Les Origines de la France contemporaine/Volume 8/Livre III/Chapitre 3-2

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V

En conséquence, des essaims de sauterelles jacobines s’élancent incessamment de Paris sur la province, et de chacun des chefs-lieux locaux sur la campagne environnante. — Dans cette nuée d’insectes destructeurs, il en est de diverses figures et de plusieurs tailles : au premier rang, les représentants en mission qui vont commander dans les départements ; au second rang, « les agents politiques », qui, placés en observation dans le voisinage de la frontière[1], se chargent par surcroît, dans la ville où ils résident, de conduire la Société populaire et de faire marcher les administrations. Outre cela, du club qui siège à Paris, rue Saint-Honoré, partent des sans-culottes de choix, qui, autorisés ou délégués par le Comité de Salut public, viennent à Lyon, à Marseille, à Bordeaux, à Troyes, à Rochefort, à Tonnerre et ailleurs, faire office de missionnaires parmi les indigènes trop mous, ou composer les comités d’action et les tribunaux d’extermination qu’on a peine à recruter sur place[2]. — Parfois aussi, quand une ville est mal notée, la Société populaire d’une cité mieux pensante lui envoie ses délégués pour la mettre au pas : par exemple, quatre députés du club de Metz arrivent, sans crier gare, à Belfort, catéchisent leurs pareils, s’adjoignent le comité révolutionnaire du lieu, et tout d’un coup, sans consulter la municipalité ni aucune autre autorité légale, dressent, séance tenante, une liste « de modérés, de fanatiques et d’égoïstes », auxquels ils imposent une taxe extraordinaire de 136 617 livres. Pareillement, soixante délégués des clubs de la Côte-d’Or, de la Haute-Marne, des Vosges, de la Moselle, de Saône-et-Loire et du Mont-Terrible, tous « trempés au fer chaud du père Duchesne », viennent, sur l’appel des représentants en mission et sous le nom de « propagandistes », « régénérer la ville de Strasbourg[3] ». — En même temps, dans chaque département, on voit les Jacobins du chef-lieu se répandre sur les routes pour inspecter leur domaine et régenter leurs sujets. Tantôt c’est le représentant en mission qui de sa personne, avec vingt ou trente « b…… à poil », fait sa tournée et promène, de district en district, sa dictature ambulante. Tantôt c’est son secrétaire ou délégué qui, à sa place et en son nom, vient instrumenter dans une ville secondaire[4]. Tantôt c’est « une commission d’enquête et de propagande » qui, choisie par le club, et « munie de pleins pouvoirs », vient, au nom des représentants, travailler, pendant un mois, toutes les communes du district[5]. Tantôt, enfin, c’est le comité révolutionnaire du chef-lieu qui, « déclaré central pour tout le département », délègue tels ou tels de ses membres pour aller, hors des murs, purger ou recomposer des municipalités suspectes[6]. — Ainsi descend et s’épand le Jacobinisme, d’étage en étage, depuis le centre parisien jusqu’aux moindres et plus lointaines communes : sur toute la province incolore ou de couleur incertaine, l’administration importée ou imposée met sa tache rouge.

Mais ce n’est qu’une tache, à la superficie ; car les sans-culottes ne veulent confier les places qu’aux hommes de leur espèce, et en province, surtout dans les campagnes, ces hommes sont rares. Selon le mot d’un représentant, il y a « disette de sujets ». — À Mâcon, Javogues a beau faire[7], il ne trouve au club que « des fédéralistes déguisés » ; « le peuple, dit-il, ne veut pas ouvrir les yeux : je crois que cet aveuglement tient au physique du pays, qui est fort riche ». Naturellement, il tempête et destitue ; mais, jusque dans le comité révolutionnaire, on ne présente à son choix que des candidats douteux ; il ne sait comment s’y prendre pour renouveler les autorités locales. « C’est un compérage et un commérage, une boîte à l’encre », et il finit par menacer de transférer ailleurs les établissements publics de la ville, si l’on persiste à ne lui proposer que de mauvais patriotes. — À Strasbourg[8], Couturier et Dentzel, en mission, constatent que, « par une coalition sans exemple, il est convenu, entre tous les citoyens de capacité, de refuser obstinément la place de maire, pour, à ce moyen, mettre un bâton dans les roues, et faire éprouver aux représentants des refus multipliés et indécents : » ce qui les oblige à nommer un jeune homme qui n’a pas l’âge légal et qui est étranger au département. — À Marseille, écrivent les agents[9], « malgré nos efforts et le désir ardent que nous avons tous de républicaniser le peuple marseillais, nos soins et nos fatigues sont à peu près infructueux… L’esprit public est toujours détestable parmi les propriétaires, les artisans, les journaliers… Le nombre des mécontents semble s’accroître de jour en jour. Toutes les communes du Var et la plupart de celles de ce département sont contre nous… C’est une race à détruire, c’est un pays à coloniser de nouveau… Je le répète, le seul moyen d’opérer la révolution dans les départements fédéralisés, et surtout dans celui-ci, c’est d’en éloigner tous les naturels en état de porter les armes, de les disséminer dans les armées et de les remplacer par des garnisons, qu’il faudra encore avoir soin de changer souvent. » — À l’autre extrémité du territoire, en Alsace, « les sentiments républicains sont encore dans le berceau[10] ; le fanatisme est extrême et incroyable ; l’esprit des habitants, en général, n’est aucunement révolutionnaire… Ce n’est que l’armée révolutionnaire et la sainte guillotine qui les guériront de leur aristocratie puante ; ce n’est qu’en faisant tomber les têtes coupables que les lois seront exécutées, car presque toutes les municipalités des campagnes ne sont composées que de riches, de clercs, de ci-devant baillifs, presque toujours attachés à l’ancien régime. » — Et, dans le reste de la France, la population, moins récalcitrante, n’est pas plus jacobine ; là où le peuple se montre « humble et soumis », comme à Lyon et à Bordeaux, les observateurs déclarent que c’est par terreur pure[11] ; là où l’opinion semble exaltée, comme à Rochefort et à Grenoble, ils disent que « c’est un feu factice[12] ». À Rochefort, le zèle n’est entretenu « que par la présence de cinq ou six Jacobins de Paris ». À Grenoble, l’agent politique Chépy, président du club, écrit « qu’il est sur les dents, qu’il s’épuise et se consume pour entretenir l’esprit public et le fixer à la hauteur des circonstances, mais qu’il a conscience que, s’il quittait un seul jour, tout s’écroulerait ». — Rien que des modérés à Brest, à Lille, à Dunkerque ; si tel département, par exemple celui du Nord, s’est empressé d’accepter la constitution montagnarde, il n’y a là qu’un faux semblant : « une infiniment petite partie des habitants a répondu pour le tout[13] ». — À Belfort, « où l’on « compte 1000 à 1200 pères de famille », seule, écrit l’agent[14], « une Société populaire, composée de 30 ou de 40 membres au plus, maintient et commande l’amour de la liberté ». — Dans Arras, « sur trois ou quatre cents membres qui composaient la Société populaire », l’épuration de 1794 n’en épargne que « 63, dont une dizaine d’absents[15] ». — À Toulouse, « sur 1400 membres environ » qui formaient le club, il n’en reste, après l’épuration de 1793, que trois ou quatre cents, simples machines pour la plupart, et que « dix à douze intrigants conduisent à leur volonté[16] ». — De même ailleurs : une ou deux douzaines de Jacobins de bonne trempe, 22 à Troyes, 21 à Grenoble, 10 à Bordeaux, 7 à Poitiers, autant à Dijon[17], voilà le personnel actif d’une grande ville ; il tiendrait autour d’une table. — Avec tant d’efforts pour s’étendre, les Jacobins ne parviennent qu’à disséminer leur bande ; avec tant de soin pour se choisir, ils ne parviennent qu’à restreindre leur nombre. Ils restent ce qu’ils ont toujours été, une petite féodalité de brigands superposée à la France conquise[18]. Si la terreur qu’ils répandent multiplie leurs serfs, l’horreur qu’ils inspirent diminue leurs prosélytes, et leur minorité demeure infime, parce que pour collaborateurs ils ne peuvent avoir que leurs pareils.

VI

Aussi bien, quand on regarde de près le personnel définitif et final de l’administration révolutionnaire, on n’y trouve guère, en province comme à Paris, que les notables de l’improbité, de l’inconduite et du vice, ou tout au moins de l’ignorance, de la bêtise et de la grossièreté. — D’abord, ainsi que leur nom l’indique, ils doivent être tous et ils sont presque tous « des sans-culottes », c’est-à-dire des hommes sans revenu ni capital, entretenus au jour le jour par leur travail quotidien, confinés dans les professions subalternes, dans les petits négoces, dans les métiers manuels, bref logés ou campés sur les dernières marches de l’escalier social, et, partant, ayant besoin d’une solde pour être en état de vaquer aux affaires publiques[19] ; c’est pour cela que les décrets et arrêtés leur allouent une paye de 3, 5, 6, 10 et jusqu’à 18 francs par jour. — À Grenoble, les représentants composent la municipalité et le comité révolutionnaire avec deux officiers de santé, trois gantiers, deux cultivateurs, un marchand de tabac, un parfumeur, un épicier, un ceinturonnier, un chamoiseur, un ferblantier, un aubergiste, un menuisier, un cordonnier, un maçon, et l’arrêté officiel qui les installe nomme pour agent national « Teyssière, licoriste[20] ». — À Troyes[21], parmi les hommes qui ont en main l’autorité, on remarque un confiseur, un tisserand, un compagnon tisserand, un chapelier, un bonnetier, un menuisier, un épicier, un maître de danse, un sergent de ville, et le maire Gachez, jadis simple soldat dans le régiment de Vexin, était, quand on l’a nommé, maître d’école dans la banlieue. — À Toulouse[22], on a choisi, comme président de l’administration, Terrain, marchand de petits pâtés ; le comité révolutionnaire est présidé par Péjo, garçon perruquier ; et « l’inspirateur, l’âme du club » est un concierge, le concierge de la maison d’arrêt. — Dernier trait, plus significatif encore : à Rochefort[23], la Société populaire a pour président le bourreau. — Si tel est le personnel de choix dans les grandes villes, quel peut-il être dans les petites, dans les bourgs, dans les villages ? « C’étaient partout les plus chétifs[24] », voituriers, sabotiers, couvreurs, tailleurs de pierre, marchands de peaux de lapin, simples journaliers et manœuvres, ouvriers instables, plusieurs sans état ni aveu, ayant jadis marqué dans les émeutes ou les jacqueries, habitués du cabaret, déshabitués du travail, désignés pour la carrière publique par leur irrégularité et leur insuffisance dans les carrières privées. — Même dans les grandes villes, il est manifeste que le pouvoir discrétionnaire est tombé aux mains de barbares presque bruts : il faut voir, dans les vieux papiers des Archives, l’orthographe et le style des comités souverains, chargés d’accorder ou refuser les cartes civiques et de faire rapport sur les opinions et qualités des détenus. « Ces opignons[25] paroisse insipide… Il est marié cent (sans) enfants… Sa profession est fame de Paillot-Montabert, son revenu est de vivre de ses revenu, ces relation sont d’une fame nous ny portons point d’atantion, ces opignons nous les présumons semblable à ceux de son mary. » — Par malheur, je ne puis pas figurer ici l’écriture, c’est celle d’un enfant de cinq ans[26].

« Aussi ineptes qu’immoraux[27] », tel est le jugement du conventionnel Albert sur les Jacobins qu’il trouve à Troyes dans les places. Effectivement, si basse que soit leur condition, leur esprit et leur cœur sont plus bas encore, parce que, dans leur profession ou métier, au lieu d’être l’élite, ils sont le rebut, et c’est surtout pour cela qu’après Thermidor on les balaye, plusieurs, il est vrai, comme terroristes, mais le plus grand nombre comme imbéciles, ou scandaleux, ou détraqués, simples intrus ou simples valets. — À Reims[28], le président du district est un « ancien huissier, compagnon des espions du régime robespierriste, agissant de concert avec eux sans être leur complice, n’ayant aucune des qualités requises pour l’administration » ; un de ses collègues est aussi « un ancien huissier, sans moyens, de la plus grande négligence, et ivrogne de profession ». À côté d’eux siègent « un marchand de chevaux, sans moyens, plus propre au maquignonnage qu’à l’administration, ivrogne d’ailleurs ; un teinturier, sans aucun jugement, capable de recevoir toutes les impulsions, mis en avant par la faction jacobine, et ayant exercé, plutôt peut-être par ignorance que par cruauté, des actes du plus grand arbitraire ; un cordonnier, sans lumières, ne sachant que signer son nom, » et d’autres semblables. Au tribunal, on note un juge, « honnête dans le principe, mais que la misère et le défaut de fortune ont plongé dans tous les excès, changeant de caractère avec les circonstances pour avoir une place, associé aux meneurs pour la garder, cependant ayant l’âme sensible et n’ayant peut-être commis tous ses crimes que pour se conserver une existence ainsi qu’à sa famille ». Dans la municipalité, la majorité se compose d’incapables, les uns ouvriers fileurs ou retordeurs, les autres revendeurs ou petits boutiquiers, « ineptes », « sans moyens » ; parmi eux, quelques cerveaux dérangés : celui-ci, « tête désorganisée, absolument nul, anarchiste et Jacobin » ; celui-là, « homme très dangereux par défaut de jugement, Jacobin exalté » ; un troisième, « agent de la tyrannie, homme de sang, capable de tous les vices, ayant pris le nom de Mutius Scévola, d’une immoralité reconnue, et ne sachant pas écrire ». — Pareillement dans les districts de l’Aube[29] on trouve bien quelques têtes enfiévrées par l’épidémie régnante, par exemple, à Nogent, l’agent national Delaporte, « qui n’a jamais à la bouche que les mots guillotine et tribunal révolutionnaire, qui déclare que, s’il était du gouvernement, tous les médecins, chirurgiens et hommes de loi seraient incarcérés, qui se réjouit de trouver des coupables, et dit qu’il ne sera pas content tant qu’il ne recevra point par jour trois livres pesant de dénonciations ». Mais, à côté de ces affolés, la plupart des administrateurs et juges ne sont que des gens impropres à leur emploi, parce qu’ils sont « ineptes », trop peu instruits, « sans valeur », « trop peu au fait de la partie judiciaire », « sans connaissances », « trop occupés des affaires de leur état », « ne sachant ni lire ni écrire », ou des gens indignes de leur place, parce qu’ils sont « sans délicatesse », « agitateurs », « violents », « fourbes », « n’ayant pas la confiance publique », plus ou moins improbes et méprisés. — Tel, arrivant de Paris[30], fut d’abord à Troyes garçon boulanger, ensuite maître de danse ; puis il a figuré au club, il s’est poussé, sans doute par sa faconde parisienne, jusqu’aux premiers postes, et il est devenu très vite membre du district. Nommé officier dans le 6e bataillon de l’Aube, il s’est si bien conduit en Vendée, qu’au retour « ses frères d’armes » ont brisé le fanion qu’on lui présentait, « le déclarant indigne d’un tel honneur, parce qu’il avait eu la lâcheté de fuir devant l’ennemi ». Néanmoins, après un court plongeon, il est remonté sur l’eau, grâce à ses compères du club, il a été rétabli dans ses fonctions d’administrateur, et, pendant toute la Terreur, il a été l’intime des terroristes, l’un des grands personnages de Troyes. — De la même farine que ce garçon boulanger est l’ex-maître d’école Gachez, ancien soldat, qui maintenant se trouve maire de la ville. Lui aussi, il fut un héros de la Vendée ; seulement il n’a pu s’y distinguer autant qu’il l’aurait voulu ; car, après s’être enrôlé, il n’est point parti : ayant empoché la prime de 300 livres, il s’est fait réformer, il ne sert plus la nation que dans les emplois civils. « De l’aveu de ses propres partisans, c’est un ivrogne et il a commis un faux[31] ; » après Thermidor il sera condamné pour d’autres faux à huit ans de reclusion et mis au pilori. « Presque toute la commune est contre lui » ; il est honni dans la rue par les femmes, et les huit sections s’assemblent pour demander qu’il s’en aille. — Mais le représentant Bô déclare qu’il a tous les titres pour rester, étant Jacobin pur, terroriste accompli, et « le seul maire sans-culotte dont puisse se glorifier la commune de Troyes ». Ce serait faire trop d’honneur à de telles gens que de leur supposer des convictions et des principes ; ils n’ont que des haines[32], surtout des appétits[33], et, pour les assouvir, ils profitent de leur place. — À Troyes, « toutes les denrées et comestibles sont en réquisition, pour alimenter la table des vingt-quatre » sans-culottes que Bô a chargés d’épurer la Société populaire[34]. Avant la formation de « ce noyau régénérateur », le comité révolutionnaire, présidé par le commissaire civil Rousselin, faisait « ses bombances » à l’auberge du Petit-Louvre, et « passait les nuits à godailler » en dressant ses listes de suspects[35]. — Dans la province voisine, à Dijon, Beaune, Semur, Aignay, c’est encore à l’auberge ou au cabaret que s’assemblent les chefs de la municipalité et du club. On voit à Dijon « les dix ou douze hercules du patriotisme[36] traverser la ville, chacun avec un calice sous le bras » : c’est leur verre à boire ; chacun est tenu d’apporter le sien à l’auberge de la Montagne ; là ils festinent fréquemment, copieusement, et, entre deux vins, « mettent les gens hors la loi ». À Aignay-le-Duc, petite ville où il n’y a qu’une demi-douzaine de patriotes, dont « la majorité sait à peine écrire, la plupart, pauvres, chargés de famille, vivent sans rien faire, et ne sortent pas des cabarets où ils font, jour et nuit, débauche » ; leur chef, ex-procureur fiscal, maintenant « concierge, archiviste, trésorier, secrétaire et président de la Société populaire », tient le conseil municipal au cabaret ; « quand ils en sortent, ils donnent la chasse aux aristocrates femelles, » et l’un d’eux déclare que, « si l’on tuait la moitié d’Aignay, l’autre n’en vaudrait que mieux ». — Rien de tel que l’ivrognerie pour surexciter la férocité. À Strasbourg, les soixante propagandistes à moustaches, logés dans le collège où ils se sont installés à demeure, ont un cuisinier fourni par la ville, et font ripaille, nuit et jour, « avec les comestibles de choix qu’ils mettent en réquisition », « avec les vins fins destinés aux défenseurs de la patrie[37] ». C’est sans doute au sortir d’une de ces orgies qu’ils viennent, sabre en main, à la Société populaire[38], voter et faire voter de force « la mort de tous les détenus enfermés au séminaire, au nombre de plus de sept cents, de tout âge et de tout sexe, sans qu’au préalable ils soient jugés ». Quand un homme veut être bon égorgeur, il doit s’enivrer au préalable[39] ; ainsi faisaient à Paris les travailleurs de septembre ; le gouvernement révolutionnaire étant une septembrisade organisée, prolongée et permanente, la plupart de ses agents sont obligés de boire beaucoup[40].

