Les Origines de la France contemporaine/Tome 3/Livre I/Chapitre 2

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CHAPITRE II

Paris jusqu’au 14 juillet. — I. Recrues d’émeute aux environs. — Entrée des vagabonds. — Nombre des indigents. — II. Excitations de la presse et de l’opinion. — Le peuple prend parti. — III. Affaire Réveillon. — IV. Le Palais-Royal. — V. Les attroupements populaires deviennent un pouvoir politique. — Pression sur l’Assemblée. — Défection des soldats. — VI. Journées des 13 et 14 juillet. — VII. Meurtre de Foullon et de Bertier. — VIII. Paris aux mains du peuple.

I

En effet, c’est au centre que les secousses convulsives sont les plus fortes. Rien n’y manque pour aggraver l’émeute, ni les excitations plus vives pour la provoquer, ni les bandes plus nombreuses pour la faire. Tous les alentours de Paris lui fournissent des recrues ; nulle part il n’y a tant de misérables, tant d’affamés et tant de révoltés. Partout des pillages de grains, à Orléans, à Cosne, à Rambouillet, à Jouy, à Pont-Sainte-Maxence, à Bray-sur-Seine, à Sens, à Nangis[1]. Le froment est si rare à Meudon, qu’on ordonne à toute personne qui en achète d’acheter en même temps une égale quantité d’orge. À Viroflay, trente femmes, avec une arrière-garde d’hommes, arrêtent sur la grande route les voitures qu’elles supposent chargées de grains. À Montlhéry, sept brigades de la maréchaussée sont dispersées à coups de pierres et de bâtons : une cohue énorme, huit mille personnes, femmes, hommes, munis de sacs, fondent sur les grains exposés en vente, se font délivrer à 24 francs le blé qui en vaut 40, en pillent la moitié et l’emportent sans rien payer. « La maréchaussée est découragée, écrit le subdélégué ; la résolution du peuple est étonnante ; je suis effrayé de ce que j’ai vu et entendu. » — Depuis le 15 juillet 1788, jour de la grêle, « le désespoir » a pris les paysans : si grande qu’ait été la bonne volonté du propriétaire, on n’a pu les aider ; « il n’existe aucun atelier de travaux[2] ; les seigneurs et les bourgeois, obligés de faire la remise de leurs revenus, ne peuvent donner de l’ouvrage ». Aussi « le peuple affamé n’est pas loin de risquer la vie pour la vie », et, publiquement, hardiment, il cherche des vivres où il y en a. — À Conflans-Sainte-Honorine, Éragny, Neuville et Chenevières, à Cergy, Pontoise, l’Isle-Adam, Presles et Beaumont, hommes, femmes, enfants, toute la paroisse, battent la plaine, tendent des collets, détruisent les terriers. « Le bruit s’est répandu que le gouvernement, instruit du tort que le gibier faisait aux cultivateurs, a permis de le détruire… Et véritablement les lièvres ravageaient à peu près le cinquième de la récolte. » — On arrête d’abord neuf de ces nouveaux braconniers ; mais on les relâche « à cause des circonstances », et là-dessus, pendant deux mois, c’est un massacre sur les terres du prince de Conti, de l’ambassadeur Mercy d’Argenteau : à défaut de pain, ils mangent du gibier. — Par un entraînement naturel, avec les abus de la propriété, ils attaquent la propriété elle-même. Près de Saint-Denis, les bois de l’abbaye sont dévastés ; « les fermiers des environs en enlèvent des voitures de quatre et cinq chevaux » ; les villageois de Ville-Parisis, Tremblay, Vert-Galant, Villepinte en font commerce public et menacent les gardes de les assommer : au 15 juin le dégât est déjà estimé plus de 60000 livres. — Peu importe que le propriétaire ait été bienfaisant, comme M. de Talaru[3] qui, l’hiver précédent, dans sa terre d’Issy, a nourri les pauvres. Les paysans détruisent la digue qui conduisait l’eau à son moulin banal ; condamnés par le parlement à la rétablir, ils déclarent que, non seulement ils n’obéiront pas, mais que, si M. de Talaru la relève, ils viendront, au nombre de trois cents et bien armés, la démolir une seconde fois.

Pour les plus compromis, Paris est le refuge le plus voisin ; pour les plus pauvres et les plus exaspérés, la vie nomade s’ouvre toute grande. Des bandes se forment autour de la capitale, comme dans les contrées où la société humaine n’a pas encore commencé ou a cessé d’être. Dans les premières semaines de mai[4], près de Villejuif, il y en a une de cinq ou six cents vagabonds qui veulent forcer Bicêtre et s’approchent de Saint-Cloud. Il en vient de trente, quarante et soixante lieues, de la Champagne et de la Lorraine, de toute la circonférence du pays ravagé par la grêle. — Tout cela flotte autour de Paris et s’y engouffre comme dans un égout, les malheureux avec les malfaiteurs, les uns pour trouver du travail, les autres pour mendier, pour rôder, sous les suggestions malsaines de la faim et des rumeurs qui s’élèvent dans la rue. Pendant les derniers jours d’avril[5], les commis voient entrer par les barrières « un nombre effrayant d’hommes mal vêtus et d’une figure sinistre ». Dès les premiers jours de mai, on remarque que l’aspect de la foule est changé ; il s’y mêle « une quantité d’étrangers, venus de tous pays, la plupart déguenillés, armés de grands bâtons, et dont le seul aspect annonce tout ce qu’on en doit craindre ». — Déjà, avant cet afflux final, la sentine publique était pleine et regorgeait. Songez à l’agrandissement extraordinaire et rapide de Paris, à la multitude d’ouvriers qu’y ont amenés les démolitions et les récentes bâtisses, à tous les gens de métier que la stagnation des industries, l’élévation des octrois, la rigueur de l’hiver, la cherté du pain réduisent à l’extrême détresse. Rappelez-vous qu’en 1786 on y comptait « deux cent mille individus qui n’avaient pas en propriété absolue la valeur intrinsèque de cinquante écus », que de temps immémorial ils sont en guerre avec le guet, qu’en 1789 il y a cent vingt mille indigents dans la capitale, que, pour leur donner du travail, il a fallu établir des ateliers nationaux, « qu’on en tient douze mille inutilement occupés à creuser la butte Montmartre et payés vingt sous par jour, que les ports et les quais en sont couverts, que l’Hôtel de Ville en est investi, qu’ils semblent autour du Palais insulter à l’inaction de la justice désarmée », que chaque jour ils s’aigrissent et s’exaltent à la porte du boulanger où, après une longue attente, ils ne sont pas sûrs d’obtenir du pain. Vous sentirez d’avance avec quelle fureur et quelle force ils fonceront sur l’obstacle que, du doigt, on leur aura montré.

II

Cet obstacle, depuis deux ans on le leur montre : c’est le ministère, c’est la cour, c’est le gouvernement, c’est l’ancien régime. Quiconque proteste contre lui en faveur du peuple est sûr d’être suivi aussi loin et plus loin qu’il n’a envie de conduire. — Sitôt que, dans une grande ville, un parlement refuse d’enregistrer les édits fiscaux, il trouve une émeute à son service. Le 7 juin 1788, à Grenoble, les tuiles pleuvent sur les soldats, et la force militaire est impuissante. À Rennes, pour venir à bout de la ville révoltée, il a fallu une armée, puis un camp en permanence, quatre régiments d’infanterie et deux de cavalerie sous le commandement d’un maréchal de France[6]. — L’année suivante, quand les parlements se tournent du côté des privilégiés, l’émeute recommence, mais cette fois contre les parlements. En février 1789, à Besançon et à Aix, les magistrats sont honnis, poursuivis dans la rue, assiégés dans leur palais, contraints de se cacher ou de prendre la fuite. — Si telles sont les dispositions dans les capitales de province, que doivent-elles être dans la capitale du royaume ? Pour commencer, au mois d’août 1788, après le renvoi de Brienne et de Lamoignon, la multitude, rassemblée sur la place Dauphine, s’érige en juge, brûle les deux ministres en effigie, disperse le guet, résiste aux troupes : on n’avait pas vu depuis un siècle une sédition aussi sanglante. Deux jours plus tard, l’émeute éclate une seconde fois ; le peuple s’ébranle pour aller mettre le feu aux hôtels des deux ministres et à l’hôtel du lieutenant de police Dubois. — Visiblement un ferment nouveau est entré dans la masse ignorante et grossière, et les idées nouvelles font leur effet. Il y a longtemps qu’elles ont filtré insensiblement de couche en couche, et qu’après avoir gagné l’aristocratie, toute la partie lettrée du Tiers-État, les gens de loi, les écoles, toute la jeunesse, elles se sont insinuées, goutte à goutte et par mille fissures, dans la classe qui vit du travail de ses bras. Les grands seigneurs, à leur toilette, ont raillé le christianisme et affirmé les droits de l’homme devant leurs valets, leurs perruquiers, leurs fournisseurs et toute leur antichambre. Les gens de lettres, les avocats, les procureurs ont répété, d’un ton plus âpre, les mêmes diatribes et les mêmes théories aux cafés, aux restaurants, dans les promenades et dans tous les lieux publics. On a parlé devant les gens du peuple comme s’ils n’étaient point là, et, de toute cette éloquence déversée sans précaution, il a jailli des éclaboussures jusque dans le cerveau de l’artisan, du cabaretier, du commissionnaire, de la revendeuse et du soldat.

