Les Merveilles de la science/Télégraphe aérien - Supplément

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Furne, Jouvet et Cie (Tome 1 des Supplémentsp. 490-522).
SUPPLÉMENT
au
TÉLÉGRAPHE AÉRIEN
(TÉLÉGRAPHIE OPTIQUE ET TÉLÉGRAPHIE PNEUMATIQUE)



Le télégraphe aérien n’étant plus aujourd’hui en usage en aucun lieu du monde, on peut se demander comment nous nous proposons de donner un Supplément à notre Notice sur le Télégraphe aérien.

C’est que la télégraphie aérienne, c’est-à-dire la correspondance obtenue par des signaux lumineux visibles à de grandes distances, n’a pas disparu, à proprement parler. Elle s’est transformée ; elle est devenue la télégraphie optique, qui rend aujourd’hui de réels services pour la transmission des messages, sinon entre particuliers, du moins entre des corps d’armée, en temps de guerre ou de paix.

La télégraphie aérienne, ou télégraphie de Chappe, consistait à expédier des dépêches au moyen de signaux exécutés par trois lames persillées, mobiles, que l’on regardait avec une longue-vue, et qui correspondaient à un vocabulaire particulier. La télégraphie optique en usage de nos jours consiste également à produire des signaux visibles à de grandes distances, au moyen de lunettes, et qui sont composés d’éclats et d’éclipses de la lumière solaire, ou d’une lampe à pétrole, et qui correspondent aux caractères l’alphabet Morse.

La Télégraphie optique sera donc le Supplément à la Télégraphie aérienne.

Et la Télégraphie pneumatique pouvant rattacher à la télégraphie aérienne, nous placerons ici sa description.




CHAPITRE PREMIER

la télégraphie optique. — origine de cette invention. — leseurre crée, en 1856, la télégraphie optique. — télégraphes lumineux essayés pendant le siège de paris. — appareils de mm. lissajous, cornu et maurant. — la télégraphie optique adoptée en france après la guerre de 1870-1871. — le télégraphe optique du colonel mangin. — le télégraphe solaire anglais. — avantages comparés du télégraphe optique Français et du télégraphe solaire anglais.

La télégraphie optique était déjà connue, avait été expérimentée en France, dès l’année 1856. Nous avons décrit, dans les Merveilles de la science, le télégraphe solaire, inventé par Leseurre, employé de la télégraphie française, qui produisait une excellente correspondance télégraphique, au moyen d’éclairs lumineux reçus à grande distance, sur une surface disposée à cet effet.

Il nous paraît nécessaire, pour la clarté de ce qui va suivre, de rappeler ce que nous avons dit, dans cet ouvrage, du télégraphe solaire de Leseurre.


« Un employé de l’administration des télégraphes, M. Leseurre, a imaginé un nouveau moyen de correspondance télégraphique qui repose sur la réflexion des rayons solaires, projetant à des distances très considérables des éclairs lumineux. La répétition de ces éclairs, leur longueur ou leur brièveté, forment un alphabet particulier, qui sert à composer une écriture de convention.

« Le télégraphe solaire est destiné à établir une correspondance rapide dans les pays où l’installation de la télégraphie électrique présenterait des difficultés, il s’appliquera spécialement avec de grands avantages en Afrique, pour le service de notre armée.

« Comment concevoir que deux observateurs puissent correspondre entre eux par l’envoi réciproque d’éclairs dus à la réflexion des rayons solaires ?

« Un faisceau de lumière solaire, réfléchi par un miroir dans une direction déterminée, se transmet, en rase campagne, à une si prodigieuse distance, que toute la difficulté ne peut consister qu’à composer un appareil susceptible de recevoir commodément les éclairs lumineux et pouvant fonctionner pendant toute la durée du jour. Un tel appareil doit pouvoir réfléchir un faisceau lumineux dans une direction quelconque, et l’y maintenir malgré le déplacement du soleil. Il faut ensuite que les éclairs, alternativement provoqués et éteints, constituent des signaux auxquels un sens soit attaché.

« Pour, obtenir la fixité du faisceau réfléchi, M. Leseurre emploie deux miroirs : l’un est mobile, et suit les mouvements du soleil ; l’autre est fixe. Exposé au soleil, le miroir mobile est incliné sur un axe parallèle à l’axe du monde, et tourne autour de cet axe d’un mouvement uniforme et exactement égal au mouvement de rotation de la terre sur elle-même ; il produit donc l’effet de l’instrument de physique qui a reçu le nom d’héliostat, c’est-à-dire qu’il maintient immobile et dans la même direction le faisceau lumineux, quelle que soit l’inclinaison du soleil sur l’horizon. Le miroir fixe reçoit le faisceau lumineux réfléchi par ce miroir mobile, et il l’envoie dans la direction d’une lunette et d’un écran, qui sont disposés pour le recevoir à la station opposée.

« Pour produire un signal lumineux sur l’écran placé à l’une des stations, on imprime au miroir réflecteur un léger mouvement, au moyen d’une simple pression de la main, qui fait agir un petit ressort d’acier. Par ce léger déplacement produit par la main sur le miroir réflecteur, et selon la rapidité de ce déplacement, la station opposée peut recevoir sur son écran des éclairs brefs ou prolongés.

« On a donné à ces éclairs, brefs ou prolongés, la même signification que les lignes et les points reçoivent dans le vocabulaire du télégraphe électrique de Morse. On sait que le vocabulaire du télégraphe Morse, aujourd’hui adopté dans toute l’Europe, se compose simplement de lignes et de points ; il a été décidé que les éclairs brefs, dans le télégraphe solaire, représenteraient les points, et que les éclairs prolongés représenteraient les lignes : avec ces lignes et ces points, on compose un alphabet et une écriture, qui suffisent parfaitement à tous les besoins de la correspondance.

« Il reste à dire comment, avec le télégraphe solaire, deux personnes, ignorant leur position respective, peuvent se chercher mutuellement et commencer une correspondance.

« Voici comment opère le stationnaire qui veut avertir son correspondant et qui ignore sa situation. Il commence par rendre horizontal l’axe de rotation du miroir tournant, et place ce miroir de façon à réfléchir, parallèlement à son axe, la lumière solaire. Cette lumière réfléchie tombe alors sur le deuxième miroir qui est rendu vertical, et qui peut tourner autour d’un axe vertical ; ainsi disposé, ce miroir doit renvoyer successivement vers tous les points de l’horizon la lumière réfléchie par le premier miroir. La zone horizontale qu’éclaire chaque demi-rotation du miroir vertical présente un demi-degré de hauteur. Si l’on craint que quelque point n’ait échappé, on modifie un peu l’inclinaison de l’un des miroirs, et on balaye l’horizon par de nouvelles zones d’éclairs.

« Tous ces mouvements sont guidés par l’écran de la lunette, qui accuse à chaque instant la direction du faisceau émergent, et dispense de toute précision. La personne que l’on cherche recevra donc quelques-uns des éclairs, reconnaîtra le point d’où ils partent, s’orientera sur ce point, et lui renverra un feu permanent sur lequel on pourra s’orienter à son tour ; la correspondance régulière pourra alors commencer.

« Dans les expériences qui ont eu lieu devant M. le maréchal Vaillant, on a établi une correspondance très rapide entre le mont Valérien et la terrasse de la coupole à l’Observatoire ; le même échange de signaux a encore eu lieu entre les tours de Saint-Sulpice et la tour de Montlhéry, à une distance de moitié plus considérable.

« On a fait une expérience bien plus satisfaisante encore, car on a constaté que lorsque le soleil, voilé par des brumes, s’efface dans le ciel, et ne se manifeste plus que par une large zone argentée, le signal lumineux est pourtant toujours sensible à l’œil nu, et se montre très brillant dans la lunette. Il résulte de là que, même en l’absence du soleil, la correspondance pourra être continuée.

« Le télégraphe solaire n’est pas, comme le télégraphe aérien, un instrument nécessairement fixe, et qui exige des stations toujours les mêmes. Il peut s’installer partout. L’instrument portatif, construit par M. Leseurre, ne pèse que 8 kilogrammes. Il se monte sur un trépied en bois, et s’oriente à l’aide d’une boussole et d’un niveau à bulle d’air. Il n’occupe guère plus de volume qu’un héliostat, avec lequel il a beaucoup de ressemblance. Il est surtout remarquable par la facilité qu’on a de le transporter d’un endroit dans un autre, par le peu d’embarras qu’il cause et le peu de temps qu’il exige pour être installé et mis en place.

« Le télégraphe solaire, ou héliographe, sera très probablement adopté pour le service des armées, et spécialement pour l’Algérie, puisque c’est par ordre des ministres de la guerre et de l’intérieur que les expériences dont nous venons de parler ont été faites à l’Observatoire.

« On s’est demandé si avant Leseurre personne n’avait songé à construire quelque appareil de télégraphie conçu sur un principe analogue. On peut citer d’abord l’allemand Bergstrasser, qui, dans ses travaux nombreux sur la télégraphie aérienne, a indiqué la possibilité d’employer les rayons solaires réfléchis par un miroir. Mais un appareil anciennement proposé et qui a une analogie beaucoup plus frappante avec celui de M. Leseurre, c’est celui qui fut proposé par Gauss sous le nom d’héliotrope, et qui a été perfectionné depuis dans sa construction par l’habile physicien allemand, M. Steinheil. Cet appareil a pour fonction de projeter un rayon de lumière sur un objet éloigné ; il est fondé sur une propriété géométrique bien connue de la glace sans tain à surfaces parallèles. Si l’on fait tomber obliquement un rayon de soleil sur une glace à surfaces bien dressées et exactement parallèles, le rayon transmis et le rayon réfléchi iront illuminer dans l’espace deux objets différents. Si alors on se place derrière la glace de manière à voir par réflexion l’objet éclairé par le rayon transmis, en vertu d’une sorte de réciprocité facile à démontrer, on verra en même temps par transmission l’objet éclairé par voie de réflexion. On peut donc utiliser cette remarque pour diriger le rayon réfléchi dans telle direction qu’on voudra.

« On aurait pu, à la rigueur, faire de ce dernier appareil un télégraphe solaire ; mais celui de Leseurre, dont nous venons de donner la description, est en réalité le seul qui ait encore été complètement adapté à sa destination et qui ait été combiné et proposé comme devant servir aux communications télégraphiques entre des postes éloignés [1]. »


Dès l’année 1856, la télégraphie optique était donc inventée par un ingénieur français.

Le succès de la télégraphie électrique adoptée parmi nous, dès l’année 1851, et qui ne cessa de prendre du développement pendant les années suivantes, empêcha de prêter grande attention à la télégraphie optique de Leseurre ; mais le siège de Paris, en 1870-1871, vint lui donner l’opportunité qui lui manquait. On fut heureux, à cette époque, de pouvoir disposer d’un moyen de correspondance qui passait, pour ainsi dire, par-dessus la tête de l’ennemi.

