Les Mystères d’Udolphe/5/9

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Traduction par Victorine de Chastenay.
Maradan (5p. 155-170).

CHAPITRE IX.

La nuit suivante, à-peu-près à la même heure, Dorothée vint prendre Emilie, et apporta les clefs de l’appartement de la marquise. Il se trouvoit dans la partie du nord qui formoit l’ancien bâtiment. Celui d’Emilie étoit dans la partie du midi. Il leur falloit passer près des chambres de plusieurs domestiques. Dorothée desiroit échapper à leur observation, dans la crainte d’une recherche et des rapports, qui pourroient indisposer le comte. Elle pria donc Emilie d’attendre encore une demi-heure avant de sortir, pour s’assurer que tous les domestiques dormoient. Il étoit près d’une heure avant que tout dans le château fût assez calme pour que la prudente Dorothée consentît à se mettre en marche. Pendant cet intervalle, Dorothée paroissoit fort agitée, et du souvenir des événemens, et de l’idée d’en revoir le théâtre, qui, depuis tant d’années, avoit été fermé pour elle. Emilie se sentoit émue, mais son émotion tenoit à une sorte de vénération plutôt qu’à la crainte. Elles se réveillèrent enfin du silence absolu où les plongeoient la réflexion et l’attente, et elles sortirent toutes deux. Dorothée marchoit devant, et portoit une lampe ; mais sa main, affaiblie par la crainte et la vieillesse, trembloit si fort, qu’Emilie prit elle-même la lampe, et offrit son bras à Dorothée pour soutenir ses pas chancelans.

Il falloit descendre le grand escalier, traverser une grande partie du château, et en remonter un autre qui conduisoit à l’appartement en question. Elles marchèrent avec précaution dans le corridor autour de la grande salle : c’étoit là que donnoient les appartemens du comte, de la comtesse et de Blanche. Elles traversèrent ensuite le vestibule ; elles trouvèrent le commun des domestiques, où les tisons fumoient encore, et où les chaises, encore disposées autour de la table du souper, obstruoient le passage. Elles se trouvèrent enfin au pied de l’escalier qu’elles cherchoient. Dorothée s’arrêta, et regarda autour d’elle. Écoutons bien, dit-elle, si nous n’entendons rien. Mademoiselle, entendez-vous quelque voix ? — Aucune, dit Emilie ; personne, sans doute, excepté nous, ne veille à présent dans le château. — Non, mademoiselle, dit Dorothée ; mais je ne suis jamais venue ici à pareille heure, et d’après ce que je sais, mes craintes n’ont rien d’étonnant. — Que savez-vous ? dit Emilie. — Oh ! mademoiselle, nous n’avons pas à présent le temps de causer. Montons ; la porte à gauche est celle qu’il nous faudra ouvrir.

Arrivées au palier, Dorothée mit la clef dans la serrure. Ah ! dit-elle en s’efforçant de la tourner, il y a si long-temps qu’on n’y a touché, que peut-être elle ne pourra s’ouvrir. Emilie, plus adroite, tourna la clef, ouvrit la porte, et elles entrèrent dans une pièce antique et spacieuse.

— Hélas ! s’écria Dorothée en entrant, la dernière fois que j’ai passé cette porte, je suivois le corps de ma pauvre maîtresse !

Emilie, frappée de cette circonstance, et affectée de la vaste obscurité de cette salle, garda le silence. Elles parcoururent une enfilade de pièces, et parvinrent dans une grande chambre, où l’on distinguoit encore un reste de magnificence.

— Reposons-nous ici, mademoiselle, dit Dorothée d’une voix foible ; nous allons entrer dans la chambre où ma chère dame est morte. Cette porte y conduit. Ah ! mademoiselle, pourquoi m’avez-vous fait venir ici ?

Emilie tira un des fauteuils massifs qui meubloient l’appartement ; elle engagea Dorothée à s’asseoir et à se tranquilliser.

— Comme la vue de cet appartement rappelle à mon esprit les images du temps passé ! il semble que ce soit hier.

— Chut ! quel bruit est-ce-là ? dit Emilie.