C’est pourquoi il suffit d’une année pour changer leur mécontentement sourd en passion politique. À partir du 5 juillet 1787, sur l’invitation du roi qui convoque les États Généraux et demande à chacun son avis, la parole et la presse changent d’accent[7] : au lieu d’une conversation générale et spéculative, c’est une prédication en vue d’un effet pratique, subit, profond et prochain, vibrante et perçante comme un clairon d’appel. Coup sur coup éclatent les pamphlets révolutionnaires, Qu’est-ce que le Tiers, par Siéyès, Mémoire pour le peuple français, par Cerutti, Considérations sur les intérêts du Tiers-État, par Rabaut-Saint-Étienne, Ma pétition, par Target, les Droits des États Généraux, par M. d’Antraigues, un peu plus tard la France libre, par Camille Desmoulins, d’autres encore, par centaines et par milliers[8], tous répétés et amplifiés dans les assemblées électorales ou les nouveaux citoyens viennent déclamer et s’échauffer[9]. Le cri unanime, universel et quotidien roule d’écho en écho jusque dans les casernes, les faubourgs, les marchés, les ateliers, les mansardes. Au mois de février 1789, Necker avoue « qu’il n’y a plus d’obéissance nulle part, et qu’on n’est pas même sûr des troupes ». Au mois de mai, les marchandes de poisson, puis les fruitières de la Halle, viennent recommander aux électeurs les intérêts du peuple et chanter des couplets en l’honneur du Tiers-État. Au mois de juin, les pamphlets sont dans toutes les mains ; « les laquais eux-mêmes les dévorent à la porte des hôtels ». Au mois de juillet, comme le roi signait un ordre, un valet patriote s’alarme et lit par-dessus son épaule. — Il ne faut pas se faire illusion ; ce n’est pas la bourgeoisie seulement qui prend parti contre les autorités légales et contre le régime établi, c’est le peuple entier, gens de métier, de boutique et de service, manœuvres de toute espèce et de tout degré, au-dessous du peuple la populace, vagabonds, traîneurs de rue, indigents, toute la multitude qui, courbée sous le souci du pain quotidien, n’avait jamais levé les yeux pour regarder le grand ordre social dont elle est la plus basse assise et dont elle porte tout le poids.

III

Tout à coup elle fait un mouvement, et l’échafaudage superposé chancelle. C’est un mouvement de brute exaspérée par le besoin et affolée par le soupçon. — A-t-elle été piquée en dessous par des mains soudoyées qui se cachent ? Les contemporains en sont persuadés[10], et la chose est probable. Mais le bruit qu’on fait autour de la bête souffrante suffirait pour la rendre ombrageuse et pour expliquer son sursaut. — Le 21 avril, les assemblées électorales ont commencé à Paris ; il y en a dans chaque quartier, pour le clergé, pour la noblesse, pour le Tiers-État. Tous les jours, pendant près d’un mois, on voit dans les rues passer des files d’électeurs. Ceux du premier degré continuent à se réunir après avoir nommé ceux du second ; il faut bien que la nation surveille ses mandataires et maintienne ses droits imprescriptibles ; si elle en a délégué l’usage, elle en a conservé la propriété, et se réserve d’intervenir quand il lui plaira. Une pareille prétention fait vite son chemin, et tout de suite, après le tiers-état des assemblées, elle gagne le tiers-état de la rue. Rien de plus naturel que l’envie de conduire ses conducteurs : au premier mécontentement, on met la main sur ceux qui regimbent, et on les fait marcher à l’œil et au doigt. — Le samedi 25 avril[11], le bruit se répand que Réveillon, électeur, fabricant de papiers peints rue Saint-Antoine, et le commissaire Lerat ont « mal parlé » dans l’assemblée électorale de Sainte-Marguerite. Parler mal, c’est mal parler du peuple. Qu’a dit Réveillon ? On l’ignore, mais l’imagination populaire, avec sa terrible puissance d’invention et de précision, fabrique ou accueille sur-le-champ une phrase meurtrière : il a dit « qu’un ouvrier, ayant femme et enfants, pouvait vivre avec quinze sous par jour ». C’est un traître, il faut lui courir sus, « mettre tout à feu et à sang chez lui ». — Notez que le bruit est faux[12], que Réveillon donne vingt-cinq sous par jour à ses moindres ouvriers, qu’il en fait vivre trois cent cinquante, que l’hiver précédent, malgré le chômage, il les a gardés tous et au même prix, qu’il est lui-même un ancien ouvrier, médaillé pour ses inventions, bienfaisant, respecté de tous les gens respectables. — Il n’importe ; les bandes de vagabonds et « d’étrangers » qui viennent d’entrer par les barrières n’y regardent pas de si près, et les manœuvres, charretiers, savetiers, maçons, chaudronniers, débiteurs de marbre, qu’ils vont racoler dans leurs garnis, n’en savent pas davantage. Quand l’irritation s’est accumulée, elle déborde au hasard.

Justement le clergé de Paris vient de déclarer[13] qu’il renonce à ses privilèges en fait d’impôt, et le peuple, prenant ses amis pour ses adversaires, ajoute dans ses invectives le nom du clergé au nom de Réveillon. Pendant toute la journée et tout le loisir du dimanche la fermentation croît, et le lundi 27, autre jour d’oisiveté et d’ivrognerie, les bandes s’ébranlent. Des témoins en rencontrent une rue Saint-Séverin « armée de massues », si épaisse que le passage est barré. « De toutes parts on ferme les portes et les boutiques en criant : Voilà la révolte ! Les séditieux vomissent des imprécations et des invectives contre le clergé », et, voyant un abbé, l’appellent « f.... prêtre ». Une autre bande promène un mannequin de Réveillon, décoré du cordon de Saint-Michel, lui fait subir une parodie de jugement, le brûle en place de Grève et menace sa maison ; repoussée par la garde, elle envahit celle d’un salpêtrier son ami, brise et brûle tous les effets et tous les meubles[14]. C’est seulement vers minuit que l’attroupement est dispersé, et l’on croit en avoir fini avec l’émeute. — Le lendemain, elle recommence plus forte ; car, outre les aiguillons ordinaires qui sont la misère[15] et le besoin de licence, ils ont un aiguillon nouveau, l’idée d’une cause à défendre, la persuasion où ils sont qu’ils combattent pour le Tiers-État ». Dans une pareille cause, chacun doit s’aider et tous doivent s’entr’aider : « On serait perdu, disait l’un d’eux, si l’on ne se soutenait pas les uns les autres ». Forts de cette croyance, ils députent jusqu’à trois fois dans le faubourg Saint-Marceau pour y faire des recrues, et sur leur passage, de force ou de gré, le gourdin levé, ils enrôlent tout ce qu’ils rencontrent. D’autres, à la porte Saint-Antoine, arrêtent les gens qui reviennent des courses, leur demandent s’ils sont pour la noblesse ou pour le Tiers, forcent les femmes à descendre de voiture et à crier vive le Tiers-État[16]. Cependant, la foule grossit devant la maison Réveillon ; les trente hommes de garde ne peuvent résister ; la maison est envahie et saccagée de fond en comble ; meubles, provisions, linge, registres, voitures, et jusqu’aux volailles de la basse-cour, tout est jeté dans des brasiers allumés en trois endroits différents ; cinq cents louis en or, l’argent comptant, l’argenterie sont volés. Plusieurs se répandent dans les caves, boivent au hasard des liqueurs et des vernis, jusqu’à tomber ivres-morts ou à expirer dans les convulsions. Contre cette cohue hurlante[17], on voit déboucher le guet à pied et à cheval, cent cavaliers de Royal-Cravate, les gardes françaises et plus tard les gardes suisses. « Tuiles et cheminées pleuvent sur les soldats », qui font feu par quatre files. Pendant plusieurs heures, les mutins, ivres de vin et de fureur, se défendent en désespérés ; plus de deux cents sont tués, près de trois cents blessés, on n’en vient à bout qu’avec le canon, et les attroupements se prolongent jusque bien avant dans la nuit. — Vers huit heures du soir, rue Vieille-du-Temple, la garde de Paris fait encore des charges pour protéger des portes que veulent forcer les malfaiteurs. À onze heures et demie du soir, ils en forcent deux rue de Saintonge et rue de Bretagne, celle d’un charcutier et celle d’un boulanger. Jusque dans ce dernier flot du soulèvement, qui s’apaise, on distingue les éléments qui ont fait l’émeute et qui vont faire la Révolution. — Il y a des affamés ; rue de Bretagne, la troupe qui dévalise le boulanger apporte les pains à des femmes arrêtées au coin de la rue de Saintonge. — Il y a des bandits : au milieu de la nuit, des espions de M. du Châtelet, s’étant coulés le long d’un fossé, « voient un gros de brigands » assemblés au delà de la barrière du Trône ; leur chef, monte sur un tertre, les excite à recommencer, et, les jours suivants, sur les grands chemins, des vagabonds se disent entre eux : « Nous n’avons plus rien à faire à Paris, les précautions sont trop bien prises, allons à Lyon ». — Il y a enfin des patriotes : le soir de l’émeute, entre le pont au Change et le pont Marie, les va-nu-pieds en chemise et barbouillés de noir qui portent des civières ont conscience de leur cause ; ils demandent l’aumône à voix haute et tendent le chapeau en disant aux passants : Ayez pitié de ce pauvre Tiers-État ». — Affamés, bandits et patriotes, ils font un corps, et désormais la misère, le crime, l’esprit public s’assemblent pour fournir une insurrection toujours prête aux agitateurs qui voudront la lancer.