Par la même raison, ayant l’occasion et la tentation de voler, ils volent. — D’abord, pendant six mois, et jusqu’au décret qui leur assigne une solde, les comités révolutionnaires « se payent de leurs propres mains[41] » ; ensuite, à leur salaire légal de 3 francs, 5 francs par jour et par membre, ils ajoutent à peu près ce que bon leur semble, car ce sont eux qui perçoivent les taxes extraordinaires, et souvent, comme à Montbrison, « sans rôles ni registres des recouvrements ». Le 16 frimaire an II, le comité des finances annonçait que « le recouvrement et l’emploi des taxes extraordinaires étaient inconnus au gouvernement, qu’il était impossible de les surveiller, que la Trésorerie nationale n’avait reçu aucune somme provenant de ces taxes[42] ». Deux ans après, quatre ans après[43], la comptabilité des taxes révolutionnaires, des emprunts forcés et des dons prétendus volontaires est encore un trou sans fond : sur quarante milliards de pièces remises à la Trésorerie nationale, on n’en trouve que vingt milliards d’acquits vérifiés ; le reste est irrégulier, sans valeur. Et, en beaucoup de cas, non seulement l’acquit est sans valeur ou manque, mais encore il est prouvé qu’en totalité ou en partie les sommes touchées ont disparu. À Villefranche, sur 138 000 fr. perçus, le trésorier du district n’en a encaissé que 42 000 ; à Beaugency, sur plus de 500 000, 50 000 ; à la Réole, sur 500 000 au moins, 22 650. « Le reste, écrit le receveur de Villefranche, a été dilapidé par le comité de surveillance. » « Les percepteurs de la taxe, dit l’agent national d’Orléans, après avoir terrifié, se livraient à des orgies scandaleuses, et bâtissent aujourd’hui des palais[44]. » — Quant aux dépenses dont ils justifient, presque toujours elles ont pour objet « des indemnités aux membres des comités révolutionnaires, des indemnités aux patriotes », des frais de réparation et d’entretien pour les salles de leurs Sociétés populaires, des frais d’expéditions militaires, des secours à leur clientèle d’indigents, en sorte que les trois ou quatre cents millions d’or et d’argent extorqués avant la fin de 1793, les centaines de millions en assignats extorqués en 1793 et en 1794, bref le produit presque entier[45] de toutes les taxes extraordinaires a été mangé sur place par les sans-culottes. Attablés au festin public, ils se sont servis les premiers et se sont copieusement servis.

Seconde aubaine, aussi grasse. Ayant le droit de disposer arbitrairement des fortunes, des libertés et des vies, ils peuvent en trafiquer, et, pour les vendeurs comme pour les acheteurs, rien de plus avantageux qu’un pareil trafic ; ce serait merveille s’il ne s’établissait pas. Tout homme riche ou aisé, c’est-à-dire tout homme ayant des chances pour être imposé, emprisonné et guillotiné, consent de bon cœur à « composer[46] », à se racheter, lui et les siens. S’il est prudent, il paye, avant la taxe, pour n’être point taxé trop haut ; il paye, après la taxe, pour obtenir une diminution ou des délais ; il paye pour être admis ou maintenu dans la Société populaire. Quand le danger se rapproche, il paye pour obtenir ou faire renouveler son certificat de civisme, pour ne pas être déclaré suspect, pour ne pas être dénoncé comme conspirateur. Quand il a été dénoncé, il paye pour être détenu chez lui plutôt que dans la maison d’arrêt, pour être détenu dans la maison d’arrêt plutôt que dans la prison commune, pour ne pas être traité trop durement dans la prison commune, pour avoir le temps de rassembler ses pièces justificatives, pour faire mettre et maintenir son dossier au-dessous de tous les autres dans les cartons du greffe, pour ne pas être inscrit dans la prochaine fournée du tribunal révolutionnaire. Il n’y a pas une de ces faveurs qui ne soit précieuse : partant, des rançons innombrables sont incessamment offertes, et les fripons, qui pullulent dans les comités révolutionnaires[47], n’ont qu’à ouvrir leurs mains pour remplir leurs poches. Et le péril auquel ils s’exposent est petit, car ils ne sont contrôlés que par leurs pareils, ou ne sont pas contrôlés du tout. Dans telle grande ville[48], il leur suffit d’être deux pour décerner un mandat d’arrêt, sauf à en référer au comité central dans les vingt-quatre heures, et l’on peut être certain que leurs collègues se montreront complaisants, à charge de retour. D’ailleurs les habiles savent se garantir d’avance. — Par exemple, à Bordeaux, où l’un de ces marchés clandestins s’est établi, M. Jean Davilliers[49], associé d’une grande maison de commerce, était en arrestation chez lui, sous la garde de quatre sans-culottes, lorsque, le 8 brumaire an II, quelqu’un le prend à part et l’avertit « qu’il est en danger, s’il ne va pas au-devant des besoins indispensables que l’on a pour les dépenses secrètes de la Révolution. » Un haut personnage, Lemoal, membre du comité révolutionnaire et administrateur du district, a parlé de ces besoins, et jugé que M. Davilliers devait contribuer à ces dépenses pour une somme de 150 000 livres. À ce moment, on frappe à la porte : Lemoal entre, toutes les personnes présentes s’esquivent, et Lemoal prononce ces seuls mots : « Consens-tu ? — Mais je ne puis disposer des biens de mes associés. — Alors tu iras en prison. » — Sous cette menace, le pauvre homme souscrit et remet à Lemoal un billet de 150 000 livres, à vingt jours, payable au porteur, et, au bout de deux semaines, à force de réclamations, obtient la liberté d’aller et de venir. Cependant Lemoal a réfléchi et juge prudent de couvrir son extorsion privée par une exaction publique ; il dit donc à M. Davilliers : « Il est essentiel que maintenant vous donniez, d’une manière ostensible, 150 000 autres livres pour les besoins de la République ; je vous accompagnerai chez les représentants à qui vous devez les offrir. » De cette façon, la poule étant plumée officiellement, personne ne supposera qu’elle a d’abord été plumée secrètement, et d’ailleurs les curieux, s’il y en a, seront dépistés par la confusion des deux chiffres égaux. — M. Davilliers demande à consulter ses associés, et ceux-ci, qui ne sont point en prison, refusent. De son côté, Lemoal veut toucher le montant de sa créance, et le malheureux Davilliers, « frappé de terreur par les arrestations nocturnes », voyant que Lemoal est toujours au pinacle, finit par s’exécuter : il verse d’abord 30 000 livres, puis des acomptes, en tout 41 000 livres ; enfin, à bout de ressources, il prie, supplie pour rentrer en possession de son billet. — Alors Lemoal, jugeant que la poule est tout à fait plumée, s’adoucit, coupe, sous les yeux de son débiteur, « la signature entière du billet », partant ses propres reçus partiels qui sont au-dessous ; mais il garde soigneusement le corps de la pièce, car, ainsi mutilée, elle prouverait au besoin qu’il n’a rien touché, que sans doute, par patriotisme, il a voulu faire contribuer un négociant, mais que, le trouvant insolvable, il a, par humanité, annulé la promesse souscrite. Voilà comme on prend ses précautions, tout en faisant bien ses affaires. — D’autres, moins avisés, volent ouvertement, entre autres le maire, les sept membres de la commission militaire, surnommés « les sept péchés capitaux », et surtout leur président Lacombe, qui, par des promesses d’élargissement, arrache à huit ou neuf accusés 358 000 livres[50]. « Par ces manigances, écrit un Jacobin rigoriste[51], beaucoup de gens hors la loi sont rentrés à Bordeaux en payant ; dans le nombre de ceux qui ont ainsi racheté leur vie, il en est qui ne méritaient pas de la perdre, et qui cependant ont été menacés du supplice s’ils ne consentaient pas à tout. Mais il est difficile d’obtenir des preuves matérielles ; ces hommes aujourd’hui gardent le silence, craignant, par des dénonciations franches, de s’associer à la peine de ces marchands de justice et ne voulant pas exposer (de nouveau) la vie qu’ils ont sauvée. » Bref, la poule plumée se tait, pour ne pas attirer sur elle l’attention et le couteau ; d’autant plus que ceux qui la plument tiennent en main le couteau, et pourraient bien, si elle criait, l’expédier au plus vite. Même quand elle n’a pas crié, ils l’expédient quelquefois, pour étouffer d’avance ses cris possibles. Cela est arrivé au duc du Châtelet et à d’autres. Il n’y a qu’un moyen sûr de se préserver[52] : c’est de solder ses patrons « par aliquotes graduelles, de les payer comme des nourrices, par mois, sur une échelle proportionnée à l’activité de la guillotine ». — En tout cas, les forbans sont à l’aise, car ce commerce des vies et des libertés ne laisse point de traces, et se poursuit impunément pendant deux années, d’un bout de la France à l’autre, dans le silence concerté des vendeurs et des acheteurs.