— Dorothée tressaillit, parcourut la chambre des yeux ; elles écoutèrent ; tout parut tranquille. La vieille femme reprit le sujet de sa tristesse. — Ce salon, mademoiselle, étoit, du temps de madame, la plus belle pièce du château. Elle étoit meublée de son goût ; vous ne pouvez voir cette tapisserie ; la poussière la couvre, et notre lumière n’est pas brillante. Ah ! comme j’ai vu tout ceci éclairé du temps de madame ! Tout ce meuble venoit de Paris : on l’avoit fait faire pareil à ceux du Louvre ; ces grandes glaces venoient des pays étrangers, ainsi que la tenture. Comme les couleurs se sont fanées, depuis que je ne les ai vues !

— On m’a dit qu’il y avoit vingt ans, dit Emilie.

— Environ, mademoiselle, dit Dorothée : je me souviens de cette époque, et l’intervalle ne me semble rien. — On admiroit cette tapisserie ; elle représente une histoire tout entière que l’on trouve dans un livre : mais j’en ai oublié le nom.

Emilie se lève pour examiner les dessins. Quelques vers en langue provençale, qui se trouvoient au bas, faisoient reconnoître les aventures de quelque roman célèbre. Dorothée étant un peu rassurée, ouvrit enfin la fatale porte. Emilie se trouva dans une chambre fort élevée, tendue d’une tapisserie sombre, et si spacieuse, que la lueur de la lampe n’en montroit pas toute l’étendue. Dorothée, en entrant, s’étoit jetée sur une chaise, poussoit de profonds soupirs, et osoit à peine regarder un lieu si affligeant pour elle. Emilie, au travers de l’obscurité, remarqua le lit où l’on disoit que la marquise étoit morte. Elle s’avança vers le fond de la chambre où il étoit, et distingua la housse de damas vert et les rideaux qui venoient jusqu’en bas en façon de tente, et qui étoient restés à demi-tirés, comme on les avoit laissés sans doute vingt ans auparavant. On avoit jeté sur le lit un grand drap de velours noir, qui le couvroit tout entier, et tomboit jusqu’à terre. Emilie frémit en approchant la lampe ; elle regardoit entre ces sombres rideaux, s’attendant presque à y voir une figure humaine. Elle se rappela soudain l’horreur qu’elle avoit éprouvée, en découvrant madame Montoni mourante dans une tour à Udolphe : le courage lui manqua ; elle se tourna vers Dorothée, et cette vieille femme s’écria tout-à-coup : Vierge Marie ! il me semble que je vois ma maîtresse étendue sur cette couche, telle que je l’ai vue pour la dernière fois.

Emilie, effrayée par cette exclamation, regarde involontairement sur le lit, et ne vit que la sombre couverture. Dorothée fut forcée de s’appuyer sur le lit, et quelques larmes vinrent la soulager.

— Ah ! reprit-elle après avoir pleuré, j’étois là, pendant cette nuit terrible ; je tenois la main de madame ; j’entendis ses dernières paroles ; je vis toutes ses souffrances : c’est-là qu’elle mourut dans mes bras.

— Ne vous livrez pas à ce souvenir, dit Emilie ; sortons d’ici : montrez-moi le tableau dont vous m’avez parlé, si cela ne vous afflige pas trop.

Il est dans l’oratoire, dit Dorothée, en montrant une petite porte à la tête du lit. — Elle l’ouvrit, et Emilie, avec la lumière, entra dans le cabinet de la marquise.

— Hélas ! la voilà, mademoiselle, dit Dorothée en montrant un portrait ! la voilà bien ! Voilà comme elle étoit en arrivant dans ce château. Vous voyez, mademoiselle, elle étoit aussi fraîche que vous. Sitôt moissonnée !

Pendant que Dorothée parloit, Emilie regardoit le portrait ; il ressembloit beaucoup à la miniature qu’elle avoit : seulement l’expression du visage étoit différente ! encore crut-elle voir dans ce tableau une teinte de cette mélancolie pensive qui caractérisoit si fortement le portrait en miniature.

