriger un événement : je ne crois pas devoir citer.


2e. — page 305.

Son triomphe sur les Perses.

Crevier pense que Galérius célébra en effet son triomphe sur les Perses. Cela souffre pourtant des difficultés en critique, mais j’ai adopté l’opinion qui me convenoit le mieux.


3e. — page 305.

Rétablit les fêtes de Bacchus.

L’an 568 de Rome, le sénat découvrit de telles abominations dans les fêtes de Bacchus, qu’il fit supprimer ces fêtes.


4e. — page 305.

Des courtisanes nues, rassemblées au son de la trompette, etc.

Cette description n’est que trop historique : j’ai seulement omis les infamies les plus révoltantes. Il y eut deux Flores : la première, épouse de Zéphyre, reine des fleurs, nymphe des îles Fortunées ; la seconde, courtisane romaine, qui légua sa fortune au peuple, et dont le culte criminel se confondit bientôt avec le culte innocent que l’on rendoit à la première Flore.

« Pantomimus a pueritia patitur in corpore, ut artifex esse possit. Ipsa etiam prostibula publicæ libidinis hostiæ in scena proferuntur ; plus miseræ in præsentia feminarum, quibus solis latebant, perque omnis ætatis, omnis dignitatis ora transducuntur, locus, stipes, elogium, etiam quibus opus non est, prædicatur. Taceo de reliquis, etiam quæ in tenebris et in speluncis suis delitescere decebat, ne diem contaminarent. » (Tertull., de Spect., cap. xvii.)

« Celebrantur ergo illi ludi (Florales) cum omni lascivia, convenientes memoriæ meretricis. Nam, præter verborum licentiam, quibus obscænitas oannis effunditur, exuuntur etiam vestibus, populo flagitante, meretrices, quæ tunc mimorum funguntur officio, et in conspectu populi usque ad satietatem impudicorum luminum cum pudendis motibus detinentur. » (Lactan., Div. Inst., lib. i, cap. xx.)

Saint Augustin (Epist. ccii) parle encore de ces jeux pour les anathématiser. Personne n’ignore l’histoire de Caton : un jour qu’il étoit présent aux fêtes de Flore on n’osoit, par respect pour sa vertu, commencer les orgies ; il se retira, afin de ne pas interrompre les plaisirs du peuple. Quel éloge des mœurs de Caton, et en même temps quelle déplorable foiblesse de la morale païenne ! Caton approuve moralement ces jeux, puisqu’il y assiste ; et les mœurs de ce même Caton empêchent de commencer ces jeux ! (Senec., Epist. XLVII.)


5e. — page 305.

Des outres et des amphores, etc.

J’ai suivi pour tous ces détails les dessins des vases grecs et les bas-reliefs antiques. On peut consulter Catulle, Noces de Thétis et de Pélée ; Tacite, sur Claude, au sujet de Messaline ; et Euripide, dans les Bacchantes.


6e. — page 306.

Chantons Évohé, etc.

Ce n’est point ici un chant connu : ce n’est ni l’ode d’Horace, ni l’hymne d’Homère ; c’est un chant composé de diverses histoires qui ont rapport à Bacchus, et de l’éloge de l’Italie par Virgile. J’ai déjà dit que, faute d’attention, un critique peu versé dans l’antiquité pourroit se méprendre à ces passages des Martyrs, et tomber dans des erreurs désagréables pour lui : au moyen de ces notes, on saura à qui parler. Je ne citerai point les imitations, laissant au lecteur le plaisir de les chercher dans les poëtes que j’ai indiqués, Pindare d’abord ; ensuite l’Hymne à Bacchus, attribué à Homère ; Euripide, Catulle, Horace, Ovide et Virgile, in Georg.


7e. — page 306.

Qu’il étoit touchant, dans le délire de Rome païenne, de voir les chrétiens, etc.

De bonne foi, le christianisme n’a-t-il pas ici l’avantage sur le paganisme ? Ces larmes du malheur ne sont-elles pas préférables, même poétiquement, à ces cris de la joie ? Y a-t-il quelque lecteur qui se sente plus intéressé par l’hymne à Bacchus et les fêtes de Flore que par les prières des chrétien infortunés ?


8e. — page 307.

Festus avoit d’ailleurs été frappé des réponses et de la magnanimité d’Eudore.

Il y a mille exemples de juges, de geôliers, de bourreaux même convertis par les paroles et les souffrances des chrétiens qu’ils persécutoient.