IV

Mais déjà les agitateurs sont en permanence. Le Palais-Royal est un club en plein air, où, toute la journée et jusque bien avant dans la nuit, ils s’exaltent les uns les autres et poussent la foule aux coups de main. Dans cette enceinte protégée par les privilèges de la maison d’Orléans, la police n’ose entrer, La parole est libre, et le public qui en use semble choisi exprès pour en abuser. — C’est le public qui convient à un pareil lieu[18]. Centre de la prostitution, du jeu, de l’oisiveté et des brochures, le Palais-Royal attire à lui toute cette population sans racines qui flotte dans une grande ville, et qui, n’ayant ni métier, ni ménage, ne vit que pour la curiosité ou pour le plaisir, habitués des cafés, coureurs de tripots, aventuriers et déclassés, enfants perdus on surnuméraires de la littérature, de l’art et du barreau, clercs de procureur, étudiants des écoles, badauds, flâneurs, étrangers et habitants d’hôtels garnis ; On dit que ceux-ci sont quarante mille à Paris. — Ils remplissent le jardin et les galeries ; « à peine y trouverait-on un seul membre de ce qu’on appelait les Six Corps[19] », un bourgeois établi et occupé, un homme à qui la pratique des affaires et le souci du ménage donnent du sérieux et du poids. Il n’y a point de place ici pour les abeilles industrieuses et rangées : c’est le rendez-vous des frelons politiques et littéraires. Ils s’y abattent des quatre coins de Paris, et leur essaim tumultueux, bourdonnant, couvre le sol comme une ruche répandue. « Toute la journée, écrit Arthur Young[20], il y a eu dix mille personnes au Palais-Royal », et la presse est telle, qu’une pomme jetée d’un balcon sur le pavé mouvant des têtes ne tomberait pas à terre. — On devine l’état de tous ces cerveaux ; ce sont les plus vides de lest qu’il y ait en France, les plus gonflés d’idées spéculatives, les plus excitables et les plus excités. Dans ce pèle-mêle de politiques improvisés, nul ne connaît celui qui parle ; nul ne se sent responsable de ce qu’il a dit. Chacun est là comme au théâtre, inconnu parmi des inconnus, avec le besoin d’être ému et transporté, en proie à la contagion des passions environnantes, entraîné dans le tourbillon des grands mots, des nouvelles controuvées, des bruits grossissants, des exagérations par lesquelles les énergumènes vont enchérissant les uns sur les autres. Ce sont des cris, des larmes des applaudissements, des trépignements comme devant une tragédie : tel s’enflamme et s’égosille jusqu’à mourir sur place de fièvre et d’épuisement. Arthur Young a beau être habitué au tapage de la liberté politique, il est étourdi de ce qu’il voit. Selon lui[21], « la fermentation passe toute conception… Nous nous imaginions que les magasins des libraires Debrett ou Stockdale à Londres sont encombrés ; mais ce sont des déserts à côté de celui de Desenne et de quelques autres ; on a peine à se faufiler de la porte jusqu’au comptoir… Chaque heure produit sa brochure ; il en a paru treize aujourd’hui, seize hier et quatre-vingt-douze la semaine dernière. Dix-neuf sur vingt sont en faveur de la liberté ». — Et, par liberté, on entend l’abolition des privilèges, la souveraineté du nombre, l’application du Contrat social, « la République », bien mieux, le nivellement universel, l’anarchie permanente, et même la jacquerie. Camille Desmoulins, l’un des orateurs ordinaires, l’annonce et la provoque en termes précis : « Puisque la bête est dans le piège, qu’on l’assomme… Jamais plus riche proie n’aura été offerte aux vainqueurs. Quarante mille palais, hôtels, châteaux, les deux cinquièmes des biens de la France, seront le prix de la valeur. Ceux qui se prétendent conquérants seront conquis à leur tour. La nation sera purgée ». Voilà d’avance le programme de la Terreur.

Or tout cela est non seulement lu, mais déclamé, amplifié, converti en motions pratiques. Devant les cafés, « ceux qui ont la voix de Stentor se relayent tous les soirs[22] ». — « Ils montent sur une chaise ou sur une table, et lisent l’écrit du jour le plus fort sur les affaires du temps… On ne se figure pas aisément l’avidité avec laquelle ils sont écoutés, et le tonnerre d’applaudissements qu’ils reçoivent pour toute expression hardie ou plus violente que d’ordinaire contre le gouvernement… » — « Il y a trois jours, un enfant de quatre ans, mais plein d’intelligence et bien appris, fit le tour du jardin, en plein jour, au moins vingt fois, porté sur les épaules d’un crocheteur. Il criait : Arrêt du peuple français ; la Polignac exilée à cent lieues de Paris, Condé idem, Conti idem, d’Artois idem, la reine…, je n’ose vous le répéter ». — Au centre du Palais-Royal, une salle en planches est toujours pleine, surtout de jeunes gens qui délibèrent à la façon d’un parlement ; le soir, le président invite les spectateurs à venir signer les motions qu’on a faites dans la journée et dont les originaux sont déposés au café Foy[23]. Ils comptent sur leurs doigts les ennemis de la patrie, « et d’abord deux Altesses Royales (Monsieur et le comte d’Artois), trois Altesses Sérénissimes (le prince de Condé, le duc de Bourbon et le prince de Conti), une favorite (Mme de Polignac), MM. de Vaudreuil, de la Trémoille, du Châtelet, de Villedeuil, de Barentin, de la Galaisière, Vidaud de la Tour, Bertier, Foullon et même M. Linguet ». Des placards demandent un carcan sur le pont Neuf pour l’abbé Maury. Un orateur propose « de brûler la maison de M. d’Esprémenil, sa femme, ses enfants, son mobilier et sa personne, ce qui passe à l’unanimité ». — Nulle contradiction n’est tolérée ; un assistant ayant témoigné de l’horreur pour les motions meurtrières, « il est saisi au collet, on l’oblige à se mettre à genoux, à faire amende honorable, à baiser la terre ; on lui inflige le châtiment des enfants, on l’enfonce plusieurs fois dans un des bassins, après quoi on le livre à la populace qui le roule dans la boue ». Le lendemain un ecclésiastique est foulé aux pieds, lancé de main en main. Quelques jours après, le 22 juin, il y a encore deux exécutions semblables. La foule souveraine exerce toutes les fonctions de la puissance souveraine, avec celles de législateur celles de juge, avec celles de juge celles de bourreau. — Ses idoles sont sacrées ; si quelqu’un leur manque de respect, il est coupable de lèse-majesté et châtié sur l’heure. Dans la première semaine de juillet, un abbé qui parle mal de Necker est fouetté ; une femme qui dit des injures au buste de Necker est troussée, frappée jusqu’au sang par les poissardes. La guerre est déclarée aux uniformes suspects. « Dès que paraît un hussard, écrit Desmoulins, on crie : Voilà Polichinelle, et les tailleurs de pierre le lapident. Hier au soir, deux officiers de hussards, MM. de Sombreuil et de Polignac, sont venus au Palais-Royal… on leur a jeté des chaises, et ils auraient été assommés, s’ils n’avaient pris la fuite ». Avant-hier « on a saisi un espion de police, on l’a baigné dans le bassin, on l’a forcé comme on force un cerf, on l’a harassé, on lui jetait des pierres, on lui donnait des coups de canne, on lui a mis un œil hors de l’orbite, enfin, malgré ses prières et qu’il criait merci, on l’a jeté une seconde fois dans le bassin. Son supplice a duré depuis midi jusqu’à cinq heures et demie, et il y avait bien dix mille bourreaux ». — Considérez l’effet d’un pareil foyer en un pareil moment. À côté des pouvoirs légaux s’est élevé un pouvoir nouveau, une législature de carrefour et de place publique, anonyme, irresponsable, sans frein, précipitée en avant par des théories de café, par des fougues de cervelle, par des excitations de tréteaux ; et les bras nus qui viennent de tout briser au faubourg Saint-Antoine sont ses gardes du corps et ses ministres.