Troisième aubaine, non moins large, mais plus étalée au soleil, et partant plus alléchante encore. — Une fois le suspect incarcéré, tout ce qu’il apporte en prison avec lui, tout ce qu’il laisse au logis derrière lui, devient une proie ; car, avec l’insuffisance, la précipitation et l’irrégularité des écritures[53], avec le manque de surveillance et les connivences que l’on sait, les vautours grands ou petits peuvent librement jouer du bec et des serres. — À Toulouse, à Paris et ailleurs, des commissaires viennent enlever aux prisonniers tout objet de prix ; par suite, en nombre de cas, l’or, l’argent, les assignats et les bijoux, confisqués pour le Trésor, s’arrêtent au passage dans les mains qui les ont saisis[54]. — À Poitiers, les sept coquins qui composent l’oligarchie régnante, reconnaîtront eux-mêmes, après Thermidor, qu’ils ont volé les effets des détenus[55]. — À Orange, « la citoyenne Viot, épouse de l’accusateur public, les citoyennes Fernex et Ragot, épouses des deux juges », viennent elles-mêmes au greffe faire leur choix dans la dépouille des accusés, et prendre pour leur garde-robe les boucles d’argent, le linge fin et les dentelles[56]. — Mais ce que les accusés détenus ou fugitifs peuvent avoir emporté avec eux est peu de chose en comparaison de ce qu’ils laissent à domicile, c’est-à-dire sous le séquestre. Tous les bâtiments ecclésiastiques et seigneuriaux, châteaux et hôtels de France y sont, avec leur mobilier, et aussi la plupart des belles maisons bourgeoises, quantité d’autres logis moindres, mais bien meublés et abondamment garnis par l’épargne provinciale ; outre cela, presque tous les entrepôts et magasins des grands industriels et des gros commerçants : cela fait un butin colossal et tel qu’on n’en a jamais vu, tous les objets agréables à posséder amoncelés en tas, et ces tas disséminés par centaines de mille sur les vingt-six mille lieues carrées du territoire. Point de propriétaire, sauf la nation, personnage indéterminé, qu’on ne voit pas ; entre le butin sans maître et ses conquérants il n’y a d’autre barrière que les scellés, c’est-à-dire un méchant morceau de papier, maintenu par deux cachets mal appliqués et vagues. Notez aussi que les gardes du butin sont justement les sans-culottes qui l’ont conquis, qu’ils sont pauvres, que cette profusion d’objets utiles ou précieux leur fait mieux sentir le dénuement de leur intérieur, que leur femme a bien envie de monter son ménage. D’ailleurs, et dès les premiers jours de la Révolution, ne leur a-t-on point promis que « 40 000 hôtels, palais et châteaux, les deux tiers des biens de la France, seraient le prix de la valeur[57] » ? En ce moment même, est-ce que le représentant en mission n’autorise pas leurs convoitises ? Ne voit-on pas Albitte et Collot d’Herbois à Lyon, Fouché à Nevers, Javogues à Montbrison, proclamer que les biens des contre-révolutionnaires et le superflu des riches sont « le patrimoine des sans-culottes[58] » ? Ne lit-on pas dans les proclamations de Monestier[59] que les campagnards, « avant de partir, peuvent mesurer, arpenter les immenses propriétés de leurs seigneurs, choisir, pour ainsi dire, celle qui, au retour, accroîtra la propriété de leur chaumière,… accrocher une parcelle du champ et de la garenne de leur ci-devant comte ou marquis » ? Pourquoi pas une parcelle de son mobilier, tel lit ou telle armoire ? — Rien d’étonnant, après cela, si la fragile bande de papier, qui protège les meubles séquestrés et les marchandises confisquées, saute, à chaque instant, sous des mains grossières et rapaces. Quand, après Thermidor, le maître rentrera dans sa maison, ce sera le plus souvent dans une maison vide ; telle petite habitation dans le Morvan[60] a été si bien démeublée qu’une huche retournée sert de table et de chaises aux propriétaires pour y prendre, après leur retour, leur premier repas. — Et les détournements sont encore plus effrontés dans les villes que dans les campagnes. À Valenciennes, les chefs jacobins de la municipalité sont connus sous le nom de « brise-scellés et de patriotes au vol[61] ». À Lyon, les Maratistes qui s’intitulent « amis de Châlier » sont, de « l’aveu des Jacobins eux-mêmes, des brigands, des voleurs et des scélérats[62] ». Or ce sont eux qui, au nombre de trois ou quatre cents, composent les trente-deux comités de surveillance, et les cent cinquante principaux, « tous administrateurs », forment seuls la Société populaire. Selon eux, dans cette ville de 120 000 âmes, ils sont à peu près 3000, et ils comptent bien « se partager toute la fortune lyonnaise ». Cet énorme gâteau leur appartient ; ils n’admettent pas que des étrangers, des Parisiens, viennent y mettre la dent[63], et ils entendent le manger seuls, à discrétion, sans contrôle, jusqu’à la dernière miette. Quant à « leur système », il consiste « à vendre la justice, à faire un commerce de dénonciations, à tenir sous le séquestre au moins 4000 ménages », à poser partout les scellés dans les maisons et magasins, à ne point appeler les intéressés qui pourraient surveiller leurs opérations, à expulser les femmes, les enfants, les domestiques qui pourraient témoigner de leurs vols, à ne point dresser d’inventaire, à s’installer comme « gardiateurs à 5 francs par jour », eux et leurs compères, et « à dilapider tout, d’accord avec les administrateurs ». Impossible, même aux représentants, de les réprimer. « Prenez-les sur le fait[64] ; il faut fermer les yeux, ou vous les faites crier tous à l’oppression des patriotes : c’est un système, pour qu’on ne puisse rechercher personne… Nous avons pris un arrêté qui a défendu à toute autorité de faire lever les scellés sans notre autorisation, et, après cette défense, on est venu enfoncer un magasin séquestré, forcer les serrures et piller, jusque sous nos yeux, dans notre propre maison. Et qui étaient ces dilapidateurs ? Précisément deux commissaires du comité, qui vidaient le magasin sans autorisation de nous, et même sans être munis de pouvoirs par le comité. » — C’est un sac en règle et quotidien ; il a commencé le 10 octobre 1793, il a continué depuis, sans interruption, et l’on vient de voir que, le 23 floréal an II, c’est-à-dire le 26 avril 1794, après deux cent treize jours, il dure encore.

Dernière curée, et la plus ample de toutes. — À travers les prévarications de ses agents, la République, ayant volé immensément, a pu, quoique volée à son tour, garder beaucoup : en premier lieu, les objets mobiliers trop difficiles à détourner, les gros lots de marchandises, les grandes dépouilles des palais, des châteaux, des abbayes et des églises ; en second lieu et surtout, les immeubles, terres et bâtiments. Pour subvenir à ses besoins, elle met tout cela en vente, et qui veut acquérir n’a qu’à se porter acquéreur ; le dernier enchérisseur devient propriétaire légal, et à bon compte : souvent la coupe d’une année solde le prix d’une forêt[65] ; parfois, on peut payer un château en revendant les grilles du parc et le plomb de la toiture. — C’est ici qu’il y a de beaux coups à faire, et d’abord sur les objets de luxe et d’art. « La seule nomenclature[66] de ces objets enlevés, détruits ou dégradés formerait plusieurs volumes. » D’une part, les commissaires aux inventaires et aux adjudications, « ayant des deniers à pomper sur le produit des ventes », mettent en vente tout ce qu’ils peuvent, « évitent de réserver » les objets d’utilité publique, et livrent aux enchères les collections ou bibliothèques pour toucher leur tant pour cent. D’autre part, presque tous ces commissaires sont des revendeurs ou des fripiers qui, seuls en état d’apprécier les choses rares, les déprécient tout haut, pour les racheter en cachette, et « s’assurent ainsi des bénéfices exorbitants ». En certains cas, les gardiens en titre et les acheteurs en expectative ont pris la précaution de « dénaturer » les objets précieux « pour les faire acheter à vil prix par leurs prête-noms et leurs complices » : par exemple, on dépareille les livres, on démonte les machines : le tube d’un télescope se trouve séparé de son objectif, et les fripons concertés savent réunir ces pièces qu’ils ont acquises séparément, à bon marché. « Sur les antiques, les bijoux, les médailles, les émaux, les pierres gravées », souvent, en dépit des scellés, ils ont fait leur main d’avance ; rien de plus aisé, puisque, « à Paris même, en thermidor an II, des agents de la municipalité apposent des cachets sans caractère, des boutons et même des gros sous, en sorte que quiconque est muni d’un sou peut, à son gré, lever et réapposer les scellés » ; le tour fait, « pour colorer leurs vols, ils substituent des cailloux taillés, des pierres fausses aux véritables ». Enfin, aux enchères, « lorsqu’ils redoutent la probité ou la concurrence des gens instruits, ils (leur) offrent de l’argent pour les engager à se retirer des ventes ; on en cite une, où ils assommèrent un enchérisseur ». Cependant, le soir, ils crient de tous leurs poumons au club ; cela, avec la protection d’un membre de la municipalité ou du comité révolutionnaire, les met à l’abri de tout soupçon. Quant au protecteur, il sait toucher sa part, sans sortir de l’ombre : accusez, si vous en avez l’audace, le fonctionnaire républicain qui, en secret ou même ostensiblement, bénéficie de ces larcins ; il vous montrera ses mains nettes. — Ainsi fait le patriote incorruptible que les représentants ont trouvé seul de son espèce à Strasbourg et que, d’office, ils ont nommé maire. Le 10 vendémiaire an III[67], on découvre « dans ses appartements » un assortiment magnifique et complet d’objets ecclésiastiques, « 49 chapes et chasubles de soie ou de satin, « galonnées d’or ou d’argent, 54 palles galonnées », quantité de « reliquaires, de burettes, de cuillers, d’encensoirs, de franges d’argent et d’or, 32 pièces ou coupons de soie, » etc. Mais rien de tout cela n’est à lui ; ces belles choses appartiennent toutes au citoyen Monet, son père. Ce père prudent déclare qu’il les a réfugiées chez son fils « dans le courant de juin 1792 (vieux style) ; » un bon fils pouvait-il refuser ce léger service à son père ? Très certainement, en 93 et 94, sous la dictature municipale du jeune homme, le vieux n’a pas acheté cher aux fripiers de Strasbourg, et il a dû les trouver coulants en affaires ; mais de quel droit un fils, magistrat, aurait-il empêché son père, libre particulier, de vaquer à « son commerce », et d’acheter, selon la loi du commerce, aussi bon marché qu’il pouvait ?

Si tels sont les profits sur les ventes mobilières, quels seront-ils sur les ventes d’immeubles ! — Voilà le trafic sur lequel s’édifient les grandes fortunes des terroristes habiles ; ainsi s’expliquent « les richesses colossales dont jouissent paisiblement », après Thermidor, « ces fripons » avisés qui, avant Thermidor, étaient, chacun dans son canton, « de petits Robespierre », ces « patriotes » qui, autour d’Orléans, « bâtissent des palais », ces « exclusifs » qui, à Valenciennes, « ayant dilapidé la fortune publique et particulière, possèdent des maisons et biens d’émigrés qu’ils se sont fait adjuger cent fois au-dessous de leur valeur[68] ». De ce côté, les mains crochues se tendent tout de suite, et sans vergogne ; car chaque détenu, obligé de déclarer, avec son nom et sa qualité, sa fortune, telle qu’elle est maintenant et telle qu’elle était avant la Révolution, fournit aux cupidités locales un objet précis, connu, certain, direct et palpable. — À Toulouse, dit un prisonnier[69], « le détail et la valeur de chaque objet étaient inscrits comme pour une succession », et les commissaires qui dressaient le tableau, « nos assassins, d’avance et presque sous nos yeux, procédaient au partage, se disputaient sur la convenance et le choix, comparaient le prix de l’adjudication avec les moyens de le diminuer et de l’affaiblir, parlaient des profits certains de la revente et de la cession, dévoraient d’avance les épingles ou pots-de-vin des ventes ou baux à ferme ». — En Provence, où la maturité et la corruption sont plus précoces qu’ailleurs, où le sens et la portée de la Révolution ont dès l’abord été compris, c’est pis encore ; nulle part, le personnel jacobin n’affiche si impudemment son caractère intime, et nulle part, de 1789 à 1799, ce caractère ne s’est si bien soutenu. À Toulon, les démagogues sont, en l’an V comme en l’an II[70], « d’anciens ouvriers et commis de l’arsenal devenus maîtres par délation et terreur ; des détenteurs gratuits ou des acquéreurs à vil prix et par menées des biens nationaux ; de petits marchands venus de toutes parts et approvisionnés par tous moyens, à savoir le vol, les réquisitions cédées ou vendues, l’achat des effets volés par des domestiques ou par les employés des administrations civiles, militaires et de la marine ; enfin des hommes qui, réfugiés des autres communes, passent le jour dans les cafés, et la nuit dans des lieux de prostitution ». — À Draguignan, à Brignoles, Vidauban et Fréjus, à Marseille, après Thermidor, les retours intermittents de la Terreur remettront toujours dans les places le même gibier de justice et de police[71], « des artisans, jadis utiles, mais dégoûtés du travail et que la profession de clubistes soldés, de gardiateurs oisifs, de jureurs et menteurs à gages, a totalement démoralisés », des drôles qui font argent de tout et s’entendent comme larrons en foire, accoutumés à vivre aux dépens du public, à « reverser les bienfaits de la nation sur ceux qui partagent leurs principes, à procurer asile et secours à beaucoup de prévenus que la justice poursuit et qui se disent patriotes par excellence[72], enfin à recevoir des contributions des maisons de débauche et de jeu ». — Dans les campagnes, les anciennes bandes, « les hordes de brigands sans patrie », qui ont si bien travaillé pendant l’anarchie de la Constituante et de la Législative, se reforment pendant l’anarchie du Directoire ; on les voit aux environs d’Apt, « commencer par de petits vols, puis, forts de l’impunité et de leur titre de sans-culottes, enfoncer les granges, les voler, massacrer les propriétaires, dévaliser les voyageurs, rançonner tout ce qui se trouve sur leur chemin, forcer et piller les maisons dans la commune de Gordes, arrêter les femmes dans la rue, leur arracher leurs bagues et leurs croix, attaquer l’hôpital, le saccager de fond en comble » ; et leurs pareils, officiers municipaux ou commandants de la force armée, les laissent faire[73]. — Jugez par là de ce qu’ils ont fait, lorsque, du temps de Robespierre, administrateurs et vendeurs des biens nationaux, ils étaient les maîtres sans conteste. En ce bon temps, dans le Var, les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse, « une société de soi-disant patriotes » préparait de longue main ses acquisitions. Elle avait des « estimateurs à gages » pour déprécier les biens à vendre, et des prête-noms pour dissimuler les véritables acheteurs ; « on était exclu des enchères quand on n’était point de leur acabit ; si l’on persistait, tantôt on était mis à contribution pour avoir le droit d’enchérir », tantôt il fallait s’engager à ne pas enchérir au delà du prix fixé par la ligue, et, pour obtenir le domaine, on lui payait « une bonification ». — Par suite, « les biens nationaux ont été donnés à vil prix », et les raisons ne manquent pas aux aigrefins pour se justifier à leurs propres yeux. En quelles mains les biens des contre-révolutionnaires peuvent-ils mieux tomber qu’en celles des patriotes ? Selon Marat, l’apôtre, le martyr, le saint canonisé de la Révolution, est-ce que le but de la Révolution n’est point d’ôter la fortune aux grands pour la remettre aux petits[74] ? Partout, dans les ventes nationales, dans la garde des séquestres, à l’endroit des rançons, à l’endroit des taxes, emprunts et saisies révolutionnaires, cet admirable raisonnement a prévalu ; nulle part, dans les documents imprimés ou manuscrits, je n’ai rencontré un comité révolutionnaire qui fût à la fois terroriste et probe. Et certes, les documents surabondent ; la seule lacune est le manque de renseignements individuels et nominatifs sur tous les membres du même comité. — Voici pourtant un comité où, par l’heureuse chance d’une enquête détaillée, on peut observer, dans un seul et même nid, toutes les variétés de l’espèce et de ses appétits, les douze ou quinze types de la guêpe jacobine, chacune picorant dans la denrée pour laquelle elle a du goût, chacune ayant son genre préféré de rapine. — À Nantes, « Pinard est le grand pourvoyeur du comité[75], et fait conduire chez chacun des membres tout ce dont ils ont besoin pour l’usage journalier de leur maison ». — « Gallon s’approprie les huiles, les eaux-de-vie », et, notamment, « en prend plusieurs barils chez le citoyen Bissonneau ». — « Durassier fait des visites domiciliaires et exige des contributions » ; entre autres, « il fait payer au citoyen Lemoine 2500 livres pour ne pas l’incarcérer ». — « Naud lève et pose seul les scellés chez les particuliers incarcérés, fait des visites nocturnes dans les maisons des détenus, et s’approprie ce qui lui convient. » — « Grandmaison s’approprie l’argenterie qu’on séquestre, et Bachelier, l’argenterie qu’on offre en don. » — « Jolly fait les exécutions, et s’empare de ce qu’il trouve, argenterie, bijoux, effets précieux. » — Bollogniel s’est fait rendre un « bon de 20 000 livres dont il a déjà touché le montant ». — « Perrochaux demande à la citoyenne Ollemard-Dudan 50 000 livres pour l’empêcher d’être incarcérée », confisque à son profit 60 000 livres de tabac chez la veuve Daigneau-Mallet, et, celle-ci ayant réclamé, il la conduit lui-même en prison, sous prétexte d’intercéder pour elle. — Chaux écarte par la terreur « ses concurrents aux adjudications, se fait adjuger toutes les métairies du domaine de la Baroissière, et dit d’un local qui lui agrée : « Je connais un moyen de me le procurer ; je ferai arrêter le propriétaire, et, pour sortir de prison, il sera trop heureux de m’abandonner son terrain. » — La collection est complète, et rassemble autour d’une table les échantillons que dans le reste de la France, on rencontre épars.