— Je vous prie, mademoiselle, dit Dorothée, placez-vous auprès du portrait, pour que je puisse vous comparer. — Emilie s’y prêta, et Dorothée renouvela les exclamations sur sa ressemblance. Emilie, en regardant de nouveau, pensa avoir vu, quelque part, une personne qui lui rappeloit celle-là ; mais elle ne put s’en souvenir plus précisément.

Dans ce cabinet étoient encore plusieurs effets à l’usage de la marquise. Une robe, quelques ajustemens dispersés sur les chaises, comme si l’on venoit de les quitter ; à terre étoit une paire de mules en satin noir ; sur une toilette, des gants et un très-long voile noir. Emilie le prit pour l’examiner, et s’apperçut qu’il tomboit en lambeaux par vétusté.

— Ah ! lui dit Dorothée, en voyant le voile ; c’est ma maîtresse qui, de sa main, l’avoit déposé là ; on n’y avoit pas touché depuis.

Emilie tressaillit, et le remit à sa place. — Je me souviens, continua Dorothée, de le lui avoir vu ôter en revenant de faire une petite promenade. Je l’avois engagée à descendre au jardin ; elle sembloit en être rafraîchie. Je lui dis qu’elle paroissoit mieux, et je me souviens encore du sourire languissant qu’elle me fit. Hélas ! elle et moi ne pensions guère qu’elle dût mourir dans la nuit.

Dorothée versa quelques larmes, prit le voile, et tout-à-coup le mit sur Emilie ; elle frémit de se trouver ainsi couverte jusqu’aux pieds. Elle s’efforçoit de rejeter le voile, et Dorothée la prioit de le garder un moment. — Avec ce voile, mademoiselle, vous êtes absolument comme ma maîtresse. Puissent vos jours être plus heureux que les siens !

Emilie se dégagea du voile, le remit sur la table, et parcourut le cabinet où chaque objet sembloit parler de la marquise. Dans l’enfoncement d’une fenêtre dont le vitrage étoit colorié, étoient une table, un crucifix d’argent et un livre de prières entr’ouvert. Emilie se rappela avec émotion ce qu’avoit dit Dorothée sur l’usage où étoit la marquise de jouer du luth à cette fenêtre ; elle apperçut le luth lui-même sur un coin de la table, comme s’il y eût été mis au hasard par la même main qui l’animoit si souvent.

— Cette pièce est bien triste et bien mal rangée, dit Dorothée. Quand ma chère maîtresse fut morte, je n’eus jamais le courage de la remettre en ordre, ni sa chambre, non plus. Monsieur n’y est jamais rentré : tout est resté comme il étoit le jour de l’enterrement.

Pendant que Dorothée parloit, Emilie considéroit le luth. Il étoit espagnol, et d’une grandeur remarquable. Elle le prit d’une main tremblante, et promena ses doigts sur les cordes : elles n’étoient pas d’accord ; mais elles rendirent un son grave et plein. Dorothée tressaillit en reconnoissant les sons du luth, et en le voyant dans les mains d’Emilie. — Voilà ce luth, dit-elle, que madame la marquise aimoit tant ! Je me souviens qu’elle le toucha le soir même d’avant sa mort. Je venois pour la déshabiller ; j’entendis en entrant de la musique dans l’oratoire, je m’apperçus que madame étoit assise ; et, pour écouter, je m’approchai doucement jusqu’auprès de la porte entr’ouverte : la musique étoit bien triste ; mais elle étoit bien douce. Je vis madame qui tenoit son luth ; des larmes couloient sur ses joues : elle chantoit une hymne de vêpres : si tendre, si touchante ! Sa voix trembloit : elle s’arrêtoit pour essuyer ses larmes, et reprenoit avec plus de douceur. J’avois souvent entendu chanter madame ; mais jamais je n’avois rien entendu de si délicieux. Je pleurai presque en l’écoutant : elle avoit été en prières, à ce que je crois ; car son livre étoit ouvert sur la table auprès d’elle. Hélas ! il est encore ouvert. Sortons de cet oratoire, mademoiselle, ajouta Dorothée ; mon cœur y souffre trop.