V

C’est la dictature de la foule attroupée, et ses procédés, conformes à sa nature, sont les voies de fait : sur tout ce qui lui résiste, elle frappe. — Chaque jour, dans les rues et aux portes de l’Assemblée, le peuple de Versailles « vient insulter ceux qu’on appelle aristocrates[24] ». Le lundi 22 juin « d’Esprémenil manque d’être assommé ; l’abbé Maury… ne doit son salut qu’à la vigueur d’un curé qui le prend par le corps, et le jette dans le carrosse de l’archevêque d’Arles ». Le 23, l’archevêque de Paris, le « garde des sceaux sont hués, honnis, conspués, bafoués, à périr de honte et de rage », et la tempête des vociférations qui les accueille est si formidable, que Paporet, secrétaire du roi, qui accompagnait le ministre, en meurt de saisissement le jour même. Le 24, l’évêque de Beauvais est presque assommé d’une pierre à la tête. Le 25, l’archevêque de Paris n’est sauvé que par la vitesse de ses chevaux : la multitude le suit en le lapidant ; son hôtel est assiégé, toutes ses fenêtres sont brisées et, malgré l’intervention des gardes françaises, son péril est si grand, qu’il est contraint de promettre qu’il se réunira aux députés du Tiers. Voilà de quelle façon la rude main populaire opère la réunion des ordres. — Elle pèse aussi impérieusement sur ses représentants que sur ses adversaires. « Quoique notre salle fût interdite, dit Bailly, il y avait toujours plus de six cents spectateurs[25] » ; non pas respectueux, muets, mais actifs, bruyants, mêlés aux députés, levant la main aux motions, en tout cas prenant part aux délibérations par leurs applaudissements et par leurs huées, assemblée collatérale et qui souvent impose à l’autre sa volonté. Ils notent et prennent par écrit les noms des opposants ; ces noms, transmis aux porte-chaises qui se tiennent à l’entrée de la salle, et de là jusqu’à la populace qui attend les députés à la sortie[26], sont désormais des noms d’ennemis publics. Des listes en sont dressées, imprimées, et le soir, au Palais-Royal, deviennent des listes de proscription. — C’est sous cette pression grossière que passent plusieurs décrets, entre autres celui par lequel les Communes se déclarent Assemblée Nationale et prennent le pouvoir suprême. La veille, Malouet avait proposé de vérifier au préalable de quel côté était la majorité ; en un instant tous les Non, au nombre de plus de trois cents, se rangent autour de lui ; là-dessus, « un homme s’élance des galeries, fond sur lui et le prend au collet en criant « Tais-toi, mauvais citoyen ». On dégagea Malouet, la garde accourut ; « mais la terreur s’était répandue dans la salle, les menaces suivirent les opposants, et le lendemain nous ne fûmes que quatre-vingt-dix ». Aussi bien, la liste de leurs noms avait couru ; quelques-uns, députés de Paris, vinrent trouver Bailly le soir même : l’un d’eux, très honnête homme et bon patriote », avait été averti qu’on devait mettre le feu chez lui ; or sa femme venait d’accoucher, et le moindre tumulte devant la maison eût été mortel pour la malade. De pareils arguments sont décisifs. — En effet, trois jours après, au serment du Jeu de Paume, un seul député, Martin d’Auch, ose écrire à la suite de son nom : « opposant ». Insulté par plusieurs de ses collègues, « dénoncé sur-le-champ au peuple qui s’est attroupé à l’entrée de la salle, il est obligé de se sauver par une porte détournée pour éviter d’être mis en pièces », et, pendant quelques jours, de ne plus revenir aux séances[27]. — Grâce à cette intervention des galeries, la minorité radicale, trente membres environ[28], conduit la majorité, et ne souffre pas qu’elle se délivre. — Le 28 mai, Malouet ayant demandé le huis clos pour discuter les moyens conciliatoires proposés par le roi, les galeries le huent, et un député, M. Bouche, lui dit ces paroles trop claires : Apprenez, monsieur, que nous délibérons ici devant nos maîtres et que nous leur devons compte de nos opinions ». C’est la doctrine du Contrat social, et, par timidité, par crainte de la cour et des privilégiés, par optimisme et confiance en la nature humaine, par entraînement et obligation de soutenir leurs premiers actes, les députés, nouveaux venus, provinciaux et théoriciens, n’osent ni ne savent se soustraire à la tyrannie du dogme régnant. — Dorénavant il fait loi : Constituante, Législative, Convention, toutes les assemblées vont le subir jusqu’au bout. Il est admis que le public des galeries représente le peuple au même titre et à titre plus haut que les députés. Or ce public est celui du Palais-Royal, étrangers, oisifs, amateurs de nouveautés, nouvellistes de Paris, coryphées des cafés, futurs piliers de clubs, bref les exaltés de la classe bourgeoise, de même que la populace qui menace aux portes et jette des pierres se recrute parmi les exaltés du petit peuple. Ainsi, par un triage involontaire, la faction qui s’érige en pouvoir public ne se compose que des esprits violents et des mains violentes. Spontanément et sans entente préalable, les énergumènes dangereux se trouvent ligués avec les brutes dangereuses, et, dans le désaccord croissant des autorités légales, c’est cette ligue illégale qui va tout renverser.

Quand un général en chef, siégeant avec son état-major et ses conseils, délibère sur un plan de campagne, le premier intérêt public est que la discipline demeure intacte, et que des intrus, soldats ou goujats, ne viennent point jeter le poids de leur turbulence et de leur irréflexion dans la balance que les chefs doivent tenir avec précaution et avec sang-froid. Ç’a été la demande expresse du gouvernement[29] ; elle n’a pas abouti, et, contre l’usurpation persistante de la multitude, il ne lui reste plus à employer que la force. Mais la force elle-même se dérobe sous sa main, et la désobéissance croissante, comme une contagion, après avoir gagné le peuple, se répand dans la troupe. — Des le 23 juin[30], deux compagnies de gardes françaises avaient refusé le service. Consignés aux casernes, le 27, ils violent la consigne, et désormais, « chaque soir, on les voit entrer au Palais-Royal en marchant sur deux rangs ». L’endroit leur est connu ; c’est le rendez-vous général des filles dont ils sont les amants et les parasites[31]. « Tous les patriotes s’accrochent à eux ; on leur paye des glaces, du vin ; on les débauche à la barbe de leurs officiers. » — Comptez de plus que, depuis longtemps, leur colonel, M. du Châtelet, leur est odieux, qu’il les a fatigués de manœuvres forcées, qu’il a tracassé et amoindri leurs sergents, qu’il a supprimé l’école où l’on élevait les enfants de leurs musiciens, qu’il emploie le bâton pour châtier les hommes, qu’il chicane sur la tenue, la nourriture et l’entretien. — C’est un régiment perdu pour la discipline : une société secrète s’y est formée, et les soldats se sont engagés devant leurs anciens à ne rien faire contre l’Assemblée nationale. Ainsi, entre eux et le Palais-Royal, la confédération est faite. — Le 30 juin, onze de leurs meneurs conduits à l’Abbaye écrivent pour demander du secours : un jeune homme monte sur une chaise devant le café Foy, et lit tout haut leur lettre ; à l’instant une bande se met en marche, force le guichet à coups de maillet et de barres de fer, ramène les prisonniers en triomphe, leur donne une fête dans le jardin et monte la garde autour d’eux pour qu’on ne vienne pas les reprendre. — Lorsqu’un tel désordre reste impuni, nul ordre ne peut être maintenu ; en effet, le 14 juillet au matin, sur six bataillons, cinq avaient fait défection. — Quant aux autres corps, ils ne tiennent pas mieux et sont séduits de même. « Hier, écrit Desmoulins, le régiment d’artillerie a suivi l’exemple des gardes françaises, il a forcé les sentinelles, et est venu se mêler aux patriotes dans le Palais-Royal… On ne voit que des gens du peuple qui s’attellent à tous les militaires qu’ils rencontrent : Allons ! vive le Tiers-État ! et ils les entraînent au cabaret, où l’on boit à la santé des Communes. » — Des dragons disent à l’officier qui les mène à Versailles : « Nous vous obéissons, mais, quand nous serons arrivés, annoncez aux ministres que, si l’on nous commande la moindre violence contre nos concitoyens, le premier coup de feu sera pour vous. » — Aux Invalides, vingt hommes, commandés pour ôter les chiens et les baguettes aux fusils du magasin menacé, emploient six heures pour mettre vingt fusils hors d’usage : c’est qu’ils veulent les garder intacts pour le pillage et l’armement du peuple. — Bref, la plus grande partie de l’armée a tourné. Si bon que soit un chef, il suffit qu’il soit chef pour qu’on le traite en ennemi : le gouverneur, M. de Sombreuil, « à qui ces gens-là n’ont pas un reproche à faire », verra tout à l’heure ses canonniers diriger leurs canons contre son appartement, et manquera d’être pendu de leurs propres mains à la grille. — Ainsi la force qu’on amène pour réprimer l’émeute ne sert qu’à lui fournir des recrues. Bien pis, l’étalage des armes, sur lequel on comptait pour contenir la foule, fournit la provocation qui achève de la révolter.

VI

Le moment fatal est arrivé : ce n’est pas un gouvernement qui tombe pour faire place à un autre, c’est tout gouvernement qui cesse pour faire place au despotisme intermittent des pelotons que l’enthousiasme, la crédulité, la misère et la crainte lanceront à l’aveugle et en avant[32]. Comme un éléphant domestique qui tout d’un coup redeviendrait sauvage, le peuple, d’un geste, jette à bas son cornac ordinaire, et les nouveaux guides qu’il tolère juchés sur son cou ne sont là que pour la montre ; dorénavant, il marche à sa guise, affranchi de leur raison, livré à ses sensations, à ses instincts et à ses appétits. — Visiblement, on n’a voulu que prévenir ses écarts : le roi a interdit toute violence, les commandants défendent aux troupes de tirer[33] ; mais l’animal surexcité, farouche, prend toutes les précautions pour des attentats ; à l’avenir, il entend se conduire lui-même, et, pour commencer, il écrase ses gardiens. — Le 12 juillet, vers midi[34], à la nouvelle du renvoi de Necker, un cri de fureur s’élève au Palais-Royal ; Camille Desmoulins monte sur une table, annonce que la cour médite « une Saint-Barthélemy de patriotes ». On l’embrasse, on prend la cocarde verte qu’il a proposée, on oblige les salles de danse et les théâtres à fermer en signe de deuil, on va chez Curtius prendre les bustes du duc d’Orléans et de Necker, et on les promène en triomphe. — Cependant les dragons du prince de Lambesc, rangés sur la place Louis XV, trouvent à l’entrée des Tuileries une barricade de chaises, et sont accueillis par une pluie de pierres et de bouteilles[35]. Ailleurs, sur le boulevard, devant l’hôtel Montmorency, des gardes françaises, échappés de leurs casernes, font feu sur un détachement fidèle de Royal-Allemand. — De toutes parts, le tocsin sonne, les boutiques d’armuriers sont pillées, l’Hôtel de Ville est envahi ; quinze ou seize électeurs de bonne volonté qui s’y rencontrent décident que les districts seront convoqués et armés. — Le nouveau souverain s’est montré : c’est le peuple en armes et dans la rue.