Pendant l’invasion prussienne, alors que la plupart de nos bureaux télégraphiques étaient saccagés et les communications interrompues, c’est grâce au système de transmission optique que l’on put correspondre avec les forts qui environnaient Paris.

Pris dans un cercle de feu, Paris, dans lequel nos savants français les plus éminents avaient tenu à rester enfermés, par une confiance patriotique, s’efforça, par tous les moyens, de communiquer avec l’extérieur. Pendant que ballons et pigeons voyageurs s’envolaient hors de la place, des appareils ingénieux étaient combinés, pour envoyer au loin d’insaisissables signaux.

MM. Bourbouze et Paul Desains essayèrent d’envoyer de Paris à Rouen un courant électrique, auquel la Seine eût servi de conducteur, et que l’on eût recueilli au moyen de galvanomètres à aiguilles très sensibles. On obtint ainsi peu de résultats, mais la conception était excellente.

Le physicien Lissajous proposa d’émettre des signaux lumineux, et de les recueillir au moyen de lunettes couplées.

M. Cornu chercha à utiliser les propriétés que possède le prisme, de décomposer et de réfracter la lumière, et de recueillir ainsi, à distance, tout ou partie d’un faisceau lumineux, qui aurait servi de signaux ; grâce à un vocabulaire de convention.

C’est à M. Maurant, professeur au lycée Saint-Louis, et au colonel Laussedat, aujourd’hui directeur du Conservatoire des arts et métiers de Paris, que revient l’honneur d’avoir obtenu des résultats pratiques, en ce qui concerne la télégraphie par signaux lumineux. Ces deux physiciens se proposèrent d’émettre à grande distance, ainsi que l’avait fait Leseurre, un faisceau lumineux homogène ; et en obtenant sur ce faisceau, au moyen d’un écran opaque, des interruptions, de durée inégale, de reproduire les longues et les brèves, les traits et les points de l’alphabet Morse, si simple et si complet ; ce qui aurait permis de correspondre, en toute sûreté, à de grandes distances.

L’appareil de M. Cornu fut utilisé dans les environs de Laval. Entre Poitiers et Champagny-Saint-Hilaire, des signaux lumineux colorés franchirent, avec une vitesse remarquable, l’intervalle de ces deux villes, qui est de 40 kilomètres. Ces expériences furent faites en présence du général Vuillemot, délégué par le général Chanzy.

En novembre 1870, le Comité d’initiative pour la défense nationale de Marseille proposa au gouvernement de Tours un système de signaux lumineux, basé, comme celui qu’exécutaient à Paris MM. Maurant et Laussedat, sur l’émission de rayons lumineux brefs et longs, correspondants aux signaux du vocabulaire Morse.

Ce projet était présenté par un inspecteur des télégraphes, M. Ternant, qui avait vu fonctionner avec succès un système analogue dans le golfe Persique. M. Ternant avait fait des essais entre la mairie de Marseille et l’ancien poste sémaphorique, situé en haut de la tranchée, et les expériences avaient parfaitement réussi. Il proposait de communiquer avec Paris, par-dessus la première ligne d’investissement des armées prussiennes, qui, alors, ne dépassait pas un rayon de 40 kilomètres. La connaissance que l’on avait des hauteurs des environs de Paris, dans ce rayon, indiquait avec précision tous les points que l’on pouvait choisir pour envoyer, sans obstacle, des rayons lumineux sur les points culminants de la capitale, qui les aurait perçus sans difficulté.

Malheureusement, un des membres du Comité de la défense nationale, venu de Paris, se montra défavorable au projet.

Dans l’intervalle, MM. Lissajous et Hiroux partaient de Paris, en ballon, avec un projet du même genre.

Sur les indications de M. Lissajous, M. Santi, opticien de Marseille, construisit un télégraphe optique basé sur l’émission de rayons brefs ou longs, et permettant l’emploi de l’alphabet Morse. Mais la ligne d’investissement de Paris, qui s’était considérablement étendue, empêcha de s’occuper davantage de ce mode de communication.


Les circonstances si difficiles dans lesquelles se débattait la défense nationale, en 1870-1871, ne permirent donc pas de tirer grand parti des essais qui avaient été faits, en plusieurs points du territoire, des appareils de télégraphie optique ; mais au retour de la paix, ces mêmes expériences furent reprises, et la télégraphie optique est aujourd’hui une création scientifique des plus intéressantes, des plus utiles et tout à fait pratique. Les Anglais en ont fait un grand usage dans leurs campagnes dans l’Afghanistan, dans le Soudan et l’Égypte. Dans notre guerre de Tunisie, la télégraphie optique a rendu de grands services, et aujourd’hui en Tunisie, comme en Algérie, elle sert à établir des correspondances entre les corps de troupe. Notre corps expéditionnaire du Tonkin et de l’Annam est muni de plusieurs appareils de télégraphie optique.

C’est à un officier français, le colonel Mangin, mort en 1885, que sont dus les perfectionnements de l’appareil primitivement proposé par Lissajous et exécuté par MM. Maurant et Laussedat, comme il est dit plus haut. Le colonel Mangin, en transportant dans la pratique les principes de l’appareil de MM. Maurant et Laussedat, a rendu tout à fait usuelle la correspondance au moyen de signaux visibles à longue distance.

Voici la disposition de l’appareil imaginé par le colonel Mangin, qui a été expérimenté pendant plusieurs années à l’École militaire de Saumur, et qui continue d’être mis en pratique, chaque année, à titre d’exercice, au camp de Saint-Maur, près de Paris, par différents corps d’armée de nos départements, ainsi que dans les forts des environs de Paris.

Fig. 412. Coupe du télégraphe optique du colonel Mangin, éclairé par une lampe à pétrole.

Sur la planchette antérieure (fig. 412) d’une boîte rectangulaire, divisée en deux parties inégales, par un diaphragme BC, dans lequel on a pratiqué une petite ouverture, est assujettie une lentille bi-convexe, P′, de 0m,24 de diamètre. Derrière l’ouverture du diaphragme BC, se trouve un obturateur mobile, A, que l’on soulève et déplace à volonté, au moyen d’une manette, F et d’un levier coudé à angle droit, GG′. Dans la seconde partie de la caisse est placée une forte lampe à pétrole, L, munie d’un réflecteur parabolique, D′, dont elle occupe le foyer, et qui accroît encore sa puissance éclairante, en réfléchissant sur la lentille P les rayons émanés de la partie postérieure de la source lumineuse, c’est-à-dire la lampe à pétrole. La seconde lentille, P, à court foyer, et le miroir, D, n’ont donc pour but que de recueillir des rayons lumineux, qui seraient perdus sans cela. La grande lentille biconvexe, P′, reçoit le faisceau lumineux total réfracté à travers les deux lentilles, et le renvoie parallèlement à l’horizon.

L’appareil étant ainsi disposé, il suffit d’imprimer au manipulateur, F, des mouvements plus ou moins prolongés, pour émettre des éclats, qui reproduisent, en signaux lumineux, les points et les traits du télégraphe Morse. Une lunette, EE′, fixée sur l’une des parois extérieures de la boîte, bien parallèlement à l’axe des lentilles, sert à apercevoir les signaux du poste correspondant.

Fig. 413. Coupe de l’obturateur et du manipulateur de l’appareil optique du colonel Mangin.

Nous représentons à part (fig. 413) le manipulateur et l’obturateur dont les déplacements, à l’intérieur de la caisse, produisent les éclairs lumineux.

L’obturateur est formé d’un écran, A, en aluminium, que commande un petit levier à pédales, F, mobile autour du point O. Un ressort, R, le retient en arrière ; mais il cède à la pression du doigt sur le levier, F, et en se déplaçant le disque A, qui couvrait le diaphragme, produit les éclipses et les éclats du faisceau lumineux.

Les signaux se font donc en maintenant libre le passage des rayons lumineux à travers l’ouverture du diaphragme, ou en le fermant, au moyen du manipulateur et de l’obturateur.

La lunette viseur, EE′, est pourvue de vis de rappel, qui permettent, en fixant un point de l’horizon, d’obtenir l’image de ce point sur un verre dépoli, que l’on ajuste au bout de la lunette. Et comme il est indispensable, pour la transmission et la réception des dépêches, que l’axe de la lunette soit absolument parallèle aux rayons sortant de l’appareil, on reconnaît que le parallélisme des deux appareils est parfait, lorsque le point visé se trouve au croisement des deux diagonales inscrites sur le verre dépoli.


Tel que nous venons de le décrire, l’appareil du colonel Mangin est spécialement affecté au service télégraphique de nuit. Pour l’utiliser pendant le jour, il suffit d’enlever la lampe et son réflecteur, et d’adapter à la planchette postérieure de l’appareil une troisième lentille, dont le foyer occupera exactement la place qu’occupait la flamme de la lampe. Les rayons parallèles du soleil sont alors dirigés sur la lentille, au moyen de deux miroirs plans, que l’on ajuste à la main, de façon qu’ils suivent le mouvement apparent du soleil. Par les temps sombres, on peut encore, pendant le jour, avoir recours à la lampe, mais alors les signaux ne sont plus perceptibles au-delà de 25 à 30 kilomètres.

Fig. 414. — Coupe du télégraphe optique du colonel Mangin, éclairé par la réflexion des rayons solaires.

Nous représentons sur la figure 414 le télégraphe optique éclairé par le soleil. Sauf la source lumineuse qui est extérieure, tous les organes mécaniques sont les mêmes que ceux de l’appareil éclairé par le pétrole.

Il suffit, comme il vient d’être dit, d’enlever la lampe ; les deux miroirs plans, M1 et M′1, convenablement inclinés selon la position du soleil, et que l’on fait mouvoir à la main, d’après le déplacement de l’astre radieux, renvoient le faisceau lumineux réfracté à travers les deux lentilles P et P′, hors de la boîte.

Dans tous ces systèmes, la vitesse de l’expédition des éclats lumineux est de quinze à vingt mots par minute ; mais il est prudent de ne pas chercher à atteindre une trop grande vitesse, car alors les signaux deviennent difficilement perceptibles, et peuvent occasionner de graves erreurs.

Avec la lumière solaire, pendant le jour et celle d’une lampe à pétrole, pendant la nuit, les appareils optiques à lentilles permettent de communiquer, suivant leur calibre, qui va de 15 à 40 centimètres, à des distances variant de 30 à 120 kilomètres.


Fig. 415. — Télégraphistes militaires français manœuvrant l’appareil optique.

La figure 415 représente un télégraphiste militaire français manœuvrant l’appareil optique. Comme l’officier qui a l’œil à la lunette et la main sur le manipulateur ne peut inscrire les dépêches qu’il reçoit, un soldat est près de lui, pour noter sur un carnet les mots que l’officier lui dicte.


