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Les Nuits persannes/Gul et Bulbul

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Les Nuits persanesAlphonse Lemerre (p. 15-34).
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GUL & BULBUL

– La rose et le rossignol –

GUL ET BULBUL


CONSEIL À LA ROSE

à madame jules lacroix
Née Comtesse Rzewuska


Le rossignol, aimant la rose,
Veut que la rose aime à son tour ;
Mais pour lui la belle est morose
Et le laisse gémir d’amour.

De la fleur ce n’est point l’affaire.
Que lui veut-il, cet oiseau brun ?
Pour un amant qu’il prétend faire,
Elle lui trouve l’air commun.

Et d’ailleurs n’est-ce point justice
Qu’une déesse ait un martyr ?
Que pour l’amour d’elle il pâtisse,
Est-ce de quoi se repentir ?

Il chante bien, et mieux il souffre ;
La rose en a le cœur content.
On se plaît aux sanglots du gouffre,
Quand, sans les craindre, on les entend.

Oh ! que sans trêve l’oiseau saigne
Qui chante si bien son ennui !
De quelque douleur qu’il se plaigne,
Rose, soit sans pitié pour lui.

Car adieu sa voix immortelle,
Si tu le proclamais vainqueur.
Et ta pourpre, d’où viendrait-elle,
Sans les blessures de son cœur ?



BULBUL & LE MERLE

à madame flore singer


Le geai bleu qui bavarde et qui tranche,
Le coucou qu’on entend sans le voir,
Le pivert voltigeant sur la branche,
De bulbul font leur jeu chaque soir.

Et troublant le rêveur au chant triste,
Un vieux merle, oiseau noir et siffleur,
Tant qu’il peut, va criant : pauvre artiste,
À quoi bon vivre ainsi de douleur ?

Ne peux-tu laisser là l’indocile
Qui t’afflige en disant toujours non ?
D’autres fleurs ont l’accès plus facile.
Si tu veux, je connais plus d’un nom.

Le chanteur lui répond : tous mes rêves.
Vers la rose à jamais s’en iront.
Dieu qui fait mourir l’eau sur les grèves,
Tient mes yeux arrêtés sur son front.

C’est un sort bien cruel, dit le merle.
Mieux vaudrait n’être rien comme moi,
Que d’avoir pour gosier une perle,
Et de vivre enchaîné comme toi.

Mais l’oiseau ténébreux lui soupire :
Mon malheur est moins grand que le tien.
Demeurer sans amour, c’est le pire.
Mon cœur vibre, et ton cœur ne sent rien.



LA FEUILLE DE ROSE

à madame la comtesse de yoldi.


Toujours et toujours,
La rose bafoue
Les tristes amours
Que Bulbul lui voue.
Bulbul irrité,
Pour se venger d’elle,
Garde à sa fierté
L’affront d’un coup d’aile.

De ce front vermeil,
De ce cœur de roche,
Pendant son sommeil,
Sans bruit il s’approche.
Il se sent au cœur
Un courroux étrange ;
De l’être moqueur
Il faut qu’il se venge.

Mais c’est si charmant
De voir cette infâme !

Si séduisamment
La belle se pâme !
Pourra-t-il jamais,
Lui, la voix sereine,
Lui, roi des sommets,
Frapper cette reine !

Non ! au lieu d’oser,
Bulbul craint sa proie ;
Venu pour briser,
À présent il ploie.
D’un timide effort,
À peine s’il cueille,
Sur la fleur qui dort,
Le bout d’une feuille.

Avec son butin,
En l’air il s’envole,
Joyeux, puis soudain
Son cœur se désole.
Dans la volupté
Dont ce brin l’enivre,
Il sent la fierté
De la fleur survivre.

BULBUL ET ZOULEIKA

à madame clotilde nicolas


Un soir Bulbul vit quelque chose
De si suave et si royal,
Qu’il pensa que c’était la rose,
Son idéal.

Le voilà qui lui dit : je t’aime !
Non sans trembler de ce qu’il dit ;
On écoute son doux poème.
Il s’enhardit.

Jusqu’alors celle dont il rêve
N’ayant su que rire de lui
L’espoir lui vient que d’une trève
Le jour a lui.

Il s’envole de la ramure,
Près de son idole il descend ;
Le chant d’amour qu’il lui murmure
Est ravissant.

Ô le fol espoir qui se brise !
Lasse du soleil d’Orient,
Zouleika respirait la brise,
En sommeillant.

Ce que Bulbul prit pour la rose,
L’autre fraîcheur qu’il invoqua,
C’était la lèvre à moitié close
De Zouleika.

CAUSERIE AVEC LA LUNE

à mademoiselle marie favart


Le rossignol conte à la lune
Les chagrins qu’en amour il a,
Combien grande est son infortune
Depuis que son cœur se troubla.

Il se plaint que sa bien-aimée,
La rose, gloire du jardin,
Quand il chante sa renommée,
Ferme son cœur avec dédain.

Le jour, dit-il, elle aime à vivre.
Son odeur est un encensoir.
De sa beauté chacun s’enivre,
Depuis l’aurore jusqu’au soir.