Aussitôt la lie de la société monte à la surface. Dans la nuit du 12 au 13 juillet[36], « toutes les barrières depuis le faubourg Saint-Antoine jusqu’au faubourg Saint-Honoré, outre celles des faubourgs Saint-Marcel et Saint-Jacques, sont forcées et incendiées ». Il n’y a plus d’octroi, la ville demeure sans revenu, juste au moment où elle est obligée à des dépenses plus fortes ; mais peu importe à la populace, qui, avant tout, veut le vin à bon marché. « Des brigands, armés de piques et de bâtons, se portent partout en plusieurs divisions, pour livrer au pillage les maisons dont les maîtres sont regardés comme les ennemis du bien public. » — « Ils vont de porte en porte, criant : Des armes et du pain ! — Durant cette nuit effrayante, la bourgeoisie se tenait enfermée, chacun tremblant chez soi, pour soi et pour les siens. » — Le lendemain 13, la capitale semble livrée à la dernière plèbe et aux bandits. Une bande enfonce à coups de hache la porte des Lazaristes, brise la bibliothèque, les armoires, les tableaux, les fenêtres, le cabinet de physique, se précipite dans les caves, défonce les tonneaux et se soûle : vingt-quatre heures après, on y trouva une trentaine de morts et de mourants, noyés dans le vin, hommes et femmes, dont une enceinte de neuf mois. Devant la maison[37], la rue est pleine de débris et de brigands qui tiennent à la main, les uns « des comestibles, les autres un broc, forcent les passants à boire et versent à tout venant. Le vin coule en talus dans le ruisseau, l’odorat en est frappé » ; c’est une kermesse. Cependant on enlève le grain et les farines que les religieux étaient tenus par édit d’avoir toujours en magasin, et on en conduit cinquante-deux voitures à la Halle. Une autre troupe vient à la Force délivrer les prisonniers pour dettes ; une troisième pénètre dans le Garde-Meuble, y enlève des armes et des armures de prix. Des attroupements s’amassent devant l’hôtel de M. de Breteuil et le Palais-Bourbon qu’on veut dévaster pour punir les propriétaires. M. de Crosne, un des hommes les plus libéraux et les plus respectés de Paris, mais pour son malheur lieutenant de police, est poursuivi, s’échappe à grand’peine, et son hôtel est saccagé. — Pendant la nuit du 13 au 14, on pille des boutiques de boulangers et de marchands de vin ; « des hommes de la plus vile populace, armés de fusils, de broches et de piques, se font ouvrir les portes des maisons, donner à boire, à manger, de l’argent et des armes ». Vagabonds, déguenillés, plusieurs « presque nus », « la plupart armés comme des sauvages, d’une physionomie effrayante », ils sont de ceux qu’on ne se souvient pas d’avoir rencontrés au grand jour » ; beaucoup sont des étrangers, venus on ne sait d’où[38]. On dit qu’il y en a 50000, et ils se sont emparés des principaux postes.

Pendant ces deux jours et ces deux nuits, dit Bailly, « Paris courut risque d’être pillé, et ne fut sauvé des bandits que par la garde nationale ». Déjà, en pleine rue[39], « des créatures arrachaient aux citoyennes leurs boucles d’oreilles et de souliers », et les voleurs commençaient à se donner carrière. — Heureusement la milice s’organise ; les premiers habitants, des gentilshommes, s’y font inscrire ; 48000 hommes se forment en bataillons et en compagnies ; les bourgeois achètent aux vagabonds leur fusil pour 3 livres, leur épée, sabre ou pistolet pour 12 sous. Enfin l’on pend sur place quelques malfaiteurs, on en désarme beaucoup d’autres, et l’insurrection redevient politique. — Mais, quel que soit son objet, elle reste toujours folle, parce qu’elle est populaire. Son panégyriste Dusaulx avoue[40] qu’il « a cru assister à la décomposition totale de la société ». Point de chef, nulle direction. Les électeurs qui se sont improvisés représentants de Paris semblent commander à la foule, et c’est la foule qui leur commande. Pour sauver l’Hôtel de Ville, l’un d’eux, Legrand, n’a d’autre ressource que de faire apporter six barils de poudre et de déclarer aux envahisseurs qu’il va faire tout sauter. Le commandant qu’ils ont choisi, M. de la Salle, a, pendant un quart d’heure, vingt baïonnettes sur la poitrine, et, plus d’une fois, tout le comité est près d’être massacré. Figurez-vous, dans l’enceinte ou ils parlementent et supplient, « une affluence de quinze cents hommes pressés par cent mille autres qui s’efforcent d’entrer », les boiseries qui craquent, les banquettes qui se renversent les unes sur les autres, l’enceinte du bureau qui est repoussée jusque sur le siège du président, un tumulte à faire croire que c’est « le jour du jugement dernier », des cris de mort, des chansons, des hurlements, « des gens hors d’eux-mêmes, et, pour la plupart, ne sachant où ils sont ni ce qu’ils veulent ». — Chaque district est aussi un petit centre, et le Palais-Royal est le plus grand de tous. De l’un à l’autre roulent les motions, les accusations, les députations, avec le torrent humain qui s’engorge ou se précipite, sans autre conduite que sa pente et les accidents du chemin. Un flot s’amasse ici, puis là : leur stratégie consiste à pousser et à être poussés. Encore n’entrent-ils que parce qu’on les introduit. S’ils pénètrent dans les Invalides, c’est grâce à la connivence des soldats. — À la Bastille, de dix heures du matin à cinq heures du soir, ils fusillent des murs hauts de quarante pieds, épais de trente, et c’est par hasard qu’un de leurs coups atteint sur les tours un invalide. On les ménage comme des enfants à qui l’on tâche de faire le moins de mal possible : à la première demande, le gouverneur fait retirer ses canons des embrasures ; il fait jurer à la garnison de ne point tirer, si elle n’est attaquée ; il invite à déjeuner la première députation ; il permet à l’envoyé de l’Hôtel de Ville de visiter toute la forteresse ; il subit plusieurs décharges sans riposter, et laisse emporter le premier pont sans brûler une amorce[41]. S’il tire enfin, c’est à la dernière extrémité, pour défendre le second pont, et après avoir prévenu les assaillants qu’on va faire feu. Bref, sa longanimité, sa patience sont excessives, conformes à l’humanité du temps. — Pour eux, ils sont affolés par la sensation nouvelle de l’attaque et de la résistance, par l’odeur de la poudre, par l’entraînement du combat ; ils ne savent que se ruer contre le massif de pierres, et leurs expédients sont au niveau de leur tactique. Un brasseur imagine d’incendier ce bloc de maçonnerie en lançant dessus avec des pompes de l’huile d’aspic et d’œillette injectée de phosphore. Un jeune charpentier, qui a des notions d’archéologie, propose de construire une catapulte. Quelques-uns croient avoir saisi la fille du gouverneur et veulent la brûler pour obliger le père à se rendre. D’autres mettent le feu à un avant-corps de bâtiment rempli de paille et se bouchent ainsi le passage. « La Bastille n’a pas été prise de vive force, disait le brave Élie, l’un des combattants ; elle s’est rendue avant même d’avoir été attaquée[42] », par capitulation, sur la promesse qu’il ne serait fait de mal à personne. La garnison, trop bien garantie, n’avait plus le cœur de tirer sans péril sur des corps vivants[43], et, d’autre part, elle était troublée par la vue de la foule immense. Huit ou neuf cents hommes seulement[44] attaquaient, la plupart ouvriers ou boutiquiers du faubourg, tailleurs, charrons, merciers, marchands de vin, mêlés à des gardes françaises. Mais la place de la Bastille et toutes les rues environnantes étaient combles de curieux qui venaient voir le spectacle ; parmi eux, dit un témoin[45], « nombre de femmes élégantes et de fort bon air, qui avaient laissé leurs voitures à quelque distance ». Du haut de leurs parapets, il semblait aux cent vingt hommes de la garnison que Paris tout entier débordait contre eux. — Aussi bien ce sont eux qui baissent le pont-levis, qui introduisent l’ennemi : tout le monde a perdu la tête, les assiégés comme les assiégeants, ceux-ci encore davantage, parce qu’ils sont enivrés par la victoire. À peine entrés, ils commencent par tout briser, et les derniers venus fusillent les premiers, au hasard : « chacun tire sans faire attention ni où ni sur qui les coups portent ». La toute-puissance subite et la licence de tuer sont un vin trop fort pour la nature humaine ; le vertige vient, l’homme voit rouge, et son délire s’achève par la férocité.