Pour les places fortes, dans lesquelles les appareils n’ont pas besoin d’être déplacés, le colonel Mangin en a combiné d’autres, plus lourds et plus puissants, dits appareils à miroirs, ou télescopiques. C’est encore la lampe à pétrole ou la lumière solaire qui sert, dans ce cas, de source lumineuse ; mais le faisceau lumineux, au lieu d’être rendu parallèle au moyen de lentilles, est à la fois réfléchi et réfracté par un grand miroir concave, à double courbure, placé au fond de l’appareil. Le calcul de la courbure de ce miroir constitue l’un des plus intéressants travaux du colonel Mangin.

Les signaux sont toujours vus au moyen d’une lunette jointe à l’appareil de réception.

Avec les appareils télescopiques, ou à miroirs dont le calibre varie de 35 à 60 centimètres, on communique aisément à des distances variant entre 50 et 200 kilomètres. Ces grandes portées exigent un temps absolument clair ; et des récepteurs de même calibre. Le temps clair est surtout de rigueur ; car, de même que tous les signaux lumineux en général, ceux de la télégraphie optique sont interrompus d’une façon absolue par le brouillard, la fumée et des brumes, même légères.

Tous les forts de Paris sont pourvus d’appareils optiques du colonel Mangin, éclairés au pétrole. Nos places fortes emploient les mêmes appareils pour correspondre, pendant les manœuvres, avec les troupes, ou avec des forts éloignés.


En 1881 et 1885, un habitant de l’île Maurice, M. Léon Adam, réalisait, avec des fonds très modiques, des communications optiques entre l’île de la Réunion et l’île Maurice.

M. Léon Adam, petit-fils d’un amiral célèbre, l’amiral Bouvet, était un capitaine au long cours, ancien officier volontaire de la marine française, et plus tard, officier des Messageries maritimes, qui exerçait à l’île Maurice les fonctions d’expert de l’amirauté anglaise, près des consulats. En 1881, les travaux de jonction géodésique, entre l’Espagne et l’Algérie, menés à si bonne fin par le colonel Perrier et le général espagnol Hanez, avaient attiré l’admiration du monde savant. M. Léon Adam résolut d’appliquer le système des communications optiques à mettre en rapport télégraphique l’île Maurice, possession anglaise, et notre île de la Réunion.

En effet, toutes les tentatives faites pour relier les deux îles par un câble sous-marin paraissaient devoir échouer, en raison de l’abondance des récifs sur les deux rivages, et les deux gouvernements étaient peu disposés à en faire l’expérience. M. Léon Adam créa une agitation pacifique à l’île de la Réunion, pour convertir à son projet les habitants de l’île ; et par de nombreuses publications et brochures, il finit par obtenir gain de cause. Les fonds nécessaires pour les premiers essais furent réunis, grâce au concours et à l’activité d’un habitant de l’île, M. de Buisson, enthousiaste de ce projet, et les essais ayant parfaitement réussi, M. Léon Adam partit pour la France, au mois d’août 1882, pour demander au Ministre de la guerre de lui céder deux appareils télescopiques du colonel Mangin, du modèle de 0m,60 pour la lentille.

Le 2 octobre 1882, M. Faye communiquait à l’Académie des sciences le projet de M. Léon Adam, et ce dernier, après s’être exercé au maniement des appareils optiques, avec le colonel Mangin, repartait pour l’île Maurice, avec les instruments prêtés par le Ministre de la guerre.

Il fallait obtenir du gouvernement anglais l’autorisation d’établir à Maurice la station optique projetée au sommet du Pouce. Les négociations prirent du temps ; mais en janvier 1883, l’autorisation ayant été accordée et, d’autre part, le Conseil général de la Réunion ayant voté une somme de 3 000 francs pour cette entreprise, M. Léon Adam créa le poste de l’île de la Réunion, sur le pic du Bois-de-Nèfles, à 1 130 mètres d’altitude, et dirigea les rayons solaires, réfléchis par un miroir d’un mètre carré, sur le sommet du Pouce (île Maurice), à 750 mètres au-dessus du niveau de la mer. La distance qui sépare ces deux positions est de 215 kilomètres.

En 1885, la réussite fut complète. Du Pouce on voyait très bien les éclats du miroir : ils avaient l’aspect d’une étoile rouge-orange.

Plus tard, M. Léon Adam trouva sur le Pic-Vert, à l’île Maurice, un poste plus favorable, qui rapprochait les distances de 25 kilomètres. Il dut enfin changer encore de poste, pour opérer en un lieu moins élevé. Le Pic-Lacroix, haut de 680 mètres, fut définitivement choisi.

M. Léon Adam put alors télégraphier régulièrement, de l’île de la Réunion à Maurice. Le 12 juillet 1886, on vit, de la Réunion, les éclats du miroir de Maurice, aussi éblouissants que le soleil à l’horizon.

Quant aux communications de nuit, les appareils furent réglés et éclairés au pétrole. Dès la première nuit, on conversa entre les deux postes, avec la plus grande facilité, pendant plusieurs heures, et des dépêches furent échangées les jours et les nuits qui suivirent.

Ces échanges comprenaient 20 jours enregistrés : 28 télégrammes furent transmis, formant, en somme, 292 mots.

La démonstration d’une communication régulière étant faite, surtout en tenant compte d’opérations exécutées à l’aide d’une simple lampe à pétrole ordinaire, et avec un personnel inexpérimenté, on conçoit que l’entreprise de M. Léon Adam entra bientôt dans la période du fonctionnement actif et régulier. Aujourd’hui, les deux îles sont en communication constante par les projections lumineuses de l’appareil Mangin.

Il est intéressant de voir des travaux, conçus tout d’abord en vue des besoins de la guerre, s’approprier aussi bien aux intérêts de la science et de l’humanité, et M. Léon Adam mérite les plus grands éloges pour avoir réalisé la plus importante des communications optiques à grande distance, dans un établissement permanent.


Nous avons fait allusion d’une façon très brève aux opérations du colonel Perrier pour les grands travaux de géodésie qu’il exécuta en Algérie et en Tunisie, ensuite entre l’Algérie et l’Espagne, pour la mesure d’un arc considérable du méridien terrestre. Il importe d’entrer à ce sujet dans de plus longs détails.


C’est en 1880 que le colonel Perrier termina l’œuvre qui lui valut l’admiration du monde savant : nous voulons parler de la mesure de la méridienne de France.

Les mesures exécutées sur le terrain, par le colonel Perrier, s’étendent, non seulement aux territoires européens de la France, mais aussi à nos possessions africaines d’Algérie ; et ces deux portions ont été réunies à travers l’Espagne et la Méditerranée.

C’est pour assurer la continuité de cet arc, que le service géodésique français, dirigé par le colonel Perrier, fut chargé d’opérer la jonction géodésique de l’Espagne et de l’Algérie, de concert avec le général Hanez, directeur de l’Institut géographique d’Espagne. Cette triangulation, sans précédents dans les annales de la géodésie, fut exécutée, en 1879 et 1880, au moyen de signaux lumineux produits dans l’appareil optique du colonel Mangin. Les stations de la côte d’Espagne et celles de la côte d’Algérie étaient distantes de 225 à 270 kilomètres et, malgré cet énorme éloignement, les signaux furent toujours parfaitement visibles, grâce à l’excellence de l’appareil Mangin. À cet éloignement, l’éclat des rayons lumineux de la lampe à pétrole et des rayons solaires était aussi fort que celui d’une lampe Carcel que l’on aurait vue à 35 mètres de distance.

Après la jonction hispano-algérienne, et grâce à la triangulation effectuée en 1861, entre l’Angleterre et la France, la science possède aujourd’hui, pour la mesure de la terre, un arc de méridien long de 28° et partant des îles Shettland, pour aboutir au Sahara. C’est le plus grand arc qui ait été mesuré jusqu’ici.

Pour projeter sur le ciel deux des points de ce réseau géodésique, situé l’un en Algérie, le M’Sahiba, l’autre en Espagne, le Tetica, il fallait mesurer, en ces deux stations, la latitude et un azimut, ainsi que les différences de longitude, entre Alger et M’Sahiba, pour rattacher ce dernier point avec Paris, et entre M’Sahiba et Tetica, et nous relier avec Madrid. L’astronome Merino et l’ingénieur Esteban occupaient Tetica ; le capitaine Bassot était à Alger ; le colonel Perrier observait à M’Sahiba, avec le capitaine Defforges. Les observateurs étaient pourvus de cercles méridiens et d’appareils identiques. La station de M’Sahiba était reliée, par un fil télégraphique, avec celle d’Alger.

La différence de longitude des deux stations fut obtenue par l’échange des heures locales, au moyen de signaux télégraphiques enregistrés sur les chronographes des deux stations.

Pour comparer entre elles les pendules de Tetica et de M’Sahiba, on eut recours à l’échange réciproque, par-dessus la Méditerranée, de signaux électriques lumineux et rhythmés, dont la transmission, même à 70 lieues, peut être considérée comme instantanée.

C’était la première fois qu’une semblable opération était effectuée, et elle fut couronnée d’un succès complet.

C’est ainsi qu’a été fermé le vaste polygone de longitudes, dont l’un des sommets est à Paris, et les autres sont à Marseille, à Alger, à M’Sahiba, Tetica et Madrid.

Ce polygone exceptionnel contenait tous les cas possibles qui peuvent se produire dans la mesure des longitudes, puisqu’il comprenait dans son périmètre des fils aériens, un câble sous-marin, et en guise de fil, une sorte de traînée lumineuse qui unissait M’Sahiba avec Tetica, par-dessus la Méditerranée.

Fig. 416. — Appareil optique ayant servi à exécuter les signaux pour la triangulation entre l’Espagne et l’Algérie (Éclairé par la lampe de pétrole).

On voit, dans la figure 416 (page 499), l’appareil optique éclairé au pétrole, qui servit à exécuter les signaux pour la triangulation entre l’Espagne et l’Algérie. Cet appareil ne diffère que par les dimensions de celui qui sert aux communications optiques entre les corps d’armée et que nous avons représenté dans la figure 412. La grande lentille bi-convexe, MN, rend parallèles et renvoie en un faisceau horizontal les rayons lumineux émanés de la lampe à pétrole, S, et qui ont traversé les premières lentilles l, l′ ainsi que la lentille réfléchissante, r. L’obturateur qui, par ses déplacements, produit les éclats ou les interruptions de lumière, répondant aux signaux de l’alphabet Morse, est en FC. La lunette, LL′, est placée au haut de la boîte.


La lumière électrique procure un faisceau lumineux qui perce beaucoup mieux les brumes que la flamme de pétrole. L’appareil optique que le colonel Mangin avait fait construire par MM. Sautter et Lemonier, à Paris, se voit, en coupe, dans la figure 417.

Fig. 417. — Appareil optique ayant servi à exécuter les signaux pour la triangulation entre l’Espagne et l’Algérie (Éclairé par l’arc voltaïque).