Elles rentrèrent dans la chambre ; Emilie voulut encore revoir le lit. Lorsqu’elle fut devant la porte qui conduisoit dans le salon, elle crut, à la foible lueur de la lampe, voir quelque chose se glisser dans la partie la plus obscure de cette pièce. Son imagination probablement avoit été trop ébranlée par les objets dont elle étoit environnée, sans quoi cette circonstance imaginaire ou réelle ne l’eût point autant affectée ; elle s’efforça de cacher son émotion à Dorothée : mais celle-ci la vit changer de figure, et lui demanda si elle se trouvoit mal.

Allons-nous-en, dit Emilie d’une voix foible, l’air de ces chambres n’est pas sain. Mais, quand elle voulut s’éloigner, elle pensa qu’il faudroit traverser l’appartement où avoit paru le fantôme qui l’avoit effrayée ; sa terreur augmenta, et trop foible pour la soutenir, elle s’assit sur un côté du lit.

Dorothée ne la croyant affectée que des réflexions qu’elle faisoit sur la terrible catastrophe arrivée en ce lieu, travaillait à la ranimer. Cependant elle s’assit près d’elle, et commença le détail de quelques autres particularités, sans songer qu’elle alloit augmenter l’émotion d’Emilie, et uniquement occupée de l’intérêt que ces détails avoient pour elle. Un peu avant la mort de madame, dit-elle, et quand les douleurs furent passées, elle m’appela, et me tendit la main. J’étois justement là où le rideau tombe sur le lit. Comme son regard m’est présent ! La mort y étoit ! Je crois encore la voir. Elle étoit là, madame ; son visage étoit appuyé sur l’oreiller que voilà. Ce drap noir n’y étoit pas alors ; on ne l’y mit qu’après sa mort, son cercueil fut déposé dessus.

Emilie regarda entre ces rideaux obscurs, comme si elle eût pu voir cette figure dont parloit Dorothée : elle ne vit que le bord blanc de l’oreiller qui sortoit de dessous le velours noir. Mais pendant que ses regards erroient sur cette couverture, elle crut y appercevoir un mouvement. Sans parler, elle prit le bras de Dorothée, qui, surprise de l’action et de la terreur dont elle paroissoit accompagnée, tourna les yeux sur le lit ; elle vit le velours se soulever et s’abaisser ensuite.

Emilie vouloit fuir. Dorothée, les yeux fixés sur le lit, dit à la fin : — C’est le vent qui souffle, mademoiselle ; nous avons laissé toutes les portes ouvertes. Voyez comme l’air agite aussi la lampe ; ce n’est que le vent.

À peine eut-elle achevé ces mots, que le manteau s’agita plus violemment. Emilie, honteuse de sa terreur, se rapproche du lit ; elle veut s’assurer que le vent seul avoit causé sa crainte : elle regarde entre les rideaux, la couverture s’agite encore, s’écarte, et laisse voir… une figure humaine. Toutes deux firent un cri, et laissant toutes les portes ouvertes, s’enfuirent aussi vite que leurs jambes tremblantes purent le permettre. Lorsqu’elles furent parvenues à l’escalier, Dorothée ouvrit une chambre où couchoient deux servantes, et tomba sans connoissance sur un lit. Emilie privée de sa présence d’esprit, ne fit qu’un foible effort pour cacher aux servantes surprises la véritable cause de sa terreur. Dorothée, en reprenant ses sens, essaya de rire de sa frayeur. Emilie fit comme elle ; mais les servantes promptement alarmées ne se déterminèrent point à achever leur sommeil dans le voisinage d’un si terrible appartement.