Car le propre d’une insurrection populaire, c’est que, personne n’y obéissant à personne, les passions méchantes y sont libres autant que les passions généreuses, et que les héros n’y peuvent contenir les assassins. Élie, qui est entré le premier, Cholat, Hullin, les braves qui sont en avant, les gardes françaises qui savent les lois de la guerre, tâchent de tenir leur parole ; mais la foule qui pousse par derrière ne sait qui frapper, et frappe à l’aventure. Elle épargne les Suisses qui ont tiré sur elle et qui, dans leur sarrau bleu, lui semblent des prisonniers. En revanche, elle s’acharne sur les invalides qui lui ont ouvert la porte ; celui qui a empêché le gouverneur de faire sauter la forteresse a le poignet abattu d’un coup de sabre, est percé de deux coups d’épée, pendu, et sa main, qui a sauvé un quartier de Paris, est promenée dans les rues en triomphe. On entraîne les officiers, on en tue cinq avec trois soldats, en route ou sur place. Pendant les longues heures de la fusillade, l’instinct meurtrier s’est éveillé, et la volonté de tuer, changée en idée fixe, s’est répandue au loin dans la foule qui n’a pas agi. Sa seule clameur suffit à la persuader ; à présent, c’est assez pour elle qu’un cri de haro ; dès que l’un frappe, tous veulent frapper. « Ceux qui n’avaient point d’armes, dit un officier[46], lançaient des pierres contre moi ; les femmes grinçaient des dents et me menaçaient de leurs poings. Déjà deux de mes soldats avaient été assassinés derrière moi… J’arrivai enfin, sous un cri général d’être pendu, jusqu’à quelques centaines de pas de l’Hôtel de Ville, lorsqu’on apporta devant moi une tête perchée sur une pique, laquelle on me présenta pour la considérer, en me disant que c’était celle de M. de Launey », le gouverneur. — Celui-ci, en sortant, avait reçu un coup d’épée dans l’épaule droite ; arrivé dans la rue Saint-Antoine, « tout le monde lui arrachait les cheveux et lui donnait des coups ». Sous l’arcade Saint-Jean, il était déjà « très-blessé ». Autour de lui, les uns disaient : « il faut lui couper le cou », les autres : « il faut le pendre », les autres : « il faut l’attacher à la queue d’un cheval ». Alors, désespéré et voulant abréger son supplice, il crie : « qu’on me donne la mort », et, en se débattant, lance un coup de pied dans le bas-ventre d’un des hommes qui le tenaient. À l’instant il est percé de baïonnettes, on le traîne dans le ruisseau, on frappe sur son cadavre en criant : « c’est un galeux et un monstre qui nous a trahis ; la nation demande sa tête pour la montrer au public », et l’on invite l’homme qui a reçu le coup de pied à la couper lui-même. — Celui-ci, cuisinier sans place, demi-badaud qui est « allé à la Bastille pour voir ce qui s’y passait », juge que, puisque tel est l’avis général, l’action est « patriotique » et croit même « mériter une médaille en détruisant un monstre ». Avec un sabre qu’on lui prête, il frappe sur le col nu ; mais le sabre, mal affilé, ne coupant point, il tire de sa poche un petit couteau à manche noir, et, « comme, en sa qualité de cuisinier, il sait travailler les viandes », il achève heureusement l’opération. Puis, mettant la tête au bout d’une fourche à trois branches et accompagné de plus de deux cents personnes armées, sans compter la populace », il se met en marche, et, rue Saint-Honoré, il fait attacher à la tête deux inscriptions pour bien indiquer à qui elle était. — La gaieté vient : après avoir défilé dans le Palais-Royal, le cortège arrive sur le pont Neuf ; devant la statue de Henri IV, on incline trois fois la tête, en lui disant : « Salue ton maître ». — C’est la plaisanterie finale : il y en a dans tout triomphe, et, sous le boucher, on voit apparaître le gamin.

VII

Cependant, au Palais-Royal, d’autres gamins, qui, avec une légèreté de bavards, manient les vies aussi librement que les paroles, ont dressé dans la nuit du 13 au 14 une liste de proscription dont ils colportent les exemplaires ; ils prennent soin d’en adresser un à chacune des personnes désignées, le comte d’Artois, le maréchal de Broglie, le prince de Lambesc, le baron de Besenval, MM. de Breteuil, Foullon, Bertier, Maury, d’Esprémenil, Lefèvre d’Amécourt, d’autres encore[47] ; une récompense est promise à qui apportera leurs têtes au café du Caveau. Voilà des noms pour la foule lâchée ; il suffira maintenant qu’une bande rencontre l’homme dénoncé ; il ira jusqu’à la lanterne du coin, mais non au delà. — Toute la journée du 14, le tribunal improvisé siége en permanence, et achève ses arrêtés par ses actes. — M. de Flesselles, prévôt des marchands et président des électeurs à l’Hôtel de Ville, s’étant montré tiède[48], le Palais-Royal le déclare traître, et l’envoie prendre ; dans le trajet, un jeune homme l’abat d’un coup de pistolet, les autres s’acharnent sur son corps, et sa tête, portée sur une pique, va rejoindre celle de M. de Launey. — Des accusations aussi meurtrières et aussi proches de l’exécution flottent dans l’air et de toutes parts. « Sous le moindre prétexte, dit un électeur, on nous dénonçait ceux que l’on croyait contraires à la Révolution, ce qui signifiait déjà ennemis de l’État. Sans autre examen, on ne parlait de rien moins que de saisir leurs personnes, d’abîmer leurs maisons, de raser leurs hôtels. Un jeune homme s’écria : Qu’à l’instant on me suive, et marchons chez Besenval ! » — Les cerveaux sont si effarouchés et les esprits si défiants, qu’à chaque pas dans la rue « il faut décliner son nom, déclarer sa profession, sa demeure et son vœu… On ne peut plus entrer dans Paris ou en sortir, sans être suspect de trahison ». Le prince de Montbarey, partisan des nouvelles idées, et sa femme, arrêtés dans leur voiture à la barrière, sont sur le point d’être mis en pièces. Un député de la noblesse, allant à l’Assemblée nationale, est saisi dans son fiacre, conduit à la Grève : on lui montre le cadavre de M. de Launey, en lui annonçant qu’on va le traiter de même. — Toute vie est suspendue à un fil, et, les jours suivants, quand le roi a éloigné ses troupes, renvoyé ses ministres, rappelé Necker, tout accordé, le danger reste aussi grand. Livrée aux révolutionnaires et à elle-même, la multitude a toujours les mêmes soubresauts meurtriers, et les chefs municipaux qu’elle s’est donnés[49], Bailly, maire de Paris, La Fayette, commandant de la garde nationale, sont forcés de ruser avec elle, de l’implorer, de se jeter entre elle et les malheureux sur lesquels elle s’abat.

Le 15 juillet, dans la nuit, une femme, déguisée en homme, est arrêtée dans la cour de l’Hôtel de Ville, et si maltraitée qu’elle s’évanouit ; Bailly, pour la sauver, est obligé de feindre contre elle une grande colère et de l’envoyer sur-le-champ en prison. Du 14 au 22 juillet, La Fayette, au péril de sa vie, sauve de sa main dix-sept personnes en divers quartiers[50]. — Le 22 juillet, sur les dénonciations qui se propagent autour de Paris comme des traînées de poudre, deux administrateurs du premier rang, M. Foullon, conseiller d’État, et M. Bertier, son gendre, sont arrêtés, l’un près de Fontainebleau, et l’autre près de Compiègne. M. Foullon[51], maître sévère, mais intelligent et utile, a dépensé soixante mille francs l’hiver précédent, dans sa terre, pour donner de l’ouvrage aux pauvres. M. Bertier, homme appliqué et capable, a cadastré l’Île-de-France pour égaliser la taille, ce qui a réduit d’un huitième, puis d’un quart, les cotes surchargées. Mais tous deux ont réglé les détails du camp contre lequel Paris s’est soulevé ; tous deux sont proscrits publiquement, depuis huit jours, par le Palais-Royal, et, dans un peuple effaré par le désordre, exaspéré par la faim, affolé par le soupçon, un accusé est un coupable. — Pour Foullon, comme pour Réveillon, une légende s’est faite marquée au même coin, sorte de monnaie courante à l’usage du peuple et que le peuple a fabriquée lui-même en rassemblant dans un mot tragique l’amas de ses souffrances et de ses ressentiments[52] : « Il a dit que nous ne valions pas mieux que ses chevaux et que, si nous n’avions pas de pain, nous n’avions qu’à manger de l’herbe ». Le vieillard de Soixante-quatorze ans est conduit à Paris, une botte de foin sur la tête, un collier de chardons au cou, et la bouche pleine de foin. En vain le bureau des électeurs commande, pour le sauver, qu’il soit mis en prison ; la foule crie : « jugé et pendu », et, d’autorité, elle nomme des juges. En vain La Fayette supplie et insiste par trois fois pour que le jugement soit régulier et que l’accusé aille à l’Abbaye ; un nouveau flot de peuple arrive et un homme « bien vêtu » s’écrie : « Qu’est-il besoin de jugement pour un homme jugé depuis trente ans ? » — Foullon est enlevé, traîné sur la place, accroché à la lanterne ; la corde casse deux fois, et deux fois il tombe sur le pavé ; rependu avec une corde neuve, puis décroché, sa tête est coupée et mise au bout d’une pique[53]. — Pendant ce temps, Bertier, expédié de Compiègne par la municipalité qui n’osait le garder dans sa prison toujours menacée, arrivait en cabriolet sous escorte. Autour de lui, on portait des écriteaux chargés d’épithètes infamantes ; aux relais, on jetait du pain noir et dur dans sa voiture en lui disant : « Tiens, malheureux, voilà le pain que tu nous faisais manger ! » Arrivé devant l’église de Saint-Merry, une tempête effroyable d’outrages éclate contre lui. « Quoiqu’il n’ait jamais acheté ni vendu un seul grain de blé », on l’appelle accapareur ; aux yeux de la multitude qui a besoin d’expliquer le mal par un méchant, il est l’auteur de la famine. Conduit à l’Abbaye, son escorte est dispersée ; on le pousse vers la lanterne. Alors, se voyant perdu, il arrache un fusil aux meurtriers et se défend en brave. Mais un soldat de Royal-Cravate lui fend le ventre d’un coup de sabre ; un autre lui arrache le cœur. Par hasard, le cuisinier qui a coupé la tête de M. de Launey se trouvant là, on lui donne le cœur à porter, le soldat prend la tête, et tous deux vont à l’Hôtel de Ville pour montrer ces trophées à M. de la Fayette. De retour au Palais-Royal et attablés dans un cabaret, le peuple leur demande ces deux débris ; ils les jettent par la fenêtre, et achèvent leur souper, tandis qu’au-dessous d’eux on promène le cœur dans un bouquet d’œillets blancs. — Voilà les spectacles que présente ce jardin où, l’année précédente, « la bonne compagnie en grande parure » venait causer au sortir de l’Opéra ; et parfois, jusqu’à deux heures du matin, sous la molle clarté de la lune, écoutait tantôt le violon de Saint-Georges, tantôt la voix délicieuse de Garat.