VII

Restent les derniers manœuvres du système, les mains qui empoignent, la force armée qui opère corporellement sur les hommes et les choses. — À cet effet, on emploie, en premier lieu, la garde nationale et la gendarmerie ordinaire ; bien entendu, depuis 1792, on a incessamment épuré ces deux troupes, jusqu’à n’y plus laisser que des énergumènes et des machines[76] ; néanmoins, à mesure que le système se développe, on continue à les purger. À Strasbourg[77], le 14 brumaire, les représentants ont destitué, arrêté et expédié à Dijon tout l’état-major de la garde nationale, pour y servir d’otage jusqu’à la paix ; trois jours après, considérant que la cavalerie de la ville s’est équipée et montée à ses frais, ils la jugent aristocratique, bourgeoise, suspecte, saisissent ses chevaux et mettent ses officiers en arrestation. — À Troyes, pour la même raison et non moins brusquement, Rousselin, « commissaire civil national », destitue d’un coup tous les gendarmes, moins quatre, et « met en réquisition leurs chevaux tout équipés avec leurs armes, pour être montés sur-le-champ par des sans-culottes connus et éprouvés ». — Car, en principe, les indigents, les sans-culottes de cœur et d’habit, ont seuls le droit de porter des armes, et, quand un bourgeois fait le service, on ne lui confie qu’une pique, que l’on prend soin de lui retirer sitôt qu’il a fini sa faction[78].

Mais, à côté de la force armée ordinaire, il en est une autre, encore mieux choisie et plus efficace, gendarmerie de surcroît, spéciale, à la fois ambulante et résidente, je veux dire « l’armée révolutionnaire », que le gouvernement et les représentants, à partir du 5 septembre 1793, ont levée à Paris et dans la plupart des grandes villes. — Celle de Paris comprend 6000 hommes, avec 1200 canonniers, et envoie des détachements en province, 2000 hommes à Lyon[79], 200 hommes à Troyes ; Ysabeau et Tallien en ont une de 3000 hommes à Bordeaux ; Saliceti, Albitte et Gasparin, une de 2000 à Marseille ; Isoré et Duquesnoy, une de 1000 à Lille ; Javogues, une de 1200 à Montbrison ; d’autres, moins nombreuses et qui comptent de 600 à 200 hommes, tiennent Moulins, Grenoble, Besançon, Belfort, Bourg, Dijon, Strasbourg, Toulouse, Auch, Nantes[80]. Lorsque, le 27 mars 1794, le Comité de Salut public, menacé par Hébert, les aura dissoutes comme hébertistes, plusieurs d’entre elles subsisteront, au moins à l’état de noyau, sous diverses formes ou titres, soit que l’administration locale les conserve sous le nom de « gardes soldés[81] », soit que les soldats, licenciés et les bras ballants, se fassent, en raison de leurs exploits, attribuer des grades dans la garde nationale de leur ville ; de cette façon, ils continuent leur service, qui est indispensable, car c’est par eux que le régime s’est établi et dure. « L’armée révolutionnaire[82], disent les décrets et arrêtés d’institution, est destinée à comprimer les contre-révolutionnaires, à exécuter, partout où sera besoin, les lois révolutionnaires et les mesures de salut public », c’est-à-dire « à garder les reclus, à arrêter les suspects, à démolir les châteaux, à descendre les cloches, à fouiller les sacristies pour les matières d’or et d’argent, à saisir les voitures et chevaux de luxe », surtout à « rechercher les provisions particulières et les accaparements », bref à exercer sur place les contraintes manuelles et à imprimer sur place la terreur physique. — Là-dessus, on voit tout de suite de quels soldats l’armée révolutionnaire est composée.

Naturellement, comme elle se recrute par des enrôlements volontaires et que tous les candidats ont passé par le scrutin épuratoire des clubs, elle ne comprend que des ultrajacobins. Naturellement, comme la solde est de 40 sous par jour, elle ne comprend que des prolétaires. Naturellement, comme la besogne à faire est aussi répugnante qu’atroce, elle ne comprend guère[83] que des artisans désœuvrés, réduits à s’engager pour vivre, « des perruquiers sans clientèle, des laquais sans place, des vagabonds, des misérables incapables de gagner leur vie par un travail honnête », « des tape-dur et tape-dru », qui ont contracté le besoin de rudoyer, d’assommer et de tenir les honnêtes gens sous leurs piques, un ramassis « de gens de sac et de corde », qui, à travers le brigandage public, comptent pratiquer le brigandage privé, les habitués du ruisseau, heureux de pousser dans la boue leurs anciens supérieurs, de prendre eux-mêmes le haut du pavé, de s’y prélasser superbement, de bien prouver par leur arrogance et leur étalage qu’ils sont princes à leur tour. — « Prends un cheval, c’est la nation qui paye[84] », disaient aux camarades de la rue les sans-culottes de Bordeaux qui, « en cortège magnifique », dans trois berlines à six chevaux, avec une escorte par derrière, par devant et sur les côtés, conduisaient à la Réole Riouffe et deux autres suspects. Le chef de l’escouade qui mène les prisonniers à Paris et qui « les affame tout le long de la route, en spéculant sur eux », est un ex-cuisinier d’Agen, devenu gendarme ; il leur fait faire quarante lieues de plus, « exprès pour sa gloire », afin « que tout Agen puisse le voir disposant des deniers de l’État et enchaînant les citoyens ». À cet effet, dans Agen, « il visite incessamment et sans nécessité la voiture », faisant des signes aux spectateurs, « plus triomphant que s’il eût amené douze Autrichiens faits prisonniers de sa propre main » ; enfin, pour montrer au public assemblé l’importance de sa capture, il fait venir deux maréchaux ferrants et river aux jambes de chaque prisonnier un boulet ramé de quatre-vingts livres[85]. — Plus les sbires se montrent brutaux, plus ils se sentent grands. À Belfort, où, pour un patriote qui vient de mourir, on procède à l’enterrement civique, un détachement révolutionnaire se joint au cortège ; les hommes sont armés de haches ; arrivés au cimetière, afin de mieux célébrer les funérailles, « ils abattent toutes les croix, en font un autodafé, et la Carmagnole termine ce jour à jamais mémorable[86] ». — Quelquefois la scène, théâtrale et jouée aux flambeaux, laisse aux auteurs l’impression qu’ils ont fait quelque chose d’extraordinaire et de méritoire, qu’ils ont sauvé la patrie. « Cette nuit, écrit l’agent de Bordeaux[87], près de 3000 hommes ont été employés pour une expédition importante ; à leur tête étaient les membres du comité révolutionnaire et de la municipalité. On est allé chez tous les grands négociants de la ville et du faubourg des Chartrons ; on s’est emparé de leur copie de lettres, on a apposé les scellés sur leurs comptoirs, on a mis les négociants en arrestation au séminaire. Malheur aux coupables ! » — S’il est beau de coffrer aussi promptement, dans une ville, toute une classe d’individus, il est encore plus beau de saisir une ville entière. Partis de Marseille avec une petite armée[88], deux sans-culottes en chef cernent Martigues et y entrent comme dans un moulin. Superbe coup de filet : dans cette ville de 5000 âmes, on ne trouve que 17 patriotes ; tout le reste est fédéraliste ou modéré ; par suite, désarmement général, visites domiciliaires ; les vainqueurs repartent, emmenant les garçons valides, « 500 jeunes gens sujets à la réquisition, et laissent dans la ville une compagnie de sans-culottes pour y maintenir l’obéissance ». Soyez sûr que l’obéissance y sera maintenue, et que la garnison, jointe aux dix-sept patriotes, usera de sa conquête à discrétion.

En effet, corps et biens, tout est à leur discrétion et ils agissent en conséquence, d’abord dans les campagnes, où ils vont à domicile visiter les greniers et les granges, faire battre les grains, et vérifier que les déclarations des propriétaires sont exactes. Si les grains n’ont pas été battus, on les battra incontinent, ils seront confisqués, et il y aura un an de fers pour le propriétaire. Si la déclaration est inexacte, il sera condamné comme accapareur et puni de mort. Armée de cet arrêté[89], chaque bande se met en campagne et ramasse, non seulement les grains, mais les subsistances de toute espèce. « Celle de Grenoble, écrit l’agent[90], fait merveille ; on a trouvé dans une seule petite commune 400 septiers de blé, 1200 œufs et 600 livres de beurre. Tout cela a pris lestement le chemin de Grenoble. » — Aux environs de Paris, les avant-coureurs de la troupe, munis de « fourches et de bayonnettes, se précipitent sur les métairies, délient les bœufs dans les étables, empoignent les moutons et les volailles, incendient les granges et vendent leurs larcins à des spéculateurs[91] ». Lard, œufs, beurre, poulets, les paysans livrent tout ce qu’on leur demande, en maudissant tout bas la République qui leur a donné la guerre et la famine ; mais ils obéissent ; quand on leur a dit : « Citoyen paysan, je te requiers sur ta tête…, il n’y a plus à reculer[92] ». — Aussi bien sont-ils trop heureux d’en être quittes à si bon compte. Le 9 brumaire, vers sept heures du soir, à Tigery, près de Corbeil, vingt-cinq hommes, « avec sabres et pistolets à la ceinture, la plupart en habits de gardes nationaux et se disant de l’armée révolutionnaire », entrent chez Gilbon, vieux laboureur de soixante et onze ans ; cinquante autres, pour que l’expédition ne soit pas dérangée, gardent les issues de la maison. Leur chef, Turlot, aide de camp du général Henriot, demande où est le maître. — « Dans son lit. — Qu’on l’éveille. » — Le vieillard se lève. — « Livre tes armes. » — La femme remet un fusil de chasse, seule arme de la maison. À l’instant, la bande se jette sur le pauvre homme, « le frappe, lui lie les mains, lui met la tête dans un sac » ; même opération sur sa femme, sur les huit domestiques et sur les deux servantes. — « Maintenant, les clefs des armoires ; nous voulons vérifier si tu n’as point de fleurs de lis ou quelques autres objets en contravention avec la loi. » On fouille dans ses poches, on lui arrache les clefs ; pour aller plus vite, on enfonce les armoires, on saisit et on enlève toute l’argenterie, « 26 couverts, une écuelle, 3 cuillers à potage et à ragoût, 3 gobelets, 2 tabatières, 40 jetons, 2 montres, une autre montre d’or, une croix d’or. » — « Nous dresserons procès-verbal de tout cela, quand nous serons tranquilles à Meaux. À présent, où est ton argent monnayé ? Si tu ne le déclares pas, la guillotine est à la porte ; c’est moi qui serai ton bourreau. » — Le vieillard ne refuse pas, demande seulement qu’on le délie ; mais il est plus sûr de le laisser lié, « pour le faire chanter ». On l’enlève, on le porte dans la cuisine, on lui met les pieds « dans un brasier ardent ». Il pousse un grand cri, indique une autre armoire ; l’armoire est forcée, ils emportent ce qu’ils y trouvent, « 72 francs en numéraire et 5000 à 6000 livres en assignats, que Gilbon venait de recevoir pour son blé en réquisition ». Ensuite, ils brisent les portes de la cave, lâchent une pièce de vinaigre, montent du vin, mangent le souper de la maison, s’enivrent, et enfin, laissant Gilbon, les pieds brûlés, garrotté ainsi que les onze autres, ils s’en vont, bien sûrs de n’être pas suivis[93].

Dans les villes, surtout en pays fédéraliste, les vols se compliquent d’autres attentats. — À Lyon, tandis qu’on a logé les troupes régulières dans les casernes, on loge chez l’habitant l’armée révolutionnaire, les deux mille[94] voyous crapuleux et sanguinaires qui arrivent de Paris, et que leur général, Ronsin, appelle lui-même « des coquins, des brigands », alléguant pour excuse « qu’on ne peut pas trouver d’honnêtes gens pour faire ce métier ». Comment ils traitent leur hôte, sa femme et ses filles, on le devine ; les contemporains glissent là-dessus, et par pudeur ou dégoût, évitent les détails. Quelques-uns usent simplement de la force brutale ; d’autres se débarrassent, par la guillotine, du mari incommode ; les plus réservés amènent avec eux leurs drôlesses ; il faut que la demoiselle de la maison, réveillée en sursaut, vienne, à une heure du matin, allumer le feu de l’officier, qui rentre en belle compagnie. — Pourtant il en est de pires, car les pires s’attirent entre eux. On a vu ce qu’étaient à Nantes le comité révolutionnaire et le représentant en mission ; nulle part le sabbat révolutionnaire n’a ronflé plus furieusement et trépigné si fort sur les vies humaines. Avec des chefs d’orchestre comme Carrier et comme ses suppôts du comité, on peut être sûr que les exécutants sont des hommes de choix.

Pour plus de sûreté, quelques membres du comité de Nantes vaquent eux-mêmes à l’exécution et collaborent de leurs mains aux massacres. — L’un d’eux, Goullin, créole de Saint-Domingue[95], sensuel et nerveux, accoutumé à traiter un nègre comme un animal, et un Français comme un nègre blanc, septembriseur par principes, principal instigateur et directeur des noyades, va, de sa personne, vider la prison du Bouffay, et, vérifiant que la mort, l’hôpital ou l’élargissement lui ont soustrait des détenus, il ajoute, de sa seule autorité, quinze noms, pris au hasard, pour atteindre son chiffre. — Un autre, Jolly, commissaire du comité, très expert dans l’art de garrotter, liait lui-même les détenus, deux à deux, pour les conduire à la rivière[96]. — Grandmaison, membre du comité, ancien maître d’armes, condamné et gracié, avant la Révolution, pour deux meurtres, abattait à coups de sabre les mains suppliantes qui se tendaient vers lui à travers les planches de la gabare[97]. — Pinard, autre commissaire du comité, rançonnait, volait dans la campagne, et tuait lui-même les femmes et les enfants, de préférence[98]. — Naturellement, les trois troupes qui opèrent avec eux, ou sous leurs ordres, ne comprennent que des hommes de leur espèce. — Dans la première, appelée Compagnie Marat, chacun des soixante membres jure, en s’enrôlant, d’adopter les principes de Marat, de pratiquer la doctrine de Marat, et Goullin[99], l’un des fondateurs, demande à propos de chaque récipiendaire : « N’y en a-t-il pas encore un plus scélérat ? Car il nous faut des hommes de cette espèce pour mettre les aristocrates à la raison[100]. » Dès le 5 frimaire, « les Marats » se vantent d’avoir les bras « fatigués » à force de donner des coups de plat de sabre aux détenus, pour les faire marcher jusqu’à la Loire[101], et l’on voit que, malgré la fatigue, l’emploi leur agrée ; leurs officiers briguent auprès de Carrier pour être chargés de la noyade ; c’est qu’elle est lucrative. Au préalable, les hommes et les femmes qui vont mourir sont dépouillés, parfois jusqu’à la chemise et y compris la chemise ; ce serait dommage si des objets de valeur allaient au fond de l’eau, avec leur propriétaire ; en conséquence, les noyeurs se les partagent ; on trouvera chez l’adjudant Richard une armoire pleine de bijoux et de montres[102] ; sur les quatre ou cinq mille noyés, la compagnie des Soixante a dû faire de beaux profits. — La seconde troupe, dite des Hussards américains, et qui travaille dans la banlieue, se compose de noirs et de mulâtres[103], assez nombreux dans cette ville d’armateurs. On leur donne les femmes à fusiller, et ils en usent auparavant, « Ce sont nos esclaves, disent-ils ; nous les avons gagnées à la sueur de notre corps. » Celles qui ont le malheur d’être épargnées par eux deviennent idiotes, entre leurs mains, au bout de deux jours ; au reste, un peu après, elles sont reprises et on les fusille. — La dernière troupe, que l’on nomme la Légion germanique, est formée de déserteurs ou mercenaires allemands, qui parlent à peine ou ne parlent pas le français, et la commission militaire les emploie aussi à expédier les Vendéennes ramassées sur les chemins ; ordinairement, ils les fusillent par vingt-cinq. « J’arrivai, dit un témoin oculaire[104], dans une espèce de gorge où était une carrière en forme de demi-cercle ; là, j’aperçus les cadavres de soixante-quinze femmes… nues et couchées sur le dos. » Celles qu’on amenait ce jour-là avaient de seize à dix-huit ans ; une d’elles dit à ses conducteurs : « Je vois bien que vous me conduisez à la mort », et l’Allemand, en son jargon estropié, lui répond, probablement avec un gros rire : « Non, cela est pour vous changer d’air ». On les range en haie devant les cadavres des journées précédentes, et on les fusille ; celles qui ne sont pas tombées voient recharger les fusils ; on les fusille de nouveau, et les blessées sont achevées à coup de crosse. Ensuite les Allemands viennent fouiller les mortes ; d’autres les mettent nues, et les « retournent sur le dos ». — Il a fallu, pour trouver les ouvriers de l’œuvre, descendre, non seulement jusqu’aux derniers scélérats de la France, mais encore jusqu’à des brutes de race et de langue étrangères, plus bas encore, jusqu’à des brutes de race inférieure, dégradées par l’esclavage et perverties par la licence. — Tel est, du haut en bas de l’échelle, à tous les degrés de l’autorité et de l’obéissance, le personnel du gouvernement révolutionnaire[105]. Par son recrutement et son emploi, par ses mœurs et ses actes, il évoque devant la mémoire l’image presque oubliée de ses prédécesseurs ; car il en a eu, au quatorzième, au seizième, au dix-septième siècle. En ce temps-là aussi, la société était parfois conquise et saccagée par ses barbares ; les nomades dangereux, les déclassés malfaisants, les bandits devenus soldats s’abattaient tout d’un coup sur une population industrieuse et paisible. Ainsi faisaient, en France, les Routiers et les Tard-venus ; à Rome, l’armée du connétable de Bourbon ; en Flandre, les bandes du duc d’Albe et du duc de Parme ; en Westphalie et en Alsace, les soudards de Wallenstein et de Bernard de Saxe-Weimar. Ils vivaient sur une ville ou sur une province, pendant dix mois, quinze mois, deux ans, jusqu’à ce que la ville ou la province fût mangée, seuls armés, maîtres de l’habitant, usant et abusant à leur fantaisie des choses et des personnes. Mais ils étaient de francs bandits ; ils s’appelaient eux-mêmes écorcheurs, reîtres, aventuriers : ils ne se donnaient pas pour des philosophes humanitaires. D’ailleurs, au delà de la jouissance immédiate et personnelle, ils ne demandaient rien ; ils n’employaient la force brutale que pour assouvir leur avidité, leur cruauté, leur luxure. — Aux ravages de leurs convoitises privées, ceux-ci ajoutent un dégât plus vaste, la dévastation systématique et gratuite que leur commande la théorie antisociale dont ils sont imbus.