La lumière est produite par l’arc voltaïque, dans un régulateur Serrin, On voit en c′ l’arc lumineux qui jaillit entre les deux pointes de charbon. Dans la boîte V, sont contenus les rouages d’horlogerie du régulateur Serrin, C, c’est-à-dire l’appareil animé par le courant électrique lui-même, et qui, selon l’usure des charbons, les rapproche, et maintient fixe le point lumineux.

L’obturateur n’est point mu à la main, comme dans les appareils ordinaires de télégraphie militaire, mais par un électro-aimant, dont on voit les fils conducteurs du courant, a, a′ et les bobines auxquelles ces fils aboutissent. Cet électro-aimant attire ou repousse l’obturateur, pour intercepter le passage du faisceau lumineux, ou l’arrêter.


Fig. 418. — Projecteur de lumière électrique du colonel Mangin, ayant servi aux opérations de triangulation du colonel Perrier (Coupe).

Outre l’appareil d’éclairs lumineux, pourvu d’un obturateur, on se servit souvent, dans la grande opération géodésique dont nous parlons, de la simple projection de faisceaux lumineux électriques, d’un volume considérable, et qui portaient aux plus grandes distances que l’on eut encore franchies. On voit, en coupe, dans la figure 418, le projecteur de lumière électrique du colonel Mangin, construit par MM. Sautter et Lemonier, pour les opérations du colonel Perrier. L’arc lumineux, F, s’élance entre les deux pointes de charbon, enfermées dans une gaine verticale en laiton. La partie antérieure du faisceau, reçue par les lentilles f, f′, fixées dans le tube T, D, est renvoyée, avec les rayons du faisceau supérieur, sur le grand miroir elliptique, MM′. Les occultations de la lumière sont produites par l’écran E, E′ placé derrière les lentilles f, f′ et qui est mû à la main.

Le principe du projecteur employé pour la production de puissants éclats lumineux est le suivant. Si l’on dirige le projecteur de lumière vers les nuages, et dans un point occupé par un poste à projecteur correspondant, les occultations, par l’obturateur, de la source lumineuse placée au foyer de l’appareil produisent sur le nuage, qui constitue une sorte d’écran opaque, une série alternative d’éclats lumineux et d’extinctions. On peut, par ce moyen, et en attachant aux longueurs des éclats et des interruptions de lumière la signification des lettres du vocabulaire Morse, établir une correspondance.

Si l’on veut seulement correspondre à peu de distance, et produire des signaux visibles sur tout l’horizon, on place le miroir réflecteur de manière que le faisceau lumineux éclaire verticalement, et produise un panache lumineux vertical. En faisant tourner le miroir autour de son axe horizontal, le panache lumineux devient horizontal. Il peut, de cette manière, être lancé dans une direction convenue, à des intervalles inégaux, et fournir des signaux.

Ce même appareil est en usage à bord des navires. Le miroir, mis en place verticalement, réfléchit le faisceau lumineux, lequel, à une distance de 15 mètres environ, rencontre un disque, ou plutôt un ballon peint en blanc, qu’il rend visible de tous les points de l’horizon, et qui sert de signal pour les équipages des navires.




CHAPITRE II

la télégraphie optique anglaise.

Nous avons rappelé, dans les premières pages de la présente Notice [2], le télégraphe solaire que Leseurre, employé de la télégraphie aérienne, combina, en 1856, avec une habileté tout à fait hors ligne, et dans lequel les rayons du soleil, reçus sous forme d’éclairs, d’une durée ou d’une longueur correspondant au vocabulaire Morse, servaient à expédier des dépêches, tout aussi bien que le télégraphe électrique.

Cet appareil fut soumis, à Paris, en 1857 et 1858, à une longue série d’expériences, qui en démontrèrent toute la valeur. Un modèle fut expédié en Algérie, en 1860. Mais, comme nous l’avons dit, le télégraphe électrique, alors à ses débuts, primait toute invention analogue, et le télégraphe solaire dut laisser la place à la nouvelle méthode télégraphique.

Du reste, l’éclairage d’un point éloigné au moyen des rayons solaires réfléchis sur un miroir mobile est, depuis longtemps, en usage dans les opérations de la géodésie. Le miroir est posé sur une borne, et rendu mobile par l’effet de sa suspension, avec articulation mobile, à un demi-cercle métallique à axe tournant sur un pivot, ce qui permet de lui donner toutes les positions possibles. Un trou percé au milieu du miroir laisse apercevoir une mire, qui est placée à quelques mètres de distance, et qui assure la direction rectiligne du rayon lumineux vers le point que l’on vise au loin.

C’est ce système de transmission des rayons lumineux, qui a été repris par l’État-major des armées anglaises, comme moyen de télégraphie optique, et qui est aujourd’hui d’un grand usage pour les expéditions guerrières dans l’Extrême-Orient.

Le colonel H. Mance, ingénieur-électricien du télégraphe sous-marin du golfe Persique, a fait adopter par le gouvernement des Indes un télégraphe solaire, qui diffère peu de l’ancien appareil de notre compatriote Leseurre ; il est seulement rendu très portatif.

Le télégraphe solaire de M. H. Mance a subi diverses transformations. Le modèle en usage aujourd’hui dans les armées anglaises ne pèse pas plus d’un kilogramme. Il peut être utilisé par un simple cavalier, pour des avis à transmettre pendant une reconnaissance ; et cependant, la distance à laquelle il expédie un éclair-signal n’est pas moindre de 25 kilomètres.

Voici la disposition de l’héliographe, ou télégraphe solaire, de M. H. Mance, que représente la figure 419.

Fig. 419. — Héliographe anglais.

Tout l’appareil se compose d’un miroir M, mobile dans tous les sens, par suite de son double mode de suspension autour d’un demi-cercle avec articulation mobile, et d’un pivot reposant sur une plate-forme S. Placé sur un trépied, le miroir obéit aux mouvements, plus ou moins rapides, que lui imprime la main. Il est percé en son centre d’une petite ouverture, qui permet de viser par l’arrière. C’est à l’aide de la vis V, qui fait tourner le miroir sur le pivot S, qui le supporte, que l’on change l’inclinaison du dit miroir, et que l’on dirige les rayons solaires réfléchis, sur un point donné.

Le même moyen sert à changer la position du miroir, selon les déplacements du soleil, pour remplacer un héliostat.

On a cru devoir, récemment, ajouter à l’appareil une tige verticale, T, et une clef de Morse. Un bras courbe relie la tige T à la clef de Morse, fixée elle-même sur le disque S. Un ressort placé sous la clef la maintient soulevée contre une vis de réglage. En pressant la clef, on fait varier l’angle d’inclinaison du miroir. Le bras courbe peut être allongé ou raccourci, suivant les besoins ; au moyen de la vis de pression qui le fixe au bord du miroir. Cet ajustement n’est point représenté sur la figure 419, parce qu’il est rarement en usage.

Comme dans le système de Leseurre, on fixe l’attention du poste correspondant, en faisant exécuter au miroir une ou plusieurs révolutions complètes.

Pour se mettre en rapport avec la station correspondante, on place, à 4 ou 5 mètres en avant de l’appareil, une mire D (fig. 419) qui peut être élevée ou abaissée jusqu’à ce que l’œil appliqué derrière le miroir, à son ouverture centrale, rencontre le miroir placé à la station correspondante. Quand l’officier veut transmettre une dépêche, il incline avec la vis le miroir, dont les rayons réfléchis vont traverser la mire D, et lui indiquent, par ce fait même, que les signaux qu’il transmet arrivent bien à la station fixée.

Contrairement aux autres appareils de ce genre, ce télégraphe émet des signaux par extinction, au lieu d’émettre des signaux lumineux, puisqu’au repos il éclaire toujours la station correspondante.


Quand le soleil est haut sur l’horizon, c’est-à-dire pendant la plus grande partie de la journée, l’héliographe se réduit au miroir mobile et à la mire qui l’accompagne ; mais le matin et à la fin du jour, le soleil ne donnerait, par sa position peu éloignée de l’horizon, que peu de lumière réfléchie, l’angle de réflexion étant alors très obtus ; ou bien le soleil peut se trouver derrière l’opérateur. Il faut, à ces moments, faire usage d’un second miroir, qui reçoive les rayons du soleil tombant sur le premier avec un angle très ouvert, et les réfléchisse sur le miroir principal.

Cette disposition est représentée sur la figure ci-dessous. M′ est le miroir réflecteur, supplémentaire, supporté par la tige horizontale L. Il renvoie les rayons du soleil sur le miroir principal M. Ce dernier miroir est mû par l’opérateur, qui tourne la vis V, jusqu’à ce qu’au moyen du trou central il éclaire la station correspondante.

Fig. 420. — Héliographe anglais à double miroir.
Sur le dessin pittoresque de la page suivante (fig. 421), on voit un soldat héliographiste anglais, au milieu d’un paysage du sud de l’Afrique, manœuvrant l’appareil optique portatif que nous venons de décrire. Le soleil étant placé à l’arrière de l’observateur, le second miroir réflecteur renvoie les rayons lumineux sur le miroir principal.
Fig. 421. — Héliographiste anglais.
L’observateur vise, à travers le trou percé dans le miroir mobile, la mire qui accompagne l’instrument, et il cherche à se mettre en rapport avec le second observateur placé au loin.

Les Anglais ont préféré le télégraphe solaire à notre télégraphe optique, parce que la ligne des communications est plus prompte à établir. Il suffit, en effet, de poser l’appareil sur le sol, et de faire le signe d’appel, qui consiste à faire tourner plusieurs fois le miroir sur lui-même, pour correspondre avec une station convenue d’avance, et placée à une distance considérable ; car les appareils de grandes dimensions peuvent atteindre à des portées de 80 kilomètres.

L’ennemi ne peut couper la ligne télégraphique, puisqu’elle passe au-dessus de sa tête, et il n’est besoin d’aucune longue-vue pour recevoir les signaux.

Puisque la portée des signaux solaires est de 80 kilomètres, on pourrait établir des stations fort éloignées les unes des autres ; cependant l’usage est de se contenter de deux stations pour une armée en campagne, ou une colonne expéditionnaire en mouvement.

Le miroir de 10 pouces, qui est le modèle adopté par l’État-major anglais, envoie le rayon solaire à cinquante milles, et ce signal se lit parfaitement à l’œil nu, pourvu qu’aucun obstacle ne s’interpose sur son trajet.

Pour se servir de l’héliographe, l’armée en marche établit la station héliographique à sa base d’opération, et après avoir franchi une certaine distance, elle se met en devoir de communiquer avec l’arrière-garde. Un soldat de la compagnie des héliographistes monte sur un lieu élevé, et y plante son héliographe, qu’il fait mouvoir horizontalement et verticalement, jusqu’à ce qu’il découvre, au moyen du rayon qui passe par sa mire et le centre de son miroir, la station établie à la base d’opération de l’armée. L’appareil optique est alors prêt à fonctionner, et l’opérateur peut être certain que ses émissions solaires sont vues par la station opposée.