9e. — page 308.

Les chrétiens, dont la charité, etc.

Ce ne sont point des vertus imaginaires : les chrétiens ont été les premiers à secourir les lépreux qu’on abandonnoit au coin des rues ; ils bâtirent pour cette affreuse maladie des hôpitaux connus sous le nom de Léproseries.


10e. — page 309.

Il expire.

Cette scène terrible d’une âme qui comparoît au jugement de Dieu, retracée par les sermonnaires, n’avoit point encore, que je sache, été transportée dans l’épopée chrétienne. En faisant condamner Hiéroclès, je n’ai pas été plus loin que le Dante, qui trouve aux enfers ses contemporains et même un prélat qui vivoit encore.


11e. — page 310.

Il est dans le ciel une puissance, etc.

Fiction en contraste avec la scène précédente, et qui forme la transition pour revenir du ciel sur la terre. On a souvent peint l’Espérance ; j’ai hasardé d’en faire un portrait nouveau.


12e. — page 310.

C’étoit une tunique bleue, etc.

Saint Chrysostome décrit ainsi l’habit des vierges de son temps : « Une tunique bleue serrée d’une ceinture, des souliers noirs et pointus, un voile blanc sur le front, un manteau noir qui couvroit la tête et tout le corps. Les peintures que l’on fait de la sainte Vierge semblent en être venues. » (Fleury, Mœurs des Chrétiens, chap. LII.)


13e. — page 311.

Telle Marcie, etc.

C’est un des plus beaux morceaux de Lucain :

Sicut erat, mœsti servans lugubria cultus,
Quoque modo natos, hoc est amplexa maritum.
Obsita funerea celatur purpura lana.
Non soliti lusere sales, nec more sabino
Excepit tristis convicia festa maritus.
Pignora nulla domus, nulli coiere propinqui :
Junguntur taciti, contentique auspice Bruto.

(Lucan., Phars., lib. II, v. 365.)


14e. — page 311.

Légers vaisseaux de l’Ausonie, etc.

Ce chant est peut-être le morceau que j’ai le plus soigné de tout l’ouvrage. On peut remarquer qu’il ne s’y trouve qu’un seul hiatus, encore glisse-t-il assez facilement sur l’oreille. J’aurois désiré que la chanson de mort de ma jeune Grecque fut aussi douce que sa voix et aussi harmonieuse que la langue dans laquelle Cymodocée est censée parler. Cette espèce d’hymne funèbre est dans le goût de l’antiquité homérique. Comment Cymodocée eût-elle soupiré ses regrets sur la lyre chrétienne ? Seule, plongée au fond d’un cachot, sans maître, sans instruction, sans guide, elle porte de nécessité dans ses sentiments les erreurs de sa première éducation ; mais elle s’aperçoit pourtant qu’elle pèche, et elle se reproche innocemment un langage que son ignorance excuse.


15e. — page 313.

Je vous salue, robe sacrée, etc.

Après avoir vu la femme, on retrouve la chrétienne.


16e. — page 314.

Les confesseurs… ne désiroient point voir couler le sang de leurs frères.

Loin de vouloir qu’on s’exposât au martyre, l’Église condamnoit ceux qui s’y livroient inutilement, et conseilloit la fuite dans la persécution. (Voyez saint Cyprien.)


17e. — page 315.

S’élevoit une retraite qu’avoit habitée Virgile.

On m’a montré à Rome les prétendues ruines de cette maison.


18e. — page 315.

Un laurier, etc.

J’ai mis à la porte de la maison de Virgile le laurier qui croît à Naples sur son tombeau.


19e. — page 316.

Abjure des autels, etc.

Voilà le plus rude assaut que Cymodocée ait eu à soutenir. On doit tout lui pardonner, puisqu’elle ne succombe pas aux prières de son père ; elle est assez forte. Sainte Perpétue passe par la même épreuve.


20e. — page 317.

Il tient à la main son sceptre d’or, etc.

Comme mon jugement particulier n’oblige personne à trouver bon ce que j’écris, je dirai que cet ange du sommeil est de toutes les fictions des Martyrs celle que je préfère et celle que j’ai composée avec le plus de plaisir. Je ne puis m’empêcher de croire qu’un homme avec plus de talent que moi pourroit tirer de l’action des anges et des saints un genre de beautés qui balanceroit pour le moins les créations mythologiques. Ce n’est point condamner celles-ci, c’est seulement ajouter aux richesses des poëtes.