  1. Archives des affaires étrangères, tomes 322 à 334, et 1409 à 1411. — Ces agents sont en résidence à Nîmes, Marseille, Toulouse, Tarbes, Bordeaux, Auch, Rochefort, Brest, Bergues, Lille, Givet, Metz, Thionville, Strasbourg, Belfort, Colmar, Grenoble, et se transportent souvent dans les villes voisines. — Les rapports les plus abondants sont ceux de Chépy à Grenoble ; sa correspondance vaudrait la peine d’être publiée. Quoique Jacobin outré, il fut arrêté en ventôse an II. Sous l’Empire, il devint commissaire général de police à Brest. — Presque tous les vrais Jacobins étaient, au fond, des autoritaires, et les survivants devinrent d’excellents outils de despotisme.
  2. Buchez et Roux. XXX, 425. — Vingt-quatre commissaires, choisis au scrutin parmi les Jacobins de Paris, sont adjoints à Collot d’Herbois, pour régénérer Lyon. L’un d’eux, Marino, y devient le président de la commission temporaire de surveillance ; un autre, Parrein, y est nommé président de la commission révolutionnaire. — Archives nationales, AF, II, 59 (Délibération de la Société des Jacobins de Paris, nommant trois des leurs pour aller à Tonnerre, et invitant le Comité de Salut public « à leur donner les pouvoirs nécessaires, pour en faire usage, selon les circonstances, et pour le plus grand bien de la République, 6 frimaire an II »). — Arrêté du Comité de Salut public allouant aux trois susdits 2000 francs a pour leurs frais de voyage ». — Archives des affaires étrangères, tome 333. Les agents envoyés à Marseille signent : « les sans-culottes de Paris ». et l’un d’eux, Brutus, devient le président du tribunal révolutionnaire de Marseille.
  3. Archives nationales, AF, II, 49 (Papiers relatifs à la taxe révolutionnaire de Belfort, imposée le 30 brumaire an II). — On y trouvera les noms de toutes les personnes taxées et le chiffre de chaque taxe. La formule est la suivante : « Le citoyen, ou la citoyenne N…, versera dans l’heure la somme de…, sous peine d’être considéré comme suspect et traité comme tel ». — Recueil de pièces authentiques concernant la Révolution à Strasbourg, I, 128, 187 (Expressions du représentant Baudot, dans une lettre du 29 brumaire an II).
  4. Archives nationales. Les arrêtés et lettres des représentants en mission y sont classés par départements. — Sur les délégués des représentants en mission, je ne citerai qu’un texte (Archives des affaires étrangères, tome 333, lettre de Garrigues, Auch, 24 pluviôse an II) : « Un délégué de Dartigoeyte se transporte à l’Isle, et, dans la Société populaire, veut que le curé du lieu se déprêtrise. Cet homme répond (m’a-t-on dit) qu’il renoncerait bien volontiers à ses fonctions, mais que, pour le surplus, si on le forçait, il en appellerait à la Convention, qui n’entendait pas gêner la liberté des opinions. » — « Et moi, répond le délégué de Dartigoeyte, j’en appelle à un gendarme. » — « Et il ordonne que sur-le-champ on l’arrête. »
  5. Alfred Lallié, Une commission d’enquête et de propagande, 7 (celle-ci, composée de douze membres choisis par le club de Nantes, parcourt le district d’Ancenis, et touche 6000 francs d’honoraires). — Albert Babeau, ib., II, 280 (Envoi de soixante commissaires, chacun à 6 francs par jour, par l’administration de Troyes (prairial an II), pour constater la quantité des approvisionnements).
  6. Par exemple à Bordeaux et à Troyes. — Archives nationales, F7, 4421, Registre du comité révolutionnaire de Troyes, F0 164). Deux membres du comité se transportent dans la commune de Lusigny, destituent le maire et le juge de paix, et nomment à la place de ce dernier « le ci-devant curé du pays, lequel a abjuré, il y a quelque temps, le fanatisme sacerdotal ». — (Archives des affaires étrangères, tome 332, Lettre de Desgranges, Bordeaux, 15 brumaire an II.) Les représentants viennent d’instituer « un comité révolutionnaire de surveillance, composé de douze membres choisis avec le plus grand soin ; tous les comités établis dans le département sont tenus de correspondre avec lui et d’obéir à ses réquisitions. »
  7. Archives nationales, AF, II, 58 (Lettre de Javogues à Collot d’Herbois, 28 brumaire an II).
  8. Recueil de pièces authentiques, etc., I, 195 (Arrêté du 21 janvier 1793).
  9. Archives des affaires étrangères, tome 326 (Lettres de Brutus, 24 septembre 1793, de Topino-Lebrun fils, 25 septembre et 6 octobre 1793). — Tome 330 (Lettres de Brutus, 6 nivôse an II, de Galon-Boyer, 9 nivôse an II). — La qualité des agents est souvent indiquée par l’orthographe. Par exemple, tome 332. Lettre de Galon-Boyer, 18 brumaire an II : « Esprit publique. L’esprit public est généralement mauvais. Ceux qui se disent patriotes ne connaissent point de frin. Les autres sont en létargie, et le fédéralisme paraît innée. »
  10. Archives des affaires étrangères, tome 1411 (Lettre de Haupt, 26 brumaire an II). — Tome 333 (Lettre de Blessmann et de Hauser, 4 pluviôse an II).
  11. Archives des affaires étrangères, tome 333 (Lettre de Chartres et de Caillard, Commune-Affranchie, 21 nivôse). — Tome 331 (Lettres de Desgranges, Bordeaux, 8 brumaire et 3 frimaire) : « Les offrandes en argenterie et en numéraire se multiplient à l’infini ; tout va. Le tribunal militaire a condamné à la peine de mort Dudon, fils de l’ex-procureur général au ci-devant parlement de Bordeaux, Roullat, procureur-syndic du département, Sallenave, négociant. Ces exécutions affligent toujours, mais personne ne murmure. »
  12. Archives des affaires étrangères, tome 333 (Lettre de Cuny aîné, Rochefort, 20 nivôse). Tomes 331 et 332 (Lettres de Chépy, passim, et notamment celles du 2 brumaire et du 11 frimaire). — Tome 329 (Lettre de Chépy, 24 août 1793) : « À Annecy, les femmes ont coupé l’arbre de la liberté et brûlé les archives du club et de la Commune. À Chambéry, le peuple en a voulu faire autant. » — (Lettre du même, 18 septembre 1793.) « Les habitants du Mont-Blanc ne montrent aucune bonne volonté et aucun courage ; il est même vrai de dire que la contre-révolution est faite dans tous les esprits. » — (Lettre du même, 8 août 1793.) « Non seulement des citoyens de Grenoble, requis par le sort, ne sont point partis pour l’expédition de Lyon ; mais même, de ceux qui ont obéi à la loi, plusieurs reviennent avec armes et bagages. Depuis Saint-Laurent jusqu’à Lyon, aucune commune n’a voulu marcher ; les municipalités campagnardes, très atteintes de la maladie du fédéralisme, ont affecté de donner de très mauvais logements aux troupes, surtout à celles de la réquisition. »
  13. Ib., tome 332 (Lettre de Cuny jeune, Brest, 6 brumaire). — « En général, il y a très peu de patriotes à Brest, les habitants sont presque tous modérés. » — (Lettre de Gadolle, Dunkerque, 26 juillet 1793.) — Lettre de Simon, Metz, 5 nivôse an II) : « Hier, à la nouvelle de la prise de Toulon annoncée au spectacle… j’ai remarqué qu’il n’y avait à peu près que le tiers des spectateurs qui s’adonnèrent à une joie patriotique. Les deux autres tiers restèrent froids ou allongèrent la figure. »
  14. Archives des affaires étrangères (Lettre de Haupt, Belfort, 1er septembre 1793).
  15. Rapport de Courtois sur les papiers de Robespierre, 274 (Lettre de Darthé, 29 ventôse an II).
  16. Tableau des prisons de Toulouse, par le citoyen Pescayre (publié en l’an III), 101.
  17. Archives nationales, F7, 4421 (Registre du Comité révolutionnaire établi à Troyes, le 11 brumaire an II). — Albert Babeau, tome II, passim. — Archives des affaires étrangères, tome 332 (Lettre de Chépy, Grenoble, 6 brumaire) : « Les sections avaient nommé sept comités de surveillance ; quoique épurés par le club, ils alarmaient les sans-culottes. Le représentant Petitjean a fait un arrêté par lequel il ordonne qu’il n’y aura à Grenoble qu’un seul Comité, composé de 21 membres. Cette mesure est excellente et assure le triomphe du sans-culottisme. » — Archives nationales, F7, 4434 (Lettre de Pévrieu à Brissot, Bordeaux, 9 mars 1793). Avant le 2 juin, « le club national » de Bordeaux, composé de Maratistes, « ne comprenait que 8 à 10 individus tout au plus ». — Moniteur, XXII, 133 (Discours de Thibaudeau sur la Société populaire de Poitiers, 11 vendémiaire an III). — Ib., XXII, 355 (séance du 5 brumaire an III, lettre de Calès, et séance du 17 brumaire an III, rapport de Calès). « La Société populaire de Dijon faisait trembler corps administratifs, citoyens, districts voisins. Tout était soumis à ses lois, et trois ou quatre hommes lui en donnaient à elle-même. Cette société et la municipalité ne faisaient qu’un. » — Le parti de la Terreur n’existe pas ici, ou, s’il existe, il est bien peu de chose ; car, sur 20 000 habitants, il n’y a pas six individus qu’on puisse légitimement soupçonner être de ce parti. »
  18. Baraly, les Jacobins démasqués (in-8° de 8 pages, an II) : « Les Jacobins, avec leurs 400 membres très actifs à Paris, et les 4000 autres non moins dévoués dans les provinces, représentaient la force vive de la Révolution. »
  19. Archives nationales, D, § I, 10 (Arrêtés des représentants Lacroix, Louchet et Legendre, 12 nivôse an II). « Sur la pétition du comité de surveillance d’Évreux, qui expose que tous ses membres sont sans aucune fortune, et qu’il leur est impossible de continuer leurs fonctions, puisqu’ils sont sans ressources pour substanter leurs familles », les représentants accordent à trois d’entre eux 270 francs chacun, et à un quatrième 180 francs, comme gratification (en dehors des 5 francs par jour).
  20. Archives nationales, AF II, 111 (Arrêté d’Albitte et La Porte, 18 prairial an II).
  21. Albert Babeau, II, 154 à 157. — Moniteur, XXII, 425(séance du 13 brumaire an III, discours de Cambon. « On avait organisé un gouvernement qui, en simple surveillance, coûtait 591 millions par an. Aussitôt, tous les hommes accoutumés au travail de la terre et à celui des ateliers abandonnèrent leurs occupations pour se placer dans les comités révolutionnaires…, où ils recevaient 5 francs par jour. »
  22. Tableau des privons de Toulouse, par Pescayre, 102, 166, 435.
  23. Berryat-Saint-Prix, la Justice révolutionnaire, 2e édition, 19. — Ib., 14. À Rochefort, on trouve, dans le Tribunal révolutionnaire, un maçon, un cordonnier, un calfat et un cuisinier ; à Bordeaux, dans la commission militaire, un comédien, un commis en vins, un droguiste, un boulanger, un ouvrier doreur, plus tard un tonnelier et un ouvrier mégissier.
  24. J’ai recueilli ce mot dans des conversations avec de vieux paysans. — Archives nationales, AF II, 111 (Arrêté du représentant Ichon, 18 messidor an II). « La Société populaire de Chinon sera régénérée sur-le-champ. Les citoyens (j’omets les noms, voici les qualités : deux cordonniers, un sabotier, un tonnelier, un charron, un boucher, un menuisier, un charpentier, un maçon, un sergent) formeront le noyau épuratoire, lequel procédera au choix des individus qui se présenteront pour devenir membres de la Société. » — Ib., D, § I, 10 (Arrêté des représentants Louchet, Lacroix et Legendre en mission dans la Seine-Inférieure, 9 frimaire an II, pour destituer à Conches toute l’administration et y former un comité révolutionnaire nouveau, muni de pleins pouvoirs). Les membres du comité dont la condition est indiquée sont deux tonneliers, deux charpentiers, un jardinier, un marchand, un voiturier et un tailleur. — La correspondance des représentants en mission, aux Archives nationales, contient quantité d’arrêtés instituant des autorités de cette espèce.
  25. Albert Babeau, II, 296.
  26. Archives nationales, F7 4421 (Arrêté du Comité de surveillance de la 3e section de Troyes, pour refuser la carte civique à 72 individus, ou pour les renvoyer devant le Comité central, comme « marchands d’argant, aristocrate, royalist, douteux, modère, intrigant, egoiste, fanatique. Fait et areté par nous membre du Comité. » — Ib., « Mémoire des commissaires de la 5e seission dite de la liberté nommé par le citoyen de Baris (Paris) pour faire les visite de l’argenteri ché les citoyens de la liste fait par les citoyens Diot et Bailly et Jaquin savoir depence du 13 et 14 et 15 frimaire pour leur nouriture de troyes jour monte a 24 ».
  27. Albert Babeau, II, 154.
  28. Archives nationales, D, § I, 5 (Mission du représentant Albert dans l’Aube et la Marne). — Toutes les notes qui suivent ont été rédigées sur place, en pleine connaissance de cause, par des républicains qui sont zélés, mais qui ont le sens commun et l’honnêteté moyenne (principalement en pluviôse et ventôse an III). — Lettre d’Albert aux directoires des deux départements, 3 prairial an III. « Je me suis convaincu, dans le cours de ma mission, de la nécessité de réorganiser les municipalités dans toute l’étendue des deux départements. »
  29. Archives nationales, D, § I, 5. Arrêtés d’Albert, 29 pluviôse et 5 ventôse an III, pour réorganiser les tribunaux et les administrations dans les districts de Nogent-sur-Seine, Ervy, Arcis, avec tableau nominatif des révoqués et des motifs de révocation.
  30. Archives nationales, D. § I. Pétition de Jean-Nicolas Antoine, ci-devant membre du directoire du district de Troyes pendant 28 mois. Interné à Troyes, il demande (9 ventôse an III) la permission de s’en aller à Paris : « J’ai une petite pacotille de marchandises dont j’ai le plus grand besoin d’aller vendre à Paris ; c’est mon pays natal, et j’y ai plus de connaissances que partout ailleurs. » — Ib., Renseignements sur le susdit Antoine par le conseil général de la commune de Troyes.
