Les Nicandres, ou Les Menteurs qui ne mentent point/Acte I

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Les Nicandres, ou Les Menteurs qui ne mentent point
Théâtre de feu M. BoursaultLa Compagnie des LibrairesTome I (p. 277-307).
Acte II  ►

ACTE PREMIER.

SCENE PREMIERE.

HIPOLITE, IACINTE.
HIPOLITE.

Me trompois-je, Iacinte, est-ce là sa demeure ?

IACINTE.

C’est là même.

HIPOLITE.

C’est là même.Et tu dis qu’il viendra tout à l’heure ?

IACINTE.

Il me suit.

HIPOLITE.

Il me suit.Ah, Iacinte !

IACINTE.

Il me suit.Ah, Iacinte ! Et quoi donc…

HIPOLITE.

Il me suit.Ah, Iacinte ! Et quoi donc…Je me plains.
Ce que je souhaitois, à présent je le crains :
D’une fille en aimant le malheur est extrême
Alors qu’elle est réduite à le dire elle-même ;
Et que l’objet charmant qui la comble d’ennui
A donné de l’amour, sans en prendre pour lui.
Je m’étois résolue à parler de ma flamme ;
Mais Iacinte au moment…

IACINTE.

Mais Iacinte au moment…Au moment ; quoi Madame ?
À qui cherche à vous plaire expliquez votre mais ;
Mais ?

HIPOLITE.

Mais ? Mais je ne croi pas que j’en parle jamais.

IACINTE.

Courage ; quand la chose est si bien préparée,
Faire la scrupuleuse, & la sainte sucrée ?
Et que lui direz-vous, car il vient sur mes pas ?

HIPOLITE.

En ne lui disant rien, que ne dirai-je pas ?
Quand on voit ce qui plaît, quoiqu’une âme projette
Les yeux ont une voix, si la langue est muette ;
Et pour bien découvrir son aimable tourment,
Affecter le silence est parler clairement.

IACINTE.

Et de cette façon vous croyez faire entendre…
Je vous le disois bien j’apperçois ce Nicandre ;
Il avance.

SCENE II.

Le premier NICANDRE, HIPOLITE, IACINTE, RAGOTIN.
Le premier NICANDRE.

Il avance.Madame, il doit m’être bien doux
De jouir du bonheur qui m’approche de vous ;
Mais achevez de grace, & pour comble de joie
De vous mieux obéïr découvrez une voie.
Parlez.

RAGOTIN.

Parlez.Comme elle parle, écoutez, Diablezot ?

IACINTE.

Ma maîtresse, Monsieur, parle sans dire mot.

Le premier NICANDRE.

Dites-moi, sans frayeur ce que c’est qui vous touche,
Je suis homme…

IACINTE.

Je suis homme…Et là là, parlez lui de la bouche,
Madame.

Le premier NICANDRE.

Madame.Vous croyez que me dire un secret
C’est peut-être…

HIPOLITE.

C’est peut-être…Nicandre, éloignez ce valet.

Le premier NICANDRE à Ragotin.

Dans une heure au plus tard tu viendras me reprendre.

RAGOTIN.

Mais…

Le premier NICANDRE.

Mais…Sors.

RAGOTIN.

Mais…Sors.Mais…

Le premier NICANDRE.

Mais…Sors.Mais…Sors, te dis-je, & te va faire pendre.

RAGOTIN.

Et votre honneur, Monsieur, il est fort en danger ;
Quand on n’en a plus guére, il le faut ménager.

Le premier NICANDRE.

Qu’elle est belle ! vois-tu ? J’en ai l’âme surprise.

RAGOTIN.

Déjà de son honneur tout le reste agonise.
Qu’il est âpre !

Le premier NICANDRE.

Qu’il est âpre !Sors donc.

RAGOTIN.

Qu’il est âpre !Sors donc.Mais.

Le premier NICANDRE.

Qu’il est âpre !Sors donc.Mais.Encore une fois.

RAGOTIN.

Adieu l’honneur.

SCENE III.

HIPOLITE, le premier NICANDRE, IACINTE.
HIPOLITE.

