Les Mystères d’Udolphe/5/7

La bibliothèque libre.
Traduction par Victorine de Chastenay.
Maradan (5p. 132-136).

CHAPITRE VII.

Valancourt, pendant ce temps, enduroit les angoisses du désespoir. La vue d’Emilie avoit renouvelé toute l’ardeur de son premier amour ; l’absence, les distractions d’une vie tumultueuse, ne l’avoient affaiblie que passagèrement. Quand en recevant sa lettre il étoit parti pour le Languedoc, il savoit bien que sa folie l’avoit ruiné, et il n’avoit aucun projet de le cacher à Emilie ; il s’affligeoit seulement du retard que sa mauvaise conduite pourroit causer à leur mariage, et ne prévoyoit pas que cette information pourroit la conduire à briser tous leurs nœuds. Accablée par l’idée de cette éternelle séparation, et le cœur pénétré de remords, il attendait cette seconde entrevue dans un état qui approchoit de l’égarement ; il espéroit pourtant encore obtenir d’elle par ses prières quelque changement de résolution.

Le matin il fit demander à quelle heure elle le recevroit. Emilie, quand on lui remit ce billet, étoit avec le comte, et ce fut pour celui-ci un prétexte nouveau pour lui parler de Valancourt. Il voyoit le désespoir de sa jeune amie, et redoutoit plus que jamais que son courage ne l’abandonnât. Emilie répondit au billet, et le comte revint sur le sujet de la dernière conversation. Il parut craindre les sollicitations de Valancourt, et il lui peignit les malheurs auxquels elle s’exposoit pour l’avenir, si elle ne résistoit à un chagrin actuel et passager ; ces représentations répétées pouvoient seules la prémunir contre l’effet de son affection, et elle résolut de suivre ses conseils.

L’heure de l’entrevue à la fin arriva. Emilie se présenta avec un extérieur composé ; mais Valancourt, trop agité, fut quelques minutes sans pouvoir parler ; ses premières phrases furent tour à tour plaintes, prières, reproches contre lui-même ; ensuite il dit : — Emilie, je vous ai aimée, je vous aime plus que ma vie ; je suis ruiné par ma faute, et cependant je ne puis nier que je n’aimasse mieux vous entraîner dans une union malheureuse de misère, que d’endurer, en vous perdant, la punition que je mérite… Je suis un malheureux, mais je ne veux plus être un lâche ; je ne chercherai plus à ébranler vos résolutions par les instances d’une passion égoïste. Je renonce à vous, Emilie, et je tâcherai de me consoler en songeant que, si je suis infortuné, vous pouvez au moins être heureuse. Je n’ai pas, il est vrai, le mérite du sacrifice ; et je n’eusse jamais eu la force de vous rendre à vous-même, si votre prudence ne l’eût exigé.

Il s’arrêta un moment. Emilie tâchoit de retenir ses larmes ; elle étoit prête à lui dire : — Vous parlez à présent comme vous parliez autrefois. Mais elle garda le silence. — Pardonnez-moi, Emilie, reprit-il, toutes les souffrances que je vous ai causées. Pensez quelquefois à l’infortuné Valancourt ; souvenez-vous que sa seule consolation sera de savoir que sa folie ne vous a pas rendue malheureuse. Les larmes inondoient les joues d’Emilie. Il alloit retomber dans les accès du désespoir. Emilie s’efforça de rappeler son courage, et de terminer une entrevue qui augmentoit leur commune affliction. Valancourt vit ses pleurs, il la vit se lever ; il fit un nouvel effort pour maîtriser ses sentimens et calmer ceux d’Emilie. Le souvenir de ce douloureux moment, lui dit-il, sera pour l’avenir ma sauve-garde. Oh ! jamais l’exemple, la tentation ne pourront ni me séduire, ni m’entraîner. Le souvenir de ces pleurs que vous versez pour moi, élèvera mon ame au-dessus du danger.

Emilie, un peu consolée par cette assurance, répondit : — Nous nous séparons pour toujours. Mais si mon bonheur vous est cher, souvenez-vous à jamais que rien ne peut y contribuer davantage que de savoir que vous avez recouvré votre propre estime. Valancourt prit sa main ; il avoit les yeux couverts de larmes, et l’adieu qu’il vouloit lui dire étoit étouffé par ses soupirs. Après quelques momens Emilie prononça avec difficulté et émotion : — Adieu, Valancourt, puissiez-vous être heureux ! adieu, répéta-t-elle. Elle essaya de retirer sa main ; il la retenoit et la baignoit de larmes. — Pourquoi prolonger ces momens, lui dit Emilie d’une voix à peine articulée ? ils sont trop pénibles pour nous. — Trop, beaucoup trop, s’écria Valancourt en quittant sa main et retombant sur son siège ! Il se cachoit le visage, et paroissoit suffoqué par ses soupirs. Après un très-long intervalle, pendant lequel Emilie pleuroit en silence, et Valancourt luttoit contre sa douleur, elle se leva encore pour sortir. Il tâcha de prendre un maintien plus assuré. — Je vous afflige, dit-il, mais l’angoisse que je souffre doit être mon excuse ; il ajouta d’une voix entrecoupée : — Adieu, Emilie, vous serez toujours l’unique objet de ma tendresse. Vous penserez quelquefois à l’infortuné Valancourt ; ce sera avec pitié, si ce ne peut être avec estime. Oh ! qu’est-ce pour moi que le monde entier sans vous, sans votre estime ? Il se reprit : Je retombe dans la faute que je me reprochois ; je ne dois plus fatiguer votre patience, je retomberois dans le désespoir.

Il dit encore une fois : — Adieu, Emilie pressa sa main contre ses lèvres, la regarda pour la dernière fois, et s’enfuit hors de la chambre.

Emilie resta dans le fauteuil où il l’avoit laissée, le cœur si oppressé qu’elle ne respiroit plus ; elle entendoit ses pas, dont la bruit s’affoiblissoit à mesure qu’ils s’éloignoient. Elle fut tirée de cet état par la voix de la comtesse qui parloit dans le jardin. En revenant à elle, le premier objet qui frappa sa vue, fut le fauteuil vide sur lequel Valancourt avoit été assis. Le saisissement, et son départ, avoient comme suspendu ses larmes ; elles, revinrent alors la soulager, et elle reprit la force de regagner sa chambre.