  31. Archives nationales, AF, II, 39 (Mémoire daté du 28 messidor an II, par un agent du Comité de Salut public envoyé à Troyes, le 29 prairial, pour rendre compte de la situation de la ville et des troubles qui s’y sont produits). — Albert Babeau, II, 112, 122, 203, 205. — Cf. 179 : « Gachez, ivre, vers onze heures du soir, avec plusieurs femmes ivres comme lui, s’était fait ouvrir les portes du temple de la Raison, en menaçant le gardien de la guillotine. » — Ib., 166. Dans la Société populaire, il disait aux sans-culottes : « Voici le moment de vous mettre à la place des riches ; frappez, sans différer. » Ib., 165. « 42 633 livres furent remises à Gachez et au comité pour dépenses secrètes et révolutionnaires. Du 4 au 10 décembre, Gachez toucha 20 000 livres, en trois mandats pour distributions employées révolutionnairement et secours provisoires… Les chefs du parti disposaient de ces sommes sans contrôle, et l’on peut ajouter, sans scrupule ; Gachez remit seulement 4000 livres aux comités de sections pour les indigents. De l’argent des pauvres il ne restait dans sa caisse, le 12 nivôse, que 3738 francs ; il avait donc distrait ou mangé plus de 12 000 livres. »
  32. Frochot, par Louis Passy, 172 (Lettre de Pajot, membre du comité révolutionnaire d’Aignay-le-Duc) : « Les dénonciations occupaient la majeure partie de nos séances, et c’est là qu’on voyait la haine et la vengeance des collègues qui nous dirigeaient. »
  33. Archives nationales, D, § I, no 3. Sur les grattages des comités révolutionnaires et de leurs agents, voici une pièce entre mille (Plainte de Mariotte, propriétaire, ancien maire de Châtillon-sur-Seine, 27 floréal an III) : « Le 25 brumaire de l’an II, je fus arrêté en prenant la poste à Mussy, voyageant pour les affaires de la République, muni de commission et de passeport du ministre de la guerre… Je fus fouillé avec la dernière indécence ; le citoyen Ménétrier, membre du comité, me tint les propos les plus grossiers… Je fus mis en arrestation dans une auberge ; au lieu de deux gendarmes, qui auraient sans doute suffi pour ma garde, j’eus toute la brigade, qui passa la nuit et la journée du lendemain à boire, au point que, tant en vin qu’en eau-de-vie, j’en ai été à l’auberge pour 60 francs. Ce qui est plus fort, c’est que deux membres du comité ont passé une nuit à me garder, et se sont fait payer. Au reste, on disait devant moi que j’étais un bon pigeon qu’il fallait plumer… On me donna une escorte, comme à un criminel d’État de la plus grande importance, 3 gendarmes nationaux à cheval, 6 gardes nationaux ; et enfin le commandant même de la garde nationale, le citoyen Miédan, membre du comité révolutionnaire, se met à la tête du cortège. Dix hommes pour en conduire un !… Il m’a fallu payer mes bourreaux, 50 francs au commandant de la garde nationale et 60 aux gendarmes. »
  34. Moniteur, XXI, 261 (Discours d’un habitant de Troyes aux Jacobins de Paris, 26 messidor an II).
  35. Albert Babeau, II, 174 (Dépositions de l’aubergiste et de Garnier, commissaire).
  36. Frochot, par Louis Passy, 170, 172 (Lettre de Pajot, et pétition de la municipalité d’Aignay, 10 mars 1795). — Bibliothèque nationale, L. 41, no 1802 (Dénonciation par les six sections de la commune de Dijon à la Convention nationale).
  37. Recueil de pièces authentiques, etc., I, 187, et lettre de Burger, 25 thermidor an II.
  38. Archives nationales, D, § I, 6 (liasse 37). — Lettre des membres du comité révolutionnaire de Strasbourg, 13 ventôse an III, signalant au maire et aux officiers municipaux de Châlon-sur-Saône deux Jacobins de cette commune qui ont été membres de la Propagande à Strasbourg.
  39. Recueil de pièces authentiques concernant la Révolution à Strasbourg, I, 71 (Déposition du greffier Weiss sur la tournée du tribunal révolutionnaire, composé de Schneider, Clavel et Taffin). « Les juges ne quittaient jamais la table que enivrés de tout ce qu’il y avait d’exquis, et, dans cet état d’ivresse, ils s’assemblaient au tribunal et jugeaient à mort les prévenus. » — L’habitude de la vie large « et de la dépense excessive » est commune jusque parmi « les moindres employés du gouvernement ». — « Il m’est arrivé, dit Meissner (Voyage en France, fin de 1795, 371), de voir des charretiers du gouvernement se faire servir de la volaille, de la pâtisserie, du gibier, tandis qu’à la table des voyageurs il n’y avait qu’un vieux gigot de mouton et quelques méchants entremets. »
  40. Quelques-uns néanmoins n’ont pas le vin méchant et sont de simples ivrognes. En voici un que les textes nous ont conservé vivant et qui peut servir de spécimen. — Président de la Société populaire de Blois en mars 1793, puis délégué pour les visites domiciliaires, et, pendant toute la Terreur, l’un des principaux personnages de la ville, du district et même du département (Dufort de Cheverny, Mémoires manuscrits, 21 mars 1793 et juin 1793) ; c’est un certain Velu, vagabond de naissance, jadis enfermé et élevé à l’hôpital, puis cordonnier ou savetier, ensuite maître d’école au faubourg de Vienne, enfin harangueur au club et faiseur de motions tyrannicides, petit, gros, aussi rouge de trogne que de bonnet. — En juin 1793, chargé de visiter le château de Cheverny, pour vérifier si tous les papiers féodaux ont été livrés, il arrive à l’improviste, rencontre le régisseur Bimbenet, entre chez le maire, aubergiste, s’y rafraîchit copieusement, ce qui donne à Bimbenet le temps d’avertir M. Dufort de Cheverny et de faire disparaître les registres suspects. — Cela fait, « on achemine Velu vers le château, en lui faisant quitter la bouteille. — Il avait pour manie d’être à la hauteur : il tutoyait et voulait qu’on le tutoyât ; il mettait la main sur la poitrine, vous prenant l’autre, et vous disait : « Bonjour, frère. » — Il arrive donc à 9 heures du matin, s’avance, me prend la main, et me dit : Bonjour, frère, comment te portes-tu ? — À merveille, citoyen, et vous ? — Tu ne me tutoies pas ? Tu n’es pas dans le sens de la Révolution ? — Nous parlerons de cela ; voulez-vous venir dans le salon ? — Oui, frère, je te suis. » — Nous entrons, il voit ma femme, qui, par sa tenue, a, j’ose le dire, un air imposant. Il l’embrasse hardiment, en recommençant son geste sur la poitrine, lui prenant la main et lui disant : « Bonjour, sœur. » — « Allons, dis-je, nous allons déjeuner ensemble, et, si vous voulez, vous dînerez avec moi. — J’y consens, mais à une condition, c’est que tu me tutoieras. — Je le ferai, si je puis, mais ce n’est pas mon usage. » — « Après lui avoir garni la tête et le cœur d’une bouteille de vin, nous nous en débarrassons en l’envoyant, avec mon fils et Bimbenet, faire l’inspection au chartrier. Le plaisant est qu’il ne savait lire que dans le moulé… » Par suite, Bimbenet et le procureur de la commune, qui lisent tout haut les titres, omettent les féodalités. Velu ne s’en aperçoit pas, et dit toujours : « C’est bien, passe, passe. » — Au bout d’une heure, excédé, il revient : « C’est fini, tout est bien ; mais fais donc moi voir ton château qui est si beau. » — Il avait surtout entendu parler d’une salle de fantoccini dans les combles ; il y monte, ouvre quelques livrets de pièces, et, voyant sur la liste des personnages les noms « le Roi, le Prince, » etc., il me dit : « Il faut que tu effaces cela, il faut jouer des pièces républicaines. » — On descend par un escalier dérobé. — « Au milieu, il rencontre une femme de chambre de ma femme, fort jolie ; il l’arrête, et, regardant mon fils : Il faut, en bon républicain, que tu couches avec elle et que tu l’épouses. » — Je le regarde, et je lui dis : « Monsieur Velu, écoutez-moi bien : nous avons ici des mœurs, et pareil propos ne s’y est jamais tenu. Respectez la jeunesse et ma maison. » — Un peu déconcerté, il s’humanise, et « montre des égards à Mme de Cheverny ». — « Tu as de l’encre et des plumes sur ton bureau, me dit-il ; apporte-les-moi. — Quoi, pour faire mon inventaire ? — Non, non ; mais ils me demandent un procès-verbal ; tu m’aideras ; il sera mieux pour toi, puisque tu le feras à ta fantaisie. » — Ce n’était pas de sa part si maladroit pour cacher son impéritie. — On passe, pour dîner, dans la salle à manger, « Mes gens nous servaient ; je ne m’étais point plié au système d’une table générale, qui ne leur aurait pas plus convenu qu’à moi. La curiosité les amena tous à venir nous voir dîner. — « Frère, me dit Velu, est-ce que tous ceux-là ne mangent pas avec toi ? » — (Il ne voyait que quatre couverts, les deux membres de la municipalité ayant voulu manger à l’office.) — Je lui réponds : « Frère, cela ne leur conviendrait pas plus qu’à moi : consulte-les. » — Il mangea peu, but comme un ogre, fut causant, nous conta ses amours ; il s’échauffa, frisa la polissonnerie à faire trembler ma femme, sans cependant s’en permettre aucune. À propos de la Révolution et du danger que nous courions, il nous dit naïvement : « Est-ce que je n’en cours pas autant, moi ? J’ai dans l’opinion que, dans trois mois, j’aurai le cou coupé ; mais il faut prendre son parti. » — De temps en temps, il lâchait des saillies de sans-culottisme ; il prit la main du domestique qui lui donnait des assiettes : « Je t’en prie, frère, lui dit-il, mets-toi à ma place, et que je te serve à mon tour. » — On lui fait boire des liqueurs, et enfin il s’en va, se louant de cette réception, disant qu’il en a eu une pareille chez M. et Mme de Rancogne, et les approuvant beaucoup de manger avec leurs gens, à la même table. — Il retourne au cabaret, et n’en sort qu’à neuf heures du soir, « rond comme une bedaine », mais point ivre, « Il ne tenait pas à une bouteille de vin, il aurait vidé un tonneau, sans qu’il y parût. »
  41. Moniteur, XXII, 425 (séance du 13 brumaire an III). Cambon : « J’observe à l’assemblée que les comités révolutionnaires n’ont jamais été payés. » — Un membre : « Ils se sont payés de leurs propres mains. » — (Oui, oui. — On applaudit). »
  42. Ib., 711 (Rapport de Cambon, 6 frimaire an III). — Effectivement, Cambon disait déjà, le 26 frimaire an II, à propos de ces taxes (Moniteur, XVIII, 680) : « Pas un avis, pas un sou n’est encore parvenu à la Trésorerie ; on veut être au-dessus de la Convention, qui a fait la Révolution. »
  43. Meissner, 348 (Rapport de Parisot aux Cinq-Cents, 22 nivôse an V).
  44. Moniteur, XXII, 711, 720 (Rapport de Cambon, 6 frimaire an III). « Les reliquats constatés, et dont la plus grande partie est déjà rentrée dans les caisses de la Trésorerie, s’élèvent à 20 166 330 livres. » — À Paris, à Marseille, à Bordeaux, dans les grandes villes où l’on a perçu les millions par dizaines, dans les trois quarts des districts, Cambon, trois mois après Thermidor, déclare qu’il ne peut encore obtenir, je ne dis pas le versement, mais le relevé des sommes perçues : les agents nationaux ne lui répondent pas, ou lui répondent vaguement, ou répondent que, dans leur district, il n’y a eu ni dons civiques, ni taxes révolutionnaires ; tel est le cas à Marseille, où l’on a fait un emprunt forcé de 4 millions. — Cf. comte de Martel, Fouché, 245 (Mémoire de l’administration centrale de la Nièvre, 19 prairial an III). « Le compte fourni par la cité de Nevers s’élève à 80 000 francs, dont l’emploi n’a jamais été justifié ; cette taxe d’acomptes sur la subvention de la guerre n’était qu’un tour de gibecière de ces histrions politiques, pour mettre les citoyens honnêtes et crédules à contribution. — Ib., 247 (Sur les dons volontaires et les taxes forcées).
  45. Ludovic Sciout, Histoire de la constitution civile du clergé, IV, 49 (Rapport du représentant Becker, Journal des Débats et Décrets, 743, prairial an III). Becker revient d’une mission à Landau et rend compte des exactions commises par les agents jacobins dans les provinces rhénanes : ils levaient des taxes, le sabre à la main, et menaçaient les récalcitrants de les envoyer à Strasbourg, pour y être guillotinés. Les quittances qui ont passé sous les yeux de Becker « offrent une somme de 3 345 785 livres 11 deniers, tandis que notre collègue Cambon n’annonce qu’un versement de 138 000 livres ».
  46. Mallet du Pan, Mémoires, II, 51.
  47. Moniteur, XXII, 754 (Rapport de Grégoire, 24 frimaire an III}. « La friponnerie : ce mot rappelle les anciens comités révolutionnaires, dont la plupart étaient l’écume de la société, et qui ont montré tant d’aptitude pour le double métier de voler et de persécuter. »
  48. Archives nationales, AF, II, 107 (Arrêtés des représentants Ysabeau et Tallien, Bordeaux, 11 et 17 brumaire an II. — Troisième arrêté des mêmes, 2 frimaire an II, remplaçant ce comité par un autre de 12 membres et 6 adjoints, chacun à 200 francs par mois. — Quatrième arrêté, 16 pluviôse an II, destituant les membres du précédent comité, comme exagérés et désobéissants. — C’est qu’ils prenaient tout à fait au sérieux leur royauté locale. — Ib., AF, II, 46 (Extraits des séances du comité révolutionnaire de Bordeaux, prairial an II). Cet extrait de 18 pages montre en détail la cuisine intérieure d’un comité révolutionnaire. Le nombre des détenus va croissant ; il est de 1524 le 27 prairial. Le comité est, par essence, un bureau de police : il délivre des cartes de civisme, lance des mandats d’arrestation, correspond avec d’autres comités, même placés très loin, à Limoges, à Clermont-Ferrand, délègue tel ou tel de ses membres pour faire des enquêtes ou des visites domiciliaires, pour poser les scellés il reçoit et transmet les dénonciations, fait comparaître les gens dénoncés, etc. Exemple de ses mandats d’arrêt : « Muller, écuyer, sera mis en état d’arrestation, au ci-devant petit séminaire, comme suspect d’aristocratie, d’après l’opinion publique. » — Autre exemple (Archives nationales, F7, 2475. Registre des procès-verbaux du comité révolutionnaire de la section des Piques, Paris, 3 juin 1793). Mandat d’arrêt contre Boucher, épicier rue Neuve-du-Luxembourg, comme suspect d’incivisme et comme « ayant envers sa femme des intentions méchantes et perfides ». Boucher, arrêté, répond que « ce qu’il disait et faisait chez lui ne regardait personne. » Sur quoi, il est conduit en prison.