Le seul inconvénient du télégraphe solaire, c’est qu’il ne fonctionne que de jour, puisque la lumière du soleil est son seul agent. Il est donc inférieur, sous ce rapport, à notre télégraphe optique, qui fonctionne la nuit, si l’on éclaire la boîte avec la lampe à pétrole. Mais dans combien de cas, même en ne fonctionnant que le jour, le télégraphe solaire ne rend-il pas des services ! Il peut créer des communications entre des îles ou des rives peu éloignées, qui ne peuvent recevoir de câble sous-marin, en raison de la dépense qui en résulterait.

C’est ce qu’a compris le gouvernement espagnol, dont les ingénieurs militaires communiquent journellement à travers le détroit de Gibraltar, entre Algésiras et Ceuta. La distance qui sépare le fort Santiago, en Espagne, du mont Hacke, sur la côte de Tanger, n’étant que de 17 milles nautiques, l’héliographe anglais a suffi pour établir cette communication. L’armée espagnole est, d’ailleurs, pourvue de ce même instrument.


Pour faire comprendre à quelles énormes distances le télégraphe solaire peut envoyer ses éclairs, nous dirons que le physicien allemand Gaüss, au commencement de notre siècle, put transmettre des éclairs solaires à plus de dix lieues, avec un petit miroir rectangulaire (0m,04 sur 0m,06), qu’il dirigeait à la main.

En Angleterre, on aperçut, à quarante lieues de distance, les éclats d’un miroir, de 0m,60 de côté. Enfin, Le Verrier, placé à Marseille, sur la colline Notre-Dame-de-la Garde, put percevoir des rayons solaires qui étaient envoyés du cap Creuss, en Espagne.

Nous avons déjà dit qu’en 1879 et 1880, le colonel Perrier, dans ses mesures de triangulation entre l’Espagne et l’Algérie, envoyait des signaux lumineux perceptibles à 70 lieues de distance.

La portée des signaux solaires n’a donc d’autre limite que la rotondité de la terre, et une certaine absorption de lumière qui paraît se produire dans les couches de l’air très voisines du sol.

La tour Eiffel, de 300 mètres, qui a été construite à l’occasion de l’Exposition de 1889, pourrait, en cas de guerre, servir à produire des éclairs lumineux, qui seraient visibles à des distances immenses, la limite de la rotondité de la terre étant annulée, par l’excessive hauteur du monument. On pourrait de Paris envoyer des signaux et établir une correspondance au-dessus des lignes ennemies, à une station placée jusqu’à trente lieues de distance. Belle réponse à ceux qui demandent à quoi peut servir la tour Eiffel !




CHAPITRE III

emploi de la télégraphie optique dans les armées des différentes nations.

Le télégraphe solaire a été fort utile à l’armée anglaise, dans les expéditions de l’Afghanistan et du Zoulouland. Il a remplacé l’usage des signaux à drapeaux entre les corps détachés. Il a été utilisé dans toutes les expéditions où le télégraphe électrique ne pouvait être installé. Il a parfois fait défaut, par suite de l’absence du soleil ; mais il a pu souvent servir, même sous un ciel nuageux, quand on n’était qu’à un faible éloignement.

Il ne sera pas sans intérêt de faire connaître avec détails dans quelles circonstances a été réalisée jusqu’ici l’application de la télégraphie optique aux opérations des armées, en diverses parties du monde. Nous emprunterons ce récit à un travail d’un officier belge, M. Rodolphe Van Wetter, auteur d’une brochure publiée à Anvers en 1885, sous ce titre : Les Télégraphes optiques.


« Les Américains, dit l’auteur, employèrent la télégraphie optique dans les principaux combats de la guerre de Sécession. Ils s’en servirent, soit pendant le combat, en cas de destruction des lignes télégraphiques, soit pour faire coopérer les armées de terre et de mer, et surtout dans le service d’exploration. À la bataille d’Allatowna, lorsque l’ennemi eut détruit les lignes télégraphiques, les signaux optiques demeurèrent le seul moyen de communication entre le général Sherman et les troupes de secours, avec lesquelles on put lier conversation par-dessus la tête de l’ennemi. Les réserves purent intervenir à temps pour sauver l’armée d’une défaite probable.

Le besoin de la correspondance par signaux optiques fut si impérieux, qu’on organisa un corps spécial chargé de l’exécution des signaux. Ce corps, à la fin de la campagne, comprenait deux cents officiers et un nombre proportionné d’hommes de troupe.

Le général Myer, chef du Corps des signaux, termine son rapport comme suit : Depuis le commencement jusqu’à la fin de la guerre, il ne s’est pas livré une bataille de quelque importance sur terre ou sur mer, sans que le corps des signaux y eût utilement pris part et s’y soit vaillamment comporté. »


Parlant de l’emploi de la télégraphie optique en Europe, particulièrement pendant la guerre franco-allemande de 1870-1871, M. Van Wetter s’exprime ainsi :


Armée Allemande. — À part quelques essais au siège de Metz, essais qui, à cause de leur rapide improvisation, ne donnèrent pas un très bon résultat, ainsi que l’emploi de signaux verts et rouges au siège de Belfort, rien de particulier n’est à constater.

Les expériences prescrites avant 1870 furent interrompues à l’époque de la guerre franco-allemande.

Armée Française. — 1o Au siège de Paris. — C’est M. Maurat qui imagina le premier système optique. On forma immédiatement une commission, sous la présidence du lieutenant-colonel Laussédat, pour examiner les avantages à retirer de la télégraphie optique. On avait en vue l’essai de mettre Paris en communication avec la province. De nombreux appareils furent construits : l’appareil à lunettes couplées de M. Lissajous, l’appareil à prisme de M. Cornu et beaucoup d’autres analogues. Parmi ces derniers, signalons ceux pourvus de grandes lentilles achromatiques sans corps de lunette. Ce système comprenait deux montures, l’une renfermant l’objectif d’émission et l’autre le manipulateur, le verre convergent et l’oculaire de vérification ; une lunette spéciale servait à la réception des signaux. Ces montures étaient placées sur une table, on cherchait par l’oculaire de vérification l’image de la station correspondante et on fixait les montures sur la table.

Deux membres de la commission, MM. Lissajous et Hioux, emportèrent un certain nombre de ces appareils lors de leur ascension en ballon (1er novembre 1870).

2o En province. — On fit des essais dans le midi de la France et en divers endroits. En novembre 1870, une commission fut nommée à Tours, pour étudier un système de signaux de nuit basé sur l’émission de rayons brefs ou longs permettant l’emploi du code Morse. On avait en vue de communiquer avec la capitale, mais l’étendue considérable donnée à la deuxième ligne d’investissement fit abandonner le projet par son auteur.

À l’armée du général Chanzy, on parvint à établir une communication à cinq kilomètres, mais, lorsqu’un soleil superbe favorisait l’opération.

Après la conclusion de l’armistice, des expériences se firent (mars 1871) à Poitiers avec des appareils à prismes. Le jour, on correspondit à 22 et à 37 kilomètres ; la nuit la transmission s’effectua, paraît-il, à cette dernière distance avec une lampe à pétrole et à l’œil nu.


Guerre Russo-Turque.


Les Turcs qui, dans la guerre contre les Russes, se servirent à peine de la télégraphie électrique, utilisèrent encore moins les signaux optiques, mais ce fut par simple ignorance, car après la guerre des expériences furent ordonnées. Cependant le contingent égyptien possédait un système de signaux par pavillons pour communiquer entre les différents ouvrages de campagne.


Dans la région Transcaspienne.


L’expédition des Russes dans la région transcaspienne leur permit d’utiliser pratiquement l’héliographe déjà expérimenté vers l’année 1877. On organisa un détachement spécial composé de trois officiers et de cinquante hommes. Les appareils étaient de trois modèles suivant le but à remplir ; on les désignait sous le nom d’appareils de cavalerie, de campagne et de forteresse. Les diamètres des miroirs étaient respectivement de 9, de 13 et de 25 centimètres et les distances auxquelles on pouvait correspondre de 26, de 42 et de 53 kilomètres. On employait comme source lumineuse le soleil et les lampes ; celles-ci étaient de divers systèmes et présentaient quelques inconvénients parmi lesquels l’usage de l’essence de térébenthine, qui se vaporisait rapidement par suite de l’élévation de la température.

L’héliographe servit :

1o À relier les troupes avec les têtes de lignes télégraphiques et leur base d’opérations, ce qui fut très utile à cause des tentatives des Tekkés pour couper les Russes de cette base.

2o À entretenir la liaison entre le corps principal et les détachements envoyés en reconnaissance.

3o Pendant le siège de Géok-Tépé, à faciliter le tir de l’artillerie, à fournir des nouvelles sur les mouvements de l’ennemi, dans le désert au nord de la place, et à surveiller les rassemblements destinés aux surprises nocturnes.

4o À l’éclairage du terrain situé en avant de la première parallèle et des environs du camp, ce qui se fit bien mieux que par les autres moyens ; il est vrai qu’ils étaient bien primitifs.

Ces résultats sont brillants, mais ils sont dus en partie au climat et à la nature du terrain.


En Afghanistan.


Les Anglais possédaient aux Indes un excellent matériel de télégraphie électrique, puisqu’ils construisirent environ 700 kilomètres de lignes, mais elles furent fréquemment coupées par l’ennemi. La télégraphie optique remplaça la télégraphie par fil et servit pendant le combat et pendant les marches, pour entretenir les communications entre les diverses colonnes souvent fort éloignées les unes des autres.

On a pu correspondre :

1o Avec les héliographes à miroirs de 76, de 127 et de 152 millimètres de diamètre respectivement jusqu’à 54, 111 et 240 kilomètres. 2o Avec des pavillons de un mètre carré à 40 kilomètres, en se servant de bonnes lunettes.


Au Zoulouland.


Le gouvernement anglais qui avait, on ne sait trop pour quel motif, négligé l’envoi d’un détachement de télégraphie électrique, s’en repentit bientôt amèrement et revint sur sa décision. Tant à cause de ce fait que par suite de l’état spécial de l’atmosphère, la télégraphie optique fut utilisée sur une assez large échelle. Signalons un des faits saillants de son emploi dans cette guerre. Le colonel Pearson, enfermé dans le fort d’Ekovee avec 1 300 hommes, coupé de tout secours et entouré de 15 à 20 000 Zoulous, parvint à se mettre en communication avec le reste de l’armée et avec le fort Ténedos, éloignés de plus de 40 kilomètres.

Les troupes britanniques purent venir au secours des assiégés et, mettant à profit les renseignements transmis sur les Zoulous, les défirent complètement.


