Aller au contenu

Les Opalines/Je n’oublirai jamais ce que m’ont dit vos yeux

La bibliothèque libre.
L. Vanier (p. 61-63).

JE N’OUBLIERAI JAMAIS CE QUE M’ONT DIT VOS YEUX !

Je n’oublierai jamais ce que m’ont dit vos yeux !
Ce que m’ont dit vos yeux subitement sincères,
Dans le petit chemin qui monte et qui se serre
Au flanc de la colline en ruban broussailleux.

Ce que pendant vingt ans il vous a plu de taire,
Ce que personne n’a seulement soupçonné,
En ce soir attiédi d’automne à peine né,
Vous l’avez par oubli laissé tomber par terre.

Et moi, pieusement, je me suis incliné,
Et je l’ai ramassé, ce secret que je porte,
Et je l’ai ramassé, tout comme une fleur morte,
En vous disant merci de me l’avoir donné.


Donc je sais aujourd’hui qu’apparemment comblée,
Vous portâtes vingt ans dans votre cœur profond
L’immense solitude aux vides horizons,
Que vous fûtes vingt ans en vous-même exilée.

Oui, je sais aujourd’hui que passa votre été
Ainsi qu’en travesti, vêtu d’habits de soie,
Le chapeau d’allégresse et le masque de joie,
Comme un malade las que l’on aurait fardé.

Je sais tout maintenant, puisqu’en ce soir d’automne,
Au choc sur votre cœur d’une feuille qui chut,
Vous me l’avez ouvert, tout saignant et déçu,
Tandis que vos lèvres disaient : « Ça vous étonne ! »

Ô charme délicat d’un aveu féminin !
Jamais je n’oublierai le sentier qui chemine
Animé par instant d’une verve gamine
Parmi le crépuscule et le long du ravin.

Je n’oublierai jamais cette larme furtive
Où s’irisaient, je crois, vos rêves trépassés,
Et que je vis, tombant, choisir pour la bercer
Un menu brin tremblant de bruyère attentive.


Oh ! je le garderai votre don précieux !
Si nombreux soient les ans que le destin me donne,
Tant qu’on verra jaunir, madame, des automnes,
Jamais je n’oublierai ce que m’ont dit vos yeux !