  49. Archives nationales, AF, II, 30, n° 105 (Interrogatoire de Jean Davilliers et autres également dénoncés).
  50. Berryat-Saint-Prix, 313 (Procès de Lacombe et de ses complices, après Thermidor).
  51. Archives nationales, AF, II, 46 (Lettre de Jullien au Comité de Salut public, Bordeaux, 12 thermidor an II). — Moniteur XXII, 713 (Rapport de Cambon, 6 frimaire an III). À Vervins, des citoyens furent emprisonnés, puis mis en liberté, « moyennant rétribution ». — Albert Babeau, II, 164, 165, 206. « La citoyenne Deguerrois étant venue solliciter l’élargissement de son mari, un fonctionnaire public ne craignit point de lui demander 10 000 livres, qu’il réduisit à 6000, pour lui faire obtenir ce qu’elle désirait. » — « Une pièce atteste que Massey paya 2000 livres, et la veuve Delaporte 600 livres, pour sortir de prison. »
  52. Mallet du Pan, (Première lettre à un négociant de Gènes, 1er mars 1796), 33 à 35. « Un des prodiges de la Terreur, c’est l’inattention avec laquelle on a observé le commerce de vie et de mort qui a signalé les solennités du terrorisme… À peine trouve-t-on un mot sur les innombrables marchés par lesquels les citoyens suspects se rachetaient de la captivité, et les citoyens captifs se rachetaient de la guillotine… On traitait d’un cachot et du supplice comme on traite d’un achat de bétail dans une foire. » Ce trafic « se répétait dans toutes les villes, les bourgs, les départements livrés à des commissaires conventionnels et aux comités révolutionnaires… Il s’établit depuis le 10 août. Je ne citerai, parmi une infinité d’exemples, que le malheureux duc du Châtelet : jamais personne n’acheta son supplice plus chèrement. » — Wallon, Histoire du tribunal révolutionnaire, VI, 88 (Dénonciation contre Fouquier-Tinville, signée Saulnie). Selon Saulnie, Fouquier allait dîner habituellement deux fois par semaine, rue Serpente, n° 6, « chez Demay, se disant homme de loi, et vivant avec la fille Martin. Dans ce coupe-gorge, au milieu des orgies, on traitait impunément, à prix d’argent, de la liberté ou de la mort des incarcérés. Une seule tête de la maison Boufflers, échappée à l’échafaud par l’intrigue de ces vampires, leur a valu 30 000 livres… » — Morellet, Mémoires, II, 32. L’agent de mesdames de Boufflers était l’abbé Chevalier, qui jadis avait connu Fouquier-Tinville chez un procureur au Parlement, et qui, ayant renoué connaissance, venait boire avec Fouquier à la buvette. « Il obtenait que les papiers des dames de Boufflers, déjà prêts à être envoyés au tribunal, fussent remis au fond du carton. » — Mallet du Pan, Mémoires, II, 495. « Fouquier-Tinville avait une pension de 1000 écus par mois de mesdames de Boufflers, la pension augmentant d’un quart par mois en raison de l’atrocité des circonstances. Cette méthode a sauvé ces dames, tandis que ceux qui ont donné des sommes en bloc se sont perdus… C’est du Vaucel, fermier général, qui sauva la princesse de Tarente, moyennant 500 louis, après avoir sauvé deux autres femmes moyennant 300 louis donnés à l’un des Jacobins en chef. »
  53. Tableau des prisons de Toulouse, par Pescayre, détenu, 324. — L’officier municipal Coudert, cordonnier de son état, chargé d’ôter aux détenus leur argenterie, ne sut ou ne voulut dresser qu’un procès-verbal irrégulier et sans valeur ; sur quoi, un détenu fit des objections et refusa de signer. « Prends garde à toi, lui dit Coudert furieux ; avec ton f… esprit, tu fais le mutin, tu n’est qu’une f… bête ; tu te f… dans un mauvais cas ; je te ferai guillotiner, si tu ne veux pas signer. » — Souvent il n’y avait pas d’écritures du tout (Comte de Martel, Fouché, 236, mémoire adressé par les autorités de l’Allier à la Convention, pièces justificatives, n° 19). Le 30 octobre 1793, arrêté du comité révolutionnaire de Moulins enjoignant des visites nocturnes dans toutes les maisons suspectes de Moulins, pour y enlever l’or, l’argent et le cuivre. — « On se divise en onze bandes, et chaque bande est chargée de visiter huit ou dix maisons. À la tête de chaque bande est un membre du comité avec un officier municipal, accompagnés de serruriers et de la garde révolutionnaire. On va dans les maisons des détenus et d’autres particuliers. On force les secrétaires et les armoires dont on ne trouve pas les clefs ; on pille l’or et l’argent monnayés, on enlève l’argenterie, les bijoux, les ustensiles de cuivre et beaucoup d’autres effets, couvertures, pendules, voitures. On ne donne point de reconnaissances, on ne constate point ce qui est emporté. On se contente, au bout d’un mois, de déclarer, dans une espèce de procès-verbal de séance du comité, que, d’après le rapport des visites, il s’est trouvé peu d’argenterie, peu d’or et d’argent, peu de denrées, le tout sans calcul ni énumération. »
  54. Tableau des prisons de Toulouse, 461 (Visite du représentant Mallarmé, 24 vendémiaire an III). Le ci-devant duc de Narbonne-Lara, âgé de 84 ans, détenu, dit à Mallarmé : « Citoyen représentant, pardonne si je reste couvert d’un bonnet : j’ai perdu mes cheveux dans cette prison, sans pouvoir obtenir la permission de faire faire une perruque. C’est pis qu’un bois. — Est-ce qu’on t’a volé quelque chose ? — On m’a volé 145 louis d’or, et on m’a donné en payement la quittance d’une imposition pour les sans-culottes, qui est un autre vol fait aux citoyens de cette commune, où je n’ai ni domicile, ni possession. — Qui t’a fait ce vol ? — C’est le citoyen Bergès, officier municipal. — On ne t’a pas volé autre chose ? — On m’a pris une cafetière d’argent, deux étuis à savonnette et un plat à barbe d’argent. — Qui t’a fait ce vol ? — Voici mon voleur, c’est le citoyen Miot (notable du conseil). » — Miot avoue qu’il a gardé ces objets et ne les a pas portés à la Monnaie. — Ib., 178 (20 ventôse an II). « On déchaussa les détenus, même ceux qui n’avaient qu’une paire de souliers, et on leur promit en échange des sabots, qui ne leur furent jamais donnés. On leur prit aussi leurs manteaux, en promettant de les payer : ce qu’on ne fît jamais. » — Souvenirs et journal d’un bourgeois d’Évreux, 93 (25 février 1795). Les séances de la Société populaire « furent en grande partie employées à lire les infamies et les voleries du comité révolutionnaire. Ses membres, qui désignaient les suspects, allaient souvent eux-mêmes les arrêter ; ils faisaient perquisition et dressaient procès-verbal, dans lequel ils omettaient de porter des bijoux et de l’or qu’ils avaient pu trouver. »
  55. Moniteur, XXII, 133 (séance du 11 vendémiaire an III, rapport de Thibaudeau). « Ces sept individus sont des scélérats, qui ont été destitués par les représentants du peuple et qui ont volé les effets des détenus. Il existe une délibération d’eux, consignée sur un registre, dans laquelle ils déclarent que, ne se rappelant pas la valeur des effets détournés, ils se soumettent à payer chacun à la nation, pour dédommagement, une somme de 22 livres. »
  56. Berryat-Saint-Prix, 447. Le juge Ragot était un ci-devant menuisier de Lyon ; l’accusateur public Viot était un ci-devant déserteur du régiment de Penthièvre. — « D’autres accusés furent dépouillés ; on ne leur laissait que des vêtements en mauvais état… L’huissier Nappier fut plus tard (messidor an III) condamné aux fers, pour s’être approprié une partie des effets, bijoux et assignats des détenus. »
  57. Paroles de Camille Desmoulins, dans la France libre (août 1789).
  58. Comte de Martel, Fouché, 362. — Ib., 132, 162, 179, 427, 443.
  59. Marcelin Boudet, 175 (Adresse de Monestier aux Sociétés populaires du Puy-de-Dôme, 23 février 1793).
  60. Alexandrine des Écherolles, Une famille noble sous la Terreur, 368.
  61. Archives nationales, AF, II, 65 (Lettre du général Kermorvan au président du Comité de Salut public, Valenciennes, 12 fructidor an III).
  62. Rapport de Courtois sur les papiers de Robespierre (pièces justificatives, 312 à 324). Lettres de Reverchon, 29 germinal, 7 floréal, 23 floréal, et de La Porte, 24 germinal an II.
  63. Ib., Lettre de La Porte : « Je ne sais par quelle fatalité les patriotes d’ici ne peuvent souffrir des frères qu’ils appellent des étrangers… Ils nous ont déclaré qu’ils n’en souffriraient aucuns dans les places. » — Les représentants n’ont osé arrêter que deux voleurs et dilapidateurs, qui sont libres maintenant et déclament à Paris contre eux. « Il est une foule de faits graves et même atroces, qui nous sont dénoncés journellement, et sur lesquels nous hésitons à prendre un parti, dans la crainte de frapper des patriotes ou de soi-disant tels… Il s’est commis d’horribles dilapidations. »
  64. Rapport de Courtois sur les papiers de Robespierre. Lettre de Reverchon : « Tous ces énergumènes ne voulaient la République que pour eux… Ils ne se disent patriotes que pour égorger leurs frères et acquérir des richesses. » — Guillon de Montléon, Histoire de la ville de Lyon pendant la Révolution, III, 166 (Rapport de Fouché, avril 1794) : « On a vu des innocents, acquittés par le tribunal terrible de la commission révolutionnaire, replongés par les ordres arbitraires des trente-deux comités dans les cachots du crime, parce qu’ils avaient le malheur de se plaindre de ne plus retrouver dans leurs humbles demeures le strict nécessaire qu’ils y avaient laissé. »
  65. Meissner, Voyage en France, 343 : « Il y a tel domaine que les départements révolutionnaires ont fait céder à leurs créatures pour moins que rien, au-dessous du produit de la première coupe de bois. » — Moniteur, XXIII, 397 (Discours de Bourdon de l’Oise, 6 mai 1795 : « Tel cultivateur a payé une ferme de 5000 francs avec la vente d’un seul cheval. »
  66. Moniteur, XXII, 82 (Rapport de Grégoire, 14 fructidor an II). — Ib., 775 (Rapport de Grégoire, 24 frimaire an III).
  67. Recueil de pièces authentiques sur la Révolution à Strasbourg, II, 1 (Procès-verbal dressé en présence de Monet père, et signé par lui).
  68. Moniteur, XXII, 775 (Rapport de Grégoire, 24 frimaire an III). — Ib., 711 (Rapport de Cambon, 6 frimaire an III). — Archives nationales, AF, II, 65 (Lettre du général Kermorvan, Valenciennes, 12 fructidor an III).
  69. Tableau des prisons de Toulouse, 184 (Visite du 27 ventôse an II).
  70. Archives nationales F7. 7164 (Département du Var : « Idée générale et appréciation, avec détails sur chaque canton, » an V).
  71. Archives nationales, F7, 7171 (n° 7915). — Département des Bouches-du Rhône (« Idée générale, » an V). — (Lettre de Miollis, commissaire du Directoire près le département, 14 et 16 ventôse an V ; lettres du général Willot au ministre, 10 ventôse, et du général Merle au général Willot, 17 ventôse an V) : « Plusieurs sections d’anarchistes parcourent d’une commune à l’autre, pour émeuter les citoyens faibles, et les excitent à partager les horreurs qu’ils méditent. » — Ib., F7, 7164 (Lettre du général Willot au ministre, Arles, 12 pluviôse an V, avec pièces à l’appui, et notamment une lettre du directeur du jury sur les violences et le règne actuel des Jacobins dans Arles). Leur parti est « composé des plus misérables artisans et de presque tous les marins ». La municipalité, recrutée parmi les anciens terroristes, « a mis en vigueur, depuis un an, la loi agraire, la dévastation des bois, le pillage de la récolte du blé par des bandes armées sous prétexte du droit de glanage, le vol des bêtes de labour et celui des troupeaux. »
  72. Archives nationales, F7, 7171 : « (Les commissaires de quartier) avertissent les exclusifs et même les escrocs, lorsqu’on veut mettre à exécution les mandats décernés contre eux… Ce qui s’est pratiqué dans les assemblées primaires, le 1er thermidor dernier, pour l’élection des officiers municipaux, avait été fait avec succès pour l’organisation de la garde nationale : menaces, injures, vociférations, voies de fait, abandon forcé des assemblées que dirigèrent alors les amnistiés, enfin nomination de ces derniers aux places principales. En effet, toutes, à commencer par celles du chef de bataillon jusqu’à celles des caporaux, sont exclusivement occupées par les gens du parti exclusif. Il résulte de là que les gens probes, répugnant à faire ce service avec des hommes qu’ils ne peuvent voir sans un souvenir révoltant, payent leur garde au lieu de la monter, et que la sûreté de la ville est entre les mains de ceux qu’il faudrait surveiller. »
  73. Archives nationales, F7, [3273 (Lettre de Mérard, ancien administrateur et juge en 1790 et 1791, en l’an III, en l’an IV et l’an V, au ministre, Apt, 15 pluviôse an VIII, avec des références personnelles et pièces à l’appui) : « Je ne puis tenir à la vue de tant d’horreurs. Les juges de paix et le directeur du jury s’excusaient sur ce qu’il ne se présentait ni dénonciateurs ni témoins. Qui aurait osé se montrer contre des hommes qui s’arrogeaient le titre de patriotes par excellence, qu’on avait vus figurer dans toutes les crises révolutionnaires, qui avaient des amis dans toutes les communes, et des protecteurs dans les autorités supérieures ? La faveur dont ils jouissaient était telle, qu’on avait exempté la commune de Gordes de la levée des conscrits et des réquisitionnaires. On ne pouvait trop, disait-on, ménager des gens disposés à seconder les vues civiques de l’administration… Il est certain qu’un état aussi désespérant n’a pour cause que la faiblesse, l’impéritie, l’ignorance, l’apathie et l’immoralité des fonctionnaires publics qui, depuis le 18 fructidor an V, infestent, à quelques exceptions près, les autorités constituées. Tout ce qu’il y a de plus impur et de plus inepte est en place et glace d’effroi les bons citoyens. » — Ib., Lettre de Montauban, directeur de l’enregistrement depuis 1793, au ministre de l’intérieur, son compatriote, Avignon, 7 pluviôse an VII : « Les honnêtes gens ont été constamment froissés et comprimés par les ordonnateurs et auteurs de la Glacière,… par les suppôts du tribunal sanguinaire d’Orange, et par les incendiaires de Bédouin. » Il demande le secret sur sa lettre, qui, « si elle était connue des Glaciéristes ou Orangistes, coûterait la vie à son auteur ».