Au Maroc et en Espagne.


La télégraphie optique a été employée par les Espagnols au Maroc et dans l’insurrection carliste. C’est surtout dans cette dernière guerre et après la levée du siège de Bilbao qu’elle rendit de grands services, car la nature montagneuse du pays se prêtait mal à la construction des lignes électriques que les carlistes auraient eu beau jeu à détruire. Quoique rien ne fût organisé et qu’on dût tout improviser, le corps des signaleurs répondit à l’attente générale.


Dans la campagne de Bosnie.


Les Autrichiens eurent l’occasion d’employer leur corps de signaleurs dans la campagne de Bosnie.

Pendant les combats, la télégraphie optique servit à tenir le général en chef au courant des différentes phases de la bataille, à transmettre ses ordres aux divers commandants, à communiquer aux troupes en action les avis des postes d’observations, à la demande des munitions, etc.

Dans un cas, l’arrivée en temps opportun d’une dépêche optique empêcha l’artillerie autrichienne de tirer sur une position occupée par des troupes amies.

Au combat de Serajewo, deux stations de signaleurs établies sur le Humberg servirent à reconnaître l’ennemi et à correspondre avec le gros à Wazni, tandis que deux autres postes sur le Kobila-Glava communiquaient avec l’état-major du général Tegetthoff.

Au combat de Zepce, le général en chef, en arrivant sur le champ de bataille, se jugeant insuffisamment informé sur l’ennemi en raison du terrain accidenté, fit établir sur une hauteur voisine et dominante une station de signaux, qui le renseigna fort bien sur la force, la disposition et les mouvements adverses.

Cette guerre a démontré l’utilité des observatoires durant l’exploration, en marche ou pendant le combat, et la possibilité de les constituer facilement.

Le corps des signaleurs donna des résultats très satisfaisants, et transmit parfois des dépêches de 80 mots à des distances de 24 kilomètres, mais en ayant recours à des postes intermédiaires.


En Tunisie et dans le Sud-Oranais.


En utilisant la lumière électrique comme source lumineuse, on est parvenu à correspondre parfaitement entre les forts des environs de Tunis et les différentes stations.

L’appareil optique de campagne du colonel Mangin a paru pour la première fois dans la guerre de Tunisie. D’autres systèmes, notamment ceux à lentille de 0m,14, y ont été mis en usage.

La télégraphie optique a permis, pendant les campagnes du Sud-Oranais et de Tunisie, d’envoyer à Paris en quelques heures les nouvelles des colonnes militaires lancées au fond du Sahara, à plusieurs centaines de kilomètres de tout poste télégraphique. »


Nous signalerons, en terminant, d’autres systèmes de télégraphie optique, qui ont été proposés, et qui, bien que reposant sur des principes connus, n’en doivent pas moins être cités dans ce Supplément.

En 1875, un officier français, M. Léard, fit l’essai, à Alger, d’un appareil de signaux lumineux, qui ne pouvait être employé que de nuit. Il se composait d’éclairs de lumière électrique projetés sur le ciel, et dont les interruptions ou la durée relative correspondaient aux brèves, aux longues et aux points du vocabulaire de Morse.

Le télégraphe optique des Anglais ne fonctionne que le jour, celui de M. Léard n’opère que la nuit. L’un pourrait donc succéder à l’autre, dans une armée. L’idée de la télégraphie céleste de M. Léard était ingénieuse, mais elle n’avait rien de pratique


Un autre officier, M. Godart, exécuta, à Paris, de 1880 à 1881, une série d’expériences, avec des signaux empruntés aux caractères de la sténographie, en opérant avec les appareils optiques du colonel Mangin.


L’administration militaire de Paris a expérimenté un télégraphe optique à lumière polarisée, dont le principal avantage était de dérober le sens des signaux aux étrangers qui étaient témoins de leur transmission.


En 1880 et 1881, on a vu plusieurs fois, à Paris, le capitaine Gaumet expérimenter ce qu’il appelait le Télélogue (parleur de loin), et qui n’était autre chose que le vieux système de télégraphie aérienne de Claude Chappe, exécuté avec une véritable bonhomie.

Tout se réduisait, en effet, à faire lire à distance, par une lunette d’approche, les différentes lettres des mots composant une phrase.

Le Télélogue du capitaine Gaumet se composait d’une lunette d’approche, posée en plein air, sur un trépied, et d’un grand carton, renfermant 27 feuilles de taffetas noir, pliées en deux. Sur vingt-cinq de ces feuilles se trouvaient tracées, en grands caractères d’argent, les vingt-cinq lettres de l’alphabet ordinaire. La vingt-sixième feuille était un grand carré d’argent, pour annoncer la fin d’un mot, et la vingt-septième un carré noir, désignant la fin d’une phrase.

Nous avons vu échanger des messages télélogiques par le capitaine Gaumet, le 4 juin 1882, jour du grand prix de Paris. La lunette de réception était placée sur les hauteurs du Trocadéro, où nous nous trouvions, et l’expédition des lettres se faisait de la pelouse du champ de courses de Longchamps. On reçut ainsi l’annonce du nom du cheval vainqueur.

Il fallait, avec ce système, quatre minutes environ pour recevoir une dépêche de vingt mots.

Mais ce procédé n’était, on le voit, qu’un retour enfantin au télégraphe aérien de Claude Chappe.




CHAPITRE IV

la télégraphie pneumatique

historique de la télégraphie pneumatique. — installation des tubes pneumatiques. — chariots. — appareils et machines pour condenser et raréfier l’air. — utilisation de l’air comprimé. — marche des trains. — le système pneumatique à l’étranger.

Comme suite au Supplément à la Télégraphie aérienne, nous placerons ici la description d’un système de correspondance en usage dans quelques villes d’Europe, particulièrement à Paris, à Londres, à Manchester, à Liverpool, à Berlin, etc., et qui consiste à se servir de l’impulsion de l’air ou de sa raréfaction, pour lancer dans des tubes souterrains des messages écrits.

La télégraphie pneumatique a pris, depuis quelques années, un développement considérable à Paris. On parle même de l’affecter au service des postes, pour les lettres ayant à circuler dans l’intérieur de la ville. L’examen des procédés et des appareils de la télégraphie pneumatique ne sera donc pas sans intérêt pour nos lecteurs.


Un inventeur français dont le nom est parfaitement oublié aujourd’hui, Ador, eut le premier l’idée de la télégraphie pneumatique. En 1852, Ador fit, dans le parc Monceau, à Paris, un essai de transport de petits colis par l’air comprimé.

Après lui, en 1854, un autre inventeur français, Galy-Cazalat, fit la même expérience, couronnée, d’ailleurs, du même succès. Galy-Cazalat prit alors, en France, un brevet pour le transport des dépêches par la pression de l’air.

Pendant la même année, un physicien anglais, Latimer Clark, prit un brevet, pour un système analogue ; et il établit à Londres des tubes, dans lesquels des étuis renfermant les dépêches étaient lancés par la pression de l’air, dans un tube vide, c’est-à-dire par aspiration, au lieu de l’être par refoulement, comme dans l’appareil de Galy-Cazalat.

En 1863, à Londres, le physicien Varley perfectionna ce mode de transmission. Il inventa la valve, qui, dans le système anglais, facilite l’envoi et la réception des étuis. La marche dans un sens se faisait au moyen du vide, et celle en sens inverse par l’air comprimé.

Enfin, en 1865, MM. Siemens et Halske établirent à Berlin des tubes qui, à l’imitation des tubes pneumatiques de Varley, fonctionnent à la fois par le vide et la pression de l’air.

L’établissement des tubes pneumatiques pour le service intérieur de la poste ou de la télégraphie eut lieu, à Paris, en 1867. La compression de l’air était obtenue par l’emploi de trois cuves en tôle, dont la plus grande, remplie par l’eau de la ville, pouvait encore exercer une pression de 1,6 atmosphère. Les deux autres cuves servaient de réservoirs, l’une pour l’air comprimé, l’autre pour le vide. On obtenait la dépression nécessaire dans la cuve plus petite, en y laissant écouler l’eau de la grande cuve.

Ce moyen était fort commode, mais il avait l’inconvénient de revenir fort cher, à cause du prix élevé de l’eau de la ville, employée comme agent de pression. Aussi lui substitua-t-on, vers 1880, des machines à vapeur, pour manœuvrer les pompes à air.

Aujourd’hui, la poste pneumatique est parfaitement organisée à Paris, et nous allons décrire, avec des dessins pris dans les bureaux télégraphiques et dans les ateliers, les appareils qu’elle met en œuvre.

Nous commencerons par faire connaître les appareils et les conduites servant à faire voyager les étuis à dépêches ; nous décrirons ensuite les usines à vapeur où s’effectuent la compression de l’air et le vide dans les tubes et les réservoirs, au moyen de machines à vapeur.


Fig. 422. — Le bureau de la poste pneumatique de la place de la Bourse, à Paris.

Nous représentons dans la figure 422 le bureau de poste pneumatique de la Bourse, à Paris, le plus important de tous ; car, tandis que les bureaux ordinaires ne renferment que quatre ou deux appareils, celui de la Bourse en renferme douze, disposés, ainsi qu’on le voit, en deux rangées parallèles, de six appareils chacune.

La ligne qui sert à l’envoi et à la réception des étuis à dépêches est double. Dans l’une, on aspire au moyen du vide les étuis, dans l’autre, on les pousse au moyen de l’air comprimé.

Les tubes composant cette double ligne sont en fonte ; leur diamètre est de 65 millimètres, et ils sont parfaitement alésés à l’intérieur, pour faciliter le glissement du piston. Leur rayon de courbure, pour la traversée des rues, n’est jamais moindre de trois mètres, et la pente qu’on leur donne ne dépasse pas cinq centimètres par mètre.

La compression de l’air dans l’une des conduites, ainsi que le vide, ou plutôt la simple raréfaction de l’air, dans l’autre, sont produits, comme il a été dit plus haut, dans une usine à vapeur par des pompes à air, actionnées par une machine à vapeur.


Les conduites de la poste pneumatique de Paris ont trouvé un asile commode et sûr à la voûte des égouts.

Cette vaste canalisation qui parcourt les profondeurs du sous-sol parisien ne renferme pas seulement le ruisseau infect des égouts. Elle reçoit encore les conduites pour la distribution des eaux, les fils de la télégraphie souterraine et le faisceau des conducteurs téléphoniques. Les tubes de la poste pneumatique sont encore venus s’y adjoindre. Paris est la seule ville au monde qui soit dotée de cette magnifique construction souterraine, qui, destinée, à l’origine, à ne recevoir que le tribut impur des eaux ménagères, les détritus des ateliers et les boues de la rue, a fini par donner abri aux appareils nouveaux qu’une science utilitaire a su créer, pour le plus grand bien-être des habitants des cités.