VIII

Désormais il est clair qu’il n’y a plus de sécurité pour personne : ni la nouvelle milice, ni les nouvelles autorités ne suffisent à faire respecter la loi. « On n’osait pas, dit Bailly[54], résister au peuple qui, huit jours auparavant, avait pris la Bastille. » — En vain, après les deux derniers meurtres, Bailly et La Fayette indignés menacent de se retirer ; on les oblige à demeurer ; leur protection, telle quelle, est la seule qui reste, et, si la garde nationale n’empêche pas tous les meurtres, du moins elle en empêche quelques-uns. On vit ainsi, comme on peut, sous l’attente continuelle de nouveaux coups de main populaires. « Pour tout homme impartial, écrit Malouet, la Terreur date du 14 juillet. » — Le 17, avant de partir pour Paris, le roi communie et fait ses dispositions en prévision d’un assassinat. — Du 16 au 18, vingt personnages du premier rang, entre autres la plupart de ceux dont le Palais-Royal a mis la tête à prix, quittent la France, comte d’Artois, maréchal de Broglie, princes de Condé, de Conti, de Lambesc, de Vaudémont, comtesse de Polignac, duchesses de Polignac et de Guiche. — Le lendemain des deux meurtres, M. de Crosne, M. Doumerc, M. Sureau, les membres les plus zélés et les plus précieux du comité des subsistances, tous les préposés aux achats et aux magasins se cachent ou s’enfuient. — La veille des deux meurtres, sur une menace d’insurrection, les notaires de Paris ont dû avancer 45000 francs promis aux ouvriers du faubourg Saint-Antoine, et le trésor public, presque vide, se saigne de 30000 livres par jour pour diminuer le prix du pain. — Personnes et biens, grands et petits, particuliers et fonctionnaires, le gouvernement lui-même, tout est sous la main de la multitude. « Dès ce moment, dit un député[55], il n’y eut plus de liberté, même dans l’Assemblée nationale… La France… se tut devant trente factieux. L’Assemblée devint entre leurs mains un instrument passif qu’ils firent servir à l’exécution de leurs projets. » — Eux non plus ils ne conduisent pas, quoiqu’ils semblent conduire. La brute énorme qui a pris le mors aux dents le garde, et ses ruades deviennent plus fortes. Car non seulement les deux aiguillons qui l’ont effarouchée, je veux dire le besoin d’innovation et la disette quotidienne, continuent à la piquer, mais les frelons politiques, multipliés par milliers, bourdonnent à ses oreilles, et la licence dont elle jouit pour la première fois, jointe aux applaudissements dont on la comble, la précipite chaque jour plus violemment. On glorifie l’insurrection ; pas un assassin n’est recherché ; c’est contre la conspiration des ministres que l’Assemblée institue une enquête. On décerne des récompenses aux vainqueurs de la Bastille ; on déclare qu’ils ont sauvé la France. On célèbre le peuple, son grand sens, sa magnanimité, sa justice. On adore le nouveau souverain ; on lui répète en public officiellement, dans les journaux, à l’Assemblée, qu’il a toutes les vertus, tous les droits, tous les pouvoirs. S’il a versé le sang, c’est par mégarde, sur provocation, et toujours avec un instinct infaillible. D’ailleurs, dit un député, « ce sang était-il si pur » ? — La plupart aiment mieux en croire la théorie de leurs livres que l’expérience de leurs yeux ; ils persévèrent dans l’idylle qu’ils se sont forgée. À tout le moins, leur rêve, exclu du présent, se réfugie dans l’avenir : demain, quand la Constitution sera faite, le peuple, devenu heureux, redeviendra sage ; résignons-nous à l’orage qui conduit à un si beau port.

En attendant, par delà le roi inerte et désarmé, par delà l’Assemblée désobéie ou désobéissante, on aperçoit le monarque véritable, le peuple, c’est-à-dire l’attroupement, cent, mille, dix mille individus rassemblés au hasard, sur une motion, sur une alarme, et tout de suite, irrésistiblement, législateurs, juges et bourreaux. Puissance formidable, destructive et vague, sur laquelle nulle main n’a de prise, et qui, avec sa mère, la Liberté aboyante et monstrueuse, siège au seuil de la Révolution, comme les deux spectres de Milton aux portes de l’Enfer : « L’une semblait une femme jusqu’à la ceinture, et belle — mais finissait ignoblement en replis écailleux — volumineux et vastes, — serpent armé d’un mortel aiguillon. À sa ceinture — une meute de chiens d’enfer aboyaient éternellement — de leurs larges gueules cerbéréennes béantes, et sonnaient une hideuse volée, — et cependant, quand ils voulaient, ils rentraient rampants, — si quelque chose troublait leur bruit, dans son ventre — leur chenil, et de là encore aboyaient et hurlaient — au dedans, invisibles… L’autre forme — si l’on peut appeler forme ce qui n’avait point de forme distincte — dans les membres, les articulations ni la stature, — ou substance ce qui paraissait une ombre, — était debout, noire comme la Nuit, farouche comme dix Furies, — terrible comme l’Enfer, et secouait un dard formidable. — Ce qui semblait sa tête portait l’apparence d’une couronne royale — et, avec d’horribles enjambées, elle avançait. »