Dorothée reconduisit Emilie chez elle, et elles commencèrent à parler plus froidement de l’étrange incident qui venoit de leur arriver. Emilie auroit presque douté de la vision, si Dorothée ne lui en eût attesté la réalité. Elle raconta alors ce qu’elle avoit cru voir dans le salon, et demanda à Dorothée si elle étoit bien sûre que personne n’eût pu secrètement s’y introduire. Dorothée répliqua que les clefs n’étoient pas sorties de ses mains ; qu’en faisant sa ronde autour du château, ce qui lui arrivoit souvent, elle avoit plusieurs fois examiné les portes, et les avoit toujours trouvées fermées. — Il est donc impossible, ajouta-t-elle, que personne ait pu s’introduire dans cet appartement ; et quand on l’auroit pu, est-il probable que, par choix, on allât coucher dans un lieu si froid et si solitaire ?

Emilie observa que leur visite nocturne pouvoit avoir été épiée ; que peut-être quelqu’un par plaisanterie les avoit suivies dans le dessein de leur faire peur, et que pendant qu’elles examinoient l’oratoire, on s’étoit caché dans le lit. Dorothée convint d’abord que la chose étoit possible, mais ensuite elle se rappela qu’en entrant dans l’appartement, elle avoit pris le soin d’ôter la clef de la première porte, pour qu’on ne s’apperçût pas qu’elles y étoient. Personne donc n’avoit pu y pénétrer, et Dorothée affirma que le fantôme qu’elles avoient vu n’avoit en lui rien d’humain, et n’étoit qu’une apparition effroyable.

Emilie étoit gravement affectée ; de quelque nature que fût l’apparition, soit humaine, soit surnaturelle, le destin de la marquise étoit une vérité incontestable. L’inexplicable incident arrivé dans le lieu même où elle étoit morte, pénétroit Emilie d’un effroi superstitieux. La découverte des illusions d’Udolphe auroit pu l’empêcher d’y céder alors ; elle n’avoit pas su la malheureuse histoire que lui avoit racontée la concierge ; elle la conjura très-sérieusement de cacher cet événement, et de dissiper l’impression de terreur qu’elle avoit déjà montrée ; autrement le comte seroit importuné de rapports qui répandroient l’alarme et la confusion dans la maison. — Le temps, ajouta-t-elle, le temps peut expliquer cette mystérieuse affaire ; attendons-en le dénouement en silence.

Dorothée consentit volontiers ; mais alors elle se rappela que tout l’appartement du nord étoit resté ouvert : elle n’avoit pas le courage de retourner seule pour en fermer la première porte. Emilie, non sans quelque effort, surmonta assez bien sa crainte, pour offrir de l’accompagner jusqu’au pied de l’escalier, et de l’y attendre. Rassurée par cette complaisance, Dorothée se remit en marche, et sortit avec Emilie.

Aucun bruit ne troubloit le silence dans les salles et dans les galeries. Quand Dorothée fut au pied de l’escalier, la résolution lui manqua : elle s’arrêta quelques momens pour écouter, n’entendit rien, et monta, pendant qu’Emilie restoit en bas. Les yeux de Dorothée n’osèrent pas se porter sur l’appartement, dont elle se contenta de fermer bien vîte la première porte, et elle revint joindre Emilie.

En avançant le long du passage qui conduisoit dans la grande salle, elles entendirent des soupirs et de profondes lamentations qui sembloient venir de cette même salle. Emilie écouta effrayée de nouveau, mais elle reconnut bientôt la voix d’Annette, qu’elle trouva dans la salle avec une autre servante, et si épouvantée du récit qu’avoient déjà semé les autres, que ne pouvant se croire en sûreté ailleurs qu’auprès de sa maîtresse, elle alloit se réfugier dans son appartement. Emilie essaya en vain de plaisanter et de la tranquilliser ; elle eut pitié de sa frayeur, et consentit à lui laisser passer toute la nuit dans sa chambre.


CHAPITRE X.

Les injonctions précises d’Emilie à Annette sur le silence qu’il falloit garder, ne furent d’aucun effet. Le sujet de sa terreur avoit répandu une alarme si vive parmi les domestiques, que tous affirmoient alors avoir entendu dans le château les bruits les plus extraordinaires. Le comte en fut informé, et on lui dit que la partie du nord étoit très-certainement fréquentée par des esprits. Il en rit d’abord, et tourna le conte en ridicule ; mais s’appercevant bientôt qu’il produisoit des effets sérieux, et qu’il