Les cartes-télégrammes, ainsi que les dépêches télégraphiques, ou manuscrites, venant de la province, et réunies à celles de Paris pour Paris, sont assemblées en un nombre suffisant, et enfermées dans un étui cylindrique en fer, garni de feutre. Le diamètre de ces boîtes est de 4,5 centimètres. Cinq ou six, placés à la file, composent un véritable train d’étuis, qui partent : toutes les trois minutes, sur la ligne directe du poste central (Hôtel des postes) à la Bourse ; toutes les cinq minutes, sur le réseau principal, ainsi que sur les réseaux secondaires ; enfin, tous les quarts d’heure seulement, sur quelques embranchements de peu d’importance.

Voici comment ce train d’étuis peut circuler rapidement à l’intérieur des conduites, soit de vide, soit d’air comprimé.

L’étui placé en tête du train sert de piston. À cet effet, il est garni, à sa partie antérieure, d’une rondelle de cuir flexible, de 80 millimètres de diamètre, dont les bords, qui lui forment comme une sorte de collerette, viennent s’appuyer contre les parois du tube, quand l’air comprimé, ou la pression extérieure, dans le cas du vide, vient à le presser. Et comme le reste des étuis est attelé au premier, le train entier est entraîné dans le réseau tubulaire.


Fig. 423. — Perspective et coupe d’un appareil de la poste pneumatique. (Vu de face.)
Fig. 424. — Coupe d’un appareil de la poste pneumatique. (Vu de profil.)

Arrivons à la description de l’appareil mécanique servant à l’expédition et la réception des étuis à dépêches. Cet appareil se compose, comme on le voit sur les figures 423 et 424, qui le représentent, vu de face et de profil, des éléments suivants :

1o Deux conduites, l’une G, pour l’air comprimé, l’autre E, pour l’air raréfié ;

2o Un tube vertical, A, auquel aboutit la ligne des deux conduites, G et E, et qui se termine, en haut, par une boîte carrée en laiton, B, dont la face antérieure présente une porte, se fermant hermétiquement, et s’ouvrant par une manivelle, que l’on tire à l’extérieur ;

3o Deux tuyaux verticaux, C, D, se recourbant à leur partie supérieure et entourant le tube vertical, A, qui servent à mettre en relation la ligne, soit avec l’air comprimé, soit avec le vide. Si l’on en ouvre le robinet à volant, H, on est en rapport avec la conduite vide ; si l’on ouvre le robinet à volant, I (fig. 423), on est en rapport avec la conduite d’air comprimé ;

4o Un grand levier, J, que tire à soi l’employé tubiste, avant d’ouvrir la porte de la boîte de laiton, B. Ce levier ferme une valve placée à l’intérieur des conduites, afin d’empêcher l’air extérieur de pénétrer dans les conduites, ou si l’on veut, pour prévenir l’échappement à l’extérieur de l’air comprimé ou raréfié.

Quand l’employé tubiste veut faire partir un train d’étuis, il réunit en un paquet les dépêches qu’il a reçues, et il les introduit dans un, deux ou trois étuis, selon le nombre des papiers. Une large ouverture longitudinale est pratiquée à cet étui, pour faciliter cette introduction. Ensuite, il recouvre l’étui d’une chemise de cuir, et il l’introduit dans la boîte carrée de laiton, B, en plaçant en avant l’étui porteur de la collerette de cuir flexible, qui doit faire office de piston. L’employé avertit alors, par la sonnerie électrique, T (fig. 423 et 424), la station correspondante du départ des étuis. Mais, avant d’ouvrir la boîte de laiton, il a eu le soin de tirer fortement à lui le levier, J, pour fermer la valve intérieure des conduites, et prévenir ainsi la déperdition à l’extérieur de l’air comprimé ou raréfié. Pour expédier immédiatement les étuis, il ouvre le robinet volant, H, et le train part aussitôt. La sonnerie électrique du correspondant l’avertit quand ce train est arrivé à destination.

Le jeu est le même pour recevoir un train de dépêches. L’employé tubiste de la station correspondante avertit son collègue, au moyen de la sonnerie électrique, du moment de l’envoi du train, et bientôt un bruit de choc, à l’intérieur de l’appareil, annonce son arrivée. Alors, il opère comme pour le départ, c’est-à-dire qu’il ouvre la boîte de laiton, après avoir obturé l’intérieur de la conduite, en tirant le grand levier, J, et il extrait les étuis de la boîte.

Le casier, V, que l’on voit en coupe sur la figure 423 est destiné à recevoir les étuis vides, ou les étuis de rechange.

La vitesse du voyage des étuis varie selon la pression ou le degré de raréfaction de l’air qui existe à l’intérieur des conduites. Sur des lignes très courtes, c’est-à-dire dans les conditions les plus favorables, où il suffit d’une pression de 40 centimètres de mercure, la vitesse est de 1 kilomètre par minute.


Le réseau pneumatique de Paris, créé en 1867, alors que l’on se servait, comme puissance motrice, des chutes d’eau de la ville, n’avait, en 1878, que le modeste développement de 33 kilomètres. En 1884, il embrassait une longueur de 160 kilomètres. Aujourd’hui, cette longueur est bien dépassée.

On en jugera en jetant les yeux sur la carte de la page suivante (fig. 425), qui représente le réseau des tubes de la poste pneumatique de Paris, et qui met à la fois sous les yeux du lecteur le trajet des tubes d’une station à l’autre, la canalisation d’air comprimé et raréfié, enfin l’emplacement des usines pour la production de l’air comprimé et du vide, au moyen d’une machine à vapeur.

Fig. 425.

Nous sommes ainsi amené à décrire les usines à vapeur pour la production du vide ou de l’air comprimé.

On voit, d’après la carte, que plusieurs de ces usines (qui sont désignées sur cette carte par les mots et le signe : atelier de force motrice) sont disséminées dans Paris. Les dispositions sont, d’ailleurs, les mêmes dans chacun de ces ateliers mécaniques : la force de la machine à vapeur varie seulement de l’une à l’autre.

Nous représentons dans la figure 426 la principale de ces usines, c’est-à-dire celle de l’Hôtel des postes de Paris, le bel édifice public inauguré au mois de juillet 1888.

Fig. 426. — L’usine à vapeur pour la compression de l’air et sa raréfaction, à l’Hôtel des postes, à Paris.

C’est dans le sous-sol de l’Hôtel, dans la partie ayant sa façade sur la rue Étienne-Marcel, qu’est installée la machine à vapeur, ainsi que les pompes pour la compression de l’air et la production du vide dans les conduites.

Particularité remarquable, c’est la tige du piston du cylindre de la machine à vapeur qui, prolongée horizontalement, va actionner les valves intérieures de la pompe à compression d’air et celles du vide.

Une autre disposition mécanique intéressante, c’est que la même pompe atmosphérique, selon la position donnée aux soupapes ou clapets, peut servir à faire le vide ou à comprimer l’air. Un changement dans le sens de l’ouverture de ces soupapes les fait ouvrir de l’intérieur à l’extérieur, et réciproquement ; ce qui permet de se servir du même corps de pompe, tantôt pour comprimer de l’air, tantôt pour le raréfier.

L’appareil mécanique servant à opérer la compression de l’air, ou à faire le vide dans les réservoirs et dans les conduites qui parcourent les égouts, se compose :

1o De la chaudière à vapeur ;

2o De la machine à vapeur ;

3o Des pompes à air ;

4o Des réservoirs d’air comprimé ou de vide.

La chaudière à vapeur est la chaudière Belleville inexplosible. Nous avons donné, dans les premières pages de ce volume [3], une description très développée, avec des dessins très variés, de ce générateur, vraiment inexplosible, mais auquel on doit reprocher, toutefois, son extrême complication, qui nécessite des chauffeurs expérimentés et infatigables, et qui a le défaut de contenir une trop faible quantité d’eau.

L’eau est fournie à la chaudière Belleville par un puits qui a été creusé à proximité. On a fait, d’autre part, une prise à un embranchement de l’eau d’Ourcq, afin d’assurer l’alimentation de la chaudière en tout temps.

La machine à vapeur, mise en marche par cette chaudière, est de la force de 60 chevaux. Elle a été construite par MM. Schneider, à l’usine du Creusot. C’est la machine Corliss du Creusot. Comme nous avons analysé, avec beaucoup de détails, cette machine, dans le Supplément à la Machine à vapeur, qui forme la première Notice de ce volume [4], nous n’avons pas besoin de revenir sur cette description. Dans le dessin de la machine à vapeur de l’Hôtel des postes, on reconnaîtra, si l’on veut bien se reporter à la figure de la machine Corliss du Creusot  [5], les mêmes déclics, si ingénieux, le lourd volant et l’excellent régulateur de cette belle machine à vapeur.

Nous dirons seulement que le cylindre à vapeur est muni d’une enveloppe à circulation de vapeur, et d’une garniture calorifuge, c’est-à-dire destinée à éviter les pertes de chaleur.

Quant au condenseur, qui n’est point visible sur notre dessin, parce qu’il est placé sous le bâti de la machine, il est pourvu d’une pompe à air, à simple effet, actionnée par une contre-manivelle, rattachée elle-même à la manivelle de la machine à vapeur. La pompe à eau reçoit son mouvement d’un excentrique placé à l’extrémité du grand arbre moteur, du côté opposé à sa manivelle.

Un purgeur automatique fait écouler l’eau chaude, sortant du condenseur, dans l’égout de la rue Étienne-Marcel.

L’arbre moteur de la machine Corliss fait 52 tours par minute. Malgré cette médiocre allure, les deux cylindres de la pompe de compression de l’air refoulent 30 000 litres d’air par minute.

Les pompes atmosphériques font directement suite, comme on le voit sur la figure 426, au cylindre à vapeur ; et c’est le prolongement de la tige du piston de ce cylindre, qui vient actionner, ainsi que nous l’avons dit plus haut, le piston et les soupapes des pompes atmosphériques.

La suppression de tout organe de transmission du mouvement du cylindre à vapeur aux pompes, c’est-à-dire l’absence de tout intermédiaire entre la puissance et le travail, procure un rendement élevé, tout en simplifiant l’entretien et les visites de l’appareil.

Les soupapes d’aspiration et de refoulement d’air sont du même modèle, et appartiennent au système Corliss. Comme elles sont entièrement métalliques, elles fonctionnent à des températures élevées. Par leur fermeture brusque, elles peuvent marcher aux allures les plus rapides ; ce qui a permis de réduire considérablement les dimensions des cylindres à air. On peut reconnaître, en effet, en examinant notre dessin, que les cylindres compresseurs sont d’un faible volume, malgré la grande quantité d’air qu’ils aspirent en une minute. Ajoutons que ces soupapes peuvent être facilement démontées et visitées.