Mais, pendant les nuits où la lyre
Est moins douce que mon gosier,
Adieu l’ardeur et le délire ;
La rose dort sur le rosier.

Hélas ! c’est la règle éternelle,
Répond la lune au rossignol.
Quelque prompte que soit une aile,
L’amour est plus prompt dans son vol.

Moi, depuis que le monde existe,
C’est le soleil que je voudrais.
Toujours je le suis, pâle et triste,
Sans jamais en être plus près.



BULBUL ET LA HOURI

à madame pauline de sainbris.


Une houri, tenant en main la coupe
Chère aux élus de l’Eden toujours frais,
Vint sur la terre, et vit l’éternel groupe
Fait par la rose et Bulbul triste auprès.

Le tendre oiseau modulait son angoisse
Sur les rigueurs qu’il lui fallait souffrir.
La vierge dit : la rose au vent se froisse ;
Viens dans l’azur voir les astres fleurir.

Viens ! j’ai pour toi des bois remplis de mousse
Des nappes d’eau, des pavillons ombreux.
Viens ! à ta voix si flexible et si douce,
J’enseignerai les chants des bienheureux.

Pauvre plaintif, s’il te faut des caresses,
Tu t’en iras aux lèvres de mes sœurs ;
Tu connaîtras le fond des allégresses
Et le vertige atteint par les douceurs.

Bulbul voyait luire au ciel la grande Ourse ;
De la houri l’œil profond l’attirait ;
Du paradis il eût aimé la source,
Les pavillons, les fleurs et la forêt.

Jamais il n’eut de bonheur dans la vie.
Pour lui toujours la rose est sans merci.
Qu’il parte donc vers le ciel son envie !
L’œil sur la rose, il dit : je reste ici.



LES GOUTTES D’EAU

à madame nefftzer


Midi régnait torride ;
Aux flots pas une ride,
Pas un souffle dans l’air.
L’azur sans espérance,
À causer la souffrance,
Était clair.

La rose, avec sa tige,
Ne pouvait du vertige
Supporter le fardeau,
Et criant : je trépasse !
Demandait à l’espace
Un peu d’eau.

L’amant qu’elle repousse,
Bulbul, sous l’ombre douce,
S’était mis à rêver.
Voyant la fleur qui tombe,
Il voulut de la tombe
La sauver.

Sans penser que la rose
De son deuil était cause,
Loin de l’ombre, il vola
Vers le lac à l’eau bleue,
Sis à plus d’une lieue
Au delà.

Puis, le bec plein d’eau fraîche,
Joyeux, il se dépêche
De fendre l’azur sec,
Et sur la fleur brisée
Fait tomber la rosée
De son bec.

Mais, son œuvre accomplie,
Dans sa mélancolie
Il rentre inaperçu ;
Et la fleur qui l’outrage
Jamais d’un tel courage
N’a rien su.



LES GOUTTES DE SANG

à madame la baronne de schomberg.


Bulbul chantait, chantait sans trêve
Dans la forêt.
Mieux vaut le mal que fait un glaive,
Tant il souffrait ;

Tant de son gosier qu’il déchire
Il arrachait
Des accents comme n’en soupire
Aucun archet.

Et l’eau qui court, le vent qui passe,
L’arbre aux longs bras,
Tout lui disait : finis par grâce !
Ou tu mourras.

Vois ! déjà ta poitrine éclate,
Le sang reluit :
Et par la blessure écarlate
Ton cœur s’enfuit,

Pourtant Bulbul, sans rien entendre
À leurs discours,
Sur un ton langoureux et tendre,
Chantait toujours.

Et plus la rose rigoureuse
Le dédaignait,
Plus la voix était amoureuse,
Plus il saignait.

Car à mesure que les gouttes
Tombaient du cœur,
Sur la rose elles allaient toutes
Briller en chœur :

Et, chaque fois, prêtant une arme
À sa beauté,
Retenaient Bulbul sous un charme
Ensanglanté.



PENSÉE FUNÈBRE

à madame oscar comettant


Hélas ! hélas ! jeune rose
Que de perles l’aube arrose,
Hélas ! hélas ! rossignol,
La céleste virtuose
Soupirant, quand tout repose,
Les yeux, le cœur vers le sol.

Jadis la fleur était belle ;
L’oiseau, la trouvant rebelle,
En gémissait nuit et jour,
Et triste autant que fidèle,
Consumait son cœur près d’elle,
Sans un espoir de retour.

Maintenant la bise est dure,
Sur la dernière verdure
L’automne a mis le haro ;
Et l’inflexible nature,
Dans la même sépulture,
Va joindre esclave et bourreau.

Si tout s’en va dans la terre,
Triste chanteur solitaire,
Que servait de tant souffrir ?
Fleur fermée à la prière,
Tu vécus railleuse et fière ;
À quoi bon ? tu vas mourir.

Oh ! que vivre est chose folle !
On dédaigne ou l’on raffole,
On verse ou l’on boit du fiel ;
Puis, comme un rire frivole,
En un moment tout s’envole
Dans les profondeurs du ciel.