Les Pères de l’Église/Tome 1/Notice sur saint Polycarpe

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NOTICE SUR SAINT POLYCARPE.


Le nom de Polycarpe est d’autant plus cher à l’Église de France, que nous lui sommes redevables du bienfait de la foi ; c’est lui qui envoya saint Pothin, saint Irenée, et quelques autres de ses disciples, la prêcher dans les Gaules. Nous savons, par le tableau historique et par les lettres qui précèdent, qu’il était évêque de Smyrne, qu’il fut disciple de l’apôtre saint Jean, ami de saint Ignace, et comme lui défenseur de la foi qu’il scella de son sang. Les actes de son martyre sont un monument précieux que nous connaissons aussi. Mais il en est un autre non moins remarquable qu’il importe de reproduire dans son entier ; il nous rappelle différentes particularités de sa vie : c’est une lettre de saint Irenée à Florin, qui tomba dans l’hérésie, après avoir été lui-même disciple de saint Polycarpe. En réfutant ses erreurs, saint Irenée nous fait connaître d’une manière admirable son maître dans la foi et le respect qu’il imprimait.

« Ce n’est point là, dit-il à Florin, la doctrine que nous ont transmise les évêques qui nous ont précédés et qui furent les disciples des apôtres.

« J’étais encore fort jeune, lorsque je vous vis à Smyrne chez le bienheureux Polycarpe. Vous viviez alors avec éclat à la cour de l’empereur, et souvent vous veniez vers ce saint évêque dont vous vouliez vous concilier l’estime. Je me souviens mieux de ce qui se passait alors que de tout ce que j’ai vu depuis. Ce qu’on apprend dans l’enfance se nourrit et croît en quelque sorte dans l’esprit avec l’âge, et ne s’oublie jamais ; de sorte que je pourrais même indiquer le lieu où était assis le bienheureux Polycarpe, lorsqu’il prêchait la parole de Dieu. Je le vois encore : partout où il allait, quelle gravité ! Soit qu’il entrât, soit qu’il sortît, quelle sainteté respirait dans toute sa personne ! quelle majesté sur son visage et dans tout son extérieur ! combien étaient puissantes les exhortations dont il nourrissait son peuple ! Il me semble encore l’entendre nous raconter ses conversations avec saint Jean et plusieurs autres disciples qui avaient vu Jésus-Christ, nous citer leurs paroles et toutes celles qu’ils avaient recueillies de la bouche même du Sauveur, nous entretenir et de ses miracles et de sa doctrine, d’après ce qu’il en savait de ceux qui avaient connu le Verbe de vie et conversé avec lui. Son récit était parfaitement d’accord avec celui des saintes Écritures. J’écoutais avidement toutes ses paroles, je les gravais, non sur des tablettes, mais dans le plus profond de mon cœur. Je puis donc protester devant Dieu que si cet homme apostolique eût entendu avancer une seule erreur semblable aux vôtres, il eût à l’instant même bouché ses oreilles et témoigné son indignation par ce mot qui lui était familier : « Mon Dieu, à quels jours m’aviez-vous réservé ! »

On se rappelle sa réponse à Marcion qu’il avait rencontré à Rome et qui lui demanda s’il le connaissait ? « Oui, répliqua le saint, je te connais pour le fils aîné de Satan. » Aussi les hérétiques le redoutaient autant que les fidèles le vénéraient. On le regardait partout avec saint Ignace comme une des plus fermes colonnes de l’Église, qu’il éclairait par ses écrits en même temps qu’il la propageait par son zèle, qu’il l’édifiait par ses vertus et qu’il versait son sang pour sa défense.

Il ne nous reste qu’une seule épître de ce grand saint : elle est adressée aux Philippiens, qui avaient reçu chez eux saint Ignace lorsqu’il passa par leur ville pour aller à Rome, où il devait consommer son martyre. Saint Polycarpe leur écrivit pour avoir des nouvelles de cet hôte illustre qu’ils avaient eu le bonheur de posséder. Mais en même temps, à l’imitation des apôtres et des écrivains des temps apostoliques, il adresse des instructions à tous les fidèles, il parcourt tous les rangs et tous les états pour apprendre à chacun ses devoirs, et à tous en général il inspire la plus grande horreur des doctrines nouvelles et des hérétiques qui dogmatisaient alors. On avait tant de respect pour cette lettre, qu’on la lisait encore publiquement dans les Églises d’Asie, trois cents ans après : c’est ce que nous apprenons de Justin qui en loue la belle simplicité. Eusèbe dit qu’elle était fort répandue de son temps. Saint Jérôme en recommande la lecture comme un des aliments les plus utiles à la piété. Saint Irenée en fait un grand éloge dans son septième livre contre les hérésies.

Saint Polycarpe parle en ces termes de Jésus-Christ : « C’est le fils de Dieu, dont tout reconnaît le pouvoir sur la terre et dans les cieux. Tout lui obéit comme au souverain maître de la vie et de la mort. Dieu redemandera son sang à ceux qui refuseront de croire en lui. » Il rend aussi le plus glorieux témoignage à saint Paul et rappelle aux Philippiens la lettre qu’ils avaient reçue de ce grand apôtre. « Ni moi, ni aucun homme, dit-il, nous ne pourrions atteindre à la sublime philosophie de Paul, qui prêcha avec tant de zèle et de courage la parole de vérité aux hommes de son époque. »

Le caractère qu’il trace du véritable pasteur est de la plus grande beauté. Cette épître forme donc aussi un anneau précieux de l’antique tradition. Dans la traduction nouvelle que nous offrons, on a cherché à lui conserver toute la simplicité qui la caractérise.