Un courant d’eau froide circulant autour des cylindres compresseurs et raréfacteurs d’air prévient leur échauffement par le calorique que développe toujours la compression de l’air. Cette utile disposition avait déjà été employée par M. Daniel Colladon, dans les pompes à compression d’air que le savant physicien de Genève installa pour la compression de l’air, aux ateliers de Gœschenen et d’Airolo, pendant les travaux d’excavation du tunnel du mont Saint-Gothard, de 1875 à 1880.

Des deux pompes atmosphériques, l’une comprime l’air, et l’autre fait le vide ou raréfie l’air. On peut donc, à volonté, grâce à l’identité de modèle des soupapes, et en changeant seulement le sens de leur ouverture, les faire aspirer, tantôt dans l’atmosphère, tantôt dans les réservoirs de vide, c’est-à-dire en faire à volonté des pompes à compression ou des pompes à raréfaction.

L’air aspiré par ces pompes est puisé dans une cheminée située dans une cour contiguë à celle des machines, et qui donne sur la rue Jean-Jacques-Rousseau.


Tel est l’ensemble d’appareils qui sert à faire varier la pression de l’air dans les conduites souterraines de la ville. Il importe d’ajouter qu’en prévision des accidents extérieurs ou des dérangements, un second groupe d’appareils, semblable à celui qui vient d’être décrit, a été construit et est toujours prêt à marcher. Pendant qu’un groupe travaille, l’autre reste inactif, mais tout prêt à servir de rechange, pendant les réparations ou pendant les visites, qui sont toujours nécessaires au bout d’un certain temps de service des appareils.


Le travail des machines que nous venons d’étudier ne dure que de 7 heures du matin à 11 heures du soir. Alors, commence le service de nuit. Il faut un travail de nuit pour l’usine de l’Hôtel des postes ; car les tubes pneumatiques expédient, le soir, au bureau central des télégraphes de la rue de Grenelle, les dépêches de la province, et celles qui sont remises pendant les dernières heures, aux bureaux des quartiers. Ce service étant beaucoup moins important que celui du jour, les pompes atmosphériques sont actionnées par une machine à vapeur de moindre puissance, par une machine compound, à pilon, de la force de 30 chevaux.

Cette dernière machine, qui n’a pu être représentée sur la figure 426 (Usine à vapeur de l’Hôtel des postes), parce qu’elle est placée à gauche, en contre-bas du terre-plein supportant la machine Corliss et les pompes atmosphériques, est à condensation, comme toutes celles du système compound, et à deux cylindres. Sa vitesse est de 80 tours par minute. Elle diffère de la grande machine, ou machine Corliss, en ce qu’elle est pourvue d’organes de transmission (poulies de réserve, paliers et courroies allant de l’arbre moteur aux tiges des pistons des pompes atmosphériques) complication que l’on a pu éviter, ainsi qu’on l’a vu plus haut, avec la machine Corliss.


Pour terminer la description de l’usine pneumatique de l’Hôtel des postes, il nous reste à dire que l’on emmagasine l’air comprimé, ou raréfié, dans quatre énormes cylindres en tôle, qui n’ont pas moins chacun de 19 mètres de long, et qui sont logés sous un abri obscur, à proximité de l’atelier des machines.

On voit représenté sur la figure 427 la perspective de ces trois réservoirs.

Fig. 427. — Les réservoirs d’air comprimé et d’air raréfié de l’usine à Vapeur de l’Hôtel des postes, à Paris.

Nous n’avons pas besoin de dire que ces cylindres métalliques, qui sont en rapport, par une tuyauterie, a, a′, avec les pompes atmosphériques, reçoivent de l’air comprimé ou de l’air raréfié, selon les besoins du service. Il suffit de relier cette tuyauterie aux pompes de compression ou de raréfaction.

Les grands réservoirs de tôle qui communiquent, par le tube a, a′ avec les pompes atmosphériques, sont en rapport, par les gros tuyaux, A, A′, B, B′, avec les conduites métalliques souterraines, dans lesquelles les étuis à dépêches sont, comme nous l’avons expliqué, poussés sur l’une de leurs faces par l’air comprimé, et aspirés, à l’autre face, par l’air raréfié. En tournant à la main les robinets à manivelle circulaire, R, R′, on les met en rapport avec les conduites souterraines d’air comprimé ou de vide.


Telle est l’intéressante usine pneumatique à vapeur de l’Hôtel des postes de Paris, où l’ingénieur du service pneumatique de l’administration des télégraphes, M. Wünschendorff, a su réunir toutes les dispositions reconnues aujourd’hui les plus avantageuses pour le bon fonctionnement des appareils et l’économie du combustible.




CHAPITRE V

la poste pneumatique à l’étranger.

Les tubes pneumatiques pour le service postal à l’intérieur des villes fonctionnent à Londres et dans plusieurs autres villes d’Angleterre (Birmingham, Manchester, Liverpool, etc.), ainsi qu’à Berlin.

Les détails dans lesquels nous venons d’entrer sur le réseau postal pneumatique de Paris nous permettront de réduire à peu de mots ce qui concerne le même service à l’étranger.

L’administration des postes et télégraphes, à Londres, a adopté plusieurs modèles de valves, ou appareils distributeurs de l’air comprimé ou raréfié. Les premières valves, celles du système Varley, étaient très compliquées et fort coûteuses. Ou leur préfère aujourd’hui celles de M. Villemot, dont la manœuvre est tout aussi simple et le prix moins élevé. Ce sont ces dernières qu’on emploie presque exclusivement aujourd’hui à Londres.

Les étuis qui servent à la transmission des dépêches sont en gutta-percha. Ils ont une longueur totale de 0m,145 et une épaisseur de 0m,004. Leur diamètre intérieur est de 0m,033, et leur diamètre extérieur, y compris leur enveloppe, de 0m,057. Afin qu’ils puissent résister aux chocs qu’ils éprouvent à l’arrivée, ils sont recouverts d’une première enveloppe en feutre, qui, en même temps, empêche la gutta-percha de s’échauffer, par suite du frottement contre les parois des tubes. Une série de rondelles, fixées contre la partie antérieure de chaque étui, forment piston ou maintiennent le vide, pour expédier ou pour recevoir, alternativement, au moyen d’un seul et même tube.

Pour recevoir un étui, on ferme l’extrémité de la conduite générale, au moyen d’un clapet à charnière, garni de caoutchouc ; puis on ouvre un robinet, qui met la conduite en communication avec le réservoir à vide. Attiré aussitôt par aspiration, l’étui se rend au poste d’arrivée, où il ouvre, automatiquement, le clapet à charnière, maintenu jusqu’alors fermé par la pression atmosphérique, et il reste attiré contre l’ouverture de la conduite. L’employé chargé de la réception ferme alors le robinet, et retire l’étui, pour que l’air de la conduite puisse reprendre la pression ambiante.

Pour expédier un étui, on le place dans la conduite, dont on ferme l’ouverture au moyen d’un obturateur, manœuvré à l’aide d’une manette qui entraîne une glissière, à laquelle cet obturateur est fixé. Le plan incliné vient alors rencontrer un galet qui ouvre une valve placée à l’intérieur du cylindre, et met en communication les tuyaux avec le réservoir à air comprimé. L’étui est aussitôt poussé dans le tube souterrain, et lorsque la sonnerie électrique annonce son arrivée au poste correspondant, on remet la glissière dans sa position primitive.

On procède donc, dans le premier cas, par aspiration, et dans le second, par refoulement.

Dans les bureaux de quartier, le tuyau débouche dans l’intérieur d’une boîte, dont le fond est ouvert, et communique, par un tube, avec les égouts. C’est par cet orifice que l’air s’échappe, sans gêner l’employé. Un grillage, disposé au-dessus, empêche l’étui de tomber dans la conduite.


À Berlin, on emploie, comme à Paris, deux tubes distincts pour la transmission et la réception, l’un fonctionnant par le vide et l’autre par l’air comprimé.

Le système pneumatique qui fonctionne en Allemagne a été exécuté par MM. Siemens.

Les étuis sont analogues à ceux de Londres. Ils en diffèrent, toutefois, par leurs dimensions, qui sont plus grandes, et par un couvercle en gutta-percha, maintenu par une bande élastique.

Chaque tube est pourvu de sa valve. Celle-ci se compose de deux bouts de tube, de même diamètre que la conduite, et qui sont portés par un châssis mobile autour d’un axe. L’un ou l’autre de ces tuyaux peut être raccordé avec la conduite, suivant qu’on veut expédier ou recevoir. Pour expédier, il suffit de placer l’étui dans l’intérieur du tube, et d’amener celui-ci dans le prolongement de la conduite, à l’aide d’une manivelle. Le courant d’air entraîne aussitôt l’étui, jusqu’au poste d’arrivée, où, pour la réception, le tube directeur se trouve placé dans le prolongement de la conduite. Ce tube est fermé par une sorte de grille, qui laisse échapper l’air que refoule l’étui en arrivant. Lorsque ce dernier a pénétré dans le tube, il intercepte le passage du courant d’air dans ce même tube, et permet ainsi d’expédier simultanément des étuis en des points différents du circuit.

Un tuyau, dit de dérivation, facilite la circulation de l’air. Une valve, qu’on manœuvre à l’aide d’un levier, s’ouvre au moment de la réception, et se ferme lors de la transmission.

Une double tringle fixe relie les deux parties de l’appareil, et limite les mouvements du châssis mobile.

Lorsqu’un étui doit traverser un bureau sans s’y arrêter, l’employé, qui est averti par une sonnerie électrique, met le châssis mobile dans la position de transmission ; en passant, l’étui frotte sur un ressort placé dans la conduite et relié à un petit levier qui frappe sur un timbre, et il annonce ainsi le passage du chariot.

Dans les bureaux intermédiaires, chaque tube est utilisé pour la transmission dans un sens et la réception dans le sens opposé. Au bureau central, les tubes sont disposés de façon à pouvoir servir indifféremment à la transmission ou à la réception, et portent par conséquent chacun une valve.

Ce système a été légèrement modifié, de façon qu’aujourd’hui on peut, si on le veut, ne plus employer que le vide. Dans ce but, les deux tuyaux dont nous avons parlé tout à l’heure sont ouverts à leurs extrémités. À l’une d’elles est placé un aspirateur à vapeur, dont le fonctionnement, analogue à celui de l’éjecteur Smith, employé sur les locomotives du chemin de fer du Nord, pour la manœuvre du frein à vide, permet la suppression des pompes à vapeur que l’on avait mises en service à l’origine, et qui sont presque exclusivement adoptées à Paris et à Londres. C’est la condensation de la vapeur à l’intérieur du tuyau, qui opère le vide, ou la raréfaction de l’air.

Ce système est économique et n’exige aucune surveillance.


fin du supplément au télégraphe aérien.
  1. Merveilles de la science, tome II, page 18-19 (note).
  2. Page 493.
  3. Pages 6-10.
  4. Pages 45-47.
  5. Figures 39 et 40.