  74. Archives nationales, F7, 7164 (Département du Var, an V, « Idée générale ») : « Le caractère national est usé, il est même démoralisé : on regarde comme un sot celui qui, ayant été en place, n’a point fait en très peu de temps ses affaires. »
  75. Moniteur, XXII, 240 (Acte d’accusation des quatorze membres du Comité révolutionnaire de Nantes, et résumé de l’enquête, 23 vendémiaire an III). — Sur les autres comités, quand les renseignements individuels manquent, le jugement d’ensemble est presque toujours aussi accablant. — Ib., 144 (séance du 12 vendémiaire an III, plainte d’une députation de la commune de Ferney-Voltaire) : « Le district de Gex fut en proie, pendant plus d’un an, à cinq ou six fripons qui vinrent s’y réfugier. Sous le masque du patriotisme, ils parvinrent à accaparer toutes les places. Des vexations de tout genre, des vols chez les particuliers, des dilapidations de deniers publics furent commis par ces monstres. » (Les députés de Ferney ont apporté avec eux les dépositions des témoins.) — Moniteur, XXII, 290 (Lettre du représentant Goupilleau, Béziers, 28 vendémiaire an III : « Ces gens carnivores, qui regrettent le temps où il leur était loisible de voler et de massacrer impunément,… qui n’avaient pas de pain il y a six mois, et qui vivent maintenant dans une scandaleuse opulence,… dilapidateurs de la fortune publique, voleurs de celle des particuliers,… coupables de rapines, de contributions forcées, de concussions, etc. » — Prudhomme, les Crimes de la Révolution, VI, 79 (sur le comité révolutionnaire installé par Fouché à Nevers). L’enquête locale prouve que les onze principaux étaient des gens tarés, prêtres défroqués et scandaleux, avocats et notaires chassés de leur corporation ou même de la Société populaire pour improbité, comédiens sans le sou, chirurgiens sans clients, viveurs incapables et ruinés, l’un d’eux repris de justice.
  76. Beaulieu, III, 454. — Cf. la Révolution, tome VII, livre I, ch. i, § 9.
  77. Recueil de pièces authentiques sur la Révolution à Strasbourg, I, 21. — Archives nationales, D, I, § 6 (Arrêté de Rousselin, 31 frimaire an II).
  78. Un séjour en France de 1792 à 1795, 409.
  79. Je n’ai point trouvé un relevé complet des villes ou départements qui ont eu une armée révolutionnaire. J’ai constaté, par la correspondance des représentants en mission et par les documents imprimés, la présence d’armées révolutionnaires dans les villes dont je donne ici les noms.
  80. Comte de Martel, Fouché, 338 (texte des arrêtés du Comité de Salut public). Le détachement envoyé à Lyon comprend 1200 fusiliers, 600 canonniers, 150 cavaliers. 300 000 livres sont remises, pour les frais du voyage, au commissaire ordonnateur, 50 000 à Collot d’Herbois, 19 200 aux Jacobins civils qui l’accompagnent.
  81. Moniteur (séance du 17 brumaire an III). Lettre du représentant Calès à la Convention : « Sous prétexte de garder les prisons, la municipalité (de Dijon) avait une armée révolutionnaire que j’ai cassée, il y a deux jours, laquelle coûtait 6000 francs par mois, ne reconnaissait pas le chef de la force armée, et servait d’appui aux intrigants. Ces soldats, tous ouvriers, ne travaillaient plus. Leurs occupations étaient de remplir les tribunes du club, où eux et leurs femmes appuyaient, par des applaudissements, les vues des meneurs, et faisaient taire, par leurs menaces, les citoyens qui voulaient les combattre. » — Comte de Martel, Fouché, 425 : « Pour éluder un décret de la Convention (décret du 14 frimaire), supprimant l’armée révolutionnaire dans les départements, Javogues convertit les 1200 hommes, dont il l’avait formée dans la Loire, en gardes soldés. » — Ib., 452 (Lettre de Gouly, Bourg, 23 frimaire) : « Hier, à Bourg-Régénéré, je trouvai Javogues et environ 400 hommes de l’armée révolutionnaire, qu’il avait amenés avec lui, le 20 courant. »
  82. Buchez et Roux, XXIX, 45. — Moniteur, XX, 67 (Rapport de Barère, 7 germinal). — Sauzay, IV, 303 (Arrêté du représentant Bassal à Besançon).
  83. On voit, par le rapport de Barère (7 germinal an II), que l’armée révolutionnaire, au lieu de 6000 hommes à Paris, ne fut jamais que de 4000 hommes, ce qui est honorable pour Paris. — Mallet du Pan, II, 52. (Cf. la Révolution, VI, 258, 259.) — Gouvion-Saint-Cyr, I, 137 : « Dans le même temps, les représentants avaient organisé sur les derrières, dans le Haut-Rhin, ce qu’ils appelaient une armée révolutionnaire, composée de déserteurs et de tout ce qu’ils purent trouver de vagabonds et de mauvais sujets, sortis de la lie des Sociétés populaires : elle traînait à sa suite ce qu’elle appelait des juges et une guillotine. » — Hua, Souvenirs d’un avocat, 196.
  84. Riouffe, Mémoires d’un détenu, 31.
  85. Ib., 37. « Ces boulets furent apportés avec ostentation et montrés au peuple préalablement. Nos mains attachées, nos corps ceints d’une triple corde lui paraissaient des mesures peu suffisantes ; nous gardâmes, le reste de la route, ces fers tellement pesants que, si la voiture eût penché, nous avions infailliblement la jambe cassée, et si extraordinaires qu’ils étonnèrent, à la Conciergerie de Paris, des guichetiers en place depuis dix-neuf ans. »
  86. Archives des affaires étrangères, tome 531 (Lettre de Haupt, Belfort, 13 frimaire an II).
  87. Ib. (Lettre de Desgranges, Bordeaux, 10 frimaire).
  88. Ib., tome 332 (Lettre de Thiberge, Marseille, 14 frimaire). « J’ai fait cerner la ville avec la petite armée que j’avais. »
  89. Archives des affaires étrangères, 331 (Arrêté du représentant Bassal, Besançon, 5 frimaire). « Nul citoyen ne pourra garder chez lui plus de quatre mois de subsistances… Tout citoyen en ayant davantage portera le surplus dans un grenier d’abondance établi à cet effet… Aussitôt après la réception du présent arrêté, les municipalités seront obligées de requérir tous les citoyens en état de battre, et de procéder au battage sans interruption ni délai, sous peine d’être poursuivies comme rebelles à la loi. L’armée révolutionnaire est spécialement chargée de l’exécution des dispositions du présent arrêté, et les tribunaux révolutionnaires, à la suite de cette armée, de l’application des peines portées par le présent arrêté. » — On voit par d’autres pièces que l’armée révolutionnaire, organisée dans le département du Doubs et dans les cinq départements voisins, comprenait en tout 2400 hommes. (Ib., tome 1411, Lettre de Meyenfeld au ministre Deforgues, 27 brumaire an II.) — Archives nationales, AF, II, 111 (Arrêté de Couthon, Maignet, Châteauneuf-Randon, La Porte, Albitte, Commune-Affranchie, 9 brumaire an II, établissant dans les dix départements circonvoisins une armée révolutionnaire de 1000 hommes par département, pour la réquisition des grains. Chaque armée sera dirigée par des commissaires étrangers au département, et opérera dans un département autre que celui où elle a été levée).
  90. Archives des affaires étrangères, 331 (Lettre de Chépy, 11 frimaire). — Un mois auparavant (6 brumaire), il écrivait : « Les cultivateurs se montrent très hostiles contre les villes et la loi du maximum. Rien ne se fera sans un corps d’armée révolutionnaire. »
  91. Mercier, Paris pendant la Révolution, I, 357.
  92. Hua, 197. — Je n’ai trouvé, dans les documents manuscrits ou imprimés, qu’un exemple de résistance : c’est celui des frères Chaperon, au hameau des Loges, près de Sens, qui déclarèrent n’avoir de blé que pour leur usage et se défendirent à coups de fusil. La gendarmerie n’ayant pas suffi pour les forcer, on sonna le tocsin, on fit venir la garde nationale de Sens et des environs, on amena du canon, et l’on finit par mettre le feu à la maison. Les deux frères furent tués ; auparavant, ils avaient abattu le commandant de la garde nationale de Sens, et tué ou blessé près de 40 assaillants. Un frère survivant et la sœur furent guillotinés (juin 1794, Wallon, IV, 352).
  93. Moniteur, XVIII, 663 (séance du 24 frimaire, rapport de Lecointre). « Les communes de Thieux, de Jully et nombre d’autres ont été victimes de leurs brigandages. » — « La stupeur est telle dans les campagnes que les malheureux qui éprouvent des vexations de ce genre n’osent se plaindre, trop heureux disent-ils d’avoir échappé à la mort. » — Mais, cette fois, les brigands publics ont fait une méprise ; car il se trouve que Gilbon fils est fermier de Lecointre. Encore est-ce par rencontre que Gilbon a parlé de l’événement à son propriétaire ; « il venait le voir pour un autre objet ; » — Cf. la Révolution, VI, 177 (Autre scène semblable chez Ruelle, fermier, commune de Lisses).
  94. Guillon de Montléon, II, 440, III, 97.
  95. Cf. passim Alfred Lallié, le Sans-Culotte Goullin. — Wallon, Histoire du Tribunal révolutionnaire de Paris, V, 368 (Déposition de Lacaille). — Au reste, des monstres non moins extraordinaires se rencontrent aussi dans les autres administrations de Nantes, par exemple Jean d’Héron, tailleur, devenu inspecteur des vivres militaires. « Après la déroute de Clisson, dit la femme Laillet, il se présenta à la Société populaire avec l’oreille d’un brigand qu’il avait attachée à son chapeau, en guise de cocarde. Il avait les poches pleines de ces oreilles, qu’il se faisait un plaisir de faire baiser aux femmes. » — Il montrait et faisait baiser encore autre chose, et la femme Laillet ajoute un détail que je n’ose pas transcrire. (Le Patriote d’Héron, par L. de la Sicotière, 9 et 10, Déposition de la femme Laillet, poissonnière, et témoignage de Mellinet, tome VIII, 256.)
  96. Wallon, V, 368 (Déposition de Lacaille).
  97. Ib., V, 371 (Déposition de Tabouret).
  98. Ib., V, 373 (Déposition de Mariotte).
  99. Moniteur, XXII, 321 (Déposition de Phélippes-Tronjolly). — Berryat-Saint-Prix, la Justice révolutionnaire, 39.
  100. Campardon, Histoire du Tribunal révolutionnaire, II, 30. Ils ont 10 francs par jour, et de pleins pouvoirs leur sont conférés. — (Arrêté de Carrier et Francastel, 28 octobre 1793.) — « Les représentants… confèrent collectivement et individuellement à chaque membre de la compagnie révolutionnaire le droit de surveillance sur tous les autres citoyens suspects de Nantes, sur les étrangers qui y entrent ou y résident, sur les accapareurs de toute espèce,… le droit de faire des visites domiciliaires partout où ils le jugeront convenable… La force armée obéira partout aux réquisitions qui lui seront adressées, soit au nom de la compagnie, soit au nom individuel des membres qui la composent. »
  101. Berryat-Saint-Prix, 42. — Alfred Lallié, les Noyades de Nantes, 20 (Déposition de Gauthier). — Ib., 22. « F…, dit Carrier, c’est à Lambertye que je réservais cette exécution ; je suis fâché qu’elle ait été faite par d’autres. »
  102. Alfred Lallié, les Noyades de Nantes, 21 et 90. — Cf. Moniteur, XXII, 351 (Déposition de Victoire Abraham). — « Les noyeurs se rendaient très familiers avec les femmes, les faisaient même servir à leurs plaisirs, lorsqu’elles leur plaisaient, et ces femmes, pour récompense de leur complaisance, obtenaient l’avantage précieux d’être exceptées de la noyade. »
  103. Campardon, II, 8 (Déposition de Commeret). — Berryat-Saint-Prix, 42. — Ib., 28. D’autres agents de Carrier, Fouquet et Lambertye, furent condamnés, notamment « pour avoir soustrait à la vengeance nationale Mme de Marsilly et sa femme de chambre… Ils s’étaient partagé la femme Marsilly et sa femme de chambre. » — À propos de ces Jacobins, « friands de robes de soie, » M. Berryat-Saint-Prix cite la réponse d’un Jacobin de 1851 au juge d’instruction de Reims : on lui objectait que la République, telle qu’il l’entendait, ne pouvait guère durer, « Possible, dit-il ; mettons trois mois ; n’est-ce rien que trois mois employés à se remplir le gousset et le ventre, et à chiffonner les robes de soie ? » — Un autre, de la même espèce, disait en 1871 : « Nous aurons toujours bien huit jours de noce. » — Les observateurs de la nature humaine trouveront des détails analogues dans la révolte des Cipayes contre les Anglais en 1863, et dans l’histoire des Peaux-Rouges aux États-Unis. — Déjà les massacres de septembre à Paris et l’histoire du Comtat en 1791 et 1792 nous ont fourni les mêmes documents caractéristiques.
  104. Alfred Lallié, les Fusillades de Nantes, 23 (Déposition de Picard, commandant des gardes nationaux de l’escorte. — Cf. les dépositions de Henri Ferdinand, menuisier).
  105. Sauzay, Histoire de la persécution révolutionnaire dans le département du Doubs, VII, 687 (Lettre de Grégoire le conventionnel, 24 décembre 1790) : « Un calcul approximatif élève au nombre de 300 000 les auteurs de tant de forfaits ; car chaque commune avait à peu près cinq ou six bêtes féroces qui, sous le nom de Brutus, ont perfectionné l’art de lever les scellés, de noyer, d’égorger. Ils ont dévoré des sommes immenses, pour bâtir des Montagnes, payer des orgies, et célébrer trois fois par mois des fêtes, qui, après une première représentation, étaient devenues des parodies où figuraient deux ou trois acteurs, sans spectateurs. Elles n’étaient plus composées à la fin que du tambour et de l’officier municipal ; encore celui-ci, tout honteux, cachait-il souvent son écharpe dans sa poche, en allant au temple de la Raison… Mais ces 300 000 brigands avaient pour directeurs deux ou trois cents membres de la Convention nationale, qu’il faut bien n’appeler que scélérats, puisque la langue n’offre aucune épithète plus énergique. »