  1. Archives nationales, H, 1453. Lettre de M. Miron, Lieutenant de police, 26 avril ; de M. Joly de Fleury, procureur général, 29 mai ; de MM. Marchais et Bertier, 23 mars, 5, 18 et 27 avril, 5 mai. — Arthur Young, 10 et 29 juin. — Archives nationales, H, 1453. Lettre du subdélégué de Montlhéry, 14 avril.
  2. Archives nationales, H, 1453. Lettre du subdélégué Gobert, 17 mars ; de l’officier de maréchaussée, 15 juin. — « Les 12, 13, 14, 15, 16 mars, les habitants de Conflans se sont généralement révoltés contre le lapin. »
  3. Montjoie, 2e partie, ch. xxi, 14 (1re semaine de juin). Montjoie est homme de parti ; mais il date et précise, et son témoignage, quand il est confirmé d’ailleurs, mérite d’être admis.
  4. Montjoie, 1re partie, 92, 101. — Archives nationales, H, 1453. Lettre de l’officier de maréchaussée de Saint-Denis. « Il arrive journellement, tant de la Lorraine que de la Champagne beaucoup d’ouvriers », ce qui va augmenter la disette.
  5. Besenval, Mémoires, I, 353. Cf. L’Ancien régime, t. II, 296, 297. — Marmontel, II, 252 et suivants. — Ferrières, I, 407.
  6. Arthur Young, 1er septembre 1788.
  7. Barère, Mémoires, I, 234.
  8. Voir à la Bibliothèque nationale le catalogue si long de ceux qui ont survécu.
  9. Malouet, I, 255. Bailly, I, 43 (9 et 19 mai). — Comte d’Hézecques, Souvenirs d’un page de Louis XVI, 293. — Besenval, I, 368.
  10. Marmontel, II, 249. — Montjoie, 1re partie, 92. — Besenval, I, 387 : « Ces espions ajoutaient qu’on voyait des gens exciter le tumulte et même distribuer de l’argent. »
  11. Archives nationales, Y, 11 441. Interrogatoire de l’abbé Roy, 5 mai. — Y, 11 033. Interrogatoire (28 avril et 4 mai) des vingt-trois blessés portés à l’Hôtel-Dieu. — Ces deux pièces sont capitales pour donner le vrai caractère de l’émeute ; il faut y ajouter le récit de M. de Besenval, qui commandait alors avec M. du Châtelet. Presque tous les autres récits sont amplifiés ou faussés par l’esprit de parti.
  12. Ferrières, t. III, note A (Exposé justificatif, par Réveillon).
  13. Bailly, I, 25 (le 26 avril.
  14. Hippeau, IV, 377 (Lettre de M. Perrot, 29 avril).
  15. Lettre au roi par un habitant du faubourg Saint-Antoine : « N’en doutez point, sire : c’est à la cherté du pain qu’on doit attribuer nos derniers malheurs. »
  16. Dampmartin, Événements qui se sont passés sous mes yeux, etc., I, 25 : « Nous revînmes sur nos pas, et nous fûmes arrêtés par de petites bandes de mauvais sujets, qui nous proposaient avec insolence de crier : Vive Necker ! vive le Tiers-État ! » Ses deux compagnons étaient chevaliers de Saint-Louis, et leur croix semblait un objet de « haine croissante ». — « Elle excita de grossiers murmures, même de la part de gens qui paraissaient au-dessus des fomentateurs. »
  17. Dampmartin, Événements qui se sont passés sous mes yeux, I, 25 : « Je dînais ce même jour à l’Hôtel d’Ecquevilly, dans la rue Saint-Louis. » — Il sort à pied et assiste à l’émeute. « 1500 à 1600 misérables, excréments de la nation, dégradés par des vices honteux, couverts de lambeaux, regorgeant d’eau-de-vie, offraient le spectacle le plus dégoûtant et le plus révoltant. Plus de cent mille personnes de tout sexe, de tout âge de tout état, gênaient beaucoup les troupes dans leurs opérations. Bientôt le feu commença, le sang ruissela ; deux citoyens honnêtes furent blessés près de moi. »
  18. E. et J. de Goncourt, La société française pendant la Révolution. On y compte 31 maisons de jeu, et une brochure du temps est intitulée Pétition des 2100 filles du Palais-Royal.
  19. Montjoie, 2e partie, 144. — Bailly, II, 130.
  20. Arthur Young, 24 juin 1789. — Montjoie, 2e partie, 69.
  21. Arthur Young, 9, 24, 26 juin. — La France libre, passim, par C. Desmoulins.
  22. C. Desmoulins, lettres à son père, et Arthur Young, 9 juin.
  23. Montjoie, 2e partie, 69, 77, 124, 144. — C. Desmoulins, lettres du 24 juin et des jours suivants.
  24. Étienne Dumont, Souvenirs, 72. — C. Desmoulins. Lettre du 24 juin. — Arthur Young, 25 juin. — Buchez et Roux, II, 28.
  25. Bailly, I, 179 et 227. — Mounier, Recherche sur les causes qui ont empêché les Français de devenir libres, I, 289, 291 ; II, 61. — Malouet, I, 299 ; II, 10. — Actes des Apôtres, V, 43 (Lettre de M. de Guilhermy du 31 juillet 1790). — Marmontel, I, 28 : « Le peuple venait jusque dans l’Assemblée encourager ses partisans, choisir et marquer ses victimes, et rendre effrayante pour les faibles la redoutable épreuve de l’appel nominal. »
  26. Lettres manuscrites de M. Boullé, député, aux officiers municipaux de Pontivy, du 1er mai 1789 au 4 septembre 1790 (communiquées par M. Rosenzweig, archiviste à Vannes), 16 juin 1789 : « La foule qui entoure la salle… était, ces jours-ci, de deux ou trois mille personnes. »
  27. Lettres de M. Boullé, 23 juin. « Quel moment sublime que celui où nous nous lions, avec enthousiasme, à la patrie par un nouveau serment !… Pourquoi faut-il qu’un de nos membres ait choisi cet instant pour se déshonorer ? Son nom est maintenant flétri dans toute la France, et le malheureux à des enfants ! Couvert à l’instant de tout le mépris public, il sort et tombe en faiblesse à la porte en s’écriant : « Ah ! j’en mourrai ! » Je ne sais ce qu’il est devenu depuis. Ce qu’il y a d’étrange, c’est qu’il ne s’était pas mal montré jusqu’alors et qu’il avait voté pour la Constitution. »
  28. Ferrières, I, 168. — Malouet, I, 298 (selon lui, la faction ne comptait pas alors plus de dix membres). — Idem, II, 10. — Dumont, 250.
  29. Déclaration du 23 juin, article 15.
  30. Montjoie, 2e partie, 118. — C. Desmoulins, lettres du 24 juin et jours suivants. — Récit fidèle par M. de Sainte-Fère, ancien officier aux gardes françaises, 9. — Besenval, III, 413. — Buchez et Roux, II, 35. — Souvenirs inédits du chancelier Pasquier.
  31. Peuchet (Encyclopédie méthodique, 1789. citée par Parent-Duchâtelet : « Presque tous les soldats aux gardes appartiennent à cette classe (les souteneurs de filles), et beaucoup même ne s’engagent dans ce corps que pour vivre aux dépens de ces malheureuses filles. »
  32. Gouverneur Morris, Correspondance avec Washington, 19 juillet : « La liberté est maintenant le cri général ; l’autorité est un nom et n’a plus de réalité. »
  33. Bailly, I, 302. « Le roi était de très bonne foi ; il ne comptait prendre de mesures que pour l’ordre et la paix publique… La force de la vérité obligea le Châtelet à acquitter M. de Besenval d’attentat contre le peuple et la patrie. » — Cf. Marmontel, IV, 183 ; Mounier, II, 40.
  34. C. Desmoulins, lettre du 16 juillet. — Buchez et Roux, II, 83.
  35. Procès du prince de Lambesc (Paris, 1790), avec les quatre-vingt-trois dépositions et la discussion des témoignages. — C’est la foule qui a commencé l’attaque ; les troupes ont tiré en l’air : un seul homme, le sieur Chauvel, a été blessé, et légèrement, par le prince de Lambesc. (Déposition de M. de Carboire, 84, et du capitaine de Reinach, 101.) « M. Le prince de Lambesc, monté sur un cheval gris, selle grise sans fontes ni pistolet, était à peine entré dans le jardin, qu’une douzaine de personnes sautèrent aux crins et à la bride de son cheval et tirent tous leurs efforts pour le démonter ; un petit homme, vêtu de gris, lui tira même de très près un coup de pistolet… Le prince fit tous ses efforts pour se dégager, et y parvint en faisant caracoler son cheval et en espadonnant avec son sabre, sans néanmoins, dans ce moment, avoir blessé personne. Lui déposant vit le prince donner un coup de plat de sabre sur la tête d’un homme qui s’efforçait de fermer le Pont Tournant, et qui par ce moyen, aurait fermé la retraite à sa troupe. La troupe ne fit que chercher à écarter la foule qui se jetait sur elle, tandis que du haut des terrasses, on l’assaillait à coups de pierres et même d’armes à feu. » — L’homme qui s’efforçait de fermer le pont avait saisi d’une main la bride du cheval du prince ; la blessure qu’il a reçue est une égratignure longue de vingt-trois lignes, qui a été pansée et guérie au moyen d’une compresse d’eau-de-vie. Tous les détails de l’affaire prouvent que la patience, l’humanité des officiers, ont été extrêmes. Néanmoins, « le lendemain 13, un particulier affichait à la pointe du carrefour Bussy un placard manuscrit, portant invitation aux citoyens de se saisir du prince de Lambesc et de l’écarteler sur-le-champ ». (Déposition de M. Cosson, 114.)
  36. Bailly, 1, 356. — Marmontel, IV, 310.
  37. Montjoie, 3e partie, 86. « Je causai avec ceux qui gardaient le château des Tuileries ; ils n’étaient pas de Paris… Une « physionomie effrayante, un habillement hideux. » (Montjoie, suspect en beaucoup d’endroits, mérite d’être consulté pour les petits faits dont il a été témoin oculaire.) — Morellet, Mémoires, I, 374. — Dusaulx, L’œuvre des sept jours, 352. — Revue historique, mars 1876. Interrogatoire de Desnot. Emploi de sa journée, le 13 juillet (publié par Guiffrey).
  38. Mathieu Dumas, Mémoires, I, 531. « Les habitants paisibles fuyaient, à la vue de ces groupes de vagabonds étrangers et frénétiques. Toutes les maisons se fermaient… Lorsque j’arrivai chez moi, dans le quartier Saint-Denis, plusieurs de ces brigands y répandaient l’épouvante, en tirant des coups de fusil en l’air. »
  39. Dusaulx, 579.
  40. Dusaulx, 288, 336, 359, 360, 361. « Au fond leurs prières ressemblaient à des ordres, et plus d’une fois il n’a pas été possible de leur résister. »
  41. Dusaulx, 447 (Déposition des invalides). — Revue rétrospective, IV, 282 (Récit du commandant des trente-deux Suisses).
  42. Marmontel, IV, 317.
  43. Dusaulx, 454. « Les soldats répondirent qu’ils se résigneraient à tout plutôt que de faire périr un si grand nombre de concitoyens. »
  44. Dusaulx, 447. Le nombre des combattants estropiés, blessés, morts et survivants est de huit cent vingt-cinq. — Marmontel, IV, 320. « Au nombre des vainqueurs, qu’on a porté à huit cents, ont été mis des gens qui n’avaient pas approché de la place. »
  45. Souvenirs inédits du chancelier Pasquier, témoin oculaire. Il était appuyé sur la barrière qui fermait le jardin de Beaumarchais, et il regardait, ayant à ses côtés Mlle Contat, l’actrice qui avait laissé sa voiture place Royale. — Marat, l’Ami du peuple, n° 530. « Lorsqu’un concours inouï de circonstances eut fait tomber les murs mal défendus de la Bastille sous les efforts d’une poignée de soldats et d’une troupe d’infortunés, la plupart Allemands et presque tous provinciaux, les Parisiens se présentèrent devant la forteresse : la curiosité seule les y amena. »
  46. Récit du commandant des trente-deux Suisses. — Récit de Cholat, marchand de vin, l’un des vainqueurs. — Interrogatoire de Desnot (qui coupa la tête de M. de Launey).
  47. Montjoie, 3e partie, 85. — Dusaulx, 287, 355, 368.
  48. Rien de plus. Nul témoin n’affirme avoir vu son prétendu billet à M. de Launey. D’après Dusaulx, il n’aurait eu ni le temps ni le moyen de l’écrire.
  49. Bailly, II, 32, 74, 88, 90, 95, 108, 117, 137, 158, 174. « Je donnais des ordres qui n’étaient ni suivis, ni entendus… On me faisait entendre que je n’étais pas en sûreté. » (15 juillet.) — « Dans ces temps malheureux, il ne fallait qu’un ennemi et une calomnie pour soulever la multitude. Tout ce qui avait eu pouvoir jadis, tout ce qui avait gêné et contenu les émeutiers, était sûr d’être poursuivi. »
  50. M. de la Fayette, Mémoires, I, 264, lettre du 16 juillet 1789. « J’ai déjà sauvé la vie à six personnes qu’on pendait dans les différents quartiers. »
  51. Poujoulat, Histoire de la Révolution française, 100 (avec les documents à l’appui). — Procès-verbaux de l’assemblée provinciale de l’Île-de-France (1787), 127.
  52. Par exemple : « Il est sévère avec ses vassaux. » — Il ne « leur donne pas de pain, il veut donc qu’ils mangent de l’herbe ? » — « Il veut qu’ils mangent de l’herbe comme ses chevaux. » — « Il a dit qu’ils pouvaient bien manger du foin et qu’ils ne valaient pas mieux que ses chevaux. » — On retrouve la même légende dans d’autres jacqueries contemporaines.
  53. Bailly, II, 108. « Le peuple, moins éclairé et aussi impérieux que les despotes, ne connaît de preuves certaines de la bonne administration que le succès. »
  54. Bailly, II, 95, 108. — Malouet, II, 14.
  55. Ferrières, I, 168.