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Les Mystères du confessionnal/Dissertation sur le sixième commandement/01

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Imprimerie E.-J. Carlier (p. 15-17).



CHAPITRE I

DE LA LUXURE EN GÉNÉRAL


La luxure, qui tire son nom du mot luxer, est ainsi appelée parce que le propre de ce vice est de relâcher, de détruire les forces de l’âme et du corps aussi l’appelle-t-on quelquefois dissolution ; et on dit de ceux qui s’y livrent par trop, qu’ils sont dissolus. On la définit très-bien l’appétit désordonné des plaisirs vénériens.

Ces plaisirs sont appelés vénériens parce qu’ils ont pour but la génération à laquelle les païens faisaient présider la déesse Vénus.


Proposition. — La luxure est de sa nature un péché mortel.


Cette proposition se prouve par l’écriture sainte, par l’avis unanime des pères de l’Église et des théologiens et par la raison.

1o Par l’écriture sainte : Épît. aux Gal. 5, 19 et 21 : Je vous déclare en vérité, comme je l’ai déjà fait, que ceux qui pratiquent l’œuvre de la chair, qui consiste dans la fornication, l’impureté, l’impudicité la luxure…… et autres choses semblables, n’entreront pas dans le royaume de Dieu.

2o Les pères de l’Église et les théologiens sont unanimes pour enseigner que, de sa nature, le péché de luxure est mortel.

3o Par la raison : Les plaisirs vénériens, dans l’intention du Créateur, sont uniquement destinés à la propagation du genre humain : Tout ce qui va à l’encontre de ce but constituant en soi un grave désordre, est donc un péché mortel.

On demande si la luxure est un péché, à ce point, mortel de sa nature qu’il ne supporte pas légèreté de matière, c’est-à-dire s’il n’est jamais véniel à défaut de matière.

R. 1o Les différentes espèces de luxure consommée, naturelle ou non, dont nous parlerons plus loin, ne comportent pas de légèreté de matière. Ne répugne-t-il pas manifestement à la raison de supposer qu’on peut se livrer à une fornication ou pollution volontaires qui, en soi, ne fourniraient que la matière d’une faute légère ?

R. 2o Le plaisir purement organique, c’est-à-dire qui nous est naturellement procuré par nos organes, tel que celui de voir une beauté, d’entendre une mélodie, de toucher un objet doux et moelleux, etc., se distingue du plaisir vénérien et peut laisser admettre la légèreté de matière. Car un semblable plaisir n’est pas naturellement mauvais, puisque Dieu lui-même, dans un but légitime, en a fait la faculté de nos sens ; il ne peut donc pas constituer un péché mortel, si ce n’est en raison du danger qui pourrait en résulter ; or il peut arriver que chez certaines personnes le danger ne soit pas grave. Il en est ainsi des baisers donnés sans mauvaise intention, à cause du plaisir qu’en éprouvent les organes. Ainsi pensent : Saint-Antoine, Sanchez, Henno Comitolus, Sylvius, Boudart, Billuart, Collet, contre Cajetan, Diana, l’école de Salamanque et S. Ligori, l. 3, no 416, etc.

Donc, est exempt de péché mortel celui qui prend plaisir à voir une jolie femme ou à toucher le velouté de sa main, sans pousser plus loin ses désirs, sans éprouver d’autres sensations et sans risquer de tomber ensuite dans un grave danger. Rarement, cependant, il est exempt de tout péché, et il est ordinairement dangereux de s’arrêter à un tel plaisir, surtout lorsqu’il résulte du toucher. Ainsi, celui qui s’arrête dans cette jouissance ne peut ordinairement être excusé d’un grave péché, à moins qu’il ne s’y soit arrêté par inadvertance ou sans consentement. Il y en a beaucoup qui sont ainsi constitués que le moindre plaisir organique volontaire suffit pour les mettre dans un grave danger de péché.

R. 3o Le plaisir vénérien peut être provoqué directement ou bien indirectement, en soi ou dans sa cause, comme si l’on accomplit une action de laquelle, involontairement, résulte ce plaisir. Les théologiens sont en général d’avis qu’il n’y a que le plaisir indirectement produit qui comporte la légèreté de matière : Ex. : Si quelqu’un fait une chose véniellement mauvaise ou même licite qu’il prévoie devoir lui occasionner des mouvements charnels involontaires d’ailleurs, sans qu’il ait assez de force pour les réprimer, il ne pèche pas mortellement. Dans ce cas, d’après quelques théologiens, le péché est véniel, non par défaut de matière, mais par défaut de consentement.

R. 4o Le plaisir vénérien directement voulu peut être étudié chez les personnes mariées ou chez celles qui ne le sont pas ; il est permis aux époux, pourvu qu’il se rapporte à l’acte conjugal. Autrement, d’après l’opinion générale, c’est un simple péché véniel, s’il est pris par un seul des époux, en dehors de l’acte conjugal, lorsqu’il se rapporte au conjoint et sans grave danger d’incontinence, parce qu’il tend à un acte licite. Nous développerons ailleurs cette question. Elle se réduit donc à savoir si le plaisir vénérien directement voulu en dehors du mariage comporte légèreté de matière.

L’ensemble des auteurs soutient contre Caramuel et quelques autres casuistes qu’un tel plaisir n’est jamais péché véniel faute de matière et s’efforce de le prouver de la manière suivante : 1o Alexandre VII, en 1664, condamna la proposition suivante : Il est probable qu’un baiser donné en vue du plaisir charnel et sensible qu’il procure, en dehors de tout danger d’un consentement ultérieur et de pollution, est seulement véniel. Cette proposition fut condamnée parce qu’on entend ordinairement, par plaisir charnel, le plaisir vénérien. Il n’est donc pas probable que ce plaisir, si petit soit-il, constitue un péché uniquement véniel.

2o La raison nous dit que, par notre nature dégradée, nous sommes tellement portés au vice de la luxure que la moindre étincelle peut souvent produire un grand incendie. En conséquence, dans l’hypothèse d’un consentement direct au plaisir vénérien, on court toujours le danger prochain d’un consentement ultérieur ou de la pollution : Il n’en est pas ainsi des autres vices. Aussi, le père Aquaviva, supérieur général de la société des jésuites, défendait-il, sous peine d’excommunication, à tous ses religieux, de s’écarter, dans leur enseignement, de la décision qui repousse la légèreté de matière dans le plaisir vénérien.

Donc on pèche mortellement en prenant plaisir, librement, aux mouvements de la chair, même quand le hasard les a provoqués.