Adieu l’honneur.Nicandre, & mes yeux, & ma voix…
Je me sens interdite, & le charme qui brille…
Quand on est inquiéte, & qu’on est une fille…
Le mérite sublime a pour moi tant d’appas…
J’ose… le trouble… Et quoi ne m’entendez-vous pas ?

Le premier NICANDRE.

Moi, Madame !

HIPOLITE.

Moi, Madame !Iacinte, il ne veut pas m’entendre.

IACINTE.

Parlez sans façonner, & vous faites comprendre
Aussi ; car le moyen jusqu’ici qu’il ait pû ?
Si vous dites deux mots, c’est à bâton rompu ;
Laissez moi lui parler, je suis bien plus hardie.
Permettez, ô Monsieur, qu’à présent je vous die…
Ma Maîtresse Hipolite a depuis peu de jours…

Quand on est à son âge, & qu’on rêve toujours…
Je ne puis deviner, mais enfin je suis sûre…
A tous ses mouvemens j’apperçois qu’elle est mûre…
Je ne sçai quoi pour elle a des charmes si doux…
Dites-moi, s’il vous plaît, Monsieur, m’entendez-vous ?

Le premier NICANDRE.

Me joüer c’est vous plaire, & je m’offre moi-même…

IACINTE.

À quoi tant de façons : ma maîtresse vous aime.

Le premier NICANDRE.

Ciel !

HIPOLITE.

Ciel !O Dieux !

IACINTE.

Ciel !O Dieux !Dame, ô Dieux ! je ne puis niaiser.

Le premier NICANDRE.

Madame…

HIPOLITE.

Madame…Il n’est plus temps de vous rien déguiser.
Je vous aime ; ce mot est sans doute blâmable ;
Il m’échappe à regret, mais il est véritable,
Je vous aime.

Le premier NICANDRE.

Je vous aime.Est-il vrai, m’aimez-vous ?

HIPOLITE.

Je vous aime.Est-il vrai, m’aimez-vous ?Je l’ai dit.

Le premier NICANDRE.

De vos rares bontés je me sens interdit,
Mais, Madame…

IACINTE.

Mais, Madame…Ce mais pourra bien la confondre.

HIPOLITE.

Mais enfin…

Le premier NICANDRE.

Mais enfin…Mais enfin, je ne puis y répondre.

IACINTE.

Justement !

HIPOLITE.

Justement !M’exposer à ce honteux mépris ;
O Ciel !

Le premier NICANDRE.

O Ciel !De vos appas je connais tout le prix ;
A me favoriser votre cœur se dispose,
Mais un serment horrible à mon bonheur s’oppose :
Pour ne pas en douter écoutez seulement.

IACINTE.

Ecoutons.

Le premier NICANDRE.

Ecoutons.D’où je sors on vivait noblement.

IACINTE.

Après.

Le premier NICANDRE.

Après.Ma mere est morte aussi-bien que mon pere ;

IACINTE.

Pour cela ?

Le premier NICANDRE.

Pour cela ?De parens je n’ai plus qu’un seul frere.

IACINTE.

Hé bien ?

Le premier NICANDRE.

Hé bien ?Ce frere & moi sommes freres jumeaux.

IACINTE.

Qu’en est-il ?

Le premier NICANDRE.

Qu’en est-il ?Tous ses traits à mes traits sont égaux.

IACINTE.

Est-ce tout ?

Le premier NICANDRE.

Est-ce tout ?Pour nos mœurs il en est tout de même.

IACINTE.

A la fin ?

Le premier NICANDRE.

A la fin ?Ce qu’il aime est aussi ce que j’aime.

IACINTE.

Et qu’importe ?

Le premier NICANDRE.

Et qu’importe ?Entre nous tout paroît si commun
Que pour voir tous les deux, il ne faut en voir qu’un.

IACINTE.

Quoi ?…

HIPOLITE, à Iacinte

Quoi ?…Ne l’interromps plus qu’au plus vîte il acheve.
D’avoir dit mon secret je déteste.

IACINTE.

D’avoir dit mon secret je déteste.Et je creve.
Il se pâme de joie à présent qu’il sçait tout.
Voyez-vous du depuis comme il tient son bon bout ;
Le manœuvre ?

HIPOLITE.

Le manœuvre ?Iacinte, est-ce là ta conduite ?

Le premier NICANDRE.

De mon âpre malheur pour apprendre la suite,
De ce frere si cher dont j’ignore le sort,
De qui j’ai le visage, & la voix, & le port ;
De ce frere, en un mot qui si fort me ressemble,
Qu’on nous prend l’un pour l’autre à nous voir être ensemble ;
D’un frere…

IACINTE.

D’un frere…Et foin du frere, & du frere éternel ;
Concluez.

Le premier NICANDRE.

Concluez.De mon frere un serment solemnel
Madame…

HIPOLITE.

Madame…De ce frere un serment vous engage…

Le premier NICANDRE.

Depuis plus de six ans je voyage, il voyage,
Mais en nous séparant nous jurâmes tous deux
De jamais à l’Hymen ne contraindre nos vœux,
Que de l’un ou de l’autre une bouche fidelle
De la mort ou la vie eut appris la nouvelle.
Voyez donc à mon sort quelle peine se joint,
Je le cherche, il me cherche, & ne nous trouvons point ;
Je ne puis deviner quel endroit le recelle :
Et pour comble de maux je vous trouve si belle,
Qu’il falloit que mon cœur, qu’Hipolite asservit
Ou jamais ne jurât, ou jamais ne vous vît.
Adieu, Madame.

SCENE IV.

HIPOLITE, IACINTE.
HIPOLITE.

Adieu, Madame. bien, que dis-tu ?

IACINTE.

Adieu, Madame.Hé bien, que dis-tu ?Moi ? j’enrage.

HIPOLITE.

Le serment qu’il a fait de jamais…

IACINTE.

Le serment qu’il a fait de jamais…Badinage ?
Il se raille, Madame.

HIPOLITE.

Il se raille, Madame.Est-il vrai ?

IACINTE.

Il se raille, Madame.Est-il vrai ?Tout de bon.

HIPOLITE.

Mais il m’aime, tu vois.

IACINTE.

Mais il m’aime, tu vois.Lui ? Tarare pompon.
Je m’en suis aperçue, il biaise, il bricole,

Quand il parle de frere, il vous fiche la cole ;
Je vous le garantis franc donneur de canards.

HIPOLITE.

Tu crois donc que quelqu’autre ait surpris ses regards ?

IACINTE.

Si je le crois ? vraiment ; ce matois, ce Nicandre…

SCENE V.

ISMENE vêtue en homme, HIPOLITE, IACINTE.
ISMENE.

Nicandre ! le seroit-ce ? essayons de l’apprendre.
Ce Nicandre, Madame, à mon cœur est bien cher,
Je le cherche.

HIPOLITE.

Je le cherche.Hé ! Monsieur, vous pouvez le chercher,
Peu m’importe.

ISMENE.

Peu m’importe.Peut-être il vous plaît, il vous touche ?
Avoüez.

IACINTE.

Avoüez.Dépêchez, que Monsieur se recouche,

S’l déplaît, c’est tant pis, & s’il plaît, c’est tant mieux.

ISMENE.

Ce n’est pas sans raison que je suis curieux ;
Il vous aime ?

HIPOLITE.

Il vous aime ?Peut-être.

ISMENE.

Il vous aime ?Peut-être.Il l’adore, le traître.
Vous, l’aimez-vous, Madame, à votre tour ?

HIPOLITE.

Vous, l’aimez-vous, Madame, à votre tour ?Peut-être.

ISMENE à Iacinte.

L’aime-t elle ?

IACINTE.

L’aime-t elle ?Selon.

ISMENE.

L’aime-t elle ?Selon.Sera-t’il son époux ?

IACINTE.

C’est selon.

ISMENE.

C’est selon.Justes Dieux !

HIPOLITE.

C’est selon.Justes Dieux !Vous en êtes jaloux ?

ISMENE.

De celui que je dis si vous êtes l’épouse

Je puis être allarmée, & paroître jalouse ;
L’infidéle !

HIPOLITE.

L’infidéle !Jalouse !

IACINTE.

L’infidéle !Jalouse !Ah ! Madame, voyez
Ce que c’est que nos yeux qui s’étoient fourvoyez ;
Elle est fille, elle-même elle s’est éclaircie ;
Ah le joli garçon par la superficie !
Qu’il est drôle !

HIPOLITE.

Qu’il est drôle !Elle est fille !

ISMENE.

Qu’il est drôle !Elle est fille !Il est vrai, je la suis ;
Et ce que vous aimez est ce que je poursuis.
L’infidéle Nicandre…

HIPOLITE.

L’infidéle Nicandre…Achevez, l’infidéle…

ISMENE.

Dans Lyon à ses yeux je parus assez belle ;
Je lui plûs, il me plût ; & dans un même jour
Je donnai tout ensemble & reçus de l’amour.
Il me voit, me demande, & m’obtient de mon pere.
On nous veut épouser, & le traître differe,

Et pour toutes raisons parle confusément
Et de frere semblable, & d’horrible serment :
Me soutient qu’il m’adore : ardemment me conjure
De ne pas endurer qu’il devienne parjure ;
Et d’une ame charmée, & qui l’aime toujours
Pour rejoindre ce frere il exige huit jours.
Il me quitte, le traître, & j’en sens mille peines ;
Cependant du depuis j’ai compté huit semaines.
Et tel est de mon sort le cruel traitement
Que je trouve Nicandre, & je perds mon amant.

IACINTE à Hipolite.

D’où naissoit le refus qui si fort vous afflige ?
Voyez-vous ?

HIPOLITE.

Voyez-vous ?Apprens…

IACINTE.

Voyez-vous ?Apprens…Paix.

HIPOLITE.

Voyez-vous ?Apprens…Paix.Mon courroux…

IACINTE.

Voyez-vous ?Apprens…Paix.Mon courroux…Paix, vous dis-je,
Et ne lui dites rien qui nourrisse ses feux.

ISMENE.

Il vous peut à son aise adresser tous ses vœux ;
Demander son logis seroit perdre ma peine.

Redoutez seulement la présence d’Ismene ;
De Rivale à Rivale on ne s’accorde rien,
Mais je puis le trouver par un autre moyen.
Je vous laisse.

SCENE VI.

HIPOLITE, IACINTE.
IACINTE.

Je vous laisse.Il vous aime ?

HIPOLITE.

Je vous laisse.Il vous aime ?Il me hait l’infidéle.

IACINTE.

Vous devez au Seigneur une belle chandelle,
Madame ; il a pour vous une grande amitié ;
Je ne me défens pas d’en payer la moitié.
Car enfin la nature est aisée à surprendre ;
Et si pour votre époux vous aviez eu Nicandre,
Avecque son valet, qui n’a pas mauvais air,
Mon honneur eût pu faire un méchant pas de Clerc.
Haïssez désormais, aussi-bien cette fille…

HIPOLITE.

Elle est belle, bien faite, & paroît de famille,
Elle cherche Nicandre, & j’en ai du souci ;

Mais l’amour est aveugle, & je la suis aussi.
Que Nicandre l’adore, ou Nicandre l’abuse,
Qui n’a point de mérite a du moins de la ruse,
Et peut-être…

IACINTE.

Et peut-être…Madame, il revient dans ce lieu.

SCENE VII.

Le second NICANDRE, HIPOLITE, IACINTE, CRISPIN.
HIPOLITE en raillant.

A la fin votre frere est trouvé.

Le second NICANDRE.

A la fin votre frere est trouvé.Plût à Dieu !

HIPOLITE.

Je l’ai vû.

Le second NICANDRE.

Je l’ai vû.Quoi, Madame !…

HIPOLITE.

Je l’ai vû.Quoi, Madame !…Il vous est tout semblable.

CRISPIN.

Madame, êtes-vous Ange, ou bien êtes-vous Diable ?

Quoi ! sans vous dire mot vous sçavez nos secrets ?

Le second NICANDRE.

Il est vrai que tous deux nous avons mêmes traits,
J’ai la voix, le visage, & la taille de même,
J’ai l’humeur…

IACINTE.

J’ai l’humeur…Comme il fait l’innocent quatriéme !
De vous poussez à bout le perfide a fait vœu.

Le second NICANDRE.

Vous le connoissez donc, ce frere ?

HIPOLITE.

Vous le connoissez donc, ce frere ?Quelque peu.

Le second NICANDRE.

Il vous voit ?

HIPOLITE.

Il vous voit ?Quelquefois.

CRISPIN.

Il vous voit ?Quelquefois.Ah, la bonne bigotte !
Diroit-on qu’elle y touche ?

IACINTE.

Diroit-on qu’elle y touche ?Un Valet nous balotte ?
Et je pense… Madame, admirez ce bâtier !
Ce n’est pas son valet que ce galefretier ;
Avec cette finesse il prétend qu’on s’embourbe.

Le second NICANDRE.

Ainsi…

HIPOLITE.

Ainsi…Levez le masque, on connoît votre fourbe,
Et vous vous y prenez de mauvaise façon.

CRISPIN.

Parbleu ! pas tant bigote, elle change de ton.

Le second NICANDRE.

Et quoi…

HIPOLITE.

Et quoi…Qui vous aimoit a pour vous de la haine.

Le second NICANDRE.

On me hait ! mais, Madame…

HIPOLITE.

On me hait ! mais, Madame…On connaît votre Isméne.

Le second NICANDRE.

Mon Isméne !

CRISPIN.

Mon Isméne !Bon, bon, mordez vous-en les doigts ;
Il demande huit jours, & demeure deux mois.

Le second NICANDRE.

Mon Isméne, bons Dieux ! ô parole cruelle !

CRISPIN appelle son Maître au coin du Théâtre.

St, st ; une autrefois battez moins la semelle
Monsieur.

Le second NICANDRE.

Monsieur.Tes sots discours…

CRISPIN.

Monsieur.Tes sots discours…Je parle à cœur ouvert.

IACINTE.

Il enrage tout vif de se voir découvert ;
Il ne se doutoit pas qu’on eût pu tout apprendre.

Le second NICANDRE.

Et comment croyez-vous qu’on me nomme ?

HIPOLITE.

Et comment croyez-vous qu’on me nomme ?Nicandre.
Fourbe, artificieux, diseur de faussetés.

CRISPIN.

Puis qu’il ne répond rien, d’accord des qualités.

Le second NICANDRE.

Il est vrai qu’à l’amour je n’ai pû satisfaire,
Mais par votre moyen si je trouve mon frere,
Pour rendre un juste hommage à de rares appas
Isméne…

HIPOLITE.

Isméne…Dites donc que vous ne l’aimez pas ?
Imposteur.

Le second NICANDRE.

Imposteur.Je l’adore, ou le Ciel me foudroye !
La servir est ma gloire, & l’aimer est ma joye :
Pour quelque autre beauté qui respire le jour
J’ai des civilités, & non pas de l’amour.

Son intérêt vous touche, & je vous en rens grace ;
Embrassez…

HIPOLITE.

Embrassez…Vous sçaurez l’intérêt que j’embrasse,
Et je vous ferai voir, dès ce jour, si je puis,
Comme Isméne me touche, & ce que je lui suis.
Vous verrez qu’à l’outrage une fille est sensible :
Qu’à ses vœux méprisés il n’est rien d’impossible ;
Et quoique depuis peu vous soyez à Paris,
Ainsi que votre nom je sçai votre logis ;
Pensez-y bien.

Elle sort.

SCENE VIII.

Le second NICANDRE, IACINTE, CRISPIN.
Le second NICANDRE. arrête Iacinte, & lui dit :

Pensez-y bien.De grace, ayez plus de tendresse.
Dites-moi qui des deux est Suivante ou Maîtresse ;
Je vous trouve bien faite, est-ce vous qu’elle sert ?

IACINTE.

Oüi.

Le second NICANDRE.

Oüi.Madame…

IACINTE.

Oüi.Madame…Courage.

CRISPIN.

Oüi.Madame…Courage.Elles sont de concert,
Les gaillardes.

Le second NICANDRE.

Les gaillardes.Madame, écoutez en revanche…

IACINTE.

Voyez-vous cette main au fin bout de ma manche ?
Elle pourroit tomber dessus votre museau ;
Allez-vous-en chercher votre frere jumeau :
Ou dessus cette joue un puissant cataplâme…
Adieu.

SCENE IX.

Le second NICANDRE, CRISPIN.
CRISPIN.

Adieu.Connoissez-vous cette bonne Madame ?

Le second NICANDRE.

Nullement.

CRISPIN.

Nullement.Nullement ?

Le second NICANDRE.

Nullement.Nullement ?Je ne la vis jamais.

CRISPIN.

Songez bien…

Le second NICANDRE.

Songez bien…Plus j’y songe, & moins je la remets.
Je ne la vis jamais en aucune maniére.

CRISPIN.

A la premiére vûë elle est bien familiére.
Des soufflets tout d’abord !

Le second NICANDRE.

Des soufflets tout d’abord !Tu m’en vois tout surpris.
D’hier au soir seulement j’arrivai dans Paris.

CRISPIN.

De la nuit noire en Diable il étoit plus d’une heure.

Le second NICANDRE.

Et déja toutes deux ont appris ma demeure
Crispin.

CRISPIN.

Crispin.Les Poussecûs sont de vilaines gens.
Garre après votre queuë un troupeau de Sergens.
Et si votre personne est par eux attrapée,

Vous aurez une femme, ou la tête coupée.
Ce n’est pas qu’entre nous je ne sçache fort bien
Qu’avec une Maitresse on ne fait souvent rien ;
Mais à votre prison pour donner une cause
Vous serez accusé d’avoir fait quelque chose ;
Et vous en sortirez, si le Ciel vous y met
Pour aller à la Noce, ou du moins au gibet.

Le second NICANDRE.

Quoi ! tu penses qu’Isméne ait si peu de constance…

CRISPIN.

Je ne sçai, par ma foi, ce qu’il faut que je pense ;
Il faut bien vous aimer pour attendre toujours :
Et je trouve deux mois bien plus longs que huit jours.
En laissant à Lyon cette belle lionne,
Tu me créves le cœur, disiez-vous, ma Pouponne :
Mais enfin mon départ ne doit pas t’irriter,
Je te quitte un moment pour ne plus te quitter ;
Laisse agir mon amour, je te tire de peine,
Ou je me donne au Diable, & dans une semaine,
Mon Fanfan ; de mon frere ou la vie, ou la mort
Me remet le pouvoir de conclure mon sort,
De quelqu’un que je crois j’en aurai la nouvelle.
Depuis à vous attendre elle fait sentinelle,
Tandis qu’en galopant & par vaux & par monts

Nous passons vous & moi pour de francs vagabonds.
Voyez si la Donzelle a sujet de bien rire.

Le second NICANDRE.

Ah ! Crispin, de ce frere on n’a pû me rien dire,
Je m’en meurs. Cependant va dedans mon logis,
On me veut faire piéce, & j’ai peur d’être pris :
Dis qu’il n’est pas besoin qu’aujourd’hui l’on m’attende.

CRISPIN.

Si je suis pris pour vous, & qu’après on me pende
Aussi ?

Le second NICANDRE.

Aussi ?Te pendre ! à tort on l’auroit prétendu.

CRISPIN.

Et qu’importe comment on puisse être pendu ?
Soit à tort, soit à droit, n’est-ce pas toujours l’être ?

Le second NICANDRE.

Tu te moques, te dis-je, obéis à ton Maître.
Je t’attends en ce lieu.

CRISPIN.

Je t’attends en ce lieu.Mais, Monsieur…

Le second NICANDRE.

Je t’attends en ce lieu.Mais, Monsieur…Hâte-toi.

CRISPIN revient sur ses pas.

Daignez donc pour le moins me répondre de moi ;
Car enfin…

Le second NICANDRE.

Car enfin…Va, te dis-je, & retiens cette place.
Crispin sort.
Attendant qu’il revienne allons voir Clidimace ;
Comme dans cette ville il a bien du crédit
Cet ami…

SCENE X.

RAGOTIN, le second NICANDRE.
RAGOTIN.

Cet ami…Je reviens comme vous m’avez dit,
Est-ce fait ?

Le second NICANDRE.

Est-ce fait ?Que veux-tu ?

RAGOTIN.

Est-ce fait ?Que veux-tu ?Je reviens.

Le second NICANDRE.

Est-ce fait ?Que veux-tu ?Je reviens.Que je meure…

RAGOTIN.

Dites en conscience, ai-je mis plus d’une heure ?

Le second NICANDRE.

Que veux-tu, mon ami ? dis-le moi.

RAGOTIN.

Que veux-tu, mon ami ? dis-le moi.Je reviens.

Le second NICANDRE.

Accordons un peu mieux tes discours & les miens ;
A tout ce que tu dis je ne puis rien comprendre.

RAGOTIN.

Il ne vous souvient pas que je viens vous reprendre ?
Le secret de la Dame à la fin est-il sçû ?
Dites-moi.

Le second NICANDRE.

Dites-moi.Mon enfant, je ne t’ai jamais vû ;
Quel es-tu ?

RAGOTIN.

Quel es-tu ?Qui je suis ? qu’ai-je accoutumé d’être ?
Ragotin.

Le second NICANDRE.

Ragotin.Ragotin, je ne puis te connoître,
Passe ton chemin, passe.

RAGOTIN.

Passe ton chemin, passe.Il le fait tout exprès !
Moi je vous connois.

Le second NICANDRE.

Moi je vous connois.Toi, me connoître ?

RAGOTIN.

Moi je vous connois.Toi, me connoître ?A peu prés.

Le second NICANDRE.

Tu t’abuses, mon cher, ton erreur est extrême :
Passe.

RAGOTIN.

Passe.Il n’est donc pas vrai que vous êtes vous-même,
Est-ce pas ?

Le second NICANDRE.

Est-ce pas ?Je commence à beaucoup m’ennuyer.

RAGOTIN.

En gambades, je pense, il prétend me payer.
Je vous sers.

Le second NICANDRE.

Je vous sers.Tu me sers !

RAGOTIN.

Je vous sers.Tu me sers !Hé nenni ?

Le second NICANDRE.

Je vous sers.Tu me sers !Hé nenni ?Je m’irrite ;
Maraut…

RAGOTIN.

Maraut…Payez-moi donc ; & sortons quite à quite.

Le second NICANDRE.

Je te dois quelque chose, insolent ! je vois bien…

RAGOTIN.

Si vous me devez ! non, vous ne me devez rien.
Et qui peut me devoir quinze mois de mes gages ?

Le second NICANDRE.

Laisse-là ta sottise ; en un mot tu m’outrages,
Je me fais violence, & je dois de ce pas…

RAGOTIN.

Vous devez, il est vrai ; mais vous ne payez pas.

Le second NICANDRE.

Sais-tu bien, goguenard, qu’à bons coups de nazardes,
Si tu railles encore, & que tu goguenardes,
Que de tes mots bouffons tu me fasses l’objet…

RAGOTIN.

Je bouffonne ! Vraiment j’en ai bien du sujet !
Mis dehors, pas le soû ; ne sçavoir chez qui vivre…
Quoi ! vous vous en allez.

Le second NICANDRE.

Quoi ! vous vous en allez.Et tu penses me suivre ?

RAGOTIN.

Je le pense, & repense.

Le second NICANDRE.

Je le pense, & repense.Et tu ne penses pas,
Que si tu l’entreprens, je te casse les bras ?
Suis-moi donc si tu veux ; viens, tu n’as rien à craindre.
Il sort.

SCENE XI.

RAGOTIN seul.

Il ne faut que cela pour m’achever de peindre.
Peu courtois courtisan en chassant ton valet
Que la peste t’étouffe, & te saute au colet :
Qu’au fin fond des Enfers le grand diable te plonge.
Mais j’enrage de faim, à propos, quand j’y songe,
Pour branler la machoire, & nous faire laquais
Allons chercher fortune aux dégrés du Palais.

Fin du premier Acte.