Les Misérables (1908)/Tome 2/Livre 8/06

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Œuvres complètes de Victor Hugo. [volume XI] [Section A.] Roman, tome IV. Les Misérables (édition 1908). Deuxième partie  : Cosette. Troisième partie : Marius.
Texte établi par Gustave SimonImprimerie Nationale ; Ollendorff (p. 264-265).

VI

entre quatre planches.


Qui était dans la bière ? on le sait. Jean Valjean.

Jean Valjean s’était arrangé pour vivre là dedans, et il respirait à peu près. C’est une chose étrange à quel point la sécurité de la conscience donne la sécurité du reste. Toute la combinaison préméditée par Jean Valjean marchait, et marchait bien, depuis la veille. Il comptait, comme Fauchelevent, sur le père Mestienne. Il ne doutait pas de la fin. Jamais situation plus critique, jamais calme plus complet.

Les quatre planches du cercueil dégagent une sorte de paix terrible. Il semblait que quelque chose du repos des morts entrât dans la tranquillité de Jean Valjean.

Du fond de cette bière, il avait pu suivre et il suivait toutes les phases du drame redoutable qu’il jouait avec la mort.

Peu après que Fauchelevent eut achevé de clouer la planche de dessus, Jean Valjean s’était senti emporter, puis rouler. À moins de secousses, il avait senti qu’on passait du pavé à la terre battue, c’est-à-dire qu’on quittait les rues et qu’on arrivait aux boulevards. À un bruit sourd, il avait deviné qu’on traversait le pont d’Austerlitz. Au premier temps d’arrêt, il avait compris qu’on entrait dans le cimetière ; au second temps d’arrêt, il s’était dit : voici la fosse.

Brusquement il sentit que des mains saisissaient la bière, puis un frottement rauque sur les planches ; il se rendit compte que c’était une corde qu’on nouait autour du cercueil pour le descendre dans l’excavation. Puis il eut une espèce d’étourdissement.

Probablement les croque-morts et le fossoyeur avaient laissé basculer le cercueil et descendu la tête avant les pieds. Il revint pleinement à lui en se sentant horizontal et immobile. Il venait de toucher le fond. Il sentit un certain froid.

Une voix s’éleva au-dessus de lui, glaciale et solennelle. Il entendit passer, si lentement qu’il pouvait les saisir l’un après l’autre, des mots latins qu’il ne comprenait pas :

Qui dormiunt in terræ pulvere, evigilabunt ; alii in vitam æternam, et alii in opprobrium, ut videant semper.

Une voix d’enfant dit :

De profundis.

La voix grave recommença :

Requiem æternam dona ci, Domine.

La voix d’enfant répondit :

Et lux perpetua luceat ei.

Il entendit sur la planche qui le recouvrait quelque chose comme le frappement doux de quelques gouttes de pluie. C’était probablement l’eau bénite.

Il songea : Cela va être fini. Encore un peu de patience. Le prêtre va s’en aller. Fauchelevent emmènera Mestienne boire. On me laissera. Puis Fauchelevent reviendra seul, et je sortirai. Ce sera l’affaire d’une bonne heure.

La voix grave reprit :

Requiescat in pace.

Et la voix d’enfant dit :

Amen.

Jean Valjean, l’oreille tendue, perçut quelque chose comme des pas qui s’éloignaient.

— Les voilà qui s’en vont, pensa-t-il. Je suis seul.

Tout à coup il entendit sur sa tête un bruit qui lui sembla la chute du tonnerre.

C’était une pelletée de terre qui tombait sur le cercueil.

Une seconde pelletée de terre tomba.

Un des trous par où il respirait venait de se boucher.

Une troisième pelletée de terre tomba.

Puis une quatrième.

Il est des choses plus fortes que l’homme le plus fort. Jean Valjean